Condition de l’exercice de nos libertés individuelles et collectives, la sécurité est un motif pouvant justifier la restriction de certaines libertés. Le Conseil d’État veille à l’équilibre entre maintien de la sécurité et préservation des droits fondamentaux, par exemple en donnant son avis sur deux projets de loi, ainsi qu’en jugeant plusieurs affaires sur des enjeux divers de sécurité : sécurité routière, rôle et missions de l’Arcom, dissolution d’associations.
Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 vont accueillir 10 500 athlètes et 13,4 millions de spectateurs. Comment garantir la sécurité de tous ? Fin 2022, le Conseil d’État donne son avis sur un projet de loi contenant des mesures diverses notamment sur la lutte contre le dopage et le maintien de l’ordre public. Le Gouvernement propose d’autoriser le laboratoire français d’analyse antidopage de procéder à des examens génétiques sur les sportifs. Le Conseil d’État considère que, bien que dérogeant à la réglementation française sur les examens génétiques, il s’agit bien là de concilier les enjeux de la lutte contre le dopage (santé des sportifs et équité de la compétition) et le respect de la vie privée. Autre mesure phare du projet de loi, l’expérimentation jusqu’à fin juin 2025 du recours à l’intelligence artificielle pour analyser en temps réel les images de vidéoprotection. Ce recours est inédit en France mais le Conseil d’État estime qu’il est suffisamment encadré et à la hauteur du défi : la quantité d’images dépassera largement les capacités d’attention et d’analyses humaines mobilisables en France.
Quand on parle de sécurité, la question de la sécurité routière n’est jamais loin. En 2022, le Conseil d’État rend plusieurs décisions concernant le contrôle technique des deux-roues, prévu par une directive européenne de 2014. Il suspend en urgence en mai le calendrier du Gouvernement qui proposait sa mise en place fin 2022 et uniquement pour les véhicules les plus anciens. Mais à l’été le Gouvernement publie un nouveau décret remplaçant l’obligation de contrôle technique par une série de mesures alternatives. Saisi à nouveau par les associations Respire, Ras le Scoot et Paris sans voiture, le Conseil d’État juge que les mesures alternatives au contrôle technique proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux de sécurité des motards, en plus de ne pas respecter les règles de consultation du public vu leur incidence environnementale. Le contrôle technique des deux-roues (> 125 cm3) immatriculés en France doit être mis en œuvre.
En 2022, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a été au centre de plusieurs décisions du Conseil d’État. En juillet, le juge administratif lui donne raison en condamnant la chaîne CNEWS pour des propos discriminatoires tenus à l’antenne par Éric Zemmour en septembre 2020. La chaîne a bien manqué à son obligation de maîtrise de l’antenne. Plus tard dans l’année, en décembre, saisi par Reporters sans frontières, le Conseil d’État juge que l’Arcom pouvait demander à Eutelsat, un opérateur satellite français, de cesser la diffusion de trois chaînes russes sans dépasser ses pouvoirs de contrôle.
En mars puis en septembre, le Conseil d’État examine un projet de loi visant à améliorer la procédure pénale et la gestion de crises par les forces de l’ordre. Il émet une réserve sur la compétence attribuée aux nouveaux « assistants d’enquête » de transcrire des enregistrements réalisés dans le cadre d’enquêtes. Cette opération doit rester de la compétence des officiers de police judiciaire. Le Conseil d’État se prononce également contre l’extension de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle pour les mineurs de plus de 16 ans. Cette dernière priverait la justice de rechercher des solutions pour le « relèvement éducatif et moral » du mineur, relèvement qui répond au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
Enfin, en matière d’équilibre entre maintien de la sécurité et respect des droits fondamentaux, une question est assez emblématique : celle de la dissolution des associations qui provoquent ou contribuent à la discrimination, à la haine ou à la violence, ou celles qui se livrent à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme. Le Conseil d’État examine les demandes de plusieurs associations qui estiment que leur dissolution n’était pas justifiée. Il suspend notamment en avril les dissolutions de Comité action Palestine et Collectif Palestine vaincra jugeant que rien ne permet d’établir qu’elles présentent une menace pour la sécurité intérieure. En revanche, en décembre, le Conseil d’État maintient la suspension du Bloc lorrain, notant que des appels à des agissements violents ont été répétés et que l’association proposait à ses membres des stages de préparation à des affrontements avec les forces de l’ordre.