Le juge des référés du Conseil d’État estime que le recours à la visio-conférence, sans l’accord de l’accusé, autorisé par l’ordonnance du 18 novembre 2020, pendant le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats, porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.
Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à la nouvelle progression de l’épidémie de covid-19, une ordonnance du 18 novembre 2020 du Gouvernement a adapté plusieurs règles de procédure pénale afin, selon son article 1er, « de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public ». Plusieurs associations, des ordres d’avocats et un syndicat de magistrats ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre en urgence certaines dispositions de cette ordonnance, en particulier l’extension des possibilités de recours à la visio-conférence (article 2) et la restriction de l’accès du public aux audiences (article 4).
Le juge des référés suspend aujourd’hui la possibilité, résultant de cette ordonnance, de recourir à la visio-conférence après la fin de l’instruction à l’audience devant les juridictions criminelles, c’est-à-dire pendant le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats.
Il estime en effet que ces dispositions portent une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un procès équitable. Il relève que, devant la cour d’assises ou la cour criminelle, la gravité des peines encourues et le rôle dévolu à l’intime conviction des magistrats et des jurés confèrent une place spécifique à l’oralité des débats. Il souligne le caractère essentiel, durant le réquisitoire et les plaidoiries, de la présence physique des parties civiles et de l’accusé, en particulier lorsque l’accusé prend la parole en dernier. Dans ces conditions, les contraintes liées à l’épidémie, les avantages de la visio-conférence et les garanties dont elle est entourée ne suffisent pas à justifier l’atteinte ainsi portée aux principes fondateurs du procès criminel et aux droits des personnes physiques parties au procès.
Par ailleurs, le juge des référés formule une réserve d’interprétation concernant le contentieux de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction, compte tenu de trois récentes décisions du Conseil constitutionnel sur ce sujet1. Il souligne l’obligation particulière, en matière criminelle, qui pèse sur le président de la chambre de l’instruction de s’assurer que la personne détenue a la possibilité de comparaître physiquement avec une périodicité raisonnable.
Le juge des référés rejette en revanche les autres demandes des requérants. Il relève en effet que le recours accru à la visio-conférence est rendu nécessaire par les grandes difficultés pratiques que rencontre l'administration pénitentiaire pour effectuer les extractions des détenus compte tenu des contraintes particulièrement lourdes qu’impose la situation sanitaire actuelle et par la lutte contre la propagation de l’épidémie au sein des établissements pénitentiaires et des juridictions judiciaires. En outre, les dispositions contestées se bornent à offrir une faculté aux magistrats, auxquels il appartient, dans chaque cas, d’apprécier si ces difficultés justifient l’usage de la visio-conférence au regard notamment de l’état de santé du détenu et de l’enjeu de l’audience en cause. Il leur appartient également, ainsi que le prévoient les dispositions en litige, de s’assurer que le moyen de télécommunication utilisé permet de certifier l'identité des personnes et garantit la qualité de la transmission ainsi que la confidentialité des échanges, en particulier entre l’avocat et son client. Enfin, l’usage de la visio-conférence peut permettre d’éviter le report des audiences et contribue ainsi au respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable.
Concernant la possibilité de restreindre l’accès du public à l’audience, si le juge ne suspend pas cette mesure, il précise toutefois qu’elle ne concerne pas les journalistes et qu’il appartient aux magistrats de s’assurer qu’elle est justifiée et proportionnée à la situation sanitaire au moment de l’audience.
1 n°s 2019-778 DC du 21 mars 2019, 2019-802 QPC du 20 septembre 2019 et 2020-836 QPC du 30 avril 2020.