Considérations générales
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1. La France s'est préoccupée très tôt de se doter d'une fonction publique moderne, c'est-à-dire bénéficiant d'un "état"(1) opposable au pouvoir politique, pour la faire échapper au favoritisme et à l'arbitraire. Certes, un statut de la fonction publique applicable à l'ensemble des fonctionnaires de l'Etat n'a pu être adopté par le Parlement qu'en 1946 ; mais les éléments essentiels de ce statut (soustraction des agents publics au régime du droit commun du travail, principe du recrutement par concours, principe de la carrière, exigence d'un tableau d'avancement préalable à toute promotion, consultation d'un conseil de discipline avant toute sanction, régime statutaire et réglementaire…) s'étaient progressivement mis en place depuis la fin du XIXe siècle, au travers de textes spécifiques pris dans chaque ministère (2) et de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Si le statut n'est apparu qu'en 1946, c'est au demeurant pour une large part du fait de l'hostilité qui ne s'était pas démentie jusque là, du principal syndicat des fonctionnaires (CGT), à un régime statutaire et réglementaire, ce syndicat estimant que la fonction publique devait être soumise au régime de droit commun du travail salarié (3); la CFTC, autre grand syndicat de la fonction publique, ne s'était de son côté ralliée à l'idée de statut qu'au milieu des années 1930 (4).
2. Le statut de la fonction publique (5) a permis que se constitue en France une fonction publique intègre, professionnelle et impartiale, aussi bien au service de l'Etat que des collectivités territoriales et des établissements publics. Aujourd'hui le nombre d'agents relevant de la fonction publique et exerçant leur activité principale dans des administrations ou établissements administratifs s'élève à environ 4,6 millions pour les trois fonctions publiques : 2 410 000 pour la fonction publique de l'Etat, 1 329 000 pour la fonction publique territoriale et 843 000 pour la fonction publique hospitalière (6).
3. Le Conseil d'Etat a décidé de consacrer les considérations générales de son rapport 2003 au thème de la fonction publique, parce qu'il a estimé que le temps était venu d'une réflexion en profondeur sur ce sujet, au moment où le système français de fonction publique est soumis à des enjeux importants, et où des évolutions nombreuses interviennent à l'étranger et parce qu'il a pensé qu'il était bien placé pour ce faire, en raison de ses responsabilités tant juridictionnelles qu'administratives et de l'expérience acquise sur le sujet par nombre de ses membres. Pour l'élaboration de ces considérations générales, il a été recouru, selon la pratique habituelle, à la formule, des auditions : gestionnaires de personnels, universitaires, spécialistes de la fonction publique, directeurs d'administrations ou d'établissements ; il a été veillé à élargir ces auditions à des personnalités étrangères et à des responsables du secteur privé. Le cycle d'audition s'est terminé par une rencontre avec chacune des 7 organisations syndicales les plus représentatives de la fonction publique.
4. Trois grands enjeux ont plus particulièrement été cernés par le Conseil d'Etat :
- le premier tient à la nécessité pour la fonction publique de faire preuve d'une efficacité accrue. Pareille exigence n'est pas nouvelle (7), mais elle est singulièrement accentuée actuellement par plusieurs éléments :
- la force des critiques formulées à l'encontre de la fonction publique au regard de cette obligation, ainsi que de l'exigence de performance qui pèse de plus en plus sur l'ensemble des institutions qu'elles soient publiques ou privées. Même si en effet l'impératif de performance n'est susceptible de s'appliquer au secteur public que dans un contexte qui lui est propre, il s'y impose au même titre que dans le secteur privé ; le caractère spécifique des services publics implique seulement, quoique nécessairement, que la réalisation des performances soit appréciée par rapport aux objectifs fixés par l'autorité publique et qu'elle intervienne sur la base de tous les critères pertinents et pas seulement de critères purement financiers. Or il est souvent reproché à la fonction publique de s'exonérer de ces exigences et plus généralement de s'être instituée, dans un réflexe corporatiste, en secteur à part du reste de la société, à l'abri des obligations d'efficacité pesant sur celle-ci, depuis le début de la crise ; de même il est souvent relevé que certaines obligations inhérentes au service public ne se trouvent pas assumées dans des conditions conformes à l'exigence d'un service public d'égal accès et d'égale qualité pour tous ; ainsi s'agissant du service rendu dans les quartiers dits sensibles, du fait en particulier d'un régime de mutation des agents, qui ne permet pas de faire prévaloir suffisamment l'intérêt général en affectant dans ces quartiers les agents les plus à même d'y rendre le service attendu.
- les besoins de renouvellement démographique qui vont se manifester dans les années à venir, dans un contexte de rareté de la ressource humaine (8) ; la fonction publique devra de ce fait, si elle veut pouvoir recruter en quantité et qualité les agents qui lui sont nécessaires, en particulier pour ce qui est de l'encadrement qui va être marqué par une course aux talents, faire preuve d'une grande attractivité ; elle devra également savoir mettre à profit ce profond renouvellement pour procéder aux réallocations de ressources humaines d'un secteur à l'autre, qui s'imposent de plus en plus.
- le constat que la capacité concurrentielle de la France est directement liée à la performance des services publics et à la maîtrise des dépenses publiques ; compte tenu de la part représentée par la masse salariale dans les budgets publics, il en résulte que la bonne utilisation des personnels est appelée à devenir toujours davantage un objectif majeur des gestionnaires de la fonction publique.
- le deuxième enjeu tient à la nécessité pour la fonction publique d'adapter ses règles de gestion aux exigences de la gestion des ressources humaines. La gestion de la fonction publique reste trop systématiquement normative (9), bureaucratique, égalitariste, faute qu'ait pu se développer dans l'ensemble des services une vraie gestion des ressources humaines, fondée sur une approche personnalisée et une valorisation des compétences, malgré la volonté affirmée en ce sens par les responsables de la fonction publique depuis plusieurs années et en dépit des efforts entrepris dans la plupart des ministères. Ces efforts ne doivent au demeurant pas être sous estimés, comme en témoignent la réalisation de référentiels d'emplois et de compétences qualifiés quelquefois de " référentiels métiers " dans de nombreux ministères, la définition de postes à profil, la détermination de " parcours professionnels qualifiants "… Mais ces efforts sont loin d'être à la mesure de l'enjeu.
Pour que cela change, il faut commencer par mettre fin à des dérives coutumières, qui font que les gestionnaires n'utilisent pas suffisamment les marges de manoeuvre dont ils disposent. Il ne résulte en effet pas des statuts que les notations (qui doivent en principe exprimer la seule valeur professionnelle des agents) soient systématiquement concentrées vers le haut de la fourchette, que les avancements de grade et les promotions internes d'un corps à un autre (pour lesquels aucun autre critère que la valeur professionnelle n'est prévu) interviennent largement à l'ancienneté, ou que les rémunérations accessoires sous forme de primes soient réparties de façon strictement égalitaire ou enfin que les mutations se fassent dans le seul intérêt des agents.
Mais il faut aussi corriger des éléments de nature plus organisationnelle ou statutaire, car il serait un peu court de ramener toutes les insuffisances dans la gestion à la pratique des gestionnaires. Une explication plus systémique de celles-ci peut en effet être également avancée. Dans le système français de gestion de la fonction publique, les mesures générales applicables aux agents et les plus importantes décisions individuelles touchant à la carrière relèvent le plus souvent des services centraux de gestion de personnel, qui n'ont pas la charge du bon fonctionnement des services, tout en étant également responsables de la conduite du dialogue social dans l'administration ; ils ont donc un intérêt objectif, pour assurer la paix sociale, à ne pas soulever de difficultés, au travers des actes qu'ils sont amenés à prendre. De leur côté, les chefs de service opérationnels, chargés de faire fonctionner le service public, n'ont qu'un poids indirect et souvent faible sur la carrière des agents placés sous leur autorité, en positif ou en négatif (ils peuvent ainsi avoir des doutes sur l'aboutissement d'une procédure disciplinaire qu'ils auront engagée). Toute tentative de leur part de reprise en main se trouve de ce fait plus ou moins compromise et leur stratégie pour mobiliser les agents se ramène bien vite à gagner leur bonne volonté, ce qui peut expliquer un certain laxisme en matière d'absentéisme ou de congés. Dans une telle analyse, tout redressement dans les pratiques de gestion suppose un autre système de gestion, et notamment la mise en oeuvre du principe selon lequel la gestion des agents doit incomber à ceux qui sont responsables du fonctionnement opérationnel du service où ils sont affectés.
On doit souligner aussi, dans ce problème de gestion, deux autres éléments : - le poids du dispositif réglementaire à appliquer. En 1954 déjà, Roger Grégoire, premier directeur de la fonction publique, a pu écrire : "Le cadre juridique où s'inscrit la vie professionnelle des agents a pris une rigidité extrême… " ou même " on en est à considérer qu'il n'y a pas de garanties là où les moindres accidents de carrière ne sont pas prévus et les moindres initiatives de l'administration limitées par des textes formels…"(10) ; depuis cette date, cet encadrement n'a fait que s'accentuer et devenir plus complexe ; - les rigidités entraînées par une structuration de la gestion des fonctionnaires en corps cloisonnés et trop nombreux ; les corps, tous dotés de statuts particuliers définis par décret en Conseil d'Etat et d'une CAP, sont au coeur de la gestion de la fonction publique ; ils en constituent l'ossature mentale et technique ; tous les fonctionnaires sont regroupés par corps et gérer des fonctionnaires, c'est d'abord gérer des corps. Il y a là une spécificité française ; la France est en effet le seul grand pays à avoir une structuration aussi stricte de la gestion de sa fonction publique ; l'Espagne a certes une organisation en corps, mais avec une portée très atténuée.
Cette organisation en corps n'est pas sans avantages, en tant que cadre de référence stable permettant aux agents de connaître leurs perspectives de carrière et aux administrations d'avoir une gestion homogène de leurs personnels ; mais, du fait même de la multiplication des corps, elle rigidifie et éparpille la gestion des agents en la soumettant à autant de régimes et de procédures qu'il y a de corps (11); elle freine l'approche fonctionnelle en faisant primer le plus souvent une logique de corps sur la logique fonctionnelle (12); elle oppose un frein à la mobilité ; elle limite les possibilités de déconcentration et elle favorise le corporatisme.
- le troisième enjeu réside dans la nécessaire conciliation du droit de la fonction publique avec d'autres branches du droit :
- droit communautaire de la libre circulation, qui impose bien des révisions ou reconstructions, car, partant d'une logique d'emploi et faisant très souvent abstraction des spécificités nationales de fonction publique, il s'articule mal, sous beaucoup d'aspects, avec une fonction publique de carrière et un régime de fonction publique marqué par la particularité de celui-ci ; à titre d'exemple de cette difficile articulation on peut citer : - le problème posé par la conciliation entre une organisation de la fonction publique en corps dont tous les membres ont vocation à occuper les mêmes emplois et la nécessité de distinguer dans beaucoup de ces corps les emplois ouverts à des ressortissants européens et les emplois que qui leur sont fermés ; - l'impact potentiel de la libre circulation sur la promotion interne qui constitue un principe de notre système de fonction publique, du fait de la mise en oeuvre de la règle de l'équivalence des expériences professionnelles (13); - la délicate question des conditions d'accès à la fonction publique, en cours de carrière, de ressortissants européens ayant démontré , dans leur pays, leur aptitude à exercer les fonctions auxquelles ils souhaitent accéder en France, pour lesquels l'exigence du concours, en tant que moyen de vérifier cette aptitude, est contestée (14) …
- droit budgétaire résultant de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 qui, se proposant de responsabiliser les gestionnaires sur des programmes, implique nécessairement que ces gestionnaires aient une vraie maîtrise de la gestion de leurs ressources humaines, à tous les points de vue ; il y a lieu de s'attendre par voie de conséquence, à ce que le centre de gravité de cette gestion des hommes se rapproche de la base ; les services déconcentrés sont appelés à en être l'échelon de droit commun, de même que ce sera sur eux que reposera la responsabilité de l'exécution des programmes , ce qui signifie déconcentration la plus complète possible des actes de gestion.
- droit de l'éducation avec la montée en puissance du dispositif de validation des acquis de l'expérience qui conduit à tenir davantage compte de ceux-ci en matière de recrutement, d'avancement ou d'affectation ;
- droit de la décentralisation qui, avec les nouvelles perspectives de transferts de compétences, invite à relativiser davantage encore les frontières qui séparent les fonctions publiques et à faciliter la mobilité. Parce que la fonction publique dans son ensemble est au service de la Nation et que le rapprochement entre fonctions publiques s'avère de plus en plus souhaitable, il est impératif de chercher activement à mettre en place les ajustements de statut adéquats au fait qu'on ne saurait, comme l'histoire l'a suffisamment montré, préjuger définitivement, de la répartition future des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales.
5. Le Conseil d'Etat est amené, au vu de ces enjeux, à relever la nécessité d'une évolution en profondeur de la fonction publique. Il ne se propose pas de déterminer lui-même ce que devrait être le contenu de cette évolution. Mais il s'efforce de dégager les éléments fondamentaux à prendre en compte, et la ligne directrice susceptible d'être retenue.
S'agissant de cette ligne directrice, il souligne, dans le prolongement de l'essentiel des observations reçues au cours du travail de réflexion qu'il a conduit, qu'elle devrait être d'obtenir une plus grande adaptabilité de la fonction publique à ses missions, tant il est vrai qu'il appartient à la fonction publique de s'adapter à l'évolution des besoins de la puissance publique et de l'usager et non l'inverse. En d'autres termes, il faut moins de rigidités et de frontières, plus de souplesse et plus de fluidité, dans le respect bien sûr des valeurs fondatrices de la fonction publique, celles en particulier qui garantissent l'impartialité, l'intégrité et le professionnalisme.
S'agissant des éléments fondamentaux à prendre en compte, les considérations générales les synthétisent en cinq grandes questions :
- Quelle particularité du régime applicable aux agents publics par rapport au droit commun du travail ? - Quelle place pour le contrat dans le droit de la fonction publique ? - Quelle structure de gestion de la fonction publique de l'Etat ? - Quel pilotage de la fonction publique ? - Quel dialogue social dans la fonction publique ?
5.1. Quelle particularité du régime des agents publics par rapport au droit commun du travail ?
L'existence d'un régime particulier applicable aux agents publics par rapport au régime de droit commun du travail n'est pas propre à la France ; l'Allemagne, l'Espagne ou la Grande-Bretagne (du moins s'agissant des agents de la Couronne) sont dans la même situation ; essentiellement pour des raisons tenant à l'idée que la puissance publique n'est pas un employeur comme les autres, et que, pour qu'elle puisse faire prévaloir les objectifs d'intérêt général dont elle a la charge, dans le respect des principes du service public, elle doit à la fois bénéficier de prérogatives particulières et être soumise à des obligations spécifiques à l'égard de ses agents (15).
La question est moins dès lors celle du principe de cette particularité que de son champ et de son contenu. Les considérations générales ne manquent pas en ce sens de relever l'évolution vers une approche relativisant les différences entre le droit de la fonction publique et le droit commun du travail, que l'on trouve déjà dans des réflexions du Professeur Jean Rivero datant de 1947 (16) et qui a été tout particulièrement approfondie au cours des années récentes par diverses équipes de chercheurs, en particulier sous la direction de M. Alain Supiot (17); dans cette approche, à l'opposition regardée comme radicale entre fonctionnaire et salarié, se substitue une sorte de construction faite de principes de base identiques et d'une " gamme de statuts " (c'est l'expression de Jean Rivero) nuançant avantages et sujétions selon que l'activité considérée est liée de façon plus ou moins étroite à l'intérêt public.
En France, le champ de la particularité a toujours été conçu largement, sous l'influence de l'école du service public ; ce champ couvre l'ensemble des agents des services publics administratifs (de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics), que ces agents soient fonctionnaires ou qu'ils soient contractuels (ceux-ci sont en effet placés sous un régime de droit public qui les fait échapper au droit commun du travail). La situation est moins marquée dans la plupart des pays voisins où l'on trouve en général dans les services publics, à la fois des agents sous statut public de fonctionnaire et des salariés de droit privé : cas de l'Allemagne, où ne relèvent du statut de fonctionnaires que les agents participant à l'exercice de la puissance publique, les autres agents étant placés sous un régime de droit privé dont l'essentiel est défini par des conventions collectives (18); cas de l'Italie où 85 % des agents des administrations publiques se trouvent placés, depuis les réformes de 1993 et 1998, sous un régime de droit privé ; cas de l'Espagne. La Grande-Bretagne présente la situation particulière d'une dissociation selon la nature de l'employeur, les agents de la Couronne (Etat central) ayant un statut de fonctionnaire (19) et les agents des collectivités locales relevant du droit commun du travail…
Les considérations générales, dans la ligne d'un courant de pensée qui remonte à l'époque de la construction de notre système de fonction publique (voir la distinction entre fonctions d'autorité et fonctions de gestion, développée par le Professeur Berthelemy et reprise par certains parlementaires lors des discussions sur l'éventuelle reconnaissance du droit syndical pour les fonctionnaires (20)) et qui a toujours eu des porte-paroles éminents (Roger Grégoire, premier directeur de la fonction publique, en 1954, dans son ouvrage consacré à la fonction publique ; le club Jean Moulin en 1969 dans un ouvrage intitulé " Pour nationaliser l'Etat "(21) ) , s'interrogent sur les raisons qui pourraient conduire aujourd'hui à revoir ce champ ainsi que sur les difficultés, voire les contre-indications que cela comporte.
Pour ce qui est du contenu de la particularité, les considérations générales commencent par en rappeler le fondement, indiquant : " Le fondement de la particularité est à rechercher dans ce qui est nécessaire à la puissance publique pour pouvoir exercer pleinement ses missions, qu'il s'agisse de ses responsabilités régaliennes classiques, en matière de sécurité, de défense, de justice, ou encore de contrôle et de régulation, ou de la gestion des services publics, et pour que ces missions puissent être remplies dans le respect des exigences du service public ; la particularité a pour objet en ce sens de garantir à tous les citoyens la possibilité de bénéficier d'une administration intègre et impartiale (22) , chargée d'assurer le fonctionnement continu du service public, son égal accès pour tous et son égale qualité sur tout le territoire, et à tous les agents, la possibilité d'assumer leurs missions dans le seul intérêt du service, sans s'exposer à des risques d'arbitraire, de favoritisme ou de vindicte ". Puis l'essentiel des réflexions porte sur l'effectivité de certains des éléments de cette particularité, nécessaires au bon accomplissement du service public : en matière d'obligations de service (pour ce qui est du régime des affectations et mutations, de la polyvalence ou de la place reconnue aux usagers avec la question de la prévention des grèves), de continuité du service (avec la question de la prévention de la grève), de combinaison entre carrière publique et carrière privée (les considérations générales s'interrogent ainsi sur le point de savoir si pour les fonctionnaires exerçant un mandat politique à temps plein, il ne conviendrait pas de limiter la possibilité de détachement à la durée d'un mandat, le fonctionnaire étant, dès le second mandat, mis en disponibilité : on pourrait aussi prévoir qu'une mise en disponibilité intervienne dès la première élection), de droit d'expression… La question de la spécificité des droits à pension est évoquée, sans être pleinement approfondie, en raison de travaux en cours par ailleurs sur la question.
5.2. Quelle place au contrat dans le droit de la fonction publique ?
La fonction publique est soumise à un régime statutaire et réglementaire ; elle ne connaît pas le contrat comme source du droit normatif du régime applicable aux agents publics. Les seuls contrats qui peuvent exister sont les contrats individuels, à titre dérogatoire au régime normal applicable aux agents publics, qui est celui de fonctionnaire.
Les considérations générales évoquent dès lors deux questions :
- Une première, déjà traitée dans le Livre blanc élaboré à la demande du ministre chargé de la fonction publique par Jacques Fournier sur le dialogue social dans la fonction publique est relative à la possibilité de faire émerger un droit contractuel, au sens d'accords collectifs, comme source autonome du droit de la fonction publique, ce qui constituerait une novation importante par rapport aux règles traditionnelles du droit de la fonction publique. Les considérations générales soulignent la profonde évolution des idées qui marquent le sujet, y compris du côté des organisations syndicales, mais elles ne cachent rien des difficultés d'une pareille évolution ; si une ouverture devait intervenir en la matière, le domaine naturel du contrat serait celui des conditions d'exercice des fonctions.
- La deuxième question est relative au développement de contrats individuels, soit par assouplissement du régime actuel dérogatoire qui limite les possibilités de recruter des contractuels, soit par expérimentation pour les fonctionnaires eux-mêmes d'éléments contractuels dans leurs relations avec leurs employeurs. La première formule, celle d'une plus grande faculté de recours aux contractuels, est fortement souhaité par les élus locaux, mais le Conseil d'Etat exprime des réserves diverses, tirées : - premièrement de ce qu'il est contradictoire avec la philosophie de base à l'origine du statut, qui veut que la protection assurée par celui-ci constitue une garantie du bon accomplissement des missions ; - deuxièmement de ce que le recours aux contractuels comporte de réels inconvénients en termes de gestion, à la fois pour les agents qui n'ont pas de perspectives de carrière ni de réelle mobilité et pour les employeurs qui n'ont pas de véritables grilles de gestion de ces agents et qui ne savent bien souvent pas comment faire évoluer leur carrière ou y mettre fin ; - et troisièmement de ce que, s'il est question de libéraliser le recours à des agents contractuels, c'est dans une large mesure dans l'objectif de surmonter la rigidité des règles statutaires, en quelque sorte à titre plutôt d'expédient. On peut se demander si c'est la bonne méthode et s'il ne vaudrait pas mieux assouplir les règles statutaires et supprimer ainsi plus fondamentalement la cause du recours désordonné aux contractuels.
L'expérimentation, pour les fonctionnaires eux-mêmes, d'éléments contractuels dans leurs relations avec leur employeur est relativement novatrice ; elle pourrait porter sur les conditions précises de leur emploi, comme les prémices peuvent s'en rencontrer avec la vogue de ce que l'on qualifie de contrats d'objectifs. Le Conseil d'Etat propose en ce sens d'étudier l'opportunité de contrats individuels d'affectation sur emploi ; il s'agirait, dans la voie nouvelle explorée, d'admettre que le régime juridique applicable à un fonctionnaire en position d'activité puisse découler à la fois de son statut et d'un contrat qu'il a lui même négocié et conclu avec son autorité gestionnaire.
5.3. Quelle structure de gestion pour la fonction publique de l'Etat ?
Sous cette rubrique, les considérations générales s'interrogent sur les dispositions susceptibles d'être prises, s'agissant des structures de gestion de la fonction publique de l'Etat, pour faciliter une gestion fonctionnelle accordant toute sa place aux notions d'emplois, de métiers et de compétences (23), c'est-à-dire donnant toute sa portée à la séparation du grade et de l'emploi (24) .
Deux orientations sont plus spécialement approfondies qui respectent toutes les deux le principe d'une fonction publique de carrière et de la distinction du grade et de l'emploi et ne mettent donc pas en cause les règles de base de la fonction publique.
La première part du maintien de l'organisation actuelle faite d'une structure par corps tous dotés de statuts particuliers, au sens classique du terme ; l'objectif recherché est atteint, dans la ligne de la politique de gestion de ressources humaines (GRH) d'ores et déjà actuellement conduite, au travers d'un ensemble de mesures destinées à assouplir les contraintes d'une telle organisation : ainsi par exemple par la systématisation des fusions de corps, en premier lieu entre corps d'administration centrale et corps de services déconcentrés, mais aussi entre corps homologues au sein d'un même service ou d'un service à l'autre ; ou par le recours accru au régime des statuts d'emploi ; ceux-ci ont l'avantage de permettre de doter certains emplois présentant une certaine spécificité d'un régime particulier, à la fois d'accès (ce qui offre la possibilité de les ouvrir à des agents venant de corps différents), de rémunération, de conditions d'exercice (durée prédéterminée…) ; ainsi pour les emplois de chef de service ou de sous-directeur d'administration centrale ou pour de nombreux emplois de chef de services déconcentrés. Ces mesures doivent faciliter la " greffe " d'une GRH sur la gestion administrative et statutaire.
La seconde orientation consiste dans la mise en place d'une organisation fondée sur le principe d'une structure par cadres de fonctions, déterminés par grandes filières professionnelles nécessaires aux missions de l'Etat, et par niveaux de fonctions inhérents dans chaque filière à l'exercice de ces missions. Dans ce cas, comme dans le précédent, les agents continuent à bénéficier d'un grade dans lequel ils sont titularisés et il y a séparation du grade et de l'emploi ; mais la place donnée à l'emploi se trouve renforcée ; le cadre de fonctions peut d'ailleurs être regardé comme un corps à vocation élargie, car il permet l'accès à un plus grand nombre d'emplois ; mais en même temps, la situation des agents n'est plus déterminée par la seule évolution de leur grade, mais aussi par les emplois occupés ; et la gestion fonctionnelle des personnels tient au moins autant de place dans la politique de gestion de ceux-ci, et en réalité plus, que la gestion administrative et statutaire. Dans cette hypothèse, la loi disposerait que les fonctionnaires appartiennent, non plus à des corps au sens classique du terme, mais à des " cadres de fonctions " déterminés comme indiqué plus haut. Elle prévoirait qu'un décret fixe le nombre et la dénomination des filières professionnelles et détermine, pour chaque filière, le nombre et la dénomination des " cadres de fonctions " ainsi que le statut particulier de chacun d'eux. L'objectif serait donc d'abord d'aboutir à la détermination, pour l'ensemble des administrations, de moins de 50 " cadres de fonctions " destinés à remplacer près d'un millier de corps actuels, à partir de l'identification des grandes filières professionnelles nécessaires aux missions civiles de l'Etat (de l'ordre de sept ou huit maximum : administration générale, administration financière, ingénierie et services techniques, enseignement et recherche, secteur médico-social, sécurité, culture…) et de la définition des niveaux de fonctions à assurer dans chaque filière (de l'ordre de 4 à 5 dans une première approche). L'objectif serait ensuite d'aboutir à un seul décret par filière professionnelle, qui déterminerait le statut particulier des cadres de fonctions de la filière. Ces décrets " de filière " seraient élaborés sous l'égide de la DGAFP et d'une administration chef de file, qui auraient la responsabilité de faire évoluer la réglementation et d'assurer la cohérence d'ensemble de la gestion des membres des différents cadres de fonction d'une administration à l'autre.
Les différentes fonctions à assumer seraient fixées pour chaque grand secteur d'administration (en principe chaque département ministériel), par filière professionnelle et par cadre de fonctions. Cette opération clé de définition des fonctions, qui devrait concrétiser le travail de programmation prévisionnelle des emplois et des compétences demandé depuis longtemps dans toutes les administrations, devrait intervenir, pour que la cohérence d'ensemble de l'administration soit sauvegardée, sur la base d'une directive-cadre du Premier Ministre précisant les modalités de définition de ces fonctions. Au besoin, elle pourrait être réalisée dans le cadre d'un accord passé avec les organisations syndicales représentatives.
Cette structure de gestion de la fonction publique, qui combine éléments statutaires et éléments fonctionnels, est susceptible pratiquement d'être appliquée à l'ensemble de la fonction publique d'Etat entrant actuellement dans le champ du statut général, voire même d'être étendue aux fonctions publiques territoriale et hospitalière, comme on le montrera plus loin.
Quelle que soit l'orientation retenue, le passage d'une gestion administrative à une vraie gestion des ressources humaines suppose des évolutions profondes dans les conditions de recrutement, de formation ou de déroulement de carrière des agents.
Les considérations générales insistent sur la nécessité en ce sens de favoriser le développement de la promotion professionnelle, de mieux prendre en compte le fait que la fonction publique peut être une 2ème ou 3ème carrière professionnelle, après une expérience professionnelle dans un autre secteur d'activité, ou encore de faciliter l'accès à la fonction publique en cours de carrière sur la base d'autres formes de sélection que le concours sur épreuves classique. Elles soulignent que si la fonction publique entend réussir une telle mutation, il est capital qu'elle change sa vision de la formation, en ne focalisant plus son attention et ses moyens financiers sur la seule formation initiale en école administrative ou sur une formation continue tournée vers la préparation des concours et reproduisant en fait les caractéristiques de la formation initiale ; elle doit consacrer aussi ses efforts à une formation continue renouvelée, proche des réalités et des besoins professionnels des agents comme de l'administration. Ce sera la meilleure réponse à ceux qui craignent que la gestion fonctionnelle se borne à être une gestion " par " la compétence (en somme une marche vers une fonction publique d'emploi) et non " pour " la compétence (par valorisation des compétences des agents en place). Les considérations générales examinent également sur les modalités d'une plus grande reconnaissance du mérite dans la gestion des agents. Il ne s'agit pas de revenir à l'approche relativement simpliste du statut de 1946 prévoyant des primes de rendement, notamment pour les agents ou groupes d'agents "ayant dépassé au cours de l'année considérée, les normes de rendement fixées pour chaque administration ou service par le ministre intéressé", mais de mettre en place, dans le cadre d'une GRH plus active et personnalisée, des mécanismes valorisant les savoir-faire et l'implication dans le travail.
L'encadrement supérieur a une responsabilité toute particulière dans la conduite de ces changements et les considérations générales évoquent diverses pistes susceptibles d'aider l'encadrement supérieur à l'assumer, en particulier par un meilleur suivi des carrières de cet encadrement.
5.4. Quelle architecture et quel pilotage pour l'ensemble de la fonction publique ?
Deux types de problèmes sont examinés sous cette rubrique ; le premier concerne l'organisation d'ensemble de la fonction publique et le second la gestion de chaque fonction publique.
S'agissant de l'organisation d'ensemble de la fonction publique ou de l'articulation entre les fonctions publiques, la question est celle du degré d'unité entre celles-ci. En la matière, on trouve à l'étranger des modèles contrastés ; en Allemagne, malgré le régime fédéral d'organisation de l'Etat, on constate une intégration de plus en plus marquée du droit applicable à la fois au Bund, aux Länder et aux communes ; en Espagne, l'évolution pousse au contraire à une dissociation, et les communautés autonomes qui emploient la moitié des effectifs de la fonction publique espagnole veulent user à plein des dispositions de la loi du 2 août 1984 qui leur reconnaît expressément le pouvoir "d'aménager à travers une loi de leurs assemblées législatives respectives leur propre fonction publique". En France, le système de fonction publique est fondé sur une approche unitaire, chaque fonction publique ayant toutefois des règles spécifiques, dans le cadre de ce que l'on a appelé une fonction publique à trois versants. Il existe une demande de davantage d'échanges et de mobilité entre les fonctions publiques. Si l'on veut avancer en ce sens, les considérations générales observent que dans une hypothèse de cadres de fonctions, on pourrait concevoir que ceux-ci soient communs pour l'ensemble des emplois financés sur fonds publics. La spécificité de chaque fonction publique se traduirait par quelques règles normatives particulières et surtout par une définition des emplois ou des fonctions propre à chaque fonction publique. On aboutirait ainsi à une sorte de fonction publique fédérative.
Pour la gestion d'ensemble de cette fonction publique de l'Etat, territoriale et hospitalière, la réflexion conduit à conclure à la nécessité de maintenir un fort pilotage aux mains de l'Etat, pour éviter les tendances centrifuges, toujours difficiles à contenir, comme le montre tout particulièrement le cas de l'Espagne. Toutefois la question est à nouveau posée de la participation des différentes catégories d'employeurs au pilotage du système de fonction publique, en particulier des employeurs territoriaux ; les considérations générales évoquent l'hypothèse de la mise en place d'une "conférence des employeurs publics", qui serait réunie régulièrement autour du ministre chargé de la fonction publique et permettrait aux employeurs publics de fonctionnaires, autres que l'Etat, d'exprimer leur point de vue. Cette conférence pourrait être le lieu, avant l'ouverture des négociations salariales, d'un débat, éclairé par des travaux d'experts, sur les orientations souhaitables, compte tenu de la situation économique générale et de celle des finances publiques des différents employeurs publics.
Deuxième type de problème soulevé par cette question de l'architecture et du pilotage de la fonction publique, celui du pilotage de chaque fonction publique. Les considérations générales évoquent essentiellement, s'agissant de l'Etat, deux thèmes, celui du pouvoir reconnu au ministre et celui de la déconcentration. Pour ce qui est des pouvoirs reconnus aux ministres, l'objectif est de mieux concilier cohérence d'ensemble qui suppose un pouvoir de coordination puissant du Premier Ministre, s'appuyant sur la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), et responsabilité opérationnelle des ministres. Pour ce qui est de la déconcentration, les considérations insistent sur le fait qu'elle constitue un enjeu majeur de la réussite d'une modernisation de la gestion de la fonction publique, tout en admettant que la situation actuelle est celle d'une pratique très différente selon les ministères, et au total assez limitée, à l'exception partielle de l'éducation nationale. Elles avancent des orientations susceptibles de permettre de progresser, notamment la fusion de corps ou l'organisation de la gestion à partir d'une conception élargie des corps et la modification du ressort des commissions administratives paritaires.
S'agissant du pilotage de la fonction publique territoriale, le thème principal évoqué est celui, récurrent, de la représentation collective des employeurs publics locaux, dont les considérations générales notent qu'il ne devrait plus pouvoir être éludé longtemps.
5.5. Quelle organisation du dialogue social dans la fonction publique ?
Sur ce point, les considérations générales partent des réflexions du Livre Blanc de janvier 2002 sur le dialogue social dans la fonction publique, élaboré à la demande du ministre de la fonction publique, sous la responsabilité de Jacques Fournier et elles traitent déjà de la question de la représentativité : elles soulignent l'intérêt de la proposition de mettre fin au dispositif faisant des élections aux CAP des différents corps la base de la représentativité des organisations syndicales dans les CTP et au conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat ; ce mode de détermination de la représentativité paraît faire en effet la part trop belle au corporatisme que véhiculent naturellement les corps ; elles préconisent des élections par service.
Elles s'interrogent ensuite sur l'évolution possible des organismes consultatifs dans la fonction publique française, par référence à ce qui se passe à l'étranger par exemple avec les comités du personnel allemands et les comités dits " Whitley " de Grande-Bretagne, dont il résulte que la représentation et l'expression des personnels sont assurées, qu'il s'agisse des questions générales ou des questions d'ordre individuel, par les mêmes organismes. S'agissant spécifiquement de l'Etat, elles s'interrogent sur l'intérêt de modifier le ressort des CAP, de façon à déconnecter celles-ci des corps, par exemple en prévoyant, ainsi que cela existe à la fonction publique territoriale, des CAP par grandes catégories d'agents, A, B et C. Elles rappellent que le statut de 1946 était muet sur le ressort des CAP, renvoyant à un décret en forme de règlement d'administration publique le soin de le préciser en fonction des caractères propres de chaque administration (25).
Enfin, les considérations générales évoquent l'objet même du dialogue social pour souligner la nécessité de l'enrichir et de renforcer sa portée ; elles parlent d'un " saut qualitatif " à effectuer en la matière, soulignant que les esprits évoluent sur le sujet, et qu'il y a une vraie attente globale, même si son mode d'expression n'est pas toujours identique, que soit renouvelé "le contrat social " de fait qui unit la fonction publique à la Nation. Ce contrat social était fondé en 1946 sur l'idée "de faire jouer un rôle moteur à l'Etat pour moderniser le pays, de rationaliser le mode de gestion de ses agents et de fournir à chacun d'entre eux un ensemble de garanties individuelles et collectives pour qu'ils s'engagent activement dans la reconstruction puis dans la croissance économique "(26) . On peut y ajouter aujourd'hui l'idée de "la participation concrète, active, efficace des agents à la vie de la nation, aux défis qu'elle affronte dans le monde dans et avec l'Europe", et le constat que les collectivités territoriales jouent parfois aussi un rôle moteur aux côtés de l'Etat, changements de circonstances qui conduisent à ouvrir le débat sur l'opportunité ou non d'aménagements de niveau législatif au statut général. Cependant le sens de tels aménagements ne peut être que de " renouveler " le lien qui unit la fonction publique à la Nation, de la solidité duquel les organisations syndicales, comme l'Etat et les collectivités territoriales, ont à être les garants.
1. Au sens de " situation juridiquement protégée ", comme le souligne le rapport de M. Jules Jeanneney, député, au nom de la Commission de l'administration générale, départementale et communale, des cultes et de la décentralisation, chargée d'examiner le projet de loi sur les associations de fonctionnaires, (Journal Officiel, Chambre des Députés, 2ème séance ordinaire du 11 juillet 1907), " La situation des fonctionnaires… n'a de valeur que si elle n'est point précaire, que si elle est à l'abri des fantaisies, des injustices, de l'arbitraire toujours possible du pouvoir, que si elle est gouvernée par des règles fixes dont le respect soit assuré, que si, pour tout dire en un mot, le fonctionnaire peut opposer au pouvoir son droit et si la fonction publique est, suivant le mot de Ihering, "juridiquement protégée ".
2. Notamment à la demande du Parlement qui dès 1850 s'est préoccupé de ce que " des règlements d'administration publique déterminent les conditions d'admission et d'avancement pour tous les services publics… " (loi du 5 juillet 1850 ; voir dans le même sens la loi du 29 décembre 1882).
3. Cette approche connaîtra une certaine officialisation avec la proposition de loi dite " Allard " du nom du député socialiste qui l'a déposée le 1er juillet 1909 et qui prévoit que "le statut spécial à chaque fonction (rémunération, avancement, conditions du travail, discipline) sera établi d'un commun accord par les représentants de l'Etat et les représentants du syndicat ou de l'association des fonctionnaires de la catégorie intéressée ", même si le projet ajoute que " le statut spécial résultant de l'accord intervenu sera inséré au Journal Officiel en la forme d'un décret portant règlement d'administration publique " (loi du 5 juillet 1850 ; voir dans le même sens la loi du 29 décembre 1882.
4. On doit par contre relever la forte pression du Parlement pour que soit établi un tel statut ; de nombreuses propositions complètes de statut ont été examinées en commission à la fin du XIXème et au début du XXème siècle ; voir en particulier les propositions des 2 avril 1904 et du 11 mars 1907, qui ont donné lieu à des rapports très exhaustifs respectivement de M. Chaigne et de Jules Jeanneney, députés ; c'est largement sous cette pression du Parlement qu'ont déposés les deux projets de loi les plus significatifs émanant du Gouvernement, celui de Georges Clémenceau et celui d'Alexandre Millerand, respectivement les 25 mai 1909 et 1er juin 1920.
5. Par statut de la fonction publique, il faut entendre à la fois les dispositions législatives et réglementaires constitutives du statut général, mais aussi les textes spécifiques à chaque statut particulier et la grille de rémunération.
6. Sur ces éléments statistiques, se reporter aux remarquables travaux de l'Observatoire de l'emploi public, constitué auprès de la DGAFP, rapports annuels juin 2001 et octobre 2002.
7. Voir à titre de réflexion d'ensemble, le rapport de la Mission sur les responsabilités et l'organisation de l'Etat, présidée par Jean Picq et dont le rapporteur général était Jean-Ludovic Silicani, mai 1994. Voir également sur le sujet, " La gestion des ressources humaines publiques à l'heure de la performance ", Institut de l'entreprise, janvier 2003.
8. Commissariat général du plan, " Fonctions publiques : enjeux et stratégie pour le renouvellement ", sous la direction de Bernard Cieutat, La Documentation française, mars 2000.
9. On entend par-là qu'elle se trouve consacrée pour l'essentiel à l'application impersonnelle de normes et de procédures, abstraction faite, en trop large partie, du profil des agents, des emplois à pourvoir et des objectifs du service, qui constituent pourtant les bases d'une gestion des ressources humaines.
10. Roger Grégoire " La Fonction publique ", Armand Colin, p.71 et 84. L'auteur ajoute encore : " En droit, l'Etat est maître des règles applicables à la fonction publique. En fait, ces règles sont conçues de manière à orienter et à restreindre les pouvoirs de l'Administration (…) ; s'agissant des statuts particuliers, il relève : " La tendance générale est d'insérer dans les statuts des règles aussi complètes et précises que possible (…) Les intéressés sont garantis non seulement contre l'arbitraire, mais même contre l'imprévu (…) Les chefs de service partagent trop souvent les préoccupations des personnels : ils préfèrent être liés par un texte plutôt que d'avoir à choisir ".
11. A titre d'exemple, on dénombre 23 corps pour la seule Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui compte 7.000 agents ; 15 corps pour 25000 agents à l'administration pénitentiaire ; une quarantaine de corps pour 18.000 agents, au ministère de la culture ; 18 corps pour les 28.000 agents des préfectures ; chaque greffe d'un tribunal de grande instance compte 8 corps ; les fonctions techniques de la police nationale (transmissions, immobilier, imprimerie,…) sont remplies par des agents appartenant à 9 corps dont 6 en catégorie C, les personnels des bibliothèques universitaires se répartissant en 7 corps pour 5 000 personnes.
12. Cette réalité est bien mise en évidence par le rapport de Serge Vallemont sur les retraites des fonctionnaires, réalisé à la demande du Conseil d'orientation des retraites, en novembre 2001, lorsqu'il aborde la question du classement des emplois dans la catégorie dite B, au sens du Code des pensions civiles et militaires de retraite, dont les détenteurs peuvent bénéficier de la jouissance immédiate de la pension à 55 ans. Le Code des pensions prévoit que sont rangés dans la catégorie B "les emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles". La solution adoptée pour la mise en oeuvre de ce classement a été de raisonner par corps.
13. Dans sa communication interprétative du 11 décembre 2002, la Commission n'admet que les procédures qu'elle qualifie de " recrutement interne " ne soient pas ouvertes aux travailleurs immigrants que pour autant que " les ressortissants nationaux qui ne travaillent pas dans le même service du secteur public ne sont pas non plus autorisés à postuler pour ce genre de poste ou de concours ".
14. Dans sa communication du 11 décembre 2002, la Commission s'exprime ainsi sur cette question : " Un problème particulier se pose avec les concours destinés à recruter des personnes pour une formation donnée à l'issue de laquelle cette personne recevra un emploi dans le domaine concerné du service public (par exemple, l'éducation et la santé). Les travailleurs migrants de l'Union européenne qui sont déjà pleinement qualifiés dans ce domaine doivent être dispensés de la formation compte tenu de la formation et de l'expérience déjà acquises dans leur Etat membre d'origine. La Cour réfléchit actuellement, dans le cadre d'une question préjudicielle, à la question de savoir si ces travailleurs migrants peuvent ou non être soumis au même concours ".
15. A titre de témoignage les plus significatifs de cette conception, voir Georges Clémenceau dans une lettre aux délégués des instituteurs : " aucun gouvernement n'acceptera jamais que les agents des services publics soient assimilés aux ouvriers des entreprises privées, parce que cette assimilation n'est ni raisonnable ni légitime ".
16. Jean Rivero : " Vers la fin du droit de la fonction publique ", Dalloz, 1947 - chronique XXXVIII.
17. " Le travail en perspectives", sous la direction d'Alain Supiot, LGDJ, p. 347.
18. Il existe en particulier une convention collective fédérale des employés d'administration et une convention collective cadre des ouvriers de la Fédération et des Länder, négociées entre les syndicats de la fonction publique et les employeurs, Fédération, Länder et communes. Les employés et ouvriers représentent un peu plus de 3 millions d'agents et les fonctionnaires (hors juges), un peu moins de 1,6 millions.
19. La fonction publique d'Etat relève en fait de l'exercice de la prérogative royale ; elle se trouve soustraite de ce fait au droit commun et n'est pas régie par des lois, mais par la tradition, la Unwritten Constitution. Il n'existe pas de définition légale de la fonction publique, ni un véritable droit, mais une série d'actes réglementaires et de coutumes.
20. Ainsi Louis Barthou, favorable à cette reconnaissance du droit syndical pour les fonctionnaires, a en effet suggéré, dans son rapport établi en 1903, au nom de la commission du travail, sur les modifications à apporter à la loi de 1884, et pour faire mieux passer son idée, qu'il soit fait une distinction entre les fonctionnaires proprement dits, auxquels serait refusé le droit de se syndiquer, et les employés et ouvriers de l'Etat, des départements et des communes, auxquels le droit serait reconnu. Pour lui, les premiers étaient des agents " qui ont une part de l'autorité publique, c'est-à-dire ceux qui ont le droit de commander et de prendre des décisions en vertu d'une délégation de l'autorité publique " et les seconds " ceux qui accomplissent des besognes purement exécutives et techniques, les employés de bureau, les commis, les employés de chemin de fer, de l'Etat des postes et télégraphes, les professeurs, les ingénieurs, les archivistes ". En 1919, le Sénat votera un texte allant dans le même sens, disposant que la loi du 21 mars 1884 est applicable " aux employés et ouvriers de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics qui ne détiennent aucune portion de la puissance publique", Sénat, séance du 19 avril 1919, J.O. Sénat, 20 avril, p. 670.
21. " Ne faudrait-il pas d'abord cesser de sacraliser automatiquement tout agent de l'Etat, ce qui a pour effet de constituer une masse croissante et indistincte de personnes dotées d'un statut particulier, d'attributs séparateurs ? Toute fonction exercée aux frais de l'Etat ne nécessite pas que celui qui l'exerce soit revêtu de cette dignité sacerdotale, avec les garanties et les servitudes qu'elle comporte. Beaucoup de tâches accomplies pour le compte de l'Etat n'ont besoin ni de la sublimation, ni de la protection, ni des restrictions que comporte l'action de la puissance publique. Ne pourraient-elles être confiées à des agents ayant les mêmes qualifications que ceux des organismes privés et liés à leur employeur par le même type de contrat ? Ainsi éviterait-on de créer dans une même spécialité deux catégories de professionnels -la publique, la privée- et de rendre si mal aisé le passage de l'une à l'autre. Ainsi beaucoup plus de citoyens auraient-ils vocation à participer à la fonction publique et le feraient-ils, à tel ou tel moment de leur carrière, sans être obligés d'entrer dans les ordres ou de défroquer. Les hommes de l'Etat proprement dits pourraient être beaucoup moins nombreux. Cette qualification serait réservée à deux sortes de fonctionnaires. D'une part à ceux dont le rôle est une magistrature, comprise au sens le plus large et qui doivent être mis " à l'abri d