Impact environnemental, flambée des prix, sûreté des installations… Le secteur de l’énergie pose de nombreux défis à la puissance publique. À chaque fois qu’il juge ou conseille, le Conseil d’État cherche à concilier les intérêts fondamentaux de la Nation en matière d’approvisionnement énergétique et les règles de protection de l’environnement.
Une solution pérenne pour la gestion des déchets radioactifs
Comment stocker des déchets hautement radioactifs de manière pérenne tout en garantissant la protection de l'environnement et de la santé ? Mise en œuvre par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le projet Cigéo prévoit de les stocker à 500 mètres de profondeur dans le sous-sol argileux de trois communes à la frontière de la Meuse et de la Haute-Marne. Par deux décrets, en 2022, le Gouvernement déclare le projet d’utilité publique et l’inscrit sur la liste des opérations d’intérêt national. Des associations de défense de l’environnement, inquiètes des potentielles répercussions du projet, demandent au Conseil d’État l’annulation de ces décisions.
Des garanties pour l’environnement et la santé
Sur la légalité du projet, le Conseil d’État rappelle que la France a fait le choix du stockage des déchets hautement radioactifs en grande profondeur par trois lois depuis 1991, afin de trouver une solution de très long terme. Mais le projet Cigéo est-il conforme au droit – garanti par la Constitution – des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé? En octobre, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette question transmise par le Conseil d’État: il a jugé que le Parlement, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter atteinte à l’environnement, doit s’assurer que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, comme le demande la Charte de l’environnement.
L’impact pour les générations futures pris en compte
Dans le cas de Cigéo, des risques pour l’environnement et la santé humaine ont bien été identifiés par l’étude d’impact mais, pour le Conseil constitutionnel, des mesures suffisantes sont prévues pour éviter, réduire et compenser tout effet négatif notable. S’appuyant sur la décision du juge constitutionnel, le Conseil d’État estime que le projet respecte l’exigence de réversibilité du stockage requise par la loi : une période de cent ans pour récupérer les déchets radioactifs et des essais de récupération pendant la phase pilote sont prévus.
Afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. (Art.7 du préambule de la Charte de l'environnement, intégrée à la Constitution).
Le Conseil d’État note par ailleurs que l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique a bien respecté la procédure prévue par la loi. Elle a permis aux citoyens de prendre connaissance du projet et des nombreuses ressources scientifiques mises à leur disposition, mais aussi de partager leurs observations. Le recours des associations n’est donc pas fondé : le Gouvernement pouvait déclarer ce projet d’utilité publique. Cependant, la construction du centre de stockage ne pourra débuter qu’après approbation de l’Autorité de sûreté nucléaire – une décision attendue en 2027.
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Pas de parc éolien au pays de Marcel Proust
2022, Eure-et-Loir. Une éolienne dans un champ de colza, à Magny, près d’Illiers-Combray. En 2023, le Conseil d’État juge qu’un nouveau parc éolien porterait une atteinte significative à l’intérêt paysager et patrimonial du village de Marcel Proust.
Un village classé peut-il accueillir des éoliennes ? En 2020, la société Combray Énergie demande à la préfète d'Eure-et-Loir l'autorisation d'installer et d'exploiter un parc éolien dans le département. La préfète refuse, car le projet porterait atteinte au paysage d’Illiers-Combray, situé à quelques kilomètres. Classé « site patrimonial remarquable », Illiers-Combray est le village d’enfance de Marcel Proust et le théâtre de son célèbre roman Du côté de chez Swann.
Un paysage à protéger
Mais Combray Énergie conteste ce refus. Le Conseil d’État apprécie la situation dans toute sa singularité et donne raison à la préfète, confirmant une précédente décision de la cour administrative de Versailles. Le juge constate que les éoliennes seraient effectivement visibles depuis Illiers-Combray et sa périphérie. Il rappelle que le site a été classé précisément dans le but de protéger et de conserver des paysages étroitement liés à la vie de Marcel Proust, qu’un parcours permet de découvrir.
Le projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative à un ensemble constitué non seulement de deux monuments historiques, mais aussi du site remarquable, ainsi qu’à l’intérêt paysager et patrimonial du village d’Illiers-Combray. (Décision n° 464855)
Deux monuments situés dans le village sont par ailleurs classés « monuments historiques » : le clocher de l’église et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust. Considérant le paysage dans ses dimensions historique, mémorielle, culturelle et littéraire, le Conseil d’État juge que le projet de parc éolien porterait une atteinte significative à l’intérêt paysager et patrimonial du village. Il ne peut être autorisé.
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Un nouveau cadre légal pour la relance du nucléaire
Depuis deux ans, la France a fait le choix de relancer son industrie nucléaire. En 2022, l’État a annoncé le lancement de six nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR). Comment adapter le cadre de sûreté nucléaire au renforcement de la filière ? En décembre 2023, le Conseil d’État examine un projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Le texte prévoit notamment de fusionner l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN) au sein d’une entité unique: l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Il s’attache également à sécuriser les procédures de la commande publique pour tenir compte des spécificités de la construction d’installations nucléaires et protéger les intérêts fondamentaux de la Nation en la matière. Pour le Conseil d’État, les principales mesures ne se heurtent à aucun obstacle juridique : elles respectent la Constitution comme le droit européen. Le projet de loi est adopté par le Parlement le 9 avril 2024.
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Une mesure exceptionnelle pour limiter la hausse des prix de l’électricité
2023, Nogent-sur-Seine. Une centrale nucléaire de l’Aube. En 2023, le Conseil d’État juge que le choix du Gouvernement d’augmenter le volume d’électricité nucléaire que EDF doit vendre à ses concurrents est légal.
Comment protéger les consommateurs face à la hausse des prix de l’énergie ? Mis en place par la loi du 7 décembre 2010, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) impose à Électricité de France (EDF) de vendre un quart de sa production nucléaire annuelle aux fournisseurs d’électricité concurrents à un tarif fixe. En 2022, alors que la guerre en Ukraine provoque une montée des prix, le Gouvernement décide d’augmenter le volume d’électricité que doit céder EDF dans le cadre de l’ARENH. Il entend ainsi éviter une explosion des factures pour les clients des fournisseurs concurrents. EDF, soutenue dans sa démarche par des organisations de salariés et d’actionnaires, estime que cette décision porte atteinte à sa liberté d’entreprendre et saisit le Conseil d’État.
À contexte exceptionnel, mesure exceptionnelle
Mais pour le Conseil d’État, la mesure est conforme au droit national et européen. D’abord, il ne s’agit pas d’une « aide d’État » destinée aux clients des fournisseurs concurrents – une telle aide aurait dû être notifiée à la Commission européenne. En effet, la mesure n’excède pas ce qui est nécessaire pour compenser l’avantage que EDF tire du parc nucléaire. Ensuite, compte tenu du contexte exceptionnel de flambée des prix, le Conseil d’État juge que la mesure n’est pas excessive mais bien nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la loi en 2010 : garantir la stabilité des prix et le libre choix du fournisseur. Il estime qu’elle ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF. Le recours est rejeté.