La notion de régulation est difficile à définir. Une première approche, qui est aussi la plus restrictive, la saisit par son objet, qui est d’abord économique : pour le professeur Gaudemet, sous cet angle, « la régulation est l’action normative ou para-normative qui accompagne l’ouverture d’un marché antérieurement monopolisé, qui en assure l’ouverture à de nouveaux opérateurs, et l’installation progressive de la concurrence sur celui-ci » (Droit administratif, LGDJ, 20e éd., 2012, pp. 439-443). La doctrine avance également une définition de la régulation par les moyens originaux utilisés par une autorité administrative et la mission globale qui lui est confiée. En ce sens, la régulation, qui excède le seul champ économique, se caractérise par l’institutionnalisation d’un régulateur, prenant parfois la forme d’une autorité administrative indépendante, exerçant une mission globale de police administrative en ayant recours à une palette d’outils diversifiés relevant du « droit dur » (réglementation, autorisation, sanction) comme du « droit souple » (recommandation, coordination, prise de position, mise en garde...).
Le présent dossier thématique est plus précisément consacré à la jurisprudence administrative relative aux autorités administratives ou publiques indépendantes chargées de missions de régulation économique.
Ce dossier présente les différentes catégories de recours portés devant le juge administratif dans le cadre de son contrôle de l’activité des autorités de régulation économique (1), les principales caractéristiques de l’office du juge en la matière (2) et fait une revue – non exhaustive - des grands principes régissant l’intervention des autorités de régulation économique dégagés par sa jurisprudence (3).
Le juge administratif partage en partie cette matière avec le juge judiciaire. Si l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, par de telles autorités administratives, relève en principe de la compétence de la juridiction administrative, le Conseil constitutionnel a admis que le législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, puisse attribuer ce contentieux à l’ordre juridictionnel principalement intéressé « lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » (CC, 23 janvier 1987, no 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence). Certaines décisions non réglementaires des autorités de régulation économique relèvent ainsi du juge judiciaire (c’est le cas, notamment, de décisions de l’Autorité de la concurrence en vertu des articles L. 464-7 et L. 464-8 du code de commerce ou de certaines décisions de l’Autorité des marchés financiers, en vertu de l’article L. 621-30 du code monétaire et financier).
Au sein de la juridiction administrative, une partie significative de ce contentieux est directement portée devant le Conseil d’Etat qui, en vertu de l’article R. 311-1 du code de juridiction administrative, connaît en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation, par les organes de bon nombre des autorités administratives indépendantes chargées de missions de régulation économique. Les juridictions de premier degré connaissent alors des décisions de ces autorités qui ne sont pas prises au titre de ces missions de contrôle ou de régulation, telles que le refus d’instruire le dossier d’un candidat à un appel d’offre (CE, 10 juin 2013, Société Bigben Interactive, n° 363082, T.) ou le contentieux indemnitaire (CE, 18 décembre 2013, Mme L. et autres, n° 365844, T.).
1- L’intervention des autorités administratives indépendantes de régulation économique donne lieu à des contentieux variés devant le juge administratif
On peut concevoir plusieurs typologies des recours auxquels donnent lieu les actes et décisions des autorités indépendantes de régulation économique. On peut notamment distinguer, en fonction de l’objet du litige porté devant le juge, le contentieux des actes réglementaires de ces autorités (1-1), les recours dirigés contre leurs actes individuels (1-2), le contentieux, plus récent, des actes non décisoires de « droit souple » (1-3) et, enfin, le contentieux indemnitaire tendant à engager la responsabilité de ces autorités à raison des dommages qu’elles causent (1-4).
1-1 Le contentieux des actes réglementaires des autorités de régulation économique
La plupart des autorités indépendantes de régulation économique ont été dotées par le législateur du pouvoir d’édicter des normes mettant en œuvre la loi. Le Conseil constitutionnel a admis la conformité d’un tel pouvoir réglementaire à l’article 21 de la Constitution, qui confie le pouvoir réglementaire au Premier ministre sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, dès lors qu’il s’exerce dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements (CC, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC, Loi relative à la liberté de communication).
Le juge administratif connaît, par la voie du recours pour excès de pouvoir, de litiges portant sur les règles édictées par ces autorités. C’est à ce titre que le Conseil d’Etat a, par exemple, été conduit à contrôler la légalité d’une décision du CSA fixant les règles de répartition du temps d'actualité accordé aux représentants du Gouvernement, de la majorité parlementaire et de l'opposition, par les services de communication audiovisuelle (CE, 7 juill. 1999, Front national, no 198357, Rec.) ou encore à se prononcer sur la légalité de décisions de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) relatives aux tarifs pratiqués par les opérateurs de téléphonie mobile (CE, 5 décembre 2005, Fédération nationale UFC Que Choisir, nos 277441 et autres, T. ; CE, 19 mai 2008, Fédération nationale UFC Que Choisir, n° 311197, T., qui juge que cette décision est soumise à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation).
Au-delà des réglementations, au sens strict du terme, édictées par de telles autorités, le juge administratif peut également être saisi de recours tendant à l’annulation d’actes qui ne se présentent pas comme tels mais qui sont revêtus d’une portée réglementaire. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a jugé recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision de la Commission nationale de la communication et des libertés (ancêtre du CSA) intitulée « Note de terminologie relative à certains termes ou expressions employés en matière de programmes télévisés » qui ajoutait à la réglementation existante (CE, 16 novembre 1990, S.A. « La Cinq », n° 97585, Rec.).
Symétriquement, le juge administratif est conduit à trancher des litiges relatifs aux refus de telles autorités de régulation économique de faire usage de leur pouvoir réglementaire. Est ainsi recevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus opposé par le CSA à la demande d’une association tendant à ce qu’il adresse une recommandation aux opérateurs publics de radiodiffusion et de télévision relative au respect du caractère pluraliste des courants de pensée, qui constitue un acte faisant grief (CE, 18 décembre 2002, Association Promouvoir, n° 232273, Rec.).
Enfin, le Conseil d’Etat a précisé que lorsqu’un acte se présentant comme un avis ou une recommandation revêt en réalité le caractère de dispositions générales et impératives, il peut faire l’objet d’un recours. Il en va de même lorsqu’un tel avis ou une recommandation présente le caractère de prescriptions individuelles dont l’autorité pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance (CE, 11 octobre 2012, Société ITM Entreprises et autre, nos 346378 et 346444, Rec. ; Société Casino-Guichard-Perrachon, n° 357193, Rec.).
1-2 Le contentieux des décisions individuelles des autorités de régulation économique
Les décisions individuelles des autorités indépendantes de régulation économique dont connaît la juridiction administrative sont d’une grande variété.
Le juge administratif est notamment saisi de recours dirigés contre des décisions relatives à des demandes d’agrément ou d’autorisation ou toutes les décisions qui sont liées à ces procédures. Ainsi, de tels recours peuvent porter sur des opérations d’acquisition ayant des conséquences sur une autorisation préalablement délivrée (CE, 11 avril 2014, Syndicat des réseaux radiophoniques nationaux, n° 348972, T., sur l’agrément par le CSA de l’acquisition de diverses sociétés exploitant des services radiophoniques), sur la modification des conditions d’exploitation d’une ressource (CE, Assemblée, 13 juillet 2016, Société Métropole Télévision – Société Paris Première, n° 396476, Rec., sur un rejet par le CSA de la demande d’agrément de la modification des modalités de financement de la chaîne Paris Première) ou encore sur l’octroi ou le refus d’abroger une autorisation d’exercer une activité économique (CE, 30 juin 2006, Société Neuf Télécom SA, n° 289564, Rec., affaire relative au refus de l’ARCEP de faire droit à une demande d’abrogation d’autorisations d’utilisation de fréquences).
Le contentieux des autorisations et refus d’autorisations des opérations de concentration par l’Autorité de la concurrence est emblématique de cette catégorie de recours. À l’occasion de la contestation, par un concurrent, de l’autorisation de concentration délivrée par l’Autorité de la concurrence sur le marché des matériaux de construction, le Conseil d'État a, par exemple, explicité la méthode d’analyse des effets concurrentiels d’une opération de concentration et du risque de création d’une position dominante collective et précisé l’office de l’Autorité de la concurrence pour déterminer si des engagements pris pour remédier aux effets anticoncurrentiels d’une opération de concentration sont pertinents et suffisants (CE, 5 novembre 2014, Société Wienerberger, n° 373065, Rec.). Les décisions rendues en matière de concentration dans le secteur des médias illustrent également l’apport de la jurisprudence administrative dans ce domaine (cf. encadré ci-dessous).
Le contentieux des concentrations dans le secteur audiovisuel Quelques décisions récentes du Conseil d’Etat permettent d’illustrer l’apport de sa jurisprudence s’agissant du contentieux des concentrations dans le secteur audiovisuel. Une telle opération fait intervenir deux décisions administratives : l’autorisation de l’opération de concentration elle-même, délivrée par l’Autorité de la concurrence et une décision par laquelle le CSA agrée cette opération pour maintenir les autorisations d’exploitation du domaine hertzien dont disposent les sociétés en cause dans l’opération. Ces deux décisions relèvent du contrôle du juge administratif. Par une décision du 30 décembre 2010, le Conseil d’État a ainsi statué sur le recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation, d’une part, de la décision par laquelle l’Autorité de la concurrence avait autorisé, sous réserve de certains engagements, l’acquisition du Groupe AB par la société TF1, et, d’autre part, de la délibération du CSA donnant son agrément à cette opération. A cette occasion, la section du contentieux a, en premier lieu, rappelé qu’il incombe à l’Autorité de la concurrence, lorsqu’une opération soumise à son autorisation lui est notifiée, d’user de ses pouvoirs d’interdiction, d’injonction, de prescription ou de subordination de cette autorisation à la réalisation d’engagements, à proportion de ce qu’exige le maintien d’une concurrence suffisante. Dès lors qu’elle estime que les effets concurrentiels probables de l’opération ne sont pas tels que l’interdiction serait la seule mesure proportionnée possible, il lui appartient d’examiner si, compte tenu des engagements pris, le cas échéant, par les parties, l’opération peut être autorisée. En second lieu, la section a jugé que, pour la délivrance des autorisations d’émettre sur la TNT, le CSA doit, à l’issue de la procédure d’appel d’offres prévue par la loi, choisir les projets contribuant le mieux à l’objectif de sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels et les plus à même de répondre à l’intérêt du public, et veiller à ce que la diversification suffisante des opérateurs et le jeu normal de la concurrence permettent de respecter cet objectif et cet intérêt. En cas de circonstances nouvelles susceptibles de modifier substantiellement les données au vu desquelles a été délivrée une autorisation, dont une opération de concentration, le CSA doit déterminer si les modifications envisagées sont de nature à compromettre l’impératif fondamental de pluralisme et l’intérêt du public et justifient, dès lors, l’abrogation de l’autorisation. À cette fin, il prend en compte les circonstances de fait et de droit à la date où il se prononce et, le cas échéant, les engagements pris pour atténuer ou compenser les effets probables de ces modifications (CE, Section, 30 décembre 2010, Société Métropole Télévision, nos 338197 et 338273, Rec.). Par deux décisions du 28 décembre 2012, l’Assemblée du contentieux s’est prononcée sur un recours relatif à l’opération de prise de contrôle de TPS et CanalSat par la société Groupe Canal Plus. En 2006, cette prise de contrôle avait été autorisée par le ministre chargé de l’économie, sous réserve du respect de 59 engagements destinés à prévenir les effets anticoncurrentiels de l’opération. Ayant constaté le non-respect de certains de ces engagements, l’Autorité de la concurrence avait, en décembre 2011, retiré l’autorisation et infligé une amende. En exécution de cette décision, la société Groupe Canal Plus avait à nouveau notifié l’opération de prise de contrôle, qui avait été à nouveau autorisée par une décision du 23 juillet 2012 de l’Autorité, sous réserve du respect de 23 injonctions. Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé, notamment, contre ces deux décisions. L’Assemblée a tout d’abord relevé que la décision de retrait de l’autorisation de réaliser la concentration avait le caractère d’une sanction, conformément à ce qu’avait déjà jugé le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC (CC, 12 octobre 2012, n° 2012-280 QPC). Le Conseil d’État s’est ensuite prononcé sur l’ensemble des manquements aux engagements retenus par l’Autorité de la concurrence. Il a jugé que lorsqu’un engagement a été respecté formellement mais que les sociétés qui l’avaient pris ont adopté des mesures ou un comportement qui a eu pour conséquence de le priver de toute portée et de produire des effets anticoncurrentiels qu’il entendait prévenir, ces sociétés doivent être regardées comme ayant méconnu l’engagement. Le Conseil d’Etat a jugé que tel était le cas en l’espèce, même s’il a partiellement remis en cause l’analyse de l’Autorité de la concurrence. L’Assemblée a enfin contrôlé les sanctions prononcées à l’encontre de la société Groupe Canal Plus. Elle a jugé que la mesure de retrait de l’autorisation avait un objet punitif mais visait aussi à préserver l’ordre public économique, si bien qu’elle devait être proportionnée à la fois à la gravité des manquements constatés et aux exigences de maintien ou de rétablissement de la concurrence. En l’espèce, après avoir estimé que les manquements de la société Groupe Canal Plus revêtaient une particulière gravité, le Conseil d’État, eu égard à cette gravité et à la nécessité d’assurer le maintien d’une concurrence suffisante, a confirmé le retrait de l’autorisation. Eu égard à l’infirmation partielle de l’analyse de l’Autorité de la concurrence sur deux des manquements, il a néanmoins diminué le montant de la sanction pécuniaire (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et société Vivendi Universal, n° 353856, Rec.). S’agissant de la décision ayant ensuite à nouveau autorisé la même opération de concentration, le Conseil d’Etat a jugé que l’Autorité de la concurrence n’avait pas commis d’erreur d’appréciation dans l’analyse des effets anticoncurrentiels nombreux de l’opération de concentration qui lui avait été à nouveau notifiée. Il a précisé, en s’inspirant de la jurisprudence de la CJUE, que l’Autorité de la concurrence devait caractériser les risques concurrentiels de l’opération à partir d’une analyse prospective tenant compte de l’ensemble des données pertinentes et se fondant sur un scénario économique plausible. Le Conseil d’Etat a ensuite écarté l’ensemble des critiques portant sur la proportionnalité des injonctions prononcées par la décision. D’une part, il a jugé que toutes les injonctions critiquées étaient adaptées, nécessaires et proportionnées aux exigences du maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l’opération. D’autre part, en réponse aux concurrents de la société Groupe Canal Plus, il a estimé que, prises ensemble, ces injonctions étaient de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels de l’opération (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, nos 362347, 363542, 363703, Rec.). Par une décision du 23 décembre 2013, l’Assemblée du contentieux a statué sur un litige relatif à la prise de contrôle par le groupe Vivendi, maison mère du groupe Canal Plus, de plusieurs sociétés du groupe Bolloré Médias, concentration qui avait été autorisée par l’Autorité de la concurrence. Le Conseil d'État a rappelé que s’il appartient à l’Autorité de la concurrence d’user de ses pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements, c’est à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l’opération. Lorsqu’elle identifie un effet anticoncurrentiel, elle n’est donc pas tenue d’adopter des mesures correctives de nature à supprimer intégralement cet effet, pourvu que les mesures prises permettent le maintien d’une concurrence suffisante. Le Conseil d'État a en outre précisé que l’Autorité ne peut accepter des engagements des parties que s'ils sont suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu’ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche. En l'espèce, il a estimé que l’engagement pris par Canal Plus de ne pas acquérir, au cours d’une même année, les droits de diffusion à la fois en télévision payante et en clair pour plus vingt films français récents inédits en clair n’était manifestement pas de nature à prévenir la réalisation dans un avenir proche d’un effet anticoncurrentiel. Enfin, si le Conseil d'État a annulé la décision de l'Autorité de la concurrence autorisant la concentration, il a toutefois relevé que l’annulation immédiate de l’autorisation ôterait toute valeur contraignante aux engagements pris par les parties alors que l’opération de concentration avait eu lieu. Pour éviter un tel vide juridique, il a décidé que l'annulation prononcée ne prendrait effet qu’à compter du 1er juillet 2014 et ne vaudrait que pour l’avenir. (CE, Assemblée, 23 décembre 2013, Société Métropole télévision (M6) et Société Télévision Française 1 (TF1), nos 363702 et 363719, Rec.). |
Au titre des décisions individuelles prises par les autorités de régulation économique, le juge administratif connaît également des recours dirigés contre les décisions par lesquelles ces autorités refusent d’exercer leurs prérogatives, telles que le refus d’engager une procédure de sanction (CE, Section, 30 novembre 2007, T. et autres, n° 293952, Rec., s’agissant du refus de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles d’engager une telle procédure).
Enfin, entrent également dans cette catégorie les recours dirigés contre les sanctions prononcées par les organes compétents de ces autorités. Le Conseil constitutionnel a en effet admis que des autorités administratives indépendantes puissent être dotées par le législateur de pouvoirs de sanction dans la limite nécessaire à l’accomplissement de leurs missions, dès lors que la loi assortit l’exercice de ces pouvoirs des mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis, tels que le respect des droits de la défense (CC, 17 janvier 1989, n° 88-248 DC, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication). Les recours dirigés contre de telles sanctions ont été l’occasion, pour la juridiction administrative, d’apporter des précisions importantes sur les règles applicables à ces autorités en la matière et parfois de dégager des principes transposables, plus largement, à l’ensemble des sanctions administratives (cf. 3).
1-3 L’ouverture du prétoire aux actes de « droit souple »
Au-delà de ces décisions réglementaires et individuelles, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a récemment admis, par deux décisions du 21 mars 2016, la recevabilité des recours en excès de pouvoir tendant à l’annulation d’actes dépourvus de portée décisoire dits « de droit souple », tels que des avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice de leurs missions, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent. Dans ce cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation. Il lui appartient également, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, de faire usage des pouvoirs d’injonction qu’il tient du titre Ier du livre IX du code de justice administrative.
Le Conseil d’Etat a ainsi jugé recevables les recours tendant à l’annulation d’un communiqué publié par l’Autorité des marchés financiers sur son site internet mettant en garde les investisseurs contre les conditions dans lesquelles étaient commercialisés certains produits de placement (CE, Assemblée, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GmbH et autres, nos 368082, 368083 et 368084, Rec.), d’une prise de position de l’Autorité de la concurrence reconnaissant à une société, pour l’exécution d’une décision de concentration, la possibilité d’acquérir des droits de distribution exclusive de chaînes de télévision sur la plateforme de diffusion d’une autre société (CE, Assemblée, 21 mars 2016, Société NC Numéricable, n° 3900023, Rec.) ou encore de recommandations émises par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur les conventions conclues entre les entreprises d’assurance et les intermédiaires en assurance concernant la distribution des contrats d’assurance vie, qui ont pour objet d’inciter leurs signataires à modifier sensiblement leurs relations réciproques (CE, 20 juin 2016, Fédération française des sociétés d’assurances, n° 384297, T.). Le délai pour exercer un recours contentieux contre ce type d’acte ne déroge pas au droit commun. Il est en principe de deux mois à compter de la publicité de la mesure. Ce délai peut dans certains cas ne pas être opposable au requérant, qui doit malgré tout exercer son recours dans un délai raisonnable, c’est-à-dire dans un délai d’un an à compter du moment où il a eu connaissance de l’acte litigieux (CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M. C. n° 387763, Rec.).
1-4 Les recours tendant à l’engagement de la responsabilité des autorités de régulation économique
Enfin, le juge administratif peut être saisi de recours tendant à l’engagement de la responsabilité des autorités administratives de régulation économique à raison des dommages qu’elles causent du fait d’une intervention, fautive ou non. La juridiction administrative est en effet compétente pour connaître des actions indemnitaires mettant en cause le fonctionnement de ces services publics, y compris lorsque le législateur a attribué au juge judiciaire une partie du contentieux des décisions de ces autorités, comme c’est le cas pour certaines sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers (TC, 2 mai 2011, Société Europe Finance et Industrie, n° 3766, Rec.).
Les activités de surveillance économique et financière constituent l’un des domaines dans lesquels est maintenue l’exigence d’une faute lourde pour engager la responsabilité de l’autorité administrative. Les clients d’un établissement bancaire ou financier défaillant ne peuvent demander au régulateur l’indemnisation du préjudice résultant de sa carence dans l’exercice de sa mission de surveillance qu’en cas de faute lourde. Il en va ainsi, notamment, en cas de défaillance de la commission des opérations de bourses (CE, 22 juin 1984, Société « Pierre et Cristal » et autres, n° 18371, T.) ou de carence fautive de la commission bancaire dans l’exercice de sa mission de surveillance et de contrôle des établissements de crédit (CE, Assemblée, 30 novembre 2001, Ministre de l’économie c/ K. et autres, n° 219562, Rec.).
En l’absence de toute illégalité commise par l’autorité de régulation, sa responsabilité sans faute peut également être recherchée lorsque son intervention crée un préjudice anormal et spécial. Le Conseil d’Etat en a jugé ainsi, s’agissant du refus opposé, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, à la demande de modification des spécifications techniques dont était assortie une autorisation d’usage de fréquence qui, quoique légal, avait causé au pétitionnaire un préjudice anormal et spécial (CE, 13 juin 2001, V., n° 211403, T.).
2- L’office du juge administratif en matière de régulation économique
Les recours dirigés contre les actes des autorités administratives indépendantes chargées de missions de régulation économique conduisent le juge administratif à contrôler différents aspects de leurs décisions et de l’exercice de leurs missions.
Le juge administratif est d’abord conduit à contrôler le respect par ces autorités des limites de leurs compétences. Cette appréciation tient compte de la mission globale confiée à ces autorités. C’est à ce titre que l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat est par exemple venue confirmer, sur le fondement de l’article L. 621-1 du code monétaire et financier qui attribue à l’Autorité des marchés financiers une mission générale de protection de l’épargne et d’information des investisseurs, la compétence de cette Autorité pour publier sur son site internet des communiqués de « mise en garde » des épargnants, publications qui n’étaient pas explicitement mentionnées par ce code, ni par le règlement général de l’Autorité (CE, Assemblée, 21 mars 2016, Société Fairvesta International GmbH et autres, nos 368082 et autres, Rec.). Le Conseil d’Etat a également admis, dans le silence des textes, la compétence de l’ARCEP pour organiser, par décision réglementaire, la collecte périodique d’informations auprès des opérateurs de télécommunication, dès lors que ces informations sont nécessaires à l’accomplissement de ses missions (CE, 10 juillet 2013, Sociétés AT&T Global Network Services France SAS et autres, n° 360397, T.).
Le juge contrôle également le respect des procédures encadrant l’adoption de leurs décisions. L’Assemblée du contentieux, saisie d’un recours contre le refus, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’agréer la modification des modalités de financement de la chaîne de la TNT LCI, a ainsi précisé les conditions dans lesquelles le Conseil procède à l’étude d’impact précédant une telle décision (CE, Assemblée, 17 juin 2015, Société en commandite simple La Chaîne Info, n° 384826, Rec.).
S’agissant du fond des décisions par lesquelles ces autorités mettent en œuvre leurs pouvoirs d’autorisation, d’interdiction ou encore d’injonction, qui sont des décisions de police administrative, le juge administratif contrôle le respect des conditions légales de leur adoption. A cette occasion, il est souvent conduit à exercer un contrôle dit de « proportionnalité ». L’Assemblée du contentieux l’a affirmé, notamment, à propos du contrôle des opérations de concentration par l’Autorité de la concurrence : lorsqu’une telle opération lui est notifiée, il incombe à cette autorité d’user des pouvoirs d’interdiction, d’injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d’engagements pris par les parties, qui lui sont conférés par la loi, à proportion de ce qu’exige le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l’opération. Le juge vérifie ainsi le caractère adapté, nécessaire et proportionné de telles mesures. En revanche, lorsque le juge de l’excès de pouvoir examine un moyen tiré de ce que les injonctions prononcées seraient insuffisantes pour prévenir les effets anticoncurrentiels de l’opération notifiée, il lui appartient de l’apprécier au regard de la pertinence et de l’efficacité globale de l’ensemble de ces mesures (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, nos 362347, 363542, 363703, Rec.). Ce contrôle de proportionnalité du juge est également applicable aux sanctions prononcées par les organes des autorités de régulation.
Le contentieux de la régulation économique donne lieu, par ailleurs, à la mise en œuvre d’une large palette de moyens et pouvoirs du juge administratif.
Etant conduit à apprécier la pertinence et la proportionnalité de décisions de régulation économique d’une grande technicité, le juge fait usage des différents instruments à sa disposition pour conduire ses investigations dans ces dossiers souvent complexes. Il lui est possible de recourir à des expertises (art. R. 621-1 et suivants du code de justice administrative), à des « enquêtes à la barre » ou sur les lieux (art. R. 623-1 du code de justice administrative, mis en œuvre par exemple dans une procédure relative à une décision de l’Autorité de régulation des télécommunications sur le marché du renseignement téléphonique : CE, Section, 25 juin 2004, Société Scoot France et Société Fonecta, nos 249300, 249722, Rec.), à l’« amicus curiae » (art. R. 625-3 du code de justice administrative) ou encore à l’avis technique (art. R. 625-2) dont l’une des premières mises en œuvre a concerné le marché de l’électricité (CE, 28 mars 2012, Société Direct Energie et autres, nos 330548 et autres, Rec.).
Une partie de ce contentieux relève du juge de l’excès de pouvoir. Ce juge peut seulement annuler la décision contestée ou rejeter le recours mais ne peut pas modifier la décision en cause. En revanche, lorsqu’une décision est assortie de conditions, le Conseil d’Etat a admis que dans certains cas, il ne pourrait annuler que certaines des conditions de la décision s'il résulte de l'instruction que le réexamen auquel l’autorité devra à nouveau procéder, sur ce seul point, n'est pas susceptible de remettre en cause le principe de la décision (CE, Assemblée, 23 décembre 2013, Société Métropole télévision (M6), n° 363978, Rec.). Le juge administratif peut également moduler dans le temps les effets des décisions juridictionnelles qu’il prononce. Si cela est nécessaire, il peut en effet déroger au principe de l’effet rétroactif de l’annulation et prévoir, dans sa décision, que tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine (CE, 23 décembre 2013, Société Métropole Télévision (M6) et Société Télévision française 1 (TF1), nos 363702 et 363719).
Le juge de la régulation économique est parfois conduit à se prononcer comme juge de plein contentieux : il peut alors réformer la décision qui lui est déférée. C’est en particulier le cas en matière de sanctions (CE, Assemblée, 16 février 2009, Société ATOM, n° 274000, Rec. ; article 42-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication pour le CSA, article L. 36-11 du code des postes et communications électroniques pour l’ARCEP, article L. 134-34 du code de l’énergie pour la Commission de régulation de l’énergie, article R. 621-45-I du code monétaire et financier pour l'AMF). Le juge administratif peut, à cet égard, être conduit à modifier la sanction adoptée par une autorité de régulation (cf., pour un cas d’augmentation du montant de la sanction pécuniaire prononcée par l’Autorité des marchés financiers, au regard de la gravité du manquement commis en toute connaissance de cause par une personne exerçant d’importantes fonctions au sein d’une banque : CE, 6 avril 2016, M. R., n° 374224, Rec.).
Les opérateurs économiques visés par des décisions des autorités de régulation mobilisent par ailleurs souvent les voies de droit d’urgence ouvertes devant le juge administratif, telles que le référé suspension (art. L. 521-1 du code de justice administrative), le référé mesures utiles ou le référé liberté, la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’entreprendre ayant été reconnues comme des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative invocables dans le cadre de cette procédure (CE, juge des référés, 12 novembre 2001, Commune de Montreuil-Bellay, n° 239840, Rec.).
3- Le juge administratif a précisé les principes encadrant l’exercice des pouvoirs des autorités chargées de missions de régulation économique
La plupart des autorités administratives indépendantes (AAI) de régulation économique cumulent, selon les cas, des pouvoirs de recommandation, de réglementation, d’autorisation, de contrôle, d’injonction, de sanction, voire de nomination. Si ces autorités, qui agissent au nom de l’Etat sans être subordonnées au Gouvernement, disposent par définition d’une large autonomie pour les mettre en œuvre, certaines garanties, destinées notamment à protéger les droits et libertés fondamentales des administrés, encadrent néanmoins l’exercice et le cumul de ces prérogatives. Les recours dirigés contre les décisions des autorités de régulation économique ont été l’occasion, pour le juge administratif, de préciser la portée de ces principes généraux dans le cadre tracé par la jurisprudence constitutionnelle et européenne.
3-1 Le juge administratif a précisé les implications du principe d’impartialité et du respect des droits de la défense
Applicabilité du principe général d’impartialité
Le principe d’impartialité, principe général du droit, s’impose à toute autorité administrative, et notamment aux autorités administratives indépendantes (CE, 14 juin 1991, Association Radio-solidarité, nos 107365 et autres, Rec.).
Saisi d’un litige relatif à l’agrément d’une opération de rachat de sociétés de télévision délivré par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Conseil d’Etat a notamment déduit de ce principe qu’il incombe aux membres de telles autorités de s’abstenir de toute prise de position publique de nature à en compromettre le respect (CE, Section, 30 décembre 2010, Société Métropole Télévision (M6), n° 338273, Rec.). Ainsi, la circonstance qu’un membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel chargé d’examiner des demandes de conventionnement relatives à des services de télévision manifeste publiquement une opinion sur la suite à donner à ces demandes est de nature à mettre en cause la nécessaire garantie d’impartialité de l’intéressé et à entacher d’irrégularité la délibération du Conseil sur l’un de ces projets, à laquelle il avait participé (CE, 11 juillet 2012, SARL Media Place Partners, n° 351159, T.).
Applicabilité de l’article 6 de la CEDH aux décisions des organes de sanction
L’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a permis une application de ses stipulations à un large panel de sanctions administratives. En effet, dès lors qu’elle remplit l’un des trois critères alternatifs posés par la Cour, tenant à la qualification de la mesure en droit interne, à la nature de l’infraction et à la sévérité de la sanction que la personne concernée risque d’encourir, une mesure doit respecter les principes posés par l’article 6 § 1 de la Convention (CEDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas, n° 5100/71). Cependant, l’article 6 § 1 dans son champ pénal ne peut être invoqué qu’au cas où « l’absence de garantie de la phase administrative est telle qu’elle emporte des conséquences de nature à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d’une procédure ultérieurement engagée devant le juge » (CE, 26 mai 2008, Société Norélec, n° 288583, Rec.).
Le principe d’impartialité, garanti par ces stipulations, trouve donc à s’appliquer, dans ces conditions, aux organes des autorités de régulation économique dotés de pouvoirs de sanction. Dans la lignée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 3 décembre 2002, Lilly c. France, n° 53892/00, à propos du Conseil de la concurrence ; CEDH, 27 août 2002, Didier c. France, n° 58188/00, à propos du Conseil des marchés financiers), le Conseil d’Etat l’a appliqué à propos des décisions du Conseil des marchés financiers siégeant en matière disciplinaire (CE, Assemblée, 3 décembre 1999, D., n° 207434, Rec.) et de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (CE, 4 février 2005, Société GSD gestions et Gautier, n° 269001, Rec.).
Au-delà du seul principe d’impartialité, le Conseil d’Etat a fait application, dans ces conditions, de l’ensemble des droits de la défense, garantis par les stipulations du même article 6, aux décisions des organes de sanction des autorités de régulation économique. Il a ainsi jugé que l’application de ce principe, précisé par le a. du § 3 de l’article 6, qui exige la communication préalable des griefs, par le b. qui impose que la personne poursuivie dispose de temps pour se défendre, le c. en tant qu’il lui donne le droit de se défendre elle-même ou de recourir à l’assistance d’une personne de son choix, le d. qui garantit l’égalité des droits pour l’audition des témoins et le e., qui prévoit la possibilité d’une assistance gratuite d’un interprète, était requise pour garantir, dès l’origine de la procédure, son caractère équitable par le respect de la conduite contradictoire des débats. En revanche, le droit à l’assistance gratuite d’un avocat, qui relève des modalités particulières propres à l’exercice de procédures juridictionnelles, ne peut être utilement invoqué sur le fondement de la CEDH par des requérants à l’encontre des décisions de ces organismes (CE, Section, 27 octobre 2006, P. et autres, n° 276069 et autres, Rec., à propos du conseil de discipline de la gestion financière et commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers).
Les conséquences de l’applicabilité de ces stipulations de la convention ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Le Conseil d’Etat en a par exemple déduit que le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne pouvait engager une procédure de sanction qu’à raison de faits postérieurs à une mise en demeure, susceptibles de traduire un manquement et que le rapport de présentation de l’affaire rédigé par la direction juridique du Conseil, après que les griefs ont été notifiés aux intéressés et qu’un délai leur a été imparti pour présenter des observations écrites, devait être communiqué à l’intéressé avant qu’il soit entendu (CE, 6 janvier 2006, Société Lebanese Communication Group, n° 279596, Rec.).
Le juge administratif en a, par ailleurs, tirés toutes les conséquences en termes d’encadrement et de sanction des conflits d’intérêts. Le Conseil d’Etat a, par exemple, annulé des sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers au motif que l’un des membres de la commission des sanctions avait, avec la personne mise en cause, un lien faisant obstacle à ce qu’il délibère de façon impartiale (CE, Section, 27 octobre 2006, P. et autres, n° 276069, Rec.) ou encore que le rapporteur de l’affaire, alors même qu’il n’a pas voix délibérative, avait exercé les fonctions d’administrateur et de conseiller du président d’une société qui était l’un des principaux concurrents de la société mise en cause (CE, 26 juillet 2007, X., n° 293908, T.).
Article 6 et cumul de fonctions de poursuite et de sanction
La jurisprudence administrative a également précisé les conséquences de l’applicabilité de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme quant au cumul, par ces autorités de régulation, des fonctions de poursuite et de sanction.
Sur ce point, le Conseil d’Etat a jugé que la possibilité, pour une telle autorité, de se saisir elle-même d’affaires entrant dans son domaine de compétence n’était pas, en elle-même, contraire aux stipulations de l’article 6, sous réserve que cette faculté soit suffisamment encadrée pour ne pas donner à penser que les membres de la formation disciplinaire tiennent les faits visés comme d'ores et déjà établis ou leur caractère répréhensible comme d'ores et déjà reconnu (CE, 22 décembre 2011, Union mutualiste générale de prévoyance, n° 323612, T.). Les fonctions d’accusation et de prononcé de la sanction doivent être confiées à des organes distincts.
Dans l’affaire Société GSD gestions et Gautier (cf. supra), le Conseil d’Etat avait estimé que si l’un des membres siégeant au sein de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers avait, en sa qualité de président du conseil de discipline de la gestion financière, notifié aux personnes sanctionnées les griefs retenus à leur encontre, intervenant ainsi au stade de l’engagement des poursuites, la circonstance qu’il ait ensuite délibéré sur la sanction n’avait pas pour autant entraîné une méconnaissance du principe d’impartialité dès lors qu’il n’avait, à cette occasion, ni présenté les faits comme établis, ni pris parti sur leur qualification d'infractions.
Le Conseil d’Etat en a, en revanche, décidé différemment à propos de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. L’encadrement de ce cumul de prérogatives a été jugé insuffisant au regard de l'étendue des pouvoirs de cette Autorité, couvrant à la fois le contrôle des organismes relevant du code des assurances ou du code de la mutualité, la décision d'ouvrir une procédure disciplinaire et de définir les griefs reprochés, l'instruction de la procédure et le prononcé des sanctions. Eu égard à l'insuffisance des garanties dont la procédure était entourée, la circonstance que les mêmes personnes se prononcent sur la décision de poursuivre, d'une part, et sur la sanction, d'autre part, a été regardée comme étant de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de cette autorité (CE, 22 décembre 2011, Union mutualiste générale de prévoyance, n° 323612, T.).
On peut encore citer une décision de l’Assemblée du contentieux relative à la faculté reconnue à l’Autorité de la concurrence de se saisir elle-même, sur proposition de son rapporteur général, de faits de nature à constituer des manquements aux engagements pris par des parties à une opération de concentration économique. Le Conseil d’Etat a estimé que cette faculté faisait l’objet d’un encadrement suffisant dès lors que l'instruction est menée, dans le respect des droits de la défense, sous l'autorité du rapporteur général, qui ne prend pas part à la décision et dont les dispositions du code de commerce garantissent l'indépendance à l'égard des formations compétentes pour prononcer les sanctions (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et société Vivendi Universal, n° 353856, Rec.).
Article 6 et cumul de pouvoirs réglementaire, de contrôle et de sanction
Le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur le cumul, par de telles autorités de régulation économique, du pouvoir de fixer les règles dans un domaine déterminé et d'en assurer elle-même le respect, et du pouvoir de contrôle et de sanction. Dans une affaire relative à une décision de la commission bancaire prise en matière disciplinaire, il a jugé que le respect des stipulations de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ne faisait pas obstacle à ce qu’une autorité administrative cumule, en vertu de la loi, de tels pouvoirs, dès lors que le pouvoir de sanction était aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision (CE, 30 juillet 2003, Banque d’escompte et Wormser frères réunis, n° 238169, Rec.).
Droits de la défense et pouvoirs d’enquête
Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, précisé la portée de la nécessaire protection des droits de la défense dans l’usage des pouvoirs d’enquête reconnus aux autorités de régulation économique, dans le cas où ils conduisent à révéler une infraction donnant lieu, par la suite, à une sanction prononcée par la même autorité.
A l’occasion d’un recours dirigé contre une sanction prononcée par l’Autorité des marchés financiers, le Conseil d’Etat a jugé que le principe des droits de la défense s’appliquait seulement à la procédure de sanction, qui est initiée par la notification de griefs émise par le collège de l’Autorité et la saisine de la commission des sanctions, mais pas à la phase préalable des enquêtes réalisées par les agents de l'Autorité. Le juge administratif contrôle néanmoins que les conditions dans lesquelles s’est déroulée la phase d’enquête et de contrôle qui a précédé l’ouverture de la phase de sanction n’ont pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes mises en cause qui serait de nature à entraîner l’annulation de la sanction prononcée à l’issue de la procédure (CE, 15 mai 2013, Société Alternative Leaders France, n° 356054, T. ; cf. également CE, 12 juin 2013, Société Natixis et autre, nos 349185 et autre, T.)
Droits de la défense et protection du secret des affaires
Il est également revenu au juge administratif de préciser les conditions dans lesquelles les autorités de régulation économique doivent concilier le respect des droits de la défense et la nécessaire protection du secret des affaires. Cette question a notamment été soulevée à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre les dispositions réglementaires du code de commerce qui déterminaient les modalités de contestation des décisions par lesquelles le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence refuse la protection du secret des affaires ou accorde la levée de ce secret. Ces dispositions prévoyaient alors que ces décisions ne pouvaient être contestées qu’à l’occasion du recours contre la décision prise par l’autorité de la concurrence à l’issue de la procédure. Le Conseil d’Etat a estimé, dans cette affaire, que ces décisions étaient néanmoins susceptibles de faire grief, par elles-mêmes, aux parties dont émanent les pièces ou éléments en cause. En ne permettant de contester leur légalité qu’à l’occasion d’un recours contre la décision rendue par l’Autorité sur le fond, les dispositions contestées faisaient obstacle, le cas échéant, à l’exercice d’un recours ou d’une action en référé devant le juge compétent. Eu égard à l'ampleur et au caractère potentiellement irréversible des effets de ces décisions, et alors même que le préjudice qu'elles étaient susceptibles d'occasionner pouvait être réparé par la voie d'une action indemnitaire, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions du code de commerce contestées portaient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (CE, 10 octobre 2014, Syndicat national des fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées, n° 367807, T.).
Le respect des droits de la défense peut par ailleurs justifier, dans certains cas, qu’une autorité de régulation lève le secret des affaires. A l’occasion d’un litige mettant en cause une décision de l’Autorité de la concurrence, l’Assemblée du contentieux a jugé que si le rapporteur général de l'Autorité pouvait, en application du code de commerce, refuser à une partie la communication de documents ou d'informations mettant en jeu le secret des affaires, il lui incombait, dans les cas où la communication de telles informations est nécessaire à l'exercice des droits de la défense, de donner accès au contenu de ces informations, le cas échéant au moyen de versions non confidentielles des documents ou de résumés suffisamment explicites pour lui permettre l'exercice de ses droits. De même, si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le rapport du rapporteur contienne des éléments couverts par le secret des affaires de personnes tierces et faisant l'objet d'une occultation, il incombe au rapporteur général, dans le cas où la communication de ces éléments est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie, de lui donner accès à leur contenu, le cas échéant au moyen d'un résumé suffisamment explicite (CE, Assemblée, 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, nos 362347 et autres, Rec.).
3-2 Le juge administratif a précisé les limites des pouvoirs de contrôle et d’enquête au regard du droit au respect de la vie privée
La juridiction administrative est également conduite à contrôler, dans le cadre de recours dirigés contre les décisions des autorités indépendantes de régulation économique, si les conditions dans lesquelles elles usent de leurs pouvoirs de contrôle et d’enquête ne méconnaissent pas d’autres droits et libertés fondamentales, et notamment le droit au respect de la vie privée, qui recouvre la protection du domicile.
Par une décision Société Inter Confort (CE, Section, 6 novembre 2009, Société Inter Confort, n° 304300, Rec.), la Section du contentieux a jugé, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 16 avril 2002, Société Colas Est et autres c. France, n° 37971/97 ; CEDH, 25 février 1993, Funke c. France, n° 10588/83), que la proportionnalité de l’ingérence que constitue la mise en œuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels au regard du droit au respect du domicile garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, impliquait l’existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l’ampleur et de la finalité de ces pouvoirs.
S’agissant, en revanche, de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le Conseil d’Etat, appliquant le même raisonnement, a estimé que l’ampleur des pouvoirs de visite des locaux professionnels et d’accès aux documents reconnus aux contrôleurs de cette Autorité n’était pas telle que cette ingérence ne puisse être regardée comme proportionnée qu’à la condition d’avoir été préalablement autorisée par un juge ou de n’intervenir qu’après que la personne contrôlée a été informée de son droit de s’y opposer. En effet, les dispositions applicables ne permettaient aux contrôleurs de cette Autorité de ne pénétrer dans des locaux professionnels que pendant les heures normales de fonctionnement et en présence de leur responsable. De plus, ils ne pouvaient contraindre matériellement les représentants de l’organisme contrôlé s’ils faisaient obstacle au contrôle (CE, 20 janvier 2016, Caisse d’épargne et de prévoyance, n° 374950, T.).