Pour la première fois, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer sur une affaire portant sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, la commune de Grande-Synthe a saisi le Conseil d’État à la suite du refus du Gouvernement opposé à sa demande que soient prises des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs issus de l’accord de Paris. La haute juridiction juge d’abord que la requête de la commune, commune littorale particulièrement exposée aux effets du changement climatique, est recevable. Sur le fond, le Conseil d’Etat relève que si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020. Avant de statuer définitivement sur la requête, le Conseil d’État demande donc aujourd’hui au Gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.
Lors de la signature de l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, conclu dans le cadre de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992, l’Union européenne et la France se sont engagées à lutter contre les effets du changement climatique induit notamment par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Pour mettre en œuvre cet engagement, l’Union européenne et ses Etats membres ont décidé de réduire leurs émissions de 30 % par rapport à 2005 d’ici à 2030, un objectif de 37 % étant assigné à la France. En outre, la France s’est fixé à elle-même, par la loi, un objectif encore un peu plus ambitieux de réduction de 40 % de ses émissions en 2030 par rapport à 1990.
La commune de Grande-Synthe (Nord) et son maire ont demandé fin 2018 au Président de la République et au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions produites et respecter, au minimum, les engagements pris par la France. Un refus leur ayant été opposé, ils ont saisi le Conseil d’État, soutenus par les villes de Paris et Grenoble ainsi que par plusieurs organisations de défense de l’environnement dont Oxfam France, Greenpeace France, Notre Affaire A Tous et la Fondation Nicolas Hulot. Le Conseil d’Etat juge d’abord que la requête de la commune de Grande-Synthe est recevable, cette commune littorale de la mer du Nord étant particulièrement exposée aux effets du changement climatique. Il admet également les différentes interventions.
Le Conseil d’Etat relève d’abord que la France s’est engagée, pour mettre en œuvre l’accord de Paris, à adopter une trajectoire de réduction des émissions permettant de parvenir, en 2030, à une baisse de 40 % par rapport à leur niveau de 1990.
S’agissant de la portée juridique de la CCNUCC et de l’accord de Paris, invoqués par les requérants, en droit français, le Conseil d’Etat fait application d’une grille classique en relevant que ces accords renvoient à chaque Etat signataire le soin de prendre des mesures nationales pour assurer leur mise en œuvre. Le Conseil d’Etat précise néanmoins que les objectifs que s’est fixés la France à ce titre doivent être lus à la lumière de ces accords afin de leur donner une pleine portée en droit français.
Ces engagements ont été déclinés aux niveaux européen et national. En France, le législateur a ainsi fixé un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 sur le territoire national. Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a adopté par décret une trajectoire de réduction s’étendant sur 4 périodes (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant un plafond d’émissions (appelé « budget carbone »), progressivement dégressif.
Le décret du 21 avril 2020 ayant reporté après 2020 et notamment après 2023 une partie de l’effort de réduction des émissions devant être réalisé, le Conseil d’Etat demande au Gouvernement de justifier que son refus de prendre des mesures plus strictes est compatible avec le respect de l’objectif pour 2030.
Le Conseil d’État constate d’abord que, pour la période 2015-2018, le plafond d’émissions prévu a sensiblement été dépassé. La France a seulement réalisé une baisse moyenne de ses émissions de 1 % par an alors que le plafond fixé imposait une réduction de l’ordre de 2,2 % par an. Par un décret du 21 avril 2020, le Gouvernement a modifié les 2e, 3e et 4e plafonds d’émissions. Il revoit à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023 et prévoit donc un décalage de la trajectoire de baisse pour atteindre l’objectif prévu pour 2030 : une partie des efforts initialement prévus est ainsi reportée après 2023, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n’a jamais été atteint jusqu’ici.
Face à ces nouvelles données, le Conseil d’État estime qu’il ne dispose pas des éléments nécessaires pour juger si le refus de prendre des mesures supplémentaires est compatible avec le respect de la nouvelle trajectoire résultant du décret d’avril dernier pour parvenir à l’objectif de 2030. Il demande donc au Gouvernement, de lui fournir, dans un délai de trois mois, les justifications appropriées, et à la commune requérante ainsi qu’aux intervenantes tous éléments complémentaires.
Si les justifications apportées par le Gouvernement ne sont pas suffisantes, le Conseil d’État pourra alors faire droit à la requête de la commune et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de – 40 % à horizon 2030.