Le pluralisme de l’information, un impératif démocratique

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Garantir l’expression de l’ensemble des opinions et courants de pensée dans les médias est un objectif inscrit dans notre Constitution et une des conditions de notre démocratie. Face à un paysage médiatique transformé par la crise de la presse écrite, la place de l’information en continu et la multiplicité des réseaux sociaux, le Conseil d’État est amené à se prononcer sur les conditions de respect du pluralisme chaque fois qu’il en est saisi.

Les chaînes de télévision doivent respecter leurs obligations

 

Depuis la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, les chaînes de radio et de télévision doivent respecter "l'expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion » dans leurs programmes, en particulier dans leurs émissions d’information politique et générale. En cas de déséquilibre constaté, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) peut mettre les chaînes en demeure.

Deux mises en demeure légales

En 2021, c’est ce qui est arrivé à une chaîne d’information de la TNT à deux reprises car elle n’avait pas respecté ses obligations de représentation équilibrée du débat politique national. Dans le premier cas, l’Arcom a relevé que lors de la campagne pour les élections régionales de 2021, un candidat a bénéficié d’un temps d’antenne disproportionné. La chaîne justifiait cette rupture d’équité du temps de parole par le fait que le candidat s’exprimait sur des sujets autres que les élections. Mais pour l’Arcom, la sécurité, la politique pénale ou la politique sanitaire sont indissociables du débat électoral.

Le respect [du pluralisme des courants d’expression socioculturels] est une des conditions de la démocratie. (Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986
du Conseil constitutionnel)

La société éditrice de la chaîne conteste cette mise en demeure auprès du Conseil d’État, qui rejette son recours en 2023. Dans le second cas, l’Arcom constate qu’à l’automne 2021, sur la même chaîne, 82 % des interventions du président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement, et 53 % des interventions des représentants d’un parti politique ont été diffusées la nuit. La journée, ces groupes politiques sont sous-représentés. Pour le Conseil d’État, l’Arcom a pu légalement mettre en demeure la chaîne pour non-respect de son obligation de pluralisme.

Représenter la diversité des courants de pensée

Mais le décompte du temps de parole des candidats et élus politiques suffit-il à garantir le pluralisme des courants d’opinion à la télévision ? En 2022, le Conseil d’État s’était déjà prononcé sur une décision de l’Arcom qui demandait aux chaînes de comptabiliser les prises de parole de cinq personnes qui n’étaient ni élues, ni candidates à une élection, ni adhérentes d’un parti politique à ce moment-là. Saisi par des chaînes de télévision, le Conseil d’État avait jugé que l’autorité de régulation n’avait pas commis d’erreur en considérant que le temps de parole de ces personnes devait être comptabilisé : elles appartenaient ou avaient récemment appartenu à des partis ou mouvements politiques, avaient récemment exercé ou aspiraient à exercer des fonctions politiques, et elles participaient activement au débat politique national.

En 2024, le Conseil d’État examine un nouveau recours. Une association a demandé à l’Arcom de mettre en demeure une chaîne de la TNT, car elle lui reproche de ne pas assurer la représentation de la diversité des points de vue dans ses programmes et de ne pas respecter son devoir d’indépendance de l’information en raison de l’ingérence de son principal actionnaire. Après avoir essuyé un refus de l’Arcom, l’association saisit le Conseil d’État. Celui-ci rappelle que la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 14 novembre 2016 ne limite pas le pluralisme de l’information sur les chaînes de télévision au seul temps de parole des personnalités politiques. L’autorité de régulation doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés. Il ne s’agit ni de ficher les intervenants selon leurs idées ni de décompter leurs interventions comme celles des personnalités politiques, mais de réaliser une appréciation globale du pluralisme des opinions exprimées à l’antenne. Par ailleurs, s’agissant de l’indépendance de l’information, l’Arcom ne peut se contenter d’examiner une émission isolée pour vérifier si cette obligation est respectée. Elle doit aussi prendre en compte l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et les caractéristiques de sa programmation.

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Les journalistes professionnels, indispensables dans les rédactions

 

Montaigu, 2023. Kiosque de presse. Depuis 2021, des journalistes doivent obligatoirement être présents dans les rédactions pour que les journaux puissent bénéficier d’aides financières. Une obligation que le Conseil d’État juge légale en 2023

En France, un dispositif d'aides à la presse soutient la diversité des titres disponibles. En permettant  à des journaux et magazines de reflétant des opinions et des courants de pensée variés de s’exprimer, ces aides garantissent le pluralisme de la presse écrite. Un décret de décembre 2021 conditionne l’accès à ce régime économique de la presse à des exigences de contenu « journalistique ». Un média imprimé ou en ligne doit compter des journalistes professionnels dans sa rédaction pour être considéré comme un titre de presse et bénéficier des aides liées à ce statut.

Des aides pour garantir le pluralisme

Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine et la société RL Mags Limited demandent au Conseil d’État d’annuler ce texte. Mais ce dernier rejette leur recours en novembre 2023. Il note que ces mesures ne sont pas des critères d’autorisation ou d’interdiction des publications : elles visent seulement à les faire bénéficier d’avantages économiques qui permettent de préserver le pluralisme de la presse. Pour le Conseil d’État, ces mesures poursuivent un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. Elles sont en cela
conformes à l’article 10 sur la liberté d’expression de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.