Plans sociaux, accompagnement des chômeurs, inégalités salariales… sont autant de défis majeurs qui transforment le marché de l’emploi. En tant que juge ou conseiller juridique, le Conseil d’État vérifie la correcte application des règles de protection des salariés et des demandeurs d’emploi.
Plans sociaux : les règles précisées
En France, le licenciement économique est une réalité qui a touché au troisième trimestre 2023 plus de 21 000 travailleurs. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, l'employeur qui souhaite supprimer plus de dix postes pour motif économique doit mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et le soumettre à la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Dans deux décisions de mars 2023, le Conseil d’État précise les règles que doit respecter une entreprise pour obtenir la validation de son PSE.
Les risques psychosociaux doivent être pris en compte
Incertitude, stress, précarité… La mise en place d’un PSE met souvent à l’épreuve la santé mentale des salariés. Saisi par un organisme public et une société contestant l’annulation de l’homologation de leurs plans sociaux, le Conseil d’État précise les modalités du contrôle des PSE par les DREETS. Il juge que les risques psychosociaux liés à la réorganisation de l’entreprise doivent être pris en compte: en plus d’informer et de consulter les instances représentatives du personnel, l’employeur qui présente un PSE doit y inclure des mesures visant à protéger les travailleurs de ces risques.
Pas de rupture conventionnelle collective pour éviter un PSE
Le Conseil d’État a aussi été saisi du cas d’une entreprise qui avait mis en œuvre une rupture conventionnelle collective (RCC). Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés économiques, elle peut recourir à cette procédure pour préserver son activité et une partie des emplois. La RCC offre le choix aux salariés de mettre volontairement fin à leur contrat de travail en échange de contreparties négociées ou de rester dans l’entreprise. C’est ce qu’a mis en place une société d’impression en 2020 dans le cadre de la fermeture d’un de ses sites.
En 2023, elle en conteste l’annulation par la cour administrative d’appel de Versailles. Le Conseil d’État confirme cette annulation et précise qu’une rupture conventionnelle collective ne peut pas être proposée par une entreprise pour éviter de mettre en place un PSE lorsque celle-ci va cesser son activité. En effet, lorsque la société d’impression a proposé la rupture conventionnelle collective, elle n’a pas réellement donné le choix à ses employés. S’ils refusaient la rupture proposée, les salariés savaient qu’ils seraient licenciés, le site fermant ses portes. Ils étaient ainsi poussés à accepter de partir dans le cadre de la rupture collective, dispensant ainsi la société de mettre en place un PSE avec des mesures de prévention, d’accompagnement et de reclassement pour tous ses salariés.
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De nouvelles règles pour les demandeurs d’emploi
2023. Avec la loi pour le plein emploi, Pôle Emploi devient France Travail.
En mai 2023, le Conseil d’État rend un avis sur le projet de loi pour le plein emploi, soumis par le Gouvernement. Ce texte réforme en profondeur les dispositifs d'accompagnement et d’insertion professionnelle pour atteindre l’objectif de réduction du chômage à 5 % d’ici 2027. Il comprend notamment la création de France Travail en remplacement de Pôle Emploi, un nouveau contrat d’engagement et des dispositifs renforçant l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap.
Un contrat d’engagement avec les demandeurs d’emploi
Avec ce projet, le Gouvernement inclut les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans la liste des demandeurs d’emploi accompagnés, afin de favoriser leur retour à l’emploi. Un « contrat d’engagement » détermine les responsabilités de chacun : les personnes sans emploi s’engagent activement dans les actions d’insertion professionnelle proposées, tandis que France Travail– créé par cette loi – met en œuvre des actions d’accompagnement adaptées. Le Conseil d’État précise dans son avis que, si France Travail manque à ses obligations d’accompagnement des personnes, cela constituera une faute engageant sa responsabilité.
2,82 millions de personnes sans emploi inscrites à France Travail au premier trimestre 2024 (Source : France Travail)
En parallèle, il rappelle que les personnes sans emploi ne pourront être sanctionnées que si elles ont manqué aux engagements expressément détaillés dans leur contrat. Dans le cas particulier des bénéficiaires du RSA, France Travail pourra proposer la suspension du versement du revenu de solidarité au président du conseil départemental – car c’est à lui qu’incombe la gestion de ce revenu. Sans réponse de sa part, la sanction pourra être exécutée. Pour le Conseil d’État, France Travail peut se substituer au président du conseil départemental mais uniquement après lui avoir laissé un délai suffisant pour répondre. Au vu de la complexité du dispositif, le Conseil d’État suggère toutefois une évaluation après sa mise en place.
Des mesures pour les personnes en situation de handicap
Le projet de loi vise également à favoriser l’inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap, notamment en facilitant la rencontre entre demandeurs d’emploi dans de telles situations et employeurs engagés en faveur de l’insertion professionnelle. Il permet ainsi aux candidats de signaler sur les sites des acteurs publics de l’emploi leur qualité de bénéficiaire de l’obligation d’emploi des personnes handicapées et aux entreprises d’indiquer leur engagement. Pour le Conseil d’État, cela constitue bien un traitement de données personnelles, mais l’inscrire dans la loi n’est pas nécessaire : ce traitement de données ne s’oppose à aucune loi déjà existante et il ne concerne pas l’exercice de libertés publiques. Toutefois, pour prévenir toute forme d’abus susceptible de conduire à des pratiques discriminatoires, le Conseil d’État insiste sur la nécessité de soumettre ces dispositifs à un suivi rigoureux et à des évaluations périodiques. Et ce, afin de s’assurer que les informations relatives au handicap ne sont partagées qu’avec l’accord des intéressés.
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Un dispositif pour partager la valeur au sein des entreprises
2021, Villeneuvede-Rivière. Une PME de fabrication de vélos électriques en Haute-Garonne. En mai 2023, le Conseil d’État rend un avis sur un projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise
En février 2023, un accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur en entreprise est conclu entre les syndicats et le patronat. Son objectif est de mieux associer les salariés aux performances de leur entreprise, y compris dans les PME, pour renforcer leur pouvoir d’achat. En mai, le Gouvernement soumet au Conseil d’État le projet de loi transposant les mesures prévues par cet accord.
Mieux définir l’augmentation exceptionnelle du bénéfice
Le projet de loi oblige les entreprises à ouvrir une négociation sur le partage de la valeur avec leurs salariés en cas d’« augmentation exceptionnelle » de leur bénéfice. Pour s’assurer que la loi soit applicable et sera appliquée, le Conseil d’État demande au Gouvernement de définir clairement les situations concernées, en tenant compte, par exemple, de la taille de l’entreprise, de son secteur d’activité ou des résultats réalisés les années précédentes.
Des exonérations fiscales inégalitaires
Le projet de loi prolonge également jusqu’à fin 2026 le dispositif qui permet d’exonérer d’impôt les primes de partage de valeur distribuées par les entreprises. Mais pour le Conseil d’État, ce dispositif mis en place en août 2022 n’était acceptable que dans la mesure où il était temporaire : il ne peut être maintenu plus longtemps. Parce qu’il concerne uniquement les salariés des entreprises de moins de 50 salariés gagnant moins de trois fois le SMIC, il porte atteinte au principe d’égalité de tous devant l’impôt.
Agir sur les inégalités à la source, telles qu’elles existent au sein de l’entreprise, peut être une mesure permettant de garantir davantage de justice sociale (Extrait du rapport parlementaire de le partage de la valeur au sein des entreprises)
De plus, avec ce dispositif, une légère différence de salaire peut entraîner une grande différence d’impôts entre deux salariés: un salarié percevant une rémunération légèrement supérieure au plafond fixé pourrait, in fine, gagner moins qu’un salarié à la rémunération inférieure mais bénéficiant de l’exonération. Le Gouvernement maintient le dispositif mais l’étend à tous les salariés pour ce qui concerne l’exonération de cotisations. La loi est promulguée le 29 novembre 2023.