Le droit, une rationalité ouverte et intégratrice

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention lors du Colloque "Logiques et rationalités des politiques publiques" organisé par le Conseil d’État et l’Université Paris-Dauphine le 4 décembre 2015

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Logiques et rationalités des politiques publiques

Colloque organisé par le Conseil d’Etat et l’Université Paris-Dauphine

Université Paris-Dauphine, vendredi 4 décembre 2015

Le droit, une rationalité ouverte et intégratrice

Ouverture par Jean-Marc Sauvé[1],vice-président du Conseil d’Etat

 

Monsieur le président de l’Université Paris-Dauphine,

Monsieur le président de la Communauté d’universités et d’établissements Paris Sciences et Lettres,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Je suis heureux d’ouvrir aujourd’hui avec le président Batsch ce colloque consacré aux logiques et rationalités des politiques publiques. J’y vois une marque tangible du partenariat noué entre nos deux institutions et la poursuite des liens tissés entre leurs membres respectifs. Les responsables publics sont aujourd’hui plus qu’hier en prise, dans les politiques qu’ils conçoivent et les arbitrages qu’ils rendent, avec des enjeux et des contraintes multiples – qu’elles soient juridiques, économiques ou sociales – et à de multiples niveaux – national, mais aussi international et européen. La rationalité de leurs décisions est ainsi par nature ouverte, elle procède de logiques différentes et d’une balance d’intérêts distincts et parfois divergents. Ce qui vaut pour les responsables publics vaut aussi pour le juge et, au premier chef, le juge administratif. Celui-ci ne peut rester étranger, pas même indifférent, aux questions économiques sous-jacentes aux décisions publiques qu’il examine ; il doit se saisir de ces questions, les maîtriser et y répondre d’une manière appropriée. Car le bloc de légalité administrative et la protection de l’ordre public intègrent désormais en leur sein des règles et des principes d’origine économique, qui exigent du juge une application directe de raisonnements économiques. Bien plus, le contrôle de proportionnalité du juge administratif s’inspire de méthodes d’évaluation utilisées dans les sciences économiques et l’efficacité des décisions de justice se mesure aussi au degré de maîtrise de leurs effets économiques. Par conséquent, entre les sciences juridiques et économiques, il ne saurait y avoir de cloison étanche, mais un espace de dialogue et d’échanges – comme en témoigne l’activité contentieuse, mais aussi consultative du Conseil d’Etat et comme l’a souligné l’étude annuelle 2015 consacrée à l’action économique des personnes publiques[2]. Faut-il également rappeler que jusqu’à la fin des années 1960, les Facultés de droit étaient aussi des Facultés de sciences économiques[3] ? C’est sur les perspectives d’un enrichissement mutuel entre ces deux disciplines que j’aimerais insister, en partant de la pratique concrète du juge administratif.

Après avoir montré dans quelle mesure le juge administratif met lui-même en œuvre des raisonnements économiques dans le cadre de ses contrôles juridictionnels, j’examinerai en quoi les règles de son office s’inspirent elles-mêmes de logiques économiques.

I. L’économique passé au crible du juridique

Le juge administratif examine, apprécie et intègre dans son raisonnement juridique la logique économique des décisions publiques dont il est saisi.

A. En premier lieu, le juge administratif vérifie que la rationalité microéconomique des décisions publiques soit respectueuse des principes de l’ordre public économique. Son contrôle se déploie à un double niveau.

1. A un premier niveau, le juge vérifie que la finalité de l’intervention publique respecte les libertés économiques. Si la jurisprudence a progressivement assoupli les exigences de la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté économique des personnes publiques reste soumise au respect d’une conditionnalité propre, qui la distingue fondamentalement de la liberté d’entreprendre des opérateurs privés. Par un arrêt du 31 mai 2006, Ordre des avocats au Barreau de Paris, le Conseil d’Etat a jugé qu’indépendamment des missions qui leur sont confiées, les personnes publiques peuvent prendre en charge une activité économique, à la double condition que, d’une part, elles respectent le champ de leurs compétences et, d’autre part, qu’elles justifient d’un intérêt public, qui peut notamment - et donc pas exclusivement - résulter de la carence de l’initiative privée[4]. C’est ainsi que, sous ces conditions, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce qu’une personne publique se porte candidate à une délégation de service public[5] ou un marché public[6]. Lorsqu’il s’agit d’une collectivité territoriale, celle-ci doit justifier d’un intérêt public local, c’est-à-dire que sa candidature constitue le prolongement d’une mission de service public dont elle a la charge. Il appartient, le cas échéant, au juge administratif de vérifier les fondements économiques d’un tel intérêt public local, qui peut résider dans l’amortissement d’équipements ou la valorisation de moyens dont dispose la collectivité[7].

2. Une fois admise dans son principe, l’intervention publique doit être mise en œuvre sans heurter les règles de la concurrence. A ce second niveau, le contrôle du juge s’ajuste à la position économique qu’occupe la personne publique, selon qu’elle demande ou offre des biens ou services. Si elle intervient en demande sur un marché concurrentiel, il lui incombe de respecter les règles de la commande publique. Le juge veille alors à ce que le contentieux né de l’application de ces règles ne devienne pas, par excès de rigidité ou de complexité, une source d’insécurité juridique et donc d’inhibition économique. A cet égard, si tout tiers peut contester la validité d’un contrat administratif ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, il doit se prévaloir, non d’un simple intérêt pour agir, mais d’un intérêt lésé de façon suffisamment directe et certaine. Et c’est au regard de cet intérêt que sera directement appréciée l’opérance des moyens soulevés[8]. Par ailleurs, lorsqu’une personne publique intervient sur un marché du côté de l’offre, il lui faut jouer à « armes égales » avec les opérateurs privés. Il appartient alors au juge d’analyser les conditions économiques de formation du prix proposé par la personne publique, en vérifiant qu’ont été pris en compte les coûts directs et indirects à sa charge et qu’elle n’ait pas bénéficié d’un avantage anticoncurrentiel découlant des ressources ou moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public[9].

B. En second lieu, le juge administratif contrôle que les analyses sectorielles sous-jacentes aux décisions publiques respectent les intérêts microéconomiques des agents concernés.

1. Le juge administratif peut en effet être saisi de décisions organisant l’exercice d’une activité économique, notamment celles fixant les conditions techniques d’utilisation d’un réseau de télécommunications[10] ou de distribution d’énergie[11], mais aussi les conditions financières d’une prestation de service. C’est ainsi que le juge administratif peut connaître de la légalité des tarifs réglementés de vente d’électricité[12], des redevances de péage autoroutier[13], des redevances d’exploitation de fréquences radioélectriques[14] ou encore des redevances dues par les praticiens hospitaliers au titre de leur activité libérale[15]. Dans ces cas, le juge doit non seulement maîtriser les paramètres économiques et financiers de ces décisions, mais il doit aussi évaluer le caractère objectif et non discriminatoire de la méthode de calcul, la pertinence économique de ses bases et le caractère proportionné des montants arrêtés, eu égard aux avantages et aux coûts de toute nature attendus, en faisant preuve d’un certain réalisme économique. Ce même réalisme prévaut dans l’interprétation du cadre législatif en vigueur. Le juge administratif veille à ce que l’application des règles de mise en concurrence ne porte pas d’atteinte excessive et injustifiée à la liberté contractuelle des opérateurs. A cet égard, il a été jugé que les règles nouvelles instituées par la loi du 29 janvier 1993 – dite loi « Sapin » -, encadrant la durée des délégations de service public, ne sauraient entraîner la nullité ou imposer la révision des conventions méconnaissant ces règles et conclues avant la date d’entrée en vigueur de cette loi. Pour autant, il a été précisé qu’à compter de cette date, la durée restant à courir de ces conventions irrégulières ne pourrait, sauf exceptions dûment justifiées, excéder la durée maximale prévue par la loi[16].

2. Un contentieux met bien en exergue la technicité de l’analyse économique à laquelle le juge administratif recourt : celui des autorisations ou des refus de concentration par l’Autorité de la concurrence. Saisi de telles décisions, il appartient en effet au juge de contrôler l’analyse économique des effets prévisibles de l’opération projetée sur le jeu de la concurrence, qu’il s’agisse d’effets « horizontaux » sur le marché où se réalise l’opération, d’effets « verticaux » sur les marchés amont ou aval du marché considéré ou encore d’effets « congloméraux » sur les marchés connexes, qui n’appartiennent pas à la même chaîne de valeur que le marché considéré. C’est ainsi que le juge peut être amené à contrôler la probabilité d’une « position dominante collective », permettant à des opérateurs, en situation d’oligopole et implicitement coordonnés, de vendre à des prix supérieurs aux prix concurrentiels[17]. Une fois le risque d’atteinte à la concurrence établi, le juge contrôle la proportionnalité des mesures correctrices imposées par voie d’injonction par l’autorité régulatrice. Il vérifie, injonction par injonction, que ces mesures ne sont pas excessives et qu’elles n’entravent pas la liberté d’entreprendre des entreprises désirant se rapprocher[18]. Mais il examine aussi si ces mesures, prises globalement, sont suffisantes et de nature à garantir, dans l’intérêt des tiers, le libre jeu de la concurrence[19]. A cet égard, comme l’a précisé le Conseil d’Etat, l’Autorité de la concurrence n’est pas tenue, lorsqu’elle identifie un effet anticoncurrentiel, d’adopter des mesures correctrices de nature à le supprimer totalement, mais seulement de prendre des mesures permettant d’assurer le maintien d’une concurrence suffisante[20].

L’affirmation de l’Etat régulateur a ainsi fait naître un nouvel office économique du juge administratif. Celui-ci est comme le prolongement de son office microéconomique en matière fiscale ou contractuelle – office ancien, mais qui s’est lui aussi considérablement transformé. A ce titre, peut être mentionné l’assouplissement par l’arrêt d’Assemblée du 21 décembre 2012, Commune de Douai, de l’antique théorie des « biens de retour » et la fixation d’un référentiel d’indemnisation cohérent avec les valeurs comptables des entreprises[21]. Au-delà des contentieux strictement économiques, le juge examine aussi les effets économiques induits, mais non recherchés, des décisions de police administrative[22] ou encore de gestion du domaine public[23]. La légalité de ces décisions, lorsqu’elles affectent même indirectement les activités de production ou de distribution de biens et de services d’opérateurs privés, est appréciée à l’aune des restrictions apportées aux libertés économiques et aux risques d’atteinte aux règles de la concurrence. Qu’elle soit l’objet direct ou indirect du contrôle du juge administratif, l’économie est plus qu’un terrain d’investigation. Car le juge administratif utilise aussi l’analyse économique comme modèle de raisonnement et comme critère d’évaluation de la qualité de ses propres décisions.

II. Le juridique au miroir de l’économique

Le juge administratif s’inspire, dans l’exercice de son contrôle de proportionnalité, de raisonnements de type économique et il tient compte des effets économiques prévisibles de ses propres décisions.

A. En premier lieu, le juge administratif est conduit dans des domaines de plus en plus étendus à rechercher des solutions juridiques maximisant l’intérêt général grâce à un contrôle affiné de proportionnalité.

1. La mise en œuvre de la théorie dite « du bilan » revient à effectuer une analyse « coût-avantage », comme elle peut se pratiquer en économie publique. Cette technique de contrôle a été consacrée par un arrêt d’Assemblée du 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est »[24], en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Pour qu’une opération d’aménagement puisse légalement être déclarée d’utilité publique, les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte doivent ne pas être excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. Comme l’a souligné dans ses conclusions le commissaire du gouvernement, Guy Braibant, « il n’y a plus seulement d’un côté la puissance publique et l’intérêt général et, de l’autre, la propriété privée ; de plus en plus fréquemment, divers intérêts publics se trouvent en présence derrière les expropriants et les expropriés et il peut arriver que les intérêts privés qui bénéficieront de l’opération pèsent plus lourd dans le processus de décision que les intérêts publics auxquels elle est susceptible de nuire. Il n’est donc pas possible de s’en tenir à la question de savoir si l’opération par elle-même présente une utilité publique. Il faut encore mettre en balance ses inconvénients avec ses avantages, son coût avec son rendement ou, comme diraient les économistes, sa désutilité avec son utilité ». Face à un intérêt général complexe, aux composantes publiques et privées multiples et pas toujours convergentes, il appartient au juge de croiser les exigences et de les concilier au mieux, non pas in abstracto ou selon une hiérarchie établie a priori, mais à partir d’analyses précises, circonstanciées et chiffrées des coûts et des avantages marginaux. C’est ainsi qu’à partir de différentes hypothèses, où chaque élément interagit sur les autres, le juge définit un optimum conforme à l’intérêt général.

2. Ce contrôle de proportionnalité rénové a connu un développement remarquable. Il a été étendu en urbanisme à d’autres domaines que l’expropriation, qu’il s’agisse de la dérogation aux plans d’urbanisme[25], de la modification à la demande du préfet d’un plan communal d’occupation des sols[26], de l’établissement de servitudes[27] ou encore de l’institution d’une zone de protection autour d’un site classé[28]. Lorsque sont en cause les exigences constitutionnelles du principe de précaution, le juge administratif tient compte, dans son évaluation, des risques d’atteinte grave et irréversible à l’environnement, mais aussi des inconvénients supplémentaires et du coût des mesures de précaution envisagées par les autorités publiques[29]. Au-delà du contentieux de l’urbanisme, le contrôle du bilan a aussi été mis en œuvre dans le champ social, notamment en ce qui concerne les décisions de licenciement de salariés protégés[30].

B. En second lieu, l’office du juge administratif a été revisité pour mieux tenir compte des effets économiques subséquents à ses décisions et des exigences inhérentes au principe de sécurité juridique.

1. Le contentieux contractuel illustre par excellence comment le juge administratif, tout en restant le garant de la légalité, et notamment de la légalité concurrentielle, est pleinement attentif aux conséquences économiques et financières de ses décisions. Depuis les arrêts d’Assemblée « Tropic » du 16 juillet 2007[31], « Béziers I » du 28 décembre 2009[32] et « Tarn-et-Garonne » du 4 avril 2014[33], les lignes directrices de notre jurisprudence sont claires : dans un souci de sécurité juridique et afin de préserver la stabilité des relations contractuelles en cours d’exécution, seules les irrégularités les plus graves sont susceptibles d’entraîner la disparition du contrat attaqué. Il appartient dès lors au juge non seulement de statuer sur la validité du contrat et d’apprécier la gravité des vices soulevés devant lui, mais aussi de statuer sur les conséquences de ces vices sur la poursuite de l’exécution du contrat. A chaque irrégularité doit correspondre, selon leur gravité, une réponse proportionnée du juge : celui-ci peut, en cas d’irrégularité vénielle, décider la poursuite de l’exécution du contrat ou, en cas d’irrégularité régularisable, inviter les parties à prendre toutes les mesures nécessaires dans un délai qu’il fixe ou encore allouer une indemnité au titre des droits lésés. Dans le cas contraire, le juge doit envisager, lorsque les vices sont graves, la disparition pour l’avenir du contrat – c’est-à-dire sa résiliation - et ce n’est qu’en cas de vices du consentement ou d’une particulière gravité, qu’il prononce la disparition rétroactive du contrat – c’est-à-dire sa résolution. Ce raisonnement étagé et par embranchements successifs s’appuie sur une analyse juridique directement en prise avec le comportement économique des parties : le juge pouvant être conduit à cheminer avec les parties tout au long de la vie du contrat. Un raisonnement similaire est mené, lorsqu’une partie conteste la validité d’une mesure de résiliation et demande la reprise des relations contractuelles[34].

2. C’est dans le même esprit que l’office du juge de l’excès de pouvoir a été rénové. Il lui appartient en effet d’apprécier les conséquences d’un vice de procédure sur la validité de la décision attaquée et d’annuler cette dernière en cas de vice substantiel, c’est-à-dire lorsqu’il a été susceptible d’exercer dans les circonstances de l’espèce une influence sur le sens de la décision prise ou lorsqu’il a privé les intéressés d’une garantie[35]. Plus en aval du raisonnement juridique, le juge administratif s’attache à anticiper et à neutraliser les effets potentiellement déstabilisateurs de ses décisions sur la situation économique des parties et, au-delà, sur l’ensemble du corps social. Il peut à cet égard moduler dans le temps l’effet rétroactif d’une annulation qu’il prononce, en prenant en considération, d’une part, les conséquences de cette rétroactivité pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Cette modulation, lorsqu’elle est nécessaire, peut conduire à regarder les effets de l’acte antérieurs à son annulation comme définitifs ou même, le cas échéant, à ce que certains de ces effets restent provisoirement en vigueur jusqu’à une date ultérieure déterminée par le juge[36]. Cet office du juge administratif, conçu originellement à « titre exceptionnel »[37], s’est désormais banalisé, dans le respect du principe du débat contradictoire[38] et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la décision d’annulation, ce qui n’interdit toutefois pas au juge de tenir compte du nombre de ces dernières pour différer les effets de l’annulation[39].

Selon la même approche « conséquentialiste », le juge administratif veille à différer dans le temps l’entrée en vigueur de règles jurisprudentielles nouvelles[40] et, d’une manière générale, il s’assure de la bonne concaténation des décisions successives qu’il prononce. A ce titre, le juge prévient et neutralise grâce à des mesures transitoires les difficultés de tous ordres qui peuvent résulter de l’extinction des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés. Le transitoire prend alors le relais du provisoire. Lorsque le juge de l’excès de pouvoir accueille des conclusions tendant à l’annulation d’un acte dont l’exécution a été préalablement suspendue par le juge des référés, il lui appartient, le cas échéant d’office, d’apprécier s’il y a lieu de décider que sa décision d’annulation soit accompagnée de mesures transitoires[41]. A contrario, lorsque le juge de l’excès de pouvoir rejette de telles conclusions, il lui appartient, le cas échéant d’office, d’apprécier s’il y a lieu de décider que sa décision de rejet - en tant qu’elle met fin à la suspension précédemment prononcée - ne prendra effet qu’à une date ultérieure ou, le cas échéant, d’assortir sa décision de la fixation d’une nouvelle période transitoire pour les dispositions dont l’exécution avait été suspendue[42].

Vous le voyez, entre les sciences juridiques et les sciences économiques, il n’y a ni maître, ni serviteur : ces deux sciences s’enrichissent mutuellement et leur rationalité se diversifie et se transforme, sans perdre leur autonomie. Un tel phénomène requiert sans aucun doute une adaptation du métier de juge et, en particulier, une diversification de ses compétences de base et un approfondissement de sa formation initiale et continue. Il requiert aussi sur des questions pointues le concours d’experts de référence, mobilisables dans le temps des procès. Il y a là des sujets de réflexion et de travail fructueux pour le Conseil d’Etat et l’ensemble de la communauté universitaire.

[1] Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]L’action économique des personnes publiques, étude annuelle 2015 du Conseil d’Etat, éd. La documentation française, 2015.

[3] Voir sur ce point : J. Caillosse, L’Etat du droit administratif, éd. LGDJ, 2015, p. 55.

[4] CE, Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au Barreau de Paris, Rec. 272.

[5] CE 16 octobre 2000, Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, n°212054.

[6] CE, Sect., avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, n°222208.

[7]CE, Ass., 30 décembre 2014, Société Armor SNC, n°355563.

[8] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994.

[9]CE, Sect., avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, n°222208.

[10] Voir, not. en ce qui concerne les conditions techniques et opérationnelles d’utilisation de fréquences radioélectriques : CE 9 septembre 2014, Société Bouygues Télécom, n°367376 ; en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le CSA autorise ou refuse d’autoriser l’exploitation de fréquences hertziennes : CE, Sect., 18 novembre 2011, Société Quinto Avenio, n°321410 ; en ce qui concerne les conditions de modification des données au vu desquelles une autorisation d’utilisation de ressources radioélectriques a été délivrée : CE, Ass., 23 décembre 2013, Société Métropole Télévision (M6), n°363978 ; en ce qui concerne les conditions d’acquisition par une société titulaire d’une autorisation d’émettre un service radiophonique d’autres sociétés exploitant des services radiophoniques de la même catégorie : CE 11 avril 2014, Syndicat des réseaux radiophoniques nationaux, n°348972 ;  en ce qui concerne la possibilité de modifier les contenus de programmes fixés par une convention fixant les règles applicables au service diffusé par voie hertzienne terrestre : CE 28 novembre 2014, Société NRJ Réseau, n°363146.

[11] CE 28 novembre 2012, Société Direct Energie et autres, n°330548, 332639, 332643 ; CE 7 novembre 2013, SA Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), n°362092.

[12] CE 24 avril 2013, Société Poweo, n°352242.

[13] CE 24 février 2011, Association « 40 millions d’automobilistes », n°337920.

[14] CE 29 décembre 2014, Société Bouygues Télécom, n°368773. Voir sur ce point : Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public, étude adoptée le 24 octobre 2002 par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat, éd. La documentation française, 2002 ; Le système français d’exploitation du domaine public hertzien et d’attribution des fréquences radioélectriques, rapport du groupe de travail composé de MM. Yves Gaudemet, André Chaminade et Thomas Pez-Lavergne, ayant entendu MM. Jacques Arrighi de Casanova et Jean-Pierre Huynh, Fondation pour le droit continental, mai 2010.

[15] CE Ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital, n°293229 ; voir aussi : CE 29 mai 2009, Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, n°318071.

[16] CE, Ass., 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et Commune d’Olivet, n°271737. Voir sur ce point : G. Le Chatelier, « Où en est-on de la mise en œuvre de la jurisprudence Commune d’Olivet », AJDA, 2013, p. 1092.

[17] Le juge examine alors si chacun des membres de l’oligopole est en mesure de connaître de manière suffisamment précise et immédiate l’évolution du comportement des autres, s’il existe des menaces de représailles crédibles en cas de déviation de la ligne d’action implicitement approuvée et si les réactions prévisibles des consommateurs et des concurrents actuels ou potentiels de l’oligopole ne peuvent suffire à remettre en cause les résultats attendus de la collusion tacite. L’autorité régulatrice n’est cependant pas tenue d’examiner isolément chacun de ces trois critères, il importe seulement qu’elle apprécie la probabilité du risque à l’aune du mécanisme économique global d’une éventuelle coordination, voir CE 5 novembre 2014, Société Wienerberger, n°373065.

[18] CE, Sect., 31 décembre 2010, Société Métropole Télévision (M6), Rec. p. 551.

[19] CE, Ass., 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, Rec. p. 430.

[20] CE, Ass., 23 décembre 2013, Société Métropole télévision (M6) et société Télévision Française 1 (TF1), n°363702 et 363719.

[21] CE, Ass., 21 décembre 2012, Commune de Douai, n°342788. En cas de résiliation anticipée d’une convention de délégation de service public, l’indemnité versée au délégataire au titre de la part non amortie des biens qu’il a acquis ou réalisés et qui sont nécessaires au fonctionnement du service public et repris à titre gratuit par l’autorité délégante – les biens dits « de retour » - est d’un montant égal à la valeur nette comptable de ces biens inscrite au bilan, lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, ou bien, dans le cas contraire, à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

[22] CE Ass. 22 juin 1951, Daudignac, Rec. 362  et CE, Sect., avis contentieux, 22 novembre 2000, Société L. et P. Publicité, n°223645.

[23] CE Sect. 26 mars 1999, Société Eda, n°202260 et, plus récemment, CE 23 mai 2012, Régie autonome des transports parisiens, n°348909.

[24] CE, Ass., 28 mai 1971, Ministre de l’équipement et du logement c. Fédération de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est », n°78825.

[25] CE, Ass., 18 juillet 1973, Ville de Limoges, n°86275.

[26] CE, Sect., 30 septembre 1992, Ministre des affaires étrangères et secrétaire d’Etat aux grands travaux c. Association de sauvegarde du site Alma Champ de Mars, n°140220

[27] CE, Ass., 24 janvier 1975, Gorlier et Bonifay, n°91074.

[28] CE, Sect., 8 juillet 1977, Dame Rié, n°1160.

[29] CE, Ass., 12 avril 2013, Association coordination Interrégionale Stop THT et autres, n°342409.

[30]CE, Ass., 5 mai 1976, Société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’Auvergne et ministre de l’agriculture c. Bernette, n°98647.

[31] CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n°291545.

[32] CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n°304802.

[33] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994.

[34] CE, Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806.

[35] CE, Sect., 23 décembre 2011, Danthony, n°335477.

[36] Voir, s’agissant d’acte réglementaire : CE, Ass., Association AC ! et autres, n°255886 ; s’agissant d’une décision individuelle : CE 12 décembre 2007, Sire, n°296072.

[37]L’arrêt Association AC ! soulignait que la dérogation au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ne pouvait être justifiée qu’ « à titre exceptionnel ». Sans remettre en cause ce principe, l’arrêt CE, Ass., 23 décembre 2013, Société Métropole Télévision (M6) et société Télévision française 1 (TF1), n°363702, est revenu sur cette mention.

[38]Comme le précise l’arrêt Association AC ! précité, lorsque le juge envisage de faire usage de son pouvoir de modulation, de lui-même ou à la demande d’une partie, il est tenu de recueillir sur ce point les observations des parties et examiner l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause.

[39] CE 17 décembre 2010, SFIB, n°310195.

[40] Voir par ex. : CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n°291545 et CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994.

[41] CE 14 mai 2014, Société Addmedica, n°363195.

[42] CE 29 janvier 2014, Conseil national des professions de l’automobile, branche professionnelle des recycleurs de l’automobile, n°360791.