Le Conseil d'État précise la procédure d’approbation des plans de sauvegarde de l’emploi instituée par la loi du 14 juin 2013.
> Lire la décision n°385668, 386496 société Pages Jaunes
> Lire la décision n°385816 société H.J. Heinz France SAS
> Lire la décision n°383481 société Calaire Chimie
L’essentiel :
- Le Conseil d’État précise la procédure d’approbation administrative des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), instituée par la loi du 14 juin 2013 :
Lorsque le plan fait l’objet d’un accord d’entreprise, l’administration doit contrôler son caractère majoritaire et la qualité des signataires pour engager leurs syndicats.
Le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur le motif économique justifiant les licenciements, mais l’administration doit, sous le contrôle du juge administratif, s’assurer que le comité d’entreprise a été correctement informé du plan et de la situation économique de l’entreprise. Lorsque l’employeur restreint sa présentation de la situation économique de l’entreprise au niveau d’un secteur d’activité qu’il définit, il doit justifier ce choix.
L’administration doit, enfin, s’assurer que le contenu du plan est conforme aux objectifs fixés par le législateur de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés
- Appliquant ces principes, le Conseil d’État confirme l’annulation des décisions d’approbation des PSE des sociétés Pages Jaune et Heinz. Il approuve également une décision de la cour administrative d’appel d’avoir rejeté le recours dirigé contre la décision d’homologation du PSE de la société Calaire Chimie.
Le cadre juridique :
La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a réformé la procédure applicable aux licenciements économiques de plus de dix salariés dans une période de trente jours. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui doit être élaboré préalablement à ces licenciements fait désormais l’objet d’un contrôle administratif préalable. Ce plan contient un ensemble de mesure destinées, notamment, à limiter le nombre des licenciements et à favoriser le reclassement.
Le plan de sauvegarde de l’emploi peut soit être négocié entre les partenaires sociaux par un accord collectif d’entreprise, qui doit être « validé » par l’administration, soit être défini unilatéralement par l’employeur et être « homologué » par l’administration. Dans les deux cas, l’administration doit vérifier que les conditions de procédure et de fond ont été respectées. La contestation du plan de sauvegarde de l’emploi ou de la décision administrative l’approuvant ou refusant de l’approuver relève du juge administratif et, par conséquent, en dernier ressort, du Conseil d’État.
En revanche, le législateur a prévu que les licenciements économiques eux-mêmes ne font pas l’objet d’une autorisation administrative : le salarié qui entend contester son licenciement économique, prononcé après élaboration et approbation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, doit introduire un recours devant le juge judiciaire, notamment le conseil de prud’hommes. C’est donc le seul juge judiciaire qui est compétent pour apprécier si le licenciement économique repose sur une « cause réelle et sérieuse », c'est-à-dire si la situation économique de l’entreprise justifie la rupture du contrat de travail.
Par les trois décisions rendues ce jour, le Conseil d’État a précisé les modalités d’application de cette nouvelle procédure d’approbation préalable des PSE.
Les faits et l’application aux cas d’espèce :
Trois licenciements économiques étaient en cause dans ces affaires : ceux des sociétés Heinz et Calaire Chimie, qui avaient donné lieu à des PSE élaborés unilatéralement par l’employeur et homologués par l’administration, et celui de la société Pages Jaunes dont le PSE avait fait l’objet d’un accord collectif majoritaire validé par l’administration.
Le Conseil d’État a, notamment, apporté les précisions suivantes sur le nouveau régime juridique de contrôle des PSE par l’administration :
- Il a rappelé que l’administration doit contrôler la régularité formelle et procédurale des plans de sauvegarde de l’emploi. A ce titre, lorsque le plan fait l’objet d’un accord collectif, l’administration doit vérifier que ce plan a été signé par des organisations syndicales qui ont recueilli au moins 50% des suffrages exprimés lors du premier tour des élections professionnelles. Cela implique de s’assurer que la personne physique qui a signé l’accord au nom d’un syndicat avait bien qualité pour ce faire : en l’espèce, l’accord collectif concernant la société Pages Jaunes avait été signé par une personne dont ni l’employeur, ni son syndicat n’ont pu produire la désignation comme délégué syndical. Le Conseil d’État en a déduit que cette personne n’avait pu signer l’accord au nom du syndicat et a approuvé la cour administrative d’appel d’avoir annulé la décision administrative validant cet accord. Il en résulte que le PSE ne pouvait être mis en œuvre et que les salariés licenciés ont pu, à leur demande, être réintégrés dans l’entreprise.
- Le Conseil d’État a également apporté des précisions sur la procédure d’adoption du plan. Celui-ci doit faire l’objet d’une consultation du comité d’entreprise à qui doivent être fournis « tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif », en particulier sur la situation économique justifiant la réorganisation de l’entreprise. Lorsque l’employeur restreint son analyse à un « secteur d’activité » particulier de l’entreprise ou du groupe, il doit justifier ce choix. Il n’appartiendra qu’au juge judiciaire, au final, de valider ou d’infirmer le choix de ce secteur d’activité et l’appréciation des difficultés économiques de l’entreprise. En revanche, avant d’approuver un plan de sauvegarde de l’emploi, l’administration doit s’assurer que l’employeur a présenté au comité d’entreprise l’analyse sous-tendant le choix du secteur d’activité et des éléments d’information sur la situation de l’entreprise dans ce secteur d’activité. En l’espèce, si la société Heinz avait justifié le choix d’un secteur d’activité particulier, restreint aux filiales européennes du groupe Heinz, elle n’avait fourni au comité d’entreprise que des éléments portant presqu’exclusivement sur le marché français et ne présentait pas l’évolution de l’activité des autres filiales européennes du groupe. Cela a conduit le Conseil d’État à confirmer l’annulation par les premiers juges de la décision d’homologation du PSE en cause.
- Le Conseil d’État a jugé que l’administration doit apprécier si les mesures contenues dans le plan sont conformes aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés compte tenu, d’une part, des efforts de formation et d’adaptation déjà réalisés par l’employeur et, d’autre part, des moyens dont dispose l’entreprise. A ce titre, un plan de reclassement doit être intégré au PSE et doit identifier l’ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l’entreprise ou dans le groupe. En l’espèce, le Conseil d’État estime que le PSE relatif à l’entreprise Calaire Chimie respectait ces exigences et, après avoir écarté les autres critiques qui lui étaient adressées, a rejeté le recours.
Enfin, le Conseil d’État a rappelé que toute personne attaquant une décision approuvant un PSE doit justifier d’un intérêt à exercer ce recours. Cette décision peut, en particulier, être attaquée par le comité d’entreprise, par les syndicats présents dans l’entreprise, par une union de syndicats justifiant d’un tel intérêt et par les salariés qui sont affectés par ce plan.