Le juge administratif et l'urbanisme

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Depuis la première moitié du XXe siècle, le développement des politiques publiques de l’urbanisme a permis l’affirmation d’un droit de l’urbanisme, « chargé de définir et d’encadrer les possibilités d’utiliser le sol » (rapport public annuel du Conseil d’État, 1992), c’est-à-dire de « déterminer les prévisions et règles touchant à l’affectation et à l’occupation du sol » (CE, 27 février 2004, Centre régional de la propriété foncière de Lorraine-Alsace, A, n° 198124).

Les nouveaux outils de planification et d’autorisation mis en œuvre par l’État et, désormais, par les collectivités locales sont en effet placés sous le contrôle du juge administratif : c’est notamment le cas du permis de construire (loi du 15 juin 1943) et du permis d’aménager (ordonnance du 8 décembre 2005), mais aussi du plan d’occupation des sols et du schéma directeur (loi du 30 décembre 1967), devenus le plan local d’urbanisme et le schéma de cohérence territoriale (loi du 13 décembre 2000).
Ce contentieux ancien, qui a connu un important développement durant les dernières décennies, se distingue aujourd’hui par certaines particularités procédurales. Elles traduisent, à l’issue des réformes récentes (lois du 9 février 1994, du 4 février 1995, du 13 décembre 2000 et du 13 juillet 2006, décret du 5 janvier 2007, ordonnance du 18 juillet 2013 et décret du 1er octobre 2013), la recherche d’un équilibre entre le droit de construire et le droit au recours contentieux.

Le juge administratif n’est pas le seul juge de l’urbanisme. Il dispose, en la matière, d’une compétence partagée. S’il est compétent pour se prononcer sur la légalité des actes réglementaires et des autorisations individuelles intervenus dans ce domaine, ainsi que sur les actions indemnitaires liées (contentieux administratif de l’urbanisme), il revient au juge pénal de réprimer les infractions aux règles d’urbanisme prévues par le code pénal (contentieux pénal de l’urbanisme) et au juge civil de connaître, en particulier, des actions en démolition (contentieux civil de l’urbanisme).

En dépit de cette compétence partagée, l’urbanisme représente une part importante de l’activité de la juridiction administrative. Certes, le nombre d’actes attaqués demeure faible, de l’ordre de 1 % selon le rapport du groupe de travail présidé par Ph. Pelletier. Toutefois, cette matière représente, avec 6 % des affaires enregistrées en 2014, l’un des principaux domaines d’activité des tribunaux administratifs (rapport public annuel du Conseil d’Etat, 2015).

Surtout, d’importants enjeux économiques et sociaux sont attachés à l’intervention du juge administratif. En effet, comme l’indiquait le rapport du groupe de travail présidé par D. Labetoulle, « de bonne ou de mauvaise foi, les recours [devant le juge administratif] décalent dans le temps la réalisation des projets, voire les compromettent […]. L’activité économique s’en trouve ralentie et la production de logements, notamment, freinée d’autant. Or, la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent a été consacrée comme objectif de valeur constitutionnelle (CC, 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l’habitat, n° 94-359 DC) ».

Dès lors, le contentieux administratif de l’urbanisme traduit la recherche d’un équilibre entre le développement de la construction et le droit au recours. Placé sous le contrôle du juge constitutionnel (CC, 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction, n° 93-335 DC), cet équilibre s’avère évolutif, ainsi que l’ont montré différents rapports (Section du rapport et des études, L’urbanisme : pour un droit plus efficace, 1992,  Philippe Pelletier, Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d’urbanisme, 2005 ; D. Labetoulle Construction et droit au recours, pour un meilleur équilibre, 2013), qui ont conduit à plusieurs évolutions de l’office du juge. Il en résulte aujourd’hui une singularisation croissante de ce contentieux, un « particularisme […] très marqué » (rapport du groupe de travail présidé par D. Labetoulle). Sans nécessairement constituer un « contentieux administratif spécial » (Chr. Debouy, « Vingt ans de réformes depuis la loi Bosson : construction d’un contentieux administratif spécial de l’urbanisme ? », JCP A, n° 29, 21 juillet 2014, 2233), il s’avère néanmoins original sur plusieurs aspects.

1-Diversité des voies de recours, particularités procédurales

1-1 Le juge de l’excès de pouvoir : la légalité des actes d’urbanisme

1-1-1 La large ouverture du recours pour excès de pouvoir

Le juge de l’excès de pouvoir est le juge des recours à fin d’annulation des actes administratifs (CE, 4 avril 1914, Gomel, A, n° 55125), qui recouvrent, en matière d’urbanisme :

- des actes réglementaires, c’est-à-dire les « documents d’urbanisme » traduisant la planification de l’espace, tels que les plans locaux d’urbanisme – PLU (CE, 28 décembre 2001, Commune de Béziers, B, n°237137), les cartes communales (CE, 28 novembre 2007, Flory, B, n° 303421), mais aussi, à une échelle plus large, les schémas de cohérence territoriale (ScoT), les schémas d’aménagement régional (CE, 25 juin 2003, Société Usine du Marin, B, n° 245518) ou le schéma directeur de la région Ile-de-France (CE, 24 juillet 1981, Association de défense du site de Sonchamp et autres, A, n° 04816-04918, CE, 23 octobre 2015, Commune de Maisons-Laffitte et autres, B, n° 375814-375836-375837-375924-375993-381895-381897) ;

- des actes individuels, correspondant aux différentes « autorisations d’urbanisme », tels que les permis de construire ou de démolir, les arrêtés de non-opposition aux déclarations préalables de travaux, ou encore les permis d’aménager en matière de lotissements ou de zones d’aménagement concerté (ZAC), y compris les refus opposés aux demandes des pétitionnaires (CE, 4 avril 1914, G., A, n° 55125) ;

- certains actes ni réglementaires ni individuels, tels que le classement d’une commune en zone montagne (CE, 9 mars 1984, B. et autre, B, n°s 15784-15786) ou d’une route en voie de grande circulation (CE, 1er juin 2015, Commune de Mareil-le-Guyon, B, n° 368335), ou encore la création d’une zone d’aménagement différé (ZAD) (CE, 26 octobre 2012, Mme C., B, n° 346947).

Le tribunal administratif (ou, dans certains cas, le Conseil d’Etat) peut être saisi directement par un requérant justifiant d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, mais aussi par le voie d’un déféré du préfet, au titre du contrôle de légalité qu’il exerce sur les actes des collectivités locales sur le fondement de l’article 72 de la Constitution. Le juge de l’excès de pouvoir peut également être saisi, par une juridiction de l’ordre judiciaire, d’une question préjudicielle en appréciation de légalité (décret du 27 février 2015).

Comme dans d’autres matières, le contrôle du juge de l’excès de pouvoir porte tant sur la légalité externe de l’acte attaqué, notamment le respect des règles de compétence et de procédure (régularité de l’enquête publique, consistance de l’évaluation environnementale, etc.) que sur sa légalité interne, c’est-à-dire sa conformité aux règles de fond applicables :

- soit dans le cadre d’un contrôle normal ; c’est notamment le cas, en matière de documents d’urbanisme, pour le respect des règles de protection du littoral posées par l’ancien article L. 146-6 du code de l’urbanisme (CE, 20 novembre 1995, Association L’Environnement à Concarneau, A, n° 144817) ;

- soit dans le cadre d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste ; c’est notamment le cas pour l’appréciation d’une éventuelle atteinte au caractère des lieux avoisinants, régie par le règlement national d’urbanisme (CE, Ass., 29 mars 1968, Société du lotissement de la plage de Pampelonne, A, n° 59004) ; le juge peut également être amené à prendre en compte l’éventuelle « marge d’appréciation » de l’autorité administrative, résultant des dispositions d’un plan local d’urbanisme, pour accorder ou refuser une autorisation d’urbanisme (CE, 19 juin 2015, Société Grands magasins de La Samaritaine – Maison Ernest Cognacq et ville de Paris, B, n°s 387061 387768).

En dehors des cas où la voie de l’appel n’est pas ouverte et où le Conseil d’Etat statue en premier et dernier ressort, il peut être relevé appel du jugement du tribunal administratif devant la cour administrative d’appel puis, ultérieurement, il peut être formé pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Conformément à son office, le juge de cassation s’assure de la conformité de l’arrêt à la règle de droit, et même si un contrôle de la qualification juridique des faits est parfois exercé (sur la compatibilité d’un POS avec un schéma directeur, CE, 26 mars 2001, SARL Le Blanc Coulon, A, n° 205629), les faits de l’espèce sont souverainement appréciés par les juges du fond (sur l’atteinte à l’économie générale d’un document d’urbanisme, CE, 21 mai 2008, A., B, n° 293404 ; sur la destination d’une construction, CE, 26 juillet 2011, Commune de Maincy, B, n° 328378).

1-1-2 Les règles de procédure contentieuse spéciales

Si le contentieux administratif de l’urbanisme voit ainsi l’application des règles générales de la procédure administrative contentieuse, certaines particularités procédurales doivent cependant être mentionnées.

Certaines d’entre elles permettent d’assurer un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et de protection des titulaires d’autorisation d’urbanisme et le respect de la légalité, que le droit au recours tend à assurer :

- le déclenchement du délai de recours contre une autorisation d’urbanisme, qui est de deux mois, est subordonné à l’affichage sur le terrain du permis ou de la déclaration préalable (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme) ; cet affichage doit être effectué de telle façon que les mentions qu’il comporte soient lisibles de la voie publique ou, lorsque le terrain n’est pas desservi par une voie publique, depuis une voie privée ouverte à la circulation du public (CE, 27 juillet 2015, V., B, n° 370846) ; il doit également comporter, dans un objectif d’information des tiers, les mentions prescrites par le code de l’urbanisme (CE, 1er juillet 2010, Centre hospitalier de Menton - La Palmosa, B, n° 330702). Quelles qu’aient été les modalités d’affichage de l’autorisation, le délai de recours est, cependant, expiré « à l’expiration d’un délai d’un an à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement » (art. R. 600-3 du même code), ce dont témoigne la déclaration d’achèvement des travaux, prévue par l’article R. 462-1 du code de l’urbanisme (CE, 6 décembre 2013, G., B, n° 358843) ;

- les recours « à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir » doivent, « à peine d’irrecevabilité », être notifiés à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation dans un délai de quinze jours (art. R. 600-1) ; cette formalité vise, « dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours contentieux dirigé contre elle » (CE, Sect., 13 mars 2015, C., A, n° 358577) ; elle implique la notification du texte intégral du recours (CE, Sect., avis, 1er mars 1996, Association Soisy Etiolles environnement, A, n° 175126, CE, 28 novembre 2014, G. et commune de Cachan, B, n° 367968-368108) ; l’obligation de notification ne peut, en revanche, être opposée au bénéficiaire de l’autorisation lui-même (CE, Sect., 13 mars 2015, C., A, n° 358577), et n’est pas davantage opposable lorsque l’affichage sur le terrain n’en faisait pas mention (CE, avis, 19 novembre 2008, Société Sahelac et Juventin, A, n° 317279, CE, 4 novembre 2015, Bordet et Unglas, B, n° 387074) ;

- pour pallier le « risque d’instabilité juridique » (CC, 21 janvier 1994, Loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction, n° 93-335 DC), l'illégalité pour vice de forme ou de procédure de certains documents d’urbanisme comme les SCoT ou les PLU « ne peut être invoquée par voie d'exception, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet du document »  (art. L. 600-1 du code de l’urbanisme); si elle ne peut s’appliquer lorsqu’un recours est pendant contre l’acte (CE, 5 novembre 2014, SCA de Château-l’Arc, B, n° 362021), cette forclusion s’étend en revanche à la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du document, y compris à l’appui d’un recours dirigé directement contre le document d’urbanisme (CE, 23 décembre 2014, Commune de Laffrey, B, n° 368098) ; par ailleurs, le juge administratif limite l’invocabilité de l’exception d’illégalité d’un document d’urbanisme dans d’autres contentieux (CE, Sect., 25 février 2005, Association Préservons l’avenir à Ours Mons Taulhac et autres, A, n° 248060) ;

- enfin, par dérogation au principe de l’économie de moyens, « lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme […], la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier » (art. L. 600-4-1), les autres moyens pouvant être implicitement écartés (CE, Sect., 8 avril 2009, Commune de Banon, A, n° 307515), afin de permettre à l’administration, avant d’envisager le cas échéant de prendre une nouvelle décision, de connaître l’ensemble des illégalités dont était entachée l’autorisation annulée et, par suite, de sécuriser les décisions ultérieures ;

Enfin, deux dernières particularités concernent les conséquences de l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte intervenu en matière d’urbanisme :

- d’une part, l’annulation par le juge administratif d’un SCoT, d’un PLU ou d’une carte communale « a pour effet de remettre en vigueur » le document d’urbanisme « immédiatement antérieur » (art. L. 121-8) ; il en résulte que la légalité des autorisations d’urbanisme s’apprécie sur le fondement de ce document remis en vigueur (CE, Sect., 7 février 2008, Commune de Courbevoie, A, n°s 297227 297229 297230 297231 297232 297233 297234 297235 297236) ; l’annulation d’un document d’urbanisme illégal n’implique donc pas nécessairement l’annulation d’un permis intervenu sur son fondement (16 novembre 2009, Société Les Résidences de Cavalière, B, n° 308623), ce permis pouvant être légal au regard du document d’urbanisme antérieur ainsi remis en vigueur ;

- d’autre part, l’annulation du refus opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme implique qu’un nouveau refus ne peut être opposé à l’intéressé « sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée » (art. L. 600-2 du code de l’urbanisme), comme un plan local d’urbanisme postérieur (16 juillet 2010, SARL Francimo, B, n° 338860), sous réserve de la confirmation par l’intéressé de sa demande (4 mars 2009, Commune de Beaumettes, B, n° 319974) ; le pétitionnaire dont la demande a fait l’objet d’une décision illégale ne peut ainsi se voir opposer des règles adoptées après cette demande initiale ; il conserve donc les bénéfices de l’application des règles anciennes.

1-2 Le juge de l’urgence : une saisine de plus en plus fréquente

Conformément aux règles générales de la procédure administrative contentieuse, le recours pour excès de pouvoir n’a pas de caractère suspensif : ainsi, la saisine du juge administratif ne fait pas obstacle à l’engagement des travaux par le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme attaquée. Garantissant l’intervention du juge à bref délai, les procédures d’urgence, qui permettent notamment d’obtenir la suspension de ces travaux, ont donc connu un important développement ces dernières années.

1-2-1 Les référés de droit commun

Remplaçant l’ancien sursis à exécution (SAE), peu utilisé en matière d’urbanisme en raison de ses conditions strictes de mise en œuvre, les différentes procédures de référé de droit commun créées par la loi du 30 juin 2000 s’avèrent inégalement utilisées :

- le « référé-suspension » (art. L. 521-1 du code de justice administrative) joue un rôle majeur ; il permet au juge administratif des référés de prononcer la suspension de l’exécution d’un acte administratif si deux conditions cumulatives sont réunies : l’existence d’une situation d’urgence, d’une part, et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte, d’autre part ; la condition d’urgence est présumée remplie lorsque la demande de suspension porte sur un permis de construire (CE, 27 juillet 2001, Commune de Tulle, B, n° 230231, CE, 15 juin 2007, A., B, n° 300208), sur un permis d’aménager (CE, 3 juillet 2009, L., B, n° 321634) ou une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux (CE, 25 juillet 2013, SARL Lodge At Val, B, n° 363537), eu égard à leur caractère difficilement réversible ; cette présomption d’urgence peut être renversée lorsqu’un intérêt public s’attache à la réalisation des travaux, tel que la protection des personnes handicapées (CE, 22 mars 2010, S.r, B, n° 324763) ou la sauvegarde d’un monument historique (CE, 28 septembre 2011, SCI 30 rue de Thionville et autres, B, n° 345699-347736)  ;

- en revanche, le « référé-liberté » (art. L. 521-2 du code de justice administrative) joue un rôle mineur en matière d’urbanisme ; en effet, sa mise en œuvre suppose l’existence d’une « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale, alors qu’un permis de construire, par exemple, est accordé sous réserve des droits des tiers et « n’est ainsi susceptible de porter par lui-même aucune atteinte au droit de propriété » (CE, juge des référés, 11 octobre 2001, Commune de Saint-Bauzille-de-Putois, A, n° 238869) ;

- le même constat peut être fait s’agissant du « référé mesures utiles » (art. L. 521-3 du code de justice administrative), qui permet au juge d’ordonner toute mesure utile, même en l’absence de décision administrative préalable ; si le juge des référés peut, à ce titre, enjoindre à un maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction, en cas de poursuite de travaux de construction en dépit d’une ordonnance suspendant le permis de construire (CE, Sect., 6 février 2004, M., A, n° 256719), il lui appartient toujours d’apprécier l’utilité des mesures sollicitées, en prenant notamment en compte l’intervention éventuelle d’un permis modificatif (CE, 27 juillet 2006, Ministre des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer c/ P., B, n° 287836).

1-2-2 L’adaptation des procédures de suspension

Là encore, certaines singularités, destinées à « favoriser l’efficacité du référé-suspension » (H. Jacquot et F. Priet, Droit de l’urbanisme, Dalloz, 7e éd., 2015), peuvent être relevées :

- lorsqu’un référé-suspension est formé contre un permis de construire ou d’aménager, « le juge des référés statue sur cette demande dans un délai d’un mois » (art. L. 600-3 du code de l’urbanisme), même si ce délai n’est pas prescrit à peine d’irrégularité de l’ordonnance de référé (16 juillet 2010, SARL Francimo, B, n° 338860) ;

-lorsqu’une demande de suspension de l’exécution d’un permis de construire ou d’aménager est présentée par le préfet (« déféré-suspension »), la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), « il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît […] propre à créer un doute sérieux » sur la légalité du permis (article L. 2131-6 du CGCT), sans qu’il soit besoin d’établir l’urgence à suspendre (CE, 23 avril 2003, Commune de Roquebrune-Cap-Martin, B, n° 251946, CE, 5 mai 2011, Ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat c/ B., A, n° 336893); si la demande de suspension est présentée par le préfet dans les dix jours à compter de la réception de l’acte,  cette seule demande « entraîne la suspension » de tout acte « en matière d’urbanisme » jusqu’à ce que le juge ait statué, et ce  « dès l’enregistrement de la demande de suspension au greffe du tribunal administratif » (CE, 8 juillet 2011, B., A, n° 342113) ; cette suspension dès l’enregistrement du recours, si elle joue de plein droit lorsque le référé émane du préfet, doit en revanche être demandée par la commune ou l’EPCI qui, le cas échéant, souhaitent en bénéficier (art. L. 600-3 du code de l’urbanisme).

1-3 Le juge de la responsabilité : les préjudices causés par les autorités publiques

Le juge administratif connaît également des recours indemnitaires formés en matière d’urbanisme contre les autorités publiques, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités territoriales. La demande indemnitaire peut notamment être fondée sur une décision prise par un maire agissant en qualité d’agent de l’Etat (CE, 20 juillet 2007, Société Immobart, A, n° 278611), Quand bien même la faute alléguée a été commise à l’occasion de l’instruction de la demande,  seule la responsabilité de l’autorité auteur de l’acte peut être engagée par le pétitionnaire (CE, 9 novembre 2015, V., B, n° 380299).

1-3-1 Les régimes de responsabilité

En matière d’urbanisme, les recours indemnitaires tendent principalement à la mise en œuvre de la responsabilité des autorités en raison des fautes qu’elles ont commises, une faute simple étant suffisante, sauf lorsqu’est en cause l’activité de contrôle exercée par l’Etat (CE, 21 juin 2000, Ministre de l’équipement, des transports et du logement c/ commune de Roquebrune-Cap-Martin, A, n° 202058). Ces fautes correspondent :

- soit à une illégalité, entachant par exemple un permis de construire (30 juin 1976, Volant et ministre de l’équipement, B, n° 96295-00202), un refus de permis de construire (CE, 17 juin 1983, Ministre de l’environnement et du cadre de vie c/ SCI Italie-Vendrezanne, A, n° 27694), un refus de lotir (CE, 12 décembre 2008, Marchand, B, n° 280554)  ou un arrêté interruptif de travaux (CE, 10 juin 1994, Banque nationale de Paris, B, n° 80108), la responsabilité de la collectivité pouvant cependant ne pas être engagée lorsque l’acte illégal était, en réalité, justifié au fond (CE, 20 mars 1985, Commune de Villeneuve-le-Roi, B, n° 33848) ;

- soit à des agissements fautifs, qui peuvent consister en la fourniture de renseignements erronés ou incomplets (CE, 23 octobre 1974, Ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme c/ consorts C. et J., A, n° 92893), en des revirements de l’administration (CE, 26 octobre 1973, SCI Résidence Arcole, A, n° 87909-87910, CE, 16 novembre 1998, Sille, A, n° 175142), en des retards (CE, 27 juillet 1979, B. et ministre de l’équipement, A, n° 06875-06995, CE, 21 octobre 1983, Ministre de l’environnement et du cadre de vie c/ G., A, n° 31728, CE, 26 octobre 1988, Ministre de l’équipement, du logement, de l’aménagement du territoire et des transports c/ SCI Les Moulins d’Hyères, A, n° 79400), en une négligence (CE, 3 novembre 1989, SNC Sanz-Samenayres et autres, B, n° 80974), ou encore en des actions d’obstruction (CE, 24 juillet 1987, Société immobilière de Verneuil-Vernouillet, A, n° 44229, CE, 28 octobre 1987, SCI Résidence Neptune, A, n° 60333).

La mise en œuvre d’autres régimes de responsabilité, en revanche, s’avère relativement rare en matière d’urbanisme :

- la responsabilité contractuelle peut parfois être mise en œuvre au titre des conventions conclues notamment dans le cadre des opérations d’aménagement ou d’endigage (CE, 29 décembre 1997, Société civile des néo-polders, B, n° 146753), ou pour l’instruction par une collectivité d’autorisations d’urbanisme pour le compte d’une autre collectivité (CE, 18 février 2009, Communauté urbaine de Lyon, C, n° 290961), à l’exclusion, en principe, des conventions conclues entre les communes ou EPCI et l’Etat portant mise à disposition des services de l’Etat pour l’instruction des demandes de permis de construire(CE, 27 octobre 2008, Commune de Poilly-lez-Gien, A, n° 297432) ;

- la responsabilité sans faute, fondée sur la rupture d’égalité des administrés devant les charges publiques, peut également trouver à s’appliquer en cas d’inaction de l’administration face à une construction édifiée sans permis (CE, Ass., 20 mars 1974, Ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme c/ N., A, n° 90547), en cas de modifications imposées par l’administration d’un permis régulièrement délivré pour permettre la préservation de vestiges archéologiques (CE, 20 janvier 1989, Ministre de la culture et de la communication c/ SCI Villa Jacob, A, n° 79367-90410).

Par exception au principe ancien de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme légalement instituées (anc. art. L. 160-5, aujourd’hui L. 105-1 du code de l’urbanisme[1]), qui ne revêt pas un caractère général et absolu (CE, 16 juillet 2010, SCI La Saulaie, A, n° 334665), la responsabilité sans faute des collectivités peut être mise en œuvre « s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux » (même art. ; voir par ex. : CE, Sect., 4 mars 1977, Ministre de l’équipement c/ SA Constructions Simottel, A, n° 01822, CE, 19 décembre 2010, Société Ciments Lafarge France, A, n° 30397). Ce régime légal de responsabilité concerne les seules servitudes d’urbanisme (CE, Sect., 29 décembre 2004, Société d’aménagement des coteaux de Saint-Blaine, A, n° 257804). La responsabilité sans faute des personnes publiques peut également être engagée si ces servitudes font supporter au propriétaire « une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi », d’autre part (CE, Sect., 3 juillet 1998, B., A, n° 158592, CE, 2 juillet 1999, Valentini et autres, B, n° 176894).

1-3-2 Les conditions d’engagement de la responsabilité

Si une large étendue de préjudices peut être indemnisée (perte de valeur, hausse de coûts, dommages matériels, frais engagés en vain, etc.), l’engagement de la responsabilité pour faute des autorités publiques suppose l’existence de préjudices certains et directs :

- un préjudice seulement éventuel, qui peut consister par exemple en une perte des loyers qu’aurait rapportés l’immeuble s’il avait été édifié (CE, 12 mars 1986, D., B, n° 55890), ou bien, sauf circonstances particulières, de la perte de bénéfices ou du manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière (CE, 15 avril 2016, Commune de Longueville, B, n° 371274), ne peut être indemnisé ;

- de même, en l’absence de lien direct de causalité, ne peut être indemnisé le préjudice subi par un architecte du fait du refus illégal de permis de construire opposé à l’un de ses clients (CE, 9 décembre 1983, Gillet, A, n° 26445), ou le préjudice subi par l’acquéreur d’un lot d’une zone d’aménagement concerté, résultant de la différence entre le prix d’acquisition de ce lot et la valeur réelle de celui-ci, compte-tenu de l’interdiction de construire résultant de la loi littoral (CE, 28 octobre 2009, Ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer c/ Therme et commune du Rayol-Canadel c/ Therme, B, n° 299753-299779) ; en effet, dans une telle hypothèse, le préjudice trouve son origine directe non pas dans les actes ayant permis l’aménagement de la zone, qui ne conféraient aucun droit à construire, mais dans les contrats de vente passés entre les acquéreurs et l’aménageur de la zone ; en revanche, en l’absence d’intervention d’un aménageur, lorsque l’acquéreur avait, lors de l'acquisition d’une parcelle, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, sur sa constructibilité, le préjudice résultant du caractère finalement inconstructible de la parcelle est directement lié aux illégalités commises par l’administration (CE, 8 avril 2015, Ministre de l'égalité des territoires et du logement c/ Commune de Crozon et Société Masarin, B, n° 367167).

L’attitude de la victime peut constituer une cause d’atténuation, voire d’exonération de la responsabilité de l’autorité publique, comme lorsque le demandeur d’une autorisation d’urbanisme a induit en erreur l’administration (CE, 17 octobre 1973, Mouzin Lizys, A, n° 82740). Pour apprécier cette éventuelle atténuation, le juge administratif tient notamment compte de la complexité du dossier (CE, 9 juillet 1982, Ministre de l’environnement et du cadre de vie c/ société Le Pré du Roi, B, n° 30487), de l’imprudence de la victime (CE, 27 juillet 1979, Blanc et ministre de l’équipement, A, n° 06875-06995, CE, 2 octobre 2002, Ministre de l'équipement, des transports et du logement c/ G., B, n° 232720 et, a contrario, CE, 17 juillet 2001, Société européenne nouvelle d’achat immobilier, B, n° 212050)  ou de son éventuelle qualité de professionnel de l’immobilier (CE, 7 mai 2007, Société immobilière de la banque de Bilbao et de Viscaya d’Ilbarritz, C, n° 282311).

Par ailleurs, le juge, pour déterminer le montant du préjudice indemnisable, doit tenir compte des « avantages financiers de toute nature dont l’intéressé a pu bénéficier » du fait de la faute de l’administration (CE, Sect., 25 juin 1971, Ministre de l’équipement et du logement c/ B., A, n° 80473), ou des bénéfices retirés de l’existence d’une construction irrégulière (CE, 5 octobre 1988, SCI Les Trois Roses, A, 53511).

2- Vers un nouvel équilibre entre construction et recours contentieux

Afin d’atteindre le meilleur équilibre entre développement de la construction et droit au recours, garant du respect de la légalité, les évolutions législatives, réglementaires et jurisprudentielles traduisent une triple préoccupation de réduction des délais de jugement, de lutte contre les recours malveillants ou abusifs, et de rénovation de l’office du juge de l’excès de pouvoir en matière d’urbanisme.

2-1 L’effort de raccourcissement des délais de jugement

Si l’effort de réduction des délais de jugement constitue une préoccupation ancienne du juge administratif, le rapport du groupe de travail présidé par D. Labetoulle a mis en évidence l’allongement de certaines procédures contentieuses, alors qu’il « est de fait que l’introduction d’un recours contentieux suffit, dans la généralité des cas, à faire obstacle, tant que le litige n’est pas (définitivement) tranché, à l’exécution des travaux », et ce malgré le caractère non suspensif du recours pour excès de pouvoir. Suite à ce rapport, deux mesures d’inégale portée ont été mises en œuvre.

2-1-1 La dispense temporaire d’appel

La voie de l’appel n’est plus ouverte aux « recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement », lorsque la bâtiment ou le lotissement est implanté dans une commune où s’applique la taxe sur les logements vacants (art. R. 811-1-1 du code de justice administrative).

Cette dispense d’appel, qui revêt un caractère temporaire et s’applique aux seuls recours « introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018 » (CE, 16 mars 2016, Société Capcity, C, n° 389160), a « pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements » (CE, 23 décembre 2014, Syndicat de la juridiction administrative et autre, C, n°s 373469 373608 373651 373658).

Par ailleurs, si cette même dispense concerne également les déférés préfectoraux (CE, 29 décembre 2014, SCI Mica, B, n° 375744), au regard des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, un permis concernant une résidence hôtelière de tourisme (CE, 29 décembre 2014, Commune de Poussan, C, n° 385051), une tente démontable (CE, 9 octobre 2015, Virchien, B, n° 393032), ou encore un refus d’autorisation (25 novembre 2015, Commune de Montreuil et SCI La Capsulerie, B, n° 390370-390371) n’entrent pas dans son champ d’application.

2-1-2 La cristallisation des moyens

Une procédure de « cristallisation des moyens » est instituée, face à la pratique consistant, pour les auteurs de recours contentieux en matière d’urbanisme, « à égrener les moyens qu’ils invoquent […] au fil des mois, plutôt que d’en faire sinon d’emblée, du moins rapidement, la présentation complète » (rapport du groupe de travail présidé par D. Labetoulle). Désormais, à la demande d’une partie, le juge saisi d’un « recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués » (art. R. 600-4 du code de l’urbanisme).

Cette faculté ouverte au juge est assortie de garanties, dès lors que la décision du juge doit être « communiquée à l’ensemble des parties […], avec l’indication explicite du délai au-delà duquel des moyens nouveaux ne pourront plus être introduits » (CE, 23 décembre 2014, Syndicat de la juridiction administrative et autre, C, n°s 373469 373608 373651 373658).

2-2 La lutte contre les recours malveillants ou abusifs

Si l’article R. 741-12 du code de justice administrative permet de longue date au juge de prononcer une amende pour recours abusif (CE, 23 janvier 2008, Mazo, B, n° 308591), le groupe de travail présidé par D. Labetoulle a relevé que, en matière d’urbanisme, « la très large et très nécessaire ouverture du prétoire du juge du permis n’[était], en l’état, pas tempérée par des mécanismes permettant de contenir les éventuels abus dans l’exercice du droit d’ester en justice ».

En écho à ce constat, l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme a introduit de nouveaux outils visant à limiter les recours malveillants ou abusifs.

2-2-1 La définition de l’intérêt donnant qualité pour agir

L’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme précise les critères permettant de déterminer l’existence d’un intérêt donnant qualité pour agir : « une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire […] ».

Ces dispositions, qui s’appliquent aux recours introduits après leur entrée en vigueur (CE, avis, 18 juin 2014, SCI Mounou et autres, A, n° 376113), impliquent, d’une part, que le requérant précise « l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » et, d’autre part, que le défendeur, apporte « tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité », ce qui permet ensuite au juge de l’excès de pouvoir « de former sa conviction […] au vu des éléments ainsi versés au dossier […], en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque » (CE, 10 juin 2015, Brodelle et Gino, A, n° 386121). Le Conseil d’Etat a néanmoins admis qu’eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie en principe d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction (CE, 13 avril 2016, M. B., n° 389798).

Parallèlement,l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme précise désormais qu’en la matière l’intérêt donnant qualité pour agir s’apprécie « sauf […] circonstances particulières, […] à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire », alors que pareil intérêt s’apprécie habituellement à la date d’introduction du recours (CE, 30 décembre 2002, Société Cottage Wood, B, n° 249860).

De même, l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme subordonne depuis 2006 l’intérêt pour agir des associations contre les « décisions relatives à l’occupation ou l’utilisation des sols » à la condition que leurs statuts aient été déposés antérieurement à l’affichage de la demande du pétitionnaire (CE, 11 juillet 2008, Association des amis des paysages bourganiauds, B, n° 313386, CC, 17 juin 2011, Association Vivraviry, n° 2011-138 QPC).

2-2-2 Les conclusions reconventionnelles et les transactions

Par exception au principe selon lequel des conclusions reconventionnelles ne peuvent être présentées dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 24 novembre 1967, N., A, n° 66271), l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, qui s’est appliqué aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur (CE, avis, 18 juin 2014, SCI Mounou et autres, A, n° 376113), précise désormais que « lorsque le droit de former un recours […] contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander […] au juge administratif […] de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts ».

Si la demande peut être présentée en appel, elle ne peut l’être pour la première fois en cassation (CE, 3 juillet 2015, Syndicat des copropriétaires La Parade collectif, B, n° 371433). Elle constitue une alternative à l’action en responsabilité civile pour abus du droit d’agir en justice, ouverte devant l’autorité judiciaire (Cass. Civ.  3e, 5 juin 2012, Société Finaréal c/ Société Eiffage immobilier Azur, n° 11-17.919), voire à l’action pénale pour escroquerie (Cass. Crim., 22 janvier 2014, Germain et autres c/ SCI Bercy village et autres, n° 12-88.042).

Enfin, l’article L. 600-8 du même code encadre le régime des transactions par lesquelles il est mis fin à l’instance ; « toute transaction par laquelle une personne ayant demandé (…) l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d'une somme d'argent ou de l'octroi d'un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l'article 635 du code général des impôts » ; en l’absence d’enregistrement, « la contrepartie prévue (…) est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition ».

2-3 L’office renouvelé du juge de l’excès de pouvoir

Plusieurs évolutions, d’origine tant législative et réglementaire que jurisprudentielle, traduisent également une extension de l’office du juge de l’excès de pouvoir en matière d’urbanisme, dans un objectif de sécurisation des documents et autorisations.

2-3-1 L’annulation partielle et la divisibilité

Le juge administratif dispose, en matière d’urbanisme, de possibilités étendues d’annulation partielle de l’acte attaqué (art. L. 600-5 et L. 600-9 du code de l’urbanisme).

L’annulation partielle peut, de manière générale, être prononcée lorsque les éléments d’un projet de construction ou d’aménagement ont une vocation fonctionnelle autonome, si bien qu’ils auraient pu faire l’objet d’autorisations distinctes et sont donc divisibles (CE, avis, 1er mars 2013, F. et autres, A, n° 350306, CE, 15 mai 2013, Société civile de construction et de vente Le Clos de bonne brise, C, n° 341235), ce qui est apprécié souverainement par les juges du fond (CE, 6 novembre 2006, Association préservation des paysages exceptionnels du Mézenc et autres, B, n° 281072).

En dehors de cette hypothèse, l’article L. 600-5 permet au juge de prononcer une annulation partielle même en cas d’invisibilité des éléments du projet (CE, avis, 1er mars 2013, F. et autres, A, n° 350306) : lorsqu’il constate « qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif », le juge administratif peut « limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation ». Il importe seulement que l’illégalité affecte une partie identifiable du projet (même avis), susceptible de faire l’objet d’un permis modificatif, sans nécessairement qu’elle soit matériellement détachable du reste du projet (CE, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, A, n° 374338). Un tel permis modificatif ne peut régulariser un vice que si les travaux ne sont pas achevés (même décision) et si les modifications conservent un caractère limité et ne remettent pas en cause, par leur nature ou leur ampleur, la conception générale des constructions (même décision).

Dans ce cadre, le « vice n’affectant qu’une partie du projet » peut, par exemple, correspondre à la violation d’un règlement imposant des obligations en matière de création de places de stationnement (CE, 23 février 2011, SNC Hôtel de la Bretonnerie, B, n° 325179), à une illégalité affectant l’implantation, les dimensions ou l’apparence du projet (CE, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, A, n° 374338, CE, 30 décembre 2015, SCI Riviera Beauvert, C, n° 375276), ou encore à une illégalité externe (CE, 27 novembre 2013, Association Bois-Guillaume Réflexion, B, n° 358765). Il ne peut correspondre, en revanche, à une illégalité viciant un permis de construire dans son entier (CE, 9 avril 2014, Commune de Saint-Martin-le-Vinoux, B, n° 338363) ou à une illégalité affectant un refus de permis (CE, 5 novembre 2014, Commune de Fuveau, C, n° 362100).

L’article L. 600-5 ouvre au juge une faculté, qui n’est par ailleurs pas subordonnée à la présentation par une partie de conclusions en ce sens (CE, 15 octobre 2014, SCI des Fins et commune d’Annecy, B, n°s 359175 359182). En s’abstenant d’en faire usage, les juges du fond se livrent à une appréciation qui échappe au contrôle du juge de cassation (même décision).

De manière similaire, s’agissant des recours dirigés contre un SCoT, un PLU ou une carte communale, l’article L. 600-9 dispose désormais que, « si […] le juge administratif estime que le vice […] affecte notamment un plan de secteur, le programme d'orientations et d'actions du plan local d'urbanisme ou les dispositions relatives à l'habitat ou aux transports et déplacements des orientations d'aménagement et de programmation, il peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce ».

Cette conception étendue de la divisibilité a par ailleurs conduit le juge administratif à adopter une nouvelle approche de la divisibilité des prescriptions pouvant assortir une autorisation d’urbanisme.

Revenant sur une solution antérieure (CE, Sect., 12 octobre 1962, Ministre de la construction c/ Compagnie immobilière de la région parisienne, A, n° 55655), il admet que le titulaire d’une autorisation d’urbanisme est recevable à demander l’annulation d’une ou de plusieurs prescriptions dont celle-ci est assortie. Le juge peut annuler ces prescriptions, lorsqu'elles sont illégales, s'il résulte de l'instruction que l’annulation n'est pas susceptible de remettre en cause la légalité de l'autorisation d'urbanisme et qu'ainsi ces prescriptions ne forment pas avec elle un ensemble indivisible (CE, Sect., 13 mars 2015, Ciaudo, A, n° 358677).

2-3-2 Le sursis à statuer

Le juge administratif dispose enfin de possibilités de sursis à statuer dans l’attente d’une régularisation de l’acte attaqué (art. L. 600-5-1 et L. 600-9 du code de l’urbanisme).

L’article L. 600-5-1 permet au juge, lorsqu’il constate qu’un vice entraînant l’illégalité d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif, de surseoir à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe. Avant de surseoir à statuer, le juge doit avoir constaté préalablement qu’aucun des autres moyens soulevés n’est fondé (CE, avis, 18 juin 2014, Société Batimalo et autre, A, n° 376760). A compter du sursis à statuer, seuls des moyens dirigés contre le permis modificatif peuvent être invoqués (même avis). Cette faculté de surseoir à statuer, en revanche, n’est pas ouverte au juge des référés (CE, 22 mai 2015, SCI Paolina, B, n° 385183).

Parallèlement, l’article L. 600-9 dispose que, sous certaines réserves, « si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale, un plan local d'urbanisme ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'une illégalité entachant l'élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d'être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d'urbanisme reste applicable ».

 

[1] « N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code […] et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties […], l'interdiction de construire […], la répartition des immeubles […] »