« La justice administrative fait partie de la grande famille des services publics »

Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Passer le partage de l'article pour arriver avant

Replacer le service public au cœur de l’action du Conseil d’État pour contribuer à reconstruire une relation de confiance entre les Français et les institutions. C’est l’ambition que Didier-Roland Tabuteau se fixe. Rencontre avec le vice-président du Conseil d’État.

Le Conseil d’État place aujourd’hui le service public au cœur de son discours. Est-ce une préoccupation nouvelle ?

Didier-Roland Tabuteau : Le service public est au centre de l’activité du Conseil d’État, depuis l’origine de la justice administrative. Ce n’est pas nouveau. La notion de service public a longtemps été vue comme la pierre angulaire et un fondement du droit administratif.
Mais cet appariement ne s’arrête pas au droit administratif. Plus profondément, toutes les missions du Conseil d’État sont liées au service public : il en vérifie la régularité, il conseille le Gouvernement pour s’assurer que les normes – édictées ou proposées au Parlement – permettent d’en assurer le bon fonctionnement, et il assure enfin une mission de prospective pour l’amélioration des politiques publiques. Par ailleurs, le Conseil d’État gère lui-même un service public, celui de la justice administrative.

Que signifie pour vous l’expression « maison du service public » par laquelle vous désignez le Conseil d’État ?

D.-R. T. : La maison, c’est d’abord là où l’on grandit. Le Conseil d’État a accompagné l’éclosion et la formalisation du service public sous la IIIe République. Il a consacré le principe de continuité, selon lequel les services publics doivent fonctionner « sans éclipse » pour reprendre l’expression du commissaire du Gouvernement François Gazier. Il a également assuré le principe d’égalité, qui interdit d’exclure certains citoyens de l’accès au service public et permet à l’inverse de le moduler pour compenser les inégalités. Son corollaire, la neutralité, impose l’impartialité à l’égard de toutes les croyances, et le Conseil d’État en assure le respect. Enfin, il accompagne l’adaptation du service public qui permet de le faire évoluer, au regard des contraintes qui existent et surtout des besoins des usagers.
La « maison du service public » est aussi une construction collective. La diversité des connaissances et des expériences qui existent chez toutes celles et tous ceux qui travaillent au Conseil d’État permet d’avoir une vision très large des contraintes qui pèsent sur le service public. Le Conseil d’État travaille chaque jour pour aider les agents qui le font vivre et sont soumis à des exigences auxquelles ils répondent avec courage et dévouement.
Enfin, la maison, c’est un bien ouvert. Et il ne fait pas de doute que le Conseil d’État – et plus largement la justice administrative – fait partie de la grande famille des services publics. Le juge administratif met tout en œuvre pour être à la fois un service public de proximité et de qualité. De proximité : on peut toujours avoir accès – par téléphone ou de visu – à un agent du greffe d’un tribunal administratif. De qualité : le travail quotidien des juges et des agents est de limiter les délais, de rendre des décisions fondées en droit et justes. Des décisions qu’ils s’efforcent de rendre accessibles en évitant les formules et les tournures trop spécifiques.

Comment répondre aux exigences du citoyen vis-à-vis des services publics ?

D.-R. T. : Il faut d’abord être conscient de l’attachement des Français aux services publics. Le corollaire de cette popularité du service public, c’est l’exigence renouvelée. Il faut ensuite regarder l’état du service public avec lucidité. Certains services fonctionnent bien et peuvent inspirer l’amélioration des autres. Toutefois, d’autres ont connu des réorganisations ou des baisses de moyens en dépit d’une demande croissante des usagers. Des évolutions qui ont pu conduire à des ruptures dans l’application des principes de continuité et d’égalité d’accès. Pour répondre à ces failles dans le pacte social, il faut s’assurer de la robustesse du droit qui soutient le service public, mais il n’est pas possible de s’arrêter là.

Être en mesure de répondre aux besoins de chacun, c’est en définitive permettre de restaurer la confiance dans le service public.

Le Conseil d’État est mobilisé pour l’amélioration de nos services publics, seule réponse aux inquiétudes que leur évolution peut susciter. L’année 2022 en a encore fourni de multiples exemples – que je vous invite à découvrir dans ce bilan. Au contentieux, il veille au respect du droit ; comme conseil, il vérifie notamment que les dispositifs créés permettent d’atteindre effectivement les objectifs que les autorités se fixent. Ce point est pour moi essentiel : pour sauver les services publics qui sont en difficulté, il faut s’attacher à la question de l’effectivité pour l’usager. Il ne faut pas s’arrêter à l’édiction d’un décret ou au vote d’une loi. Il faut s’assurer qu’ils peuvent être mis en œuvre concrètement. Cela nécessite de travailler avec les élus, les syndicats, les associations, les agents de terrain, celles et ceux qui connaissent les besoins et les pratiques des usagers. Ces points seront traités dans l’étude annuelle 2023 du Conseil d’État consacrée au « dernier kilomètre » des politiques publiques : franchir ce dernier kilomètre est primordial pour répondre aux demandes des usagers.
Enfin, au-delà de ceux d’aujourd’hui, il faut penser les services publics de demain. Dans le cadre de sa mission de prospective, le Conseil d’État a cette année étudié l’usage de l’intelligence artificielle par le service public et la conciliation de deux exigences : la confiance et la performance.

Que peut-on finalement attendre du service public aujourd’hui ?

D.-R. T. : Il faut que le service public réponde aux besoins légitimes de chacun. Définir les besoins légitimes et la manière d’y répondre passe également par le renforcement de la participation des usagers à la définition du service public. Répondre aux besoins légitimes des usagers demande aussi d’adapter le rythme de la délivrance à la temporalité de la société : il s’agit de répondre aux demandes les plus urgentes, mais également de proposer de la stabilité face à des situations changeantes.
Être en mesure de répondre aux besoins de chacun, c’est en définitive permettre de restaurer la confiance dans le service public, et plus généralement dans l’action publique. Le service public protège contre les risques, délivre des prestations indispensables au quotidien, affermit la cohésion sociale et promeut le sentiment d’appartenance à la collectivité. Le faire réussir, assurer et affermir ce service public à la française, c’est protéger notre manière de vivre ensemble.

Qui est en première ligne dans la mise en œuvre cette transformation du service public ?

D.-R. T. : Avant tout, ce sont les agents qui, chaque jour, font vivre et incarnent le service public. La diversité de leurs profils est une force concentrée et décuplée par l’unicité de leur vocation. Mettre toujours les agents et leur connaissance des usagers au centre de la définition du service public, les soutenir dans leur action quotidienne, c’est la condition de la pérennité du service public.
C’est pourquoi il faut en permanence réaffirmer un message de confiance dans ces agents qui manifestent une rectitude particulière dans leurs tâches. Le service public, grâce à eux, sait se réformer en conservant le bon équilibre entre efficacité et stabilité. C’est cet équilibre qui permet l’acceptabilité des indispensables réformes qui sont devant nous.

> Consulter le Bilan d'activité 2022