L’Union européenne constitue aujourd’hui une puissance économique, commerciale et politique sans précédent dans l’histoire, sans équivalent dans le monde.
D’abord limitée à six pays, elle compte, depuis le 1er janvier 2007, vingt-sept États membres et rassemble 492 millions d’habitants. Elle représente, malgré ses difficultés et ses faiblesses, une forme d’intégration politique et économique, observée et parfois enviée depuis plusieurs autres continents, ainsi qu’en témoignent les débats actuels au sujet du «Mercosur», du « Pacte andin» et de l’«ASEAN».
L’Union européenne est la première zone économique du monde. Son PIB, de 10850 milliards d’euros en 2005, dépasse aujourd’hui celui des États-Unis qui atteint 10010 milliards d’euros (contre 1800 milliards d’euros pour la Chine).
Toujours en 2005, la part des exportations de l’Union européenne dans les exportations mondiales, hors commerce intra-communautaire, est de 18,1% contre 12 % pour les États-Unis (et 10,1 % pour la Chine). La part des importations de l’Union européenne en provenance du reste du monde représente 18,9 % des importations mondiales, contre 21,8 % pour les États-Unis (et 7,5 % pour la Chine).
En termes d’échanges commerciaux, l’Union européenne et les États-Unis sont chacun le premier partenaire de l’autre et représentent la relation bilatérale la plus importante au monde en termes de flux. La caractéristique la plus notable de ces échanges au cours de ces dernières années a été la croissance continue de l’excédent de l’Union européenne, passé d’un peu plus de 20 milliards d’euros en 1999 à 88,4 milliards en 2005. L’Union européenne et les États-Unis constituent aussi, l’un pour l’autre, la plus importante source d’investissements directs à l’étranger (IDE). Les flux d’investissement européens vers les États-Unis sont passés de 7,2 milliards d’euros en 2004 à 26,1 milliards d’euros en 2005 et le flux des investissements américains vers l’Europe de 15,3 milliards d’euros en 2004 à 17,5 milliards d’euros en 2005.
Les élargissements successifs et les réformes institutionnelles consécutives, l’attraction exercée sur les jeunes démocraties de l’Est comme du Sud confirment, s’il en était besoin, l’intuition prophétique exprimée par Robert Schuman, alors ministre des affaires étrangères français, le 9 mai 1950 : «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait».
La France a eu sa part d’idées, de propositions et de suggestions dans la construction européenne. Elle y a apporté sa capacité visionnaire, ses compétences et ses talents.
Dès le XVIIe siècle, le duc de Sully suggérait, dans ses mémoires, un grand dessein visant à organiser une Confédération européenne de quinze États dotés d’un Conseil ayant compétence pour prendre des décisions exécutoires. Deux siècles plus tard, c’est Victor Hugo qui appelle à la création des «États-Unis d’Europe» lors de son discours d’ouverture du troisième Congrès international de la Paix, à Paris, le 21 août 1849. Entre deux guerres mondiales particulièrement meurtrières pour les peuples européens, Aristide Briand, alors ministre des
affaires étrangères, propose à la Société des Nations, en septembre 1929, «une sorte de lien fédéral» entre les peuples européens.
C’est à Paris qu’est signé le 18 avril 1951 le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), fruit de l’ambition partagée de Jean Monnet, Robert Schuman et d’autres dirigeants européens. La signature de ce texte marque, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le début de la construction européenne. Elle se poursuit par la signature, le 25 mars 1957, du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne, devenue Communauté européenne avec le traité signé à Maastricht le 7 février 1992.
Ce dernier traité organise l’Union européenne en trois piliers : la Communauté européenne, la politique étrangère et de sécurité commune et la coopération judiciaire et policière.
La Commission européenne a été présidée à deux reprises par un Français.
Le premier secrétaire général de la Commission de 1958 à 1987, soit durant 29 ans, fut français. Six présidences de l’Assemblée des Communautés européennes puis du parlement européen revinrent aux Français. Le président de la Banque centrale européenne est français.
La France contribue financièrement de façon importante au fonctionnement de la Communauté; elle bénéficie aussi largement des retombées économiques de la construction européenne.
En 2005, elle a financé 16,6% du budget communautaire, soit 17,3 milliards d’euros. Elle est le deuxième État membre contributeur, derrière l’Allemagne, avec une quote-part de 21,1%. Elle reste le deuxième pays bénéficiaire des politiques communautaires en volume puisqu’elle perçoit 13,7 milliards d’euros, soit 14,2% de l’ensemble des versements de l’Union européenne aux États membres, derrière l’Espagne qui perçoit 14,8 milliards d’euros, soit 15,3% du total des dépenses opérationnelles réparties, et devant l’Allemagne (12,7 % des dépenses) et l’Italie (11,1 %). La grande majorité des paiements reçus résulte de la politique agricole commune avec 10,1 milliards d’euros, contre 2,6 milliards d’euros pour les fonds structurels.
Le montant des contributions reçues ne reflète qu’une partie des bénéfices tirés de la construction européenne : il n’inclut pas les retombées, pour les entreprises françaises, en termes de commandes, d’exportations et d’investissements, des fonds structurels ou des réalisations communes telles que les grands réseaux, l’industrie aéronautique ou les satellites d’observation.
Étrangement, la France peine aujourd’hui à maîtriser l’ensemble des stratégies qui permettraient la poursuite, dans des conditions harmonieuses et conformes aux intérêts nationaux, de la construction de l’Europe. Celle-ci passe en effet par l’élaboration d’un ensemble de règles dégagées au fil des négociations, telles que celles figurant dans les accords internationaux qui relient l’Union européenne au reste du monde, mais aussi, dans le cadre des dispositifs institutionnels mis en place par les traités, le droit dérivé et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.
Ainsi que le rappelaient les considérations générales du rapport public du Conseil d’État en 1992, « L’Europe est une construction juridique. C’est sans doute un projet politique, sûrement un “grand marché”, mais d’abord un ensemble de règles complexes... La Communauté s’est bâtie autour du droit, elle s’est faite par le droit. Un droit original à plus d’un titre ; il est davantage l’œuvre des diplomates et des juges que celle des parlements ; quoique négocié dans les conditions du droit international, il s’intègre au droit interne ; au gré des nécessités, il emprunte ses concepts à telle ou telle tradition nationale sans en privilégier aucune ».
Depuis 1992, les procédures de décision et de gouvernance de l’Union européenne se sont profondément modifiées en raison notamment des réformes institutionnelles intervenues depuis lors, notamment les traités d’Amsterdam et de Nice. Elles sont également définies par un accord interinstitutionnel intitulé «Mieux légiférer», conclu par le parlement européen, le Conseil et la Commission le 16 décembre 2003. Elles résultent enfin de décisions adoptées par le Conseil, notamment celles créant la trentaine d’agences européennes et celles,
dites décisions «comitologie », instituant les comités d’exécution.
La «gouvernance européenne» se caractérise par la place éminente accordée à la Commission, promoteur et gardien de l’intérêt général communautaire, mais aussi par la très large association des gouvernements, des parlements et des administrations des États membres, de leurs collectivités territoriales, des agences nationales de régulation, des experts et des divers acteurs de la société civile, depuis la conception de l’idée jusqu’à l’adoption finale du texte. L’habitude y est de poursuivre la discussion jusqu’au compromis.
La «gouvernance européenne» est à ce titre culturellement et sociologiquement plus proche des méthodes anglo-saxonnes de gouvernement que de celles issues des traditions juridiques marquées par le droit romain. L’administration française se doit, dès lors, d’adapter son organisation et ses procédures à cette nouvelle réalité.
Un pas en ce sens a été accompli avec la décentralisation et le transfert de nombreuses responsabilités aux collectivités territoriales – communes, départements et régions –, avec le recours aussi à de nouveaux modes d’organisation administrative – autorités indépendantes notamment –. Néanmoins, la France omet encore souvent de s’appuyer autant qu’il serait nécessaire sur les acteurs économiques et sociaux.
Elle s’abstient, dans de nombreuses hypothèses, de rechercher auprès d’autres États membres, porteurs de traditions juridiques différentes des siennes et d’intérêts autres que ceux dont elle a la charge, les alliances qu’il ne serait pas moins possible de contracter avec eux. Or la négociation à vingt-sept appelle une construction permanente d’alliances, tant avec d’autres États membres qu’avec les acteurs les plus divers, ceci aussi bien à Bruxelles qu’en France même et dans d’autres États.
C’est là une orientation qui doit être infléchie au terme d’un diagnostic sur les marges de manœuvre existantes dès la conception d’une réforme au niveau communautaire. La longue recherche du consensus qui précède la définition de l’intérêt général communautaire et gouverne l’émergence des propositions destinées à être soumises à l’examen du Conseil et du parlement européen doit, dès l’origine, à tout le moins, être mise à profit pour dégager, autant que cela est possible, des positions communes de la sphère politico-administrative et des
milieux intéressés.
Un véritable travail diplomatique doit également être poursuivi auprès des partenaires étrangers, étatiques ou non étatiques, dont les positions pourraient être partagées, ou qui seraient susceptibles de faire leurs les points de vue que la France entend faire prévaloir ou ses réserves sur certaines des orientations envisagées.
Au total, l’administration française doit mieux prendre conscience du fait que l’Union européenne est un système complexe, mais aussi un système ouvert au stade de l’initiative, de la négociation et de l’exécution, et s’efforcer de mettre en place un jeu permanent d’alliances et d’influences en vue de tirer parti de cette situation.
On rappellera d’abord, dans cette perspective, les conditions dans lesquelles les institutions européennes sont appelées à fonctionner et se révèlent perméables à ces influences.
On examinera ensuite en quoi cette configuration originale appelle de nouvelles stratégies pour notre administration : anticipation politique et meilleure intégration des enjeux prioritaires, coordination des voix françaises émanant des autorités publiques et des acteurs économiques et sociaux, exemplarité dans la transposition et l’application du droit communautaire, développement enfin du réflexe européen dans l’activité normative, l’information juridique, les interventions devant la Cour de justice et la gestion des fonctions publiques.