Le Conseil d’État renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne quatre questions relatives à la réglementation européenne des OGMs.
L’essentiel :
Des associations et syndicats contestent l’article D.531-2 du code de l’environnement, qui exclut du champ de la réglementation des OGMs les organismes obtenus par mutagénèse.
Cette contestation soulève des difficultés sérieuses d’interprétation du droit de l’Union européenne.
Le Conseil d’État a donc renvoyé quatre questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Ces questions portent : sur le point de savoir si les organismes obtenus par mutagénèse sont soumis aux règles posées par la directive relative à la dissémination volontaire d’OGMs dans l’environnement, d’une part, et par la directive concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, d’autre part ; sur la marge d’appréciation des États membres par rapport à la directive relative à la dissémination volontaire d’OGMs dans l’environnement ; sur la validité de cette directive au regard du principe de précaution.
Le Conseil d’État a sursis à statuer en attendant les réponses de la Cour de justice. Lorsque la Cour aura répondu, il lui reviendra, à la lumière de ses réponses, de se prononcer sur la légalité de l’article D. 531-2 du code de l'environnement
Le cadre juridique :
La directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement exempte de son champ d’application les organismes obtenus par certaines techniques ou méthodes de modification génétique. Les organismes obtenus par ces techniques ne sont donc pas soumis aux dispositions de cette directive du 12 mars 2001, et ne sont notamment pas soumis aux procédures d’évaluation des risques et d’autorisation préalables à toute dissémination ou mise sur le marché d’OGMs dans l’environnement et aux obligations d’information du public, d’étiquetage et de suivi postérieurement à leur mise sur le marché.
Cette directive du 12 mars 2001 a été notamment transposée, en France, par les articles L.531-1, L.531-2 et L.531-2-1 du code de l’environnement. L’article D.531-2 du code de l’environnement a été pris pour l’application de ces articles. Il exclut du champ de la réglementation des OGMs les organismes obtenus par mutagénèse.
Par ailleurs, une autre directive, la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles prévoit des obligations pour l’inscription de « variétés génétiquement modifiées » au catalogue commun des espèces de plantes agricoles.
Les faits et la procédure :
Neuf associations et syndicats contestent la légalité de l’article D. 531-2 du code de l'environnement, qui exclut du champ de la réglementation des OGMs les organismes obtenus par mutagénèse. Ils ont demandé l’abrogation de cet article au Premier ministre.
Celui-ci ayant refusé, les requérants ont demandé au Conseil d’État d’enjoindre au Premier ministre, d’une part d’abroger cet article, d’autre part, de prononcer un moratoire sur les variétés de plantes, rendues tolérantes aux herbicides, obtenues par mutagénèse.
La décision du Conseil d’État :
Lorsqu’une juridiction nationale est confrontée à une difficulté sérieuse d’interprétation du droit de l’Union européenne, elle peut – et dans certains cas doit – renvoyer une question à la Cour de justice de l’Union européenne.
C’est ce qu’a fait le Conseil d’État dans la décision qu’il a rendue aujourd’hui. Constatant que le litige qui lui était soumis posait plusieurs questions sérieuses d’interprétation du droit européen, le Conseil d’État a renvoyé quatre questions à la Cour de justice de l’Union européenne :
1° Les organismes obtenus par mutagénèse (en particulier ceux obtenus par les techniques nouvelles de mutagénèse dirigée telles que, par exemple, la mutagénèse dirigée par oligonucléotide (ODM), ou la mutagénèse par nucléase dirigée (SDN1), qui utilise différents types de protéines (nucléases à doigts de zinc, TALEN, CRISPR-Cas9…) constituent-ils des OGMs soumis aux règles posées par la directive du 12 mars 2001 ? Ou faut-il au contraire considérer que ces organismes obtenus par mutagénèse, ou seulement certains d’entre eux (ceux obtenus par les méthodes conventionnelles de mutagénèse existant avant à l’adoption de la directive) sont exemptés des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité prévus par cette directive ?
2° Les variétés obtenues par mutagénèse constituent-elles des « variétés génétiquement modifiées » soumises aux règles posées par la directive du 13 juin 2002 ou sont-elles exemptées des obligations prévues par cette directive pour l’inscription de variétés génétiquement modifiées au catalogue commun des espèces de plantes agricoles ?
3° Si la directive du 12 mars 2001 exclut de son champ d’application les organismes obtenus par mutagénèse, cela signifie-t-il que les Etats membres ont l’interdiction de soumettre ces organismes obtenus par mutagénèse à tout ou partie des obligations prévues par la directive ou à tout autre obligation ou disposent-ils, au contraire, d’une marge d’appréciation pour définir le régime susceptible d’être appliqué aux organismes obtenus par mutagénèse ?
4° Si la directive du 12 mars 2001 exempte les organismes obtenus par mutagénèse des mesures de précaution, d’évaluation des incidences et de traçabilité, sa validité au regard du principe de précaution (garanti par l’article 191-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) peut-elle être remise en cause ? Et, faut-il tenir compte, à cet égard, de l’évolution des procédés de génie génétique, de l’apparition de variétés de plantes obtenues grâce à ces techniques et des incertitudes scientifiques actuelles sur leurs incidences et sur les risques potentiels en résultant pour l’environnement et la santé humaine et animale ?
La Cour de justice de l’Union européenne est désormais saisie de ces questions et le Conseil d’État a sursis à statuer en attendant ses réponses. Lorsque la Cour aura répondu, il reviendra au Conseil d’État, à la lumière de ses réponses, de se prononcer sur la légalité de l’article D. 531-2 du code de l'environnement, qui est contesté devant lui.