Nul ne contestera que la loi de 1901 a fait la preuve, tout au long du siècle qui vient de s'écouler, de sa capacité à accompagner, grâce à la souplesse de son dispositif, les profondes évolutions de la vie associative.
1. La liberté d'association existe en France depuis un siècle : une arrivée bien tardive dans l'histoire des libertés publiques en France. Qu'il ait fallu attendre plus d'un siècle après la Révolution pour que la loi de 1901 jette enfin les bases de cette liberté publique essentielle ne saurait laisser indifférent. Que le droit de l'Ancien Régime n'ait pas reconnu la liberté d'association n'avait rien pour surprendre : illicites, et donc réprimées, quand elles se formaient sans autorisation, les associations, pour pouvoir bénéficier d'une reconnaissance légale, se voyaient assigner un statut quasi-officiel. Mais qui se serait attendu à ce que la Révolution de 1789, refusant de rompre avec cette ligne répressive, s'abstienne de donner sa reconnaissance à la liberté associative ? Tel a pourtant été le cas, en dehors d'une brève parenthèse de 1791 à 1794. C'est que la méfiance à l'égard des corps intermédiaires n'aura pas été moindre après qu'avant la Révolution.
La loi du 1er juillet 1901 marquait donc une rupture avec une longue tradition de réticence à l'égard des pratiques associatives. La libre formation de l'association était enfin explicitement reconnue dans l'article 2 de cette loi : une simple déclaration à la préfecture ou à la sous-préfecture confère à l'association la personnalité morale. Pourtant à ce libéralisme dans les conditions de formation des associations correspond, dans le même temps, une limitation voulue des attributions et moyens dont elles disposent. La personnalité morale leur est reconnue, mais elle ne s'accompagne pas de la reconnaissance d'une pleine capacité civile. L'accès à cette capacité n'est réservé qu'à une catégorie limitée entre elles, celles qui ont reçu des pouvoirs publics une reconnaissance dite d'utilité publique. Il faut en prendre acte : la France est le pays qui a été le plus libéral pour reconnaître la personnalité morale des associations, mais l'un des plus restrictifs pour leur attribuer une capacité juridique.
2. Pourtant la loi de 1901 aura, sans que son contenu ait beaucoup changé en un siècle, accompagné avec succès un développement spectaculaire de la pratique associative. 7 à 800 000 associations, 20 millions au moins d'adhérents de plus de quatorze ans, 60 000 nouvelles associations enregistrées chaque année : le bilan est impressionnant. Qui plus est, le champ d'intervention des associations a connu une extension spectaculaire, au point qu'aucun aspect de la vie en société ne leur est étranger. Ce changement d'échelle, dans l'ordre quantitatif, s'est en outre accompagné d'une transformation qualitative du rôle des associations, et donc de leur place dans la société. Sans doute les associations demeurent-elles, dans leur grande majorité, le lieu naturel d'engagement des citoyens désireux de défendre leurs intérêts sectoriels, de promouvoir les causes auxquelles ils sont attachés et d'organiser des conditions de leur épanouissement personnel. Mais au-delà, deux tendances majeures se sont manifestées, qui ont profondément modifié le rôle économique et social du monde associatif.
D'une part, les associations ont pris en charge, dans les domaines de la santé, de l'action sociale, de l'éducation, du sport, des actions que la sphère marchande n'entendait pas assumer ou que les pouvoirs publics - à tort ou à raison - ne souhaitaient plus conserver dans leur champ de compétences : ainsi, certaines associations, qui avaient pourtant un statut de personne morale de droit privé, se voyaient confier de véritables missions de service public et, parfois même, étaient investies de prérogatives de puissance publique.
D'autre part, le rôle économique des associations n'a fait que croître. La loi du 1er juillet 1901 prévoit certes que les associations se constituent dans un but autre que de partager les bénéfices. Pourtant, même si, à l'origine, elles ont été, par essence, conçues pour remplir des fonctions désintéressées, elles se sont vu reconnaître la possibilité d'avoir des activités lucratives, dès lors que la réalisation des bénéfices ne s'accompagne pas d'un partage entre les adhérents.
En dépit de ses qualités de souplesse et d'adaptabilité, le régime juridique de la loi du 1er juillet 1901, initialement conçu pour des associations de petite taille, servant de cadre à l'action collective d'un petit nombre d'adhérents, apparaît, à bien des égards, moins adapté au bon fonctionnement de ces nouveaux types d'association. De là, une revendication souvent exprimée, tendant à une réforme en profondeur de la loi du 1er juillet 1901. La loi fondatrice de la liberté d'association aurait-elle fait son temps ?
3. Une réponse à cette question ne saurait faire abstraction de l'extrême diversité qui caractérise le monde associatif. Pour une majorité des 800 000 associations existantes, le régime juridique institué par la loi de 1901 demeure parfaitement adapté. En faisant de l'association une "convention", c'est-à-dire un acte contractuel, l'article 1er de la loi de 1901 marque bien que le principe de la liberté doit gouverner tant les règles de création des associations que le choix de leurs objectifs et les modalités de leur organisation. Or, cette triple liberté mérite d'être sauvegardée. Pour les associations qui intéressent la majorité des citoyens, l'existence d'une capacité juridique limitée, contrepartie, dont le législateur de 1901 a assorti cette liberté, ne constitue nullement un obstacle au bon exercice de leur activité.
La question de l'adaptation de la loi de 1901 peut, en revanche, se poser au regard des nouveaux types d'association qui se sont développés au cours des dernières décennies et qui remplissent des fonctions fort éloignées des intentions du législateur de 1901. Les dérives ou abus auxquels le fonctionnement de certaines de ces associations a pu donner lieu n'ont fait que renforcer la pression en ce sens. Pourtant, eu égard à la valeur symbolique - et quasi-mystique - qui entoure des dispositions désormais investies d'une dignité d'essence constitutionnelle, il serait plus judicieux, avant de s'orienter vers une modification de la loi de 1901, d'examiner si d'autres techniques ne permettraient pas de répondre plus efficacement aux préoccupations qui sont légitimement exprimées. texte
4. A cet égard, il n'est pas inutile de revenir aux principes fondamentaux qui gouvernent le droit des associations. Avant d'être une personne morale de droit privé ou une institution, l'association est d'abord un contrat entre des personnes. La loi de 1901 met donc à la disposition des adhérents une grande marge de liberté pour déterminer les règles statutaires qui les gouverneront. Il convient, dès lors, de se départir d'une approche trop formaliste et institutionnelle du contrat. Plutôt que de multiplier d'éventuelles obligations législatives, ne conviendrait-il pas, au préalable, de recommander une démarche de liberté qui - sous réserve des principes à respecter en vue d'obtenir la reconnaissance d'utilité publique - laisse aux cocontractants la latitude d'en faire pleinement usage dans l'écriture des statuts ; le respect des règles statutaires serait ensuite garanti par le juge. Au demeurant, la liberté statutaire a le mérite de mieux répondre à la diversité du monde associatif, en proportionnant les solutions retenues à la taille des associations, à l'objet de leur activité, aux finalités qui leur sont assignées.
Point n'est besoin, dans la majeure partie des cas, de leur imposer des normes dont les pouvoirs publics n'auraient guère les moyens de contrôler le respect. Cette culture du contrat est d'ailleurs adaptée, non seulement aux petites associations, mais aussi aux organisations plus importantes qui peuvent y trouver avantage. Au moment où l'idée contractuelle pénètre tous les aspects de la vie privée et s'étend même aux activités publiques, il serait paradoxal que dans le champ des associations qui, par nature, privilégie l'initiative des adhérents et le pacte fondateur qui les lie, on préfère multiplier les verrous administratifs. Pour l'essentiel, mieux vaut donc s'en tenir, dans le cadre du contrat d'association, aux formes de régulation qui permettent de développer la capacité d'autonomie des associations et de leurs membres. La logique du contrat implique que les sociétaires définissent dans leur statut un mode de fonctionnement adapté aux spécificités de l'association et que le contrôle porte précisément sur le respect des règles contractuelles.
C'est à cette aune, dès lors, que devraient être appréciés les divers outils permettant d'introduire à la fois plus de transparence et plus de démocratie dans le fonctionnement des associations. S'agissant de la transparence, le plan comptable qui pourrait être adopté par toutes les associations, et en tout cas par les plus importantes, peut devenir un outil efficace d'auto-contrôle, les mêmes comptes pouvant servir de référence à l'adhérent, au donateur, à l'élu local, au contrôleur financier. Plus généralement, doit être encouragée la démarche des initiateurs de la charte des associations, qui constitue une expression exemplaire de cette approche contractuelle. Les fédérations d'associations devraient systématiquement encourager leurs membres à adhérer à cette charte, propre à conférer aux organisations qui y adhérent un label d'honnêteté, dans le cadre d'un mécanisme qui repose avant tout sur la confiance. On a dit de l'association qu'elle est une école de citoyenneté. L'acceptation volontaire de certaines règles de déontologie est le meilleur signe d'accession du monde associatif à une pleine responsabilité. La démarche de qualité, qui tend aujourd'hui à concerner de nombreuses activités économiques et sociales, gagnerait à coup sûr à s'appliquer aussi à la vie des associations.
Il en est de même pour le fonctionnement démocratique des associations, problème particulièrement sensible pour celles qui sont investies de responsabilités importantes. L'affichage extérieur de principes démocratiques trouve trop rarement une application concrète dans les modalités de fonctionnement, au quotidien, de la démocratie associative. C'est aux associations elles-mêmes qu'il appartient de mettre de l'ordre dans leurs affaires et de prendre en charge, dans le cadre des statuts qu'elles ont la charge de définir, les règles de leur organisation interne.
("Rendre plus attractif le droit des fondations", coll. Les études du Conseil d'Etat, la Documentation française, 1997 ).
5. L'opportunité de conforter cette approche contractuelle par l'adoption de certaines dispositions contraignantes peut toutefois être discutée, lorsqu'il s'agit d'associations dotées de responsabilités importantes et d'un niveau significatif de ressources financières. Dans cette perspective, c'est toute la question de la capacité des associations qu'il faudrait réexaminer. La position du législateur de 1901 à ce sujet avait été principalement inspirée par la crainte de voir se développer à l'excès les biens de mainmorte. Cette limitation de la capacité des associations ne concerne donc, en réalité, que les biens immobiliers. Si l'on veut bien considérer que les données économiques ont changé en cent ans, et que rien ne s'oppose à ce qu'une association ait désormais une pleine capacité d'action, encore faut-il que quelques règles précises viennent encadrer cette capacité élargie. Le législateur de 1901 avait entendu proportionner rigoureusement les moyens de l'association aux garanties qu'elle était en mesure d'apporter quant à son bon fonctionnement : l'octroi d'une capacité civile complète était ainsi subordonné à la reconnaissance d'utilité publique, prononcée par décret en Conseil d'Etat.(L'actualisation du régime de cette reconnaissance fera prochainement l'objet d'un rapport particulier, préparé par le Conseil d'Etat à la demande du Premier ministre).
De la même manière, aujourd'hui, il serait opportun d'établir une proportionnalité entre la capacité des associations, la nature de leurs activités et leur degré de contrôle. Ainsi, il n'est pas anormal que des associations qui ont des responsabilités vis-à-vis des tiers, prennent des engagements financiers, manient des fonds publics, font appel à la générosité publique, exercent des activités économiques ou jouent un rôle d'employeur, puissent bénéficier d'une capacité d'action plus étendue. En contrepartie, ces associations devraient être soumises au respect de règles d'ordre public qui contribueraient à améliorer leur fonctionnement, notamment en ce qui concerne les trois domaines majeurs que sont la réunion régulière de leurs instances, leur transparence financière (régularité financière et comptable, publicité des comptes) et le respect de l'objet statutaire.
Quant à la sanction d'éventuelles violations de ces obligations, elle pourrait trouver son expression, en vertu du droit des contrats, dans la nullité décidée par le juge. Les critères de la nullité sont aujourd'hui restrictifs, puisque l'article 3 de la loi de 1901 les limite à la non conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs ou à l'atteinte à la forme républicaine du gouvernement. Il conviendra sans doute de réfléchir à de nouveaux cas de nullité, portant non seulement sur d'éventuelles dérives par rapport à l'objet de l'association, mais également sur un fonctionnement anormal, au regard des règles administratives et financières fixées dans ses statuts. Ainsi parviendra-t-on à maintenir les litiges relatifs aux associations sur le terrain civil et à limiter les risques de dérive vers la justice pénale. Les excès de la pénalisation, que l'on tend aujourd'hui à critiquer, sont souvent la sanction de l'échec de la responsabilité civile.
6. Une attention particulière doit être portée à la situation des associations qui sont partenaires ou prestataires du service public. De nombreux malentendus grèvent les rapports entre les associations et l'Etat. Le monde associatif se plaint généralement de "l'instrumentalisation" dont il est l'objet de la part de l'Etat. Mais devant le développement du rôle des associations comme délégataires du service public, on peut tout aussi bien se demander qui instrumentalise qui. De façon plus justifiée, les associations reprochent aussi aux pouvoirs publics de ne pas assortir les subventions qu'ils leur attribuent du minimum de régularité dans les versements qui est nécessaire au bon exercice des missions qu'elles assument. Parallèlement, dans les services de l'Etat, on met souvent l'accent sur l'opacité du monde associatif et on lui reproche de réclamer à la fois plus d'aides publiques et moins de dépendance vis-à-vis de l'Etat. Or, la collectivité publique a apparemment besoin des associations -dans le prolongement de l'antique philanthropie associative- pour gérer certains types de problèmes qui ne peuvent être efficacement maîtrisés par la puissance publique. On ne saurait bureaucratiser la culture, pas plus que le sport ou l'action sanitaire et sociale. La lutte contre le SIDA pourrait-elle être aussi proche des besoins des malades sans l'intervention des associations ?
Il est généralement recommandé de mettre en place des chartes de partenariat qui définissent un code de bonne conduite entre la puissance publique et le monde associatif. Mais un partenariat bien compris n'est pas seulement un état d'esprit : encore faut-il que cet état d'esprit modifie les comportements et s'exprime dans des procédures précises qui délimitent les responsabilités de chacun. De là l'intérêt de conventions pluriannuelles d'objectif entre l'Etat et les associations qu'il finance, portant sur des objectifs quantifiés, sur le montant des subventions, les modalités d'engagement de ces subventions et les procédures d'évaluation. Dans le même esprit, il importe de clarifier les règles relatives à la participation de l'Etat dans le conseil d'administration des associations qu'il subventionne. L'efficacité et la déontologie commandent que l'Etat ne soit pas à la fois partenaire, contrôleur et membre de l'association. Enfin la clarification des rapports entre l'Etat et ses partenaires associatifs devrait conduire à moderniser les modalités de contrôle sur les associations par le développement de bases de données plus aisément accessibles.
7. Les collectivités publiques, de leur côté, ont elles-mêmes utilisé les structures associatives pour profiter de la liberté et de la souplesse que leur statut rend possible. Il est clair que la création d'associations para-administratives sur la base de décisions unilatérales de la puissance publique est un dévoiement de l'intention du législateur de 1901, qui concevait l'association comme un contrat civil fondé sur la volonté individuelle des sociétaires. Même si ces dérives ont été rarement inspirées par la recherche de fins illégales, le recours à des associations purement administratives doit être, dans son principe, écarté. Pourtant, si les condamnations de la Cour des Comptes et les multiples circulaires administratives confirmant cette prohibition n'ont pas eu le succès escompté, c'est que l'existence de telles associations répond, malgré tout, à un besoin.
La prévention de cette dérive se trouve, sans conteste, dans la modernisation des modes de gestion de l'administration et dans l'assouplissement de ses règles budgétaires. Au-delà, l'utilisation, en lieu et place de la structure associative, de la formule du Groupement d'Intérêt Public (G.I.P.) allégée et modernisée, devrait régler une partie importante des difficultés qui conduisent l'Etat et les collectivités décentralisées à recourir aux associations para-administratives. A quoi pourrait s'ajouter, selon le cas, la régie personnalisée instituée par la loi sur l'inter-communalité. Enfin pour certaines activités, principalement culturelles, qui associent plusieurs collectivités publiques - l'Etat et les collectivités décentralisées -, on aurait sans doute besoin d'une structure d'établissement public en forme simplifiée, qui manque encore et mérite réflexion.
8. L'accroissement du rôle des associations dans la sphère économique est une autre des évolutions majeures qui ont marqué la vie associative au cours des dernières décennies. Avec aujourd'hui 270 000 associations inscrites au répertoire des entreprises, 250 milliards de francs de budget consolidé, 1 300 000 salariés, soit plus de 800 000 en équivalent de temps plein, les associations représentent une composante importante de l'activité économique et sociale, qui n'était nullement inscrite dans la loi de 1901. Même si celle-ci n'interdit pas à une association de faire des bénéfices -dès lors qu'elle ne les redistribue pas -, l'exercice direct ou indirect d'activités économiques et commerciales est un incontestable facteur de brouillage de la distinction entre associations et société. Leur statut spécifique, qui leur apporte une grande souplesse d'organisation, des contrôles moins stricts et certains avantages en termes de subventions, de dons et legs, voire de régime fiscal, les place, à certains égards, dans une position favorable par rapport à leurs concurrents qui, eux, sont soumis à l'ensemble des dispositions du droit des sociétés. Inversement, les entreprises dotées d'un statut associatif subissent les inconvénients des limitations apportées par ce statut, notamment en matière de propriété commerciale. En tout état de cause, l'absence de règles légales d'organisation place les partenaires des associations, -clients, fournisseurs, créanciers- en situation d'insécurité juridique. Il en résulte une revendication récurrente tendant à la fixation de règles légales d'organisation s'imposant aux associations.
Nul doute que la non-transparence d'associations dotées de responsabilités économiques constituerait une situation indéfendable. Des obligations leur sont d'ores et déjà imposées notamment en matière comptable et fiscale par assimilation avec le droit des sociétés. Faut-il aller plus loin et instituer de nouvelles obligations légales ? Faut-il à cette fin réviser la loi de 1901 ? Les éléments du débat ont été présentés de manière détaillée dans le présent rapport : ils montrent la multiplicité et la diversité des propositions en présence. L'inscription dans un texte de valeur législative de dispositions précises fixant de manière contraignante les droits et les obligations des membres de ces associations, définissant quelques règles d'organisation et précisant les droits des tiers, aurait sans doute pour effet, à terme, de favoriser la liberté d'association en l'adaptant aux exigences modernes. La liberté des uns ne saurait tre sauvegardée au prix de l'insécurité des autres. Mais tout semble indiquer que ce n'est pas nécessairement par une retouche de la loi de 1901, qui s'applique à l'ensemble des associations et doit conserver un principe de neutralité juridique, qu'il faudrait procéder. Dès lors qu'une association exerçant une activité économique doit se soumettre au droit applicable à cette activité, c'est sans doute dans un renforcement de cette législation, plutôt que dans une modification de la loi de 1901, qu'il conviendra de rechercher la clarification du régime juridique des entreprises associatives.
Au-delà, le problème posé par les associations dites économiques est celui de savoir s'il y a place, dans notre organisation économique et dans notre système juridique, pour des structures associatives qui, tout en étant présentes dans l'économie marchande, tirent une spécificité de leurs finalités d'utilité sociale et de leur mode d'organisation et de fonctionnement. Il y a là un débat de fond qui touche à toute une conception d'ensemble de l'économie et de la société et qui n'a pas donné lieu, à ce jour, à une réponse claire. Dès lors, les nombreuses solutions proposées, qu'il s'agisse de statuts sui generis, de droit des groupes ou de reconnaissance d'utilité sociale, paraissent pour le moins prématurées. De même, s'agissant de la soumission des associations aux règles sur les marchés publics, on peut estimer naturel que certaines associations, qui proposent des services spécifiques aux catégories les plus défavorisées, voient reconnue la spécificité de leur activité d'économie sociale, et que ne leur soient pas appliquées toutes les règles qui s'imposent au secteur marchand. Encore faut-il qu'au regard du respect des règles de concurrence, certaines associations ne soient pas tentées de gagner sur les deux tableaux.
Enfin, les nécessités d'une meilleure gestion pourraient justifier que pour certaines associations, des rémunérations raisonnables, déconnectées des bénéfices réalisés, puissent être consenties en faveur de leurs dirigeants, sous le contrôle du juge et dans des conditions de transparence renforcée par rapport aux règles applicables aux sociétés.
9. La rénovation du droit des associations trouvera-t-elle, en définitive, son inspiration dans le droit communautaire ? Alors que les traités communautaires avaient laissé, depuis 1958, les associations hors du champ de la législation communautaire, des tentatives se sont fait jour, à partir de la fin des années 80, pour considérer leur statut à l'échelle européenne. Il aurait été concevable, comme cela a été fait dans d'autres domaines du droit, de procéder par la voie d'une directive harmonisant les dispositions nationales des Etats membres. Ainsi, toute association reconnue dans un Etat membre, aurait pu bénéficier de droits identiques dans les autres Etats de la Communauté. Ainsi que l'ont montré les analyses esquissées dans le présent rapport, les modes d'organisation des structures associatives sont extrêmement divers à l'intérieur de la Communauté et profondément enracinés dans le terreau social de chacun des Etats. Il a, dès lors, paru plus judicieux d'instituer, par voie de règlement, un statut d'association européenne à caractère facultatif que pourraient adopter, concurremment avec les statuts nationaux, les associations qui le souhaiteraient.
La particularité de ce projet, qui est toujours en instance devant le Conseil des Communautés, est que l'association européenne - qui pourrait jouir de la personnalité morale à compter de son immatriculation dans l'Etat du siège et bénéficierait d'une capacité juridique plus étendue que l'association française de la loi de 1901 - serait surtout soumise à un certain nombre de règles précises qui limiteraient de ce fait la marge de manoeuvre des organes associatifs. C'est dire que l'adoption éventuelle de ce projet de règlement pourrait soulever, à l'intérieur et à l'extérieur du milieu associatif français, des débats importants. C'est qu'au niveau communautaire comme au niveau français, l'association se trouve confrontée à un dilemme fondamental : le renforcement de sa capacité juridique ne saurait se faire sans renforcer les contraintes juridiques qui s'imposent a elle et des garanties qu'elle doit offrir aux tiers. Ainsi, la confrontation du système français avec les expériences des autres pays européens, - ou celles des grandes ONG internationales- devrait être particulièrement utile pour éclairer la recherche de solutions propres à adapter le régime juridique des associations à un environnement qui a profondément changé depuis cent ans et, plus encore, au cours des deux dernières décennies.
10. En définitive, nul ne contestera que la loi de 1901 a fait la preuve, tout au long du siècle qui vient de s'écouler, de sa capacité à accompagner, grâce à la souplesse de son dispositif, les profondes évolutions de la vie associative. Si les dérives parfois constatées dans le fonctionnement de certaines associations ont légitimement suscité les interrogations de l'opinion, elles ne sauraient en aucune manière justifier que l'on revienne sur le principe de liberté que les législateurs de 1901 ont mis au coeur du dispositif juridique régissant les associations.
En fondant la liberté d'association sur le principe du contrat, la loi de 1901 a confié son fonctionnement à l'autonomie des cocontractants, dans le respect du droit applicable aux contrats. Mais s'en tenir à cette approche trop strictement juridique donnerait à l'association un caractère trop réducteur. Par la finalité qu'elle exprime et par la liberté qui la sous-tend, l'association a une portée qui dépasse le simple champ de la convention entre les individus. C'est la raison pour laquelle les grands principes de la loi de 1901, qui se sont vu reconnaître une valeur constitutionnelle, ont toutes chances de perdurer au cours des prochaines décennies.
Encore faut-il tenir compte de la diversité du monde associatif. Si le dispositif de la loi de 1901 continue d'être pleinement adapté, grâce à son étonnante plasticité, au bon fonctionnement de la majorité des associations, il est probable que certaines activités des associations, notamment celles qui participent des missions de service public ou exercent une activité économique et commerciale, et qui, dès lors, doivent offrir toutes les garanties souhaitables quant à la régularité de leur fonctionnement et à la transparence de leur financement, pourraient faire l'objet de dispositions spécifiques dans les législations spécifiques qui régissent ces activités. C'est dans ce sens que la réflexion pourrait se développer, à la veille du centenaire de la loi de 1901, en vue de réussir, dans la fidélité aux acquis de 1901, la nécessaire modernisation de la vie associative.
Contributions sur les associations et la loi de 1901, cent ans après
Yves GUYON, professeur à l'université Paris I"L'insuffisante protection des créanciers des associations ",
Jean-Michel BLOCH-LAINÉ, Président de l'UNIOPS"Quelques réflexions sur l'avenir des associations de solidarité ",
Hélène GISSEROT, Procureur général près la Cour des Comptes"Associations et gestion de fait ",
Apostolos IOAKIMIDIS, administrateur principal à la commission de la Communauté européenne"La politique de la Communauté européenne à l'égard des associations sans but lucratif et le projet de réglement portant statut de l'association européenne ",
Guillaume GOULARD, Maître des requêtes au Conseil d'État" Quelle fiscalité pour les associations du XXIème siècle "