Saisi par la ville de Grande-Synthe et des associations, le Conseil d'État avait enjoint au Gouvernement de prendre, d’ici le 31 mars 2022, toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40% en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990, notamment afin de respecter l’Accord de Paris et les engagements européens repris par le législateur français. Un an après, le Conseil d’État vérifie si les actions menées traduisent une correcte exécution de sa décision. Le Conseil d’Etat estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre puisse être effectivement respectée. C’est pourquoi le Conseil d’Etat ordonne aujourd’hui au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d’ici le 30 juin 2024, et de transmettre, dès le 31 décembre, un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité.
Saisi notamment par la commune de Grande-Synthe et plusieurs associations de défense de l’environnement, le Conseil d'État avait ordonné au Gouvernement en juillet 2021 de prendre toutes les mesures permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites en France pour garantir sa compatibilité avec les objectifs fixés par le législateur français en cohérence avec l’Accord de Paris (- 40% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990) avant le 31 mars 2022. Après avoir reçu les éléments transmis par le Gouvernement pour justifier son action ainsi que les observations de la commune de Grande-Synthe, de la ville de Paris et des associations requérantes, le Conseil d’État a organisé une audience orale d’instruction, au cours de laquelle il a pu entendre le Gouvernement et les parties requérantes, et interroger le Haut Conseil pour le Climat. Après avoir tenu une audience de jugement le 12 avril, il rend aujourd’hui sa décision.
Le Conseil d’Etat précise les modalités selon lesquelles il détermine si la décision du 1er juillet 2021 a été correctement exécutée. Il doit examiner si les mesures prises par le Gouvernement, ou qui peuvent encore être adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre soit compatible avec l’atteinte des objectifs fixés à l’échéance 2030. Il doit, à ce titre, examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints, si les mesures adoptées ou annoncées sont de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou au contraire risquent d’augmenter ces émissions. Il prend, enfin, en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l’efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des méthodes d’évaluation disponibles, notamment les avis émis par les experts, dont le Haut conseil pour le climat.
Les objectifs de baisse des émissions pour 2019-2023 pourraient être respectés…
Pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40% par rapport aux niveaux de 1990, le Gouvernement a adopté une trajectoire de diminution de ces émissions s’étendant sur 4 périodes dites budgets carbone (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant des objectifs de baisse des émissions.
Sous réserve de la confirmation des données 2021 et 2022, les données publiées par le centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA) montrent que jusqu’ici les objectifs 2019-2023, correspondant à une diminution moyenne des émissions de 1,9 % par an, pourraient être respectés. Cependant, au-delà de cette moyenne, les baisses des émissions annuelles sont très contrastées : - 1,9 % en 2019, puis - 9,6 % en 2020. Par ailleurs, les données provisoires disponibles montrent que les émissions sont reparties à la hausse en 2021 (+ 6,4 %) avant de redescendre à nouveau en 2022 (- 2,5 %), malgré une baisse particulièrement faible les 9 premiers mois de l’année.
Le Conseil d'État relève qu’il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions du Gouvernement ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l’activité (2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements) puis à la crise de l’énergie (2022 avec la guerre en Ukraine).
…mais il n’est pas certain que la réduction des émissions puisse être accélérée de façon suffisante à partir de 2024 en vue d’atteindre la cible fixée par le législateur en 2030
Les éléments mis en avant par le Gouvernement montrent qu’un certain nombre de mesures ont bien été prises depuis le 1e juillet 2021, avec un budget alloué à leur financement et, plus largement, à la transition écologique et énergétique. L’exercice de simulation réalisé par le CITEPA, à la demande du Gouvernement, indique que les mesures prises depuis juillet 2017 pourraient permettre d’atteindre une baisse de plus de 38 % des émissions des gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990.
Pour autant, le Conseil d’Etat relève que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son rapport 2022, estime qu’il existe un risque avéré que l’objectif de réduction pour 2030 ne soit pas tenu. Comme le note le HCC, sur les 25 orientations de la stratégie de baisse des émissions établie par le Gouvernement (stratégie nationale bas carbone, SNBC), seules 6 ont bénéficié de mesures en adéquation avec la trajectoire de réduction fixée et 4 auraient même fait l’objet de mesures aux effets contraires, en particulier dans le secteur des transports, du bâtiment, l’agriculture et l’énergie. Le HCC souligne ainsi qu’il existe des risques majeurs que les objectifs fixés pour 2030 ne soient pas tenus. Par ailleurs, le HCC constate que malgré la création d’un Secrétariat général à la planification écologique, un véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents et sur une évaluation systématique de l’incidence des politiques publiques sur le climat n’est toujours pas mis en œuvre. Le HCC estime que le risque de ne pas atteindre les objectifs de 2030 est d’autant plus grand que la trajectoire de baisse des émissions prévoit une accélération des baisses d’émissions qui doivent atteindre - 3,2 % par an à partir de 2024. Les éléments retenus par le HCC n’ont pas été sérieusement contestés.
Le Gouvernement doit accélérer
Le Conseil d'État relève que l’ensemble des mesures adoptées depuis le 1er juillet 2021 montre la volonté du Gouvernement d’atteindre les objectifs de 2030 mais que l’évaluation de ces mesures repose sur des hypothèses non vérifiées à ce jour et que les conclusions de cette évaluation sont en contradiction avec l’analyse faite par le HCC.
Compte tenu de la nécessité d’accélérer la réduction des émissions dès 2024 et dans la perspective des nouveaux objectifs adoptés par l’Union européenne pour 2030 (- 55 % par rapport aux niveaux de 1990), le Conseil d'État estime que les mesures prises à ce jour ne permettent pas de garantir, de façon suffisamment crédible, que la trajectoire de réduction des émissions adoptée par le Gouvernement pourra être atteinte, notamment l’objectif de réduction de 40% des émissions qui était en vigueur à la date de la décision du Conseil d’Etat du 1er juillet 2021.
Pour ces raisons, le Conseil d'État conclut que sa précédente décision ne peut être regardée comme ayant été exécutée, et adresse une nouvelle injonction au gouvernement, en lui demandant de prendre, d’ici au 30 juin 2024 toutes les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de - 40 % en 2030. S’il n’assortit pas son injonction d’une astreinte, le Conseil d’Etat demande au Gouvernement de transmettre d’ici le 31 décembre 2023 dans un premier temps, puis au plus tard le 31 juin 2024 tous les éléments justifiant à la fois qu’il a pris ces mesures et qu’elles sont de nature à permettre de respecter cet objectif.
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