La procédure régissant la contestation des décisions prises par l’administration fiscale présente de nombreuses originalités, qui tiennent d’abord à son caractère principalement non juridictionnel : le filtre de la réclamation contentieuse préalable permet en effet de régler les litiges dans plus de 99% des cas (source DGFIP). Dans les très rares cas où une phase juridictionnelle s’ouvre malgré tout, la procédure suivie présente elle aussi de nombreuses spécificités.
Elle obéit d’abord à une répartition des compétences peu commune entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Le juge administratif n'a en effet pas le monopole du règlement des litiges fiscaux. Outre le fait que c’est le juge pénal qui est en charge de réprimer le délit de fraude fiscale (article 1741 du code général des impôts – CGI), le juge judiciaire est également compétent pour trancher les contestations relatives aux contributions indirectes et assimilées (droits d'enregistrement, taxe de publicité foncière, ISF…), ainsi que pour résoudre les questions préjudicielles soulevées par l'assiette de l'impôt direct, telles les questions d'état des personnes ou de propriété (CE, 9 mars 1998, n° 129308, Ministre du budget c/ Queinnec, T.).
Dans ce cadre, le juge administratif peut être saisi d’une grande diversité d’opérations fiscales, sa compétence étant fonction de la nature de l’impôt et de l’acte contesté. Le contentieux fiscal est en effet traditionnellement subdivisé en deux branches, selon que le litige porte sur les opérations d'assiette ou de liquidation -c’est le contentieux le plus important au regard du volume des affaires dont a à connaître la juridiction administrative- ou sur les opérations de recouvrement. Ces deux contentieux, que l'on peut qualifier de classiques, n'épuisent pourtant pas la compétence fiscale du juge administratif. Il lui appartient également de connaître des recours en annulation formés contre des textes ou des décisions à caractère fiscal, tout comme des actions mettant en jeu la responsabilité de l'État à raison du fonctionnement des services fiscaux.
Les règles de procédure elles-mêmes sont parfois spécifiques, permettant un juste équilibre entre la nécessité pour les finances publiques de voir l’impôt dû acquitté et des garanties accrues pour les contribuables, qui bénéficient d’un régime procédural plus favorable que les justiciables ordinaires.
1- La compétence et l’office du juge administratif dans le contentieux de l’établissement de l’impôt sont très étendus.
1-1 La compétence du juge administratif dans le contentieux de l’établissement de l’impôt
1-1-1 La répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire
La matière fiscale est au cœur de l’action unilatérale de l’Etat et constitue l’une des voies privilégiées de l’exercice des prérogatives de puissance publique ; aussi, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 (DC n°86-224 du 23 janvier 1987, « Conseil de la concurrence »), la compétence du juge administratif comme juge de l’impôt devrait être le principe.
Pourtant, si la loi du 28 pluviôse an VIII a attribué aux ancêtres des tribunaux administratifs les litiges portant sur les contributions directes, le juge judiciaire s’est vu octroyer la compétence pour statuer sur certains litiges fiscaux : ainsi, la loi des 7 et 11 septembre 1790 lui a-t-elle confié le soin de régler les litiges relatifs aux impôts indirects, auxquels se sont ajoutés les litiges en matière de droits d’enregistrement, puis, durant la période contemporaine, les litiges relatifs à l'impôt de solidarité sur la fortune, à la publicité foncière et aux taxes qui y sont assimilées (article L. 199 du livre des procédures fiscales et article 885 D du code général des impôts).
En vertu de l’article L. 199 du livre des procédures fiscales, le juge administratif est, quant à lui, chargé de régler les contestations en matière d'impôt direct et de taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, et a ainsi à connaître de très nombreux impôts :
- impôt sur le revenu ;
- impôt sur les sociétés ;
- taxe sur la valeur ajoutée
- et impôts locaux directs que sont notamment la taxe d’habitation ,la taxe foncière et la contribution économique territoriale .
Il est ainsi en charge de traiter environ 90 % du volume du contentieux fiscal.
1-1-2 La répartition des compétences au sein de la juridiction administrative
Lorsque c’est l’ordre juridictionnel administratif qui est compétent, les règles de répartition des compétences en son sein s’appliquent. Les tribunaux administratifs sont ainsi les juges de droit commun en premier ressort dans le cadre du contentieux relatif aux impôts directs, aux taxes sur le chiffre d'affaires et aux taxes assimilées.
Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en appel des recours formés contre les jugements rendus par les tribunaux administratifs en premier ressortet le Conseil d'Etatest juge de cassation des décisions rendues par les cours administratives d'appel.
Les tribunaux administratifs statuent toutefois en premier et dernier ressort sur les recours de plein contentieux fiscal relatifs aux impôts locaux autres que la contribution économique territoriale. Ces litiges sont donc dispensés d’appel et les pourvois dirigés contre les jugements intervenus en ces matières sont portés devant le Conseil d’Etat.
Au sein des Tribunaux administratifs, l’article R. 222-13 du CJA prévoit que certains litiges relatifs aux impôts locaux et à la contribution à l’audiovisuel public, qui ne présentent pas de difficultés particulières, relèvent en principe en première instance de la compétence du juge unique (v. par ex., pour la taxe foncière : CE, 27 juillet 2005, Société Lepicard, n° 280560, Rec. ; CE, 9 novembre 2005, M. D. , n° 269670, T. ; pour la contribution due par les propriétaires pour défaut de réalisation des travaux de raccordement au réseau d’assainissement : CE, 5 février 2009, Syndicat Mixte Assainissement et Transport Urbains du Verdunois, n° 306045, T.) ce qui n’exclut pas le renvoi en formation collégiale à raison de la complexité du dossier.
Il faut noter également l’existence d’une formation ad hoc au Conseil d’Etat : pour statuer sur des questions de principe, à la fois complexes et techniques, les 4 chambres du Conseil d’Etat spécialisées en matière fiscale peuvent siéger ensemble en formation « plénière » (article R. 122-15 du code de justice administrative).
1-2 Les règles particulières de recevabilité
1-2-1 Le caractère obligatoire du recours administratif
En vertu de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales (ci-après LPF), le contribuable est tenu, avant de saisir le juge de l’impôt et à peine d’irrecevabilité de son recours, de saisir l’administration fiscale d’une réclamation, qui tend à obtenir soit la décharge de l’impôt contesté, soit sa réduction.
Cette réclamation préalable est distincte de la demande gracieuse prévue par les dispositions de l’article L. 247 du LPF et par laquelle peut être sollicitée la remise, totale ou partielle, d'impôts directs régulièrement établis, “lorsque le contribuable est dans l'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence”, la remise, totale ou partielle, de pénalités définitives (majorations d'impôts, amendes fiscales) ou une transaction portant atténuation de pénalités non encore définitives.
Elle revêt un caractère précontentieux, constituant le point de départ du litige fiscal, et est soumise à des conditions de forme et de délai pour pouvoir être instruite par l'administration fiscale (art. R. 197-3 du LPF), notamment :
- L'introduction de la réclamation par le contribuable ne suspend pas l'obligation qu'il a d'acquitter l'impôt. Pour y échapper, le contribuable doit expressément solliciter dans sa réclamation préalable le sursis de paiement de son imposition, dans les conditions prévues à l’article L. 277 du LPF.
- Les délais de réclamation sont prévus aux articles R. 196-1 et suivants du LPF. Ils se caractérisent par leur diversité et varient entre un et quatre an(s).
L’administration dispose d'un délai de 6 mois pour instruire et statuer sur la réclamation. Elle peut, à la condition d'en informer le contribuable avant l'expiration de ce délai, s'octroyer un délai supplémentaire qui ne peut toutefois pas excéder trois mois (article R. 198-10 du LPF). Elle se trouve en outre dans l’obligation de motiver, à l’issue de ce délai prolongé ou non, toute décision de rejet, total ou partiel. Une décision insuffisamment motivée ne fait pas courir le délai de saisine du juge, lequel peut dès lors être saisi à tout moment par le contribuable (CE, Section, 9 févr. 1979, Beudet, n° 5060, Rec.).
Cette réclamation va fixer l’étendue du litige fiscal. En vertu de l’article R. 200-2 du livre des procédures fiscales, le contribuable ne pourra plus contester devant le tribunal d’autres impositions que celles qu’il a soumises à l’administration dans sa réclamation préalable.
1-2-2 L’intérêt à agir du contribuable
L’intérêt à agir des requérants apparaît dans le contentieux fiscal plus strictement délimité que dans les autres contentieux, la recevabilité étant déterminée par la qualité de redevable de l’impôt. Les articles L. 190 et R. 190-1 du livre des procédures fiscales prévoient que c’est au contribuable qu’il appartient de faire une réclamation d’assiette pour contester l’impôt qui le concerne.
Ne sont ainsi pas recevables, des tiers qui, bien que non redevables de l’impôt, sont dans une situation où ce dernier ne leur est pas totalement étranger : ainsi par exemple du dirigeant d’une société qui n'a pas été déclaré redevable d'impositions solidairement avec la société qu’il dirige (CE, 12 mars 2012, R., n°s 342357 et 342358, T. ; CE, 20 décembre 2013, Ministre de l’économie et des finances c./ M. Neang Chin, n °362711, T.), ou du client d’une entreprise qui lui a appliqué le taux normal de TVA et entend obtenir le bénéfice du taux réduit (CE, 19 février 2014, M. G., n° 358719, T.).
Par exception, les tiers qui sont tenus solidairement au paiement de l’impôt (par ex., s’agissant du dirigeant d’une société déclaré solidaire du paiement d’une partie des impositions mises à la charge de cette société : CE, 12 mars 2012, R., n°s 342357 et 342358, T. déjà cité ; de l’associé d’une SCI de construction-vente : CE, 4 novembre 1985, Barbaste, n° 37412, Rec. ; pour une solidarité décidée par le juge pénal en cas de condamnation pour fraude fiscale : CE, 13 juillet 2011, M., n° 346743, T.) ou qui ont été mandatés à cette fin par le redevable se voient reconnaître la possibilité de saisir le juge de l’impôt. De même, le Conseil d’Etat a-t-il admis que la personne qui s’est portée caution pour le paiement d’une dette fiscale est recevable à demander la décharge de l’imposition (CE, 17 décembre 2014, Société civile immobilière 22 rue du bœuf, n° 366882, Rec.).
1-3 L’office du juge de l’impôt
1-3-1 Un juge de plein contentieux
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 190 du LPF : « Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire ». Lorsque le juge administratif est saisi d’un litige fiscal, son office consiste donc à déterminer si l’acte administratif sur lequel repose l’imposition et qui rend exigible une créance de l’administration sur un contribuable est conforme aux dispositions de la loi fiscale en vigueur lors de son édiction.
Toutefois, le contentieux de l’impôt n’est pas un contentieux de l’excès de pouvoir qui conduirait le juge à ne pouvoir qu’annuler la décision litigieuse : le juge de l’impôt peut lui même prononcer la décharge de l’imposition, ou sa réduction, voire permettre au contribuable de bénéficier d’un droit à déduction. Il s’agit donc d’un contentieux dit de « pleine juridiction » dans lequel le juge peut annuler mais également réformer la décision de l’administration fiscale, en se substituant à cette dernière, les recours en matière fiscale relevant « par nature » du plein contentieux (CE, Sect., 29 juin 1962, Société des aciéries de Pompey, Rec.) Il ne peut ainsi, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se borner à annuler la décision de l’administration fiscale et renvoyer le requérant devant l’administration pour qu'elle tire les conséquences de cette annulation (CE, 7 juin 1978, min. de l’économie et des finances c/ Sieur X, n° 7485, Inédit). Mais il ne lui appartient que de trancher le litige qui lui est soumis : ainsi, et très classiquement, il ne peut d’office statuer sur des conclusions qui ne lui ont pas été soumises, en accordant par exemple une décharge alors que seule une réduction lui était demandée (CE, 9 novembre 1977, Société des vins de Figari, n°4522, T. ; CE, 26 avril 1989, Ministre de l’économie des finances et du budget c. Beux Prère, n° 57059, Inédit).
Le cas échéant, le juge de l’impôt peut être amené à prononcer des non-lieux à statuer, y compris partiels, dès lors qu’il n’est pas rare que l’administration fiscale opère un dégrèvement de l’impôt litigieux en cours d’instance.
Enfin, deux mécanismes particuliers peuvent être mis en œuvre par le juge administratif de l’impôt, permettant à l’administration de redresser ses erreurs.
Il est ainsi possible pour le juge de l’impôt, comme dans le reste du contentieux administratif de procéder à une substitution de base légale, à tout moment de la procédure, y compris pour la première fois devant le juge d’appel (CE, 20 juin 2007, SA Ferette, n° 290554, T.) ou à une substitution de motifs (CE, 1er décembre 2004, Ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie c/ Sté Vecteur, n° 259104, inédite au Recueil). Ainsi, un bénéfice initialement taxé de manière erronée en tant que bénéfice non commercial peut alors être taxé en tant que bénéfice commercial, en se basant sur les dispositions régissant ces bénéfices, qui lui sont applicables (CE, 17 mai 1985, Bergeret, n° 40085, T.).
Des conditions sont toutefois posées pour encadrer la possibilité de procéder à une substitution de base légale ou de motifs. Elles ne sont en effet possibles que si le contribuable a pu bénéficier de l’ensemble des garanties de procédure attachées à la nouvelle base légale invoquée par l’administration (SA Ferette, cité supra), telle que par exemple la consultation de la commission départementale des impôts (CE, 30 décembre 2009, Soc. Bonduelle Conserve International, n° 304516, T.), et qu’après avoir été soumises au débat contradictoire.
Ces deux mécanismes ne peuvent par ailleurs être mis en œuvre que sur demande expresse de l’administration. Ainsi, contrairement à ce qui lui est permis en contentieux administratif général s’agissant de la substitution de base légale, le juge de l’impôt ne peut y procéder d’office (CE, Section, 21 mars 1975, Ministre des finances c/ Sieur X, n° 85496, Rec. ; 10 mai 2012, M. et Mme C., n° 355897, T.)
Enfin, il convient de noter que tout vice de procédure n’est pas de nature à entraîner la décharge des impositions. Transposant sa décision d’assemblée du 23 décembre 2011 (M. D., n° 335033, Rec.) au contentieux fiscal, le Conseil d’Etat a jugé qu’une irrégularité affectant la procédure d’imposition peut rester sans conséquence sur le bien-fondé de l’imposition lorsque cette irrégularité n’a pas privé le contribuable d’une garantie et, partant, n'a pas pu avoir d'influence sur la décision de redressement (CE, Section, 16 avril 2012, M. et Mme M., n° 320912, Rec. ; CE, 17 mars 2016, Ministère des finances et des comptes publics c/ M. M., n°381908). Ainsi, si l’administration s’est fondée sur des éléments de comparaison issus de données chiffrées provenant d’autres entreprises, elle doit motiver la proposition de rectification, cette obligation de motivation constituant une garantie pour l’entreprise contribuable (CE, 4 février 2013, M. P., n° 336592, T.), dont l’omission entraîne l’irrégularité de la procédure d’imposition et donc la décharge des impositions. En revanche, si l’administration fiscale n’a pas répondu aux observations du contribuable, ce qui est susceptible de priver celui-ci de la garantie de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, encore faut-il, pour que ce défaut de réponse ait une incidence, que le redressement en cause relève de la compétence de cette commission ; à défaut, le contribuable n’est privé d’aucune garantie (CE, 11 avril 2014, M. H., n° 349719, Rec.).
1-3-2 La charge de la preuve devant le juge de l’impôt
Le contentieux administratif est un contentieux inquisitorial, qui repose sur une dialectique de la preuve objective. Ainsi, s’il incombe à chaque partie de prouver la réalité de ses allégations, le juge administratif forge sa conviction non seulement au regard des pièces que les parties lui produisent mais également en demandant tout document « susceptible d’établir sa conviction et de nature à permettre la vérification des allégations du requérant » (CE, Section, 1er mai 1936, Couespel du Mesnil, Rec.). Le caractère inquisitorial de la procédure devant le juge administratif, qui dirige l’instruction (CE, Section, 27 février 2004, Préfet des Pyrénées orientales, n° 252988, Rec.) vise à « remédier à l’inégalité des armes entre les parties » (M. Guyomar, B. Seiller, Contentieux administratif, 2010, Dalloz, Paris, p. 252).
Si le contentieux fiscal ne fait pas exception à ce système de charge de la preuve mêlant dialectique de la preuve objective et pouvoirs d’instruction du juge administratif, il est toutefois également le terrain d’élection des questions d’attribution de preuve.
En effet, « les règles de dévolution de la charge de la preuve et d’établissement de la preuve revêtent une importance particulière »[1] dans ce contentieux. Selon la partie à laquelle il incombe de prouver la réalité de ses allégations, administration ou contribuable, les mêmes faits peuvent ainsi donner lieu à une décharge dans un cas et au rejet du recours dans un autre (par ex. : CE, 4 mars 1987, SARL « la Poterne 21 », n° 67874 ; et même jour, Herscovici, n° 66841, inédites).
Les principes de dévolution de la preuve peuvent être présentés schématiquement comme suit (V. CE, Section, 20 juin 2003, Société Etablissements Lebreton - Comptoirs général de peintures et annexes, n° 232832, Rec.) :
- En premier lieu, ces règles dépendent de la procédure d’imposition suivie. Ainsi, si l’impôt contesté a été établi conformément à la déclaration du contribuable, c’est à ce dernier qu’il incombe de prouver que sa propre déclaration n’était pas exacte ; à l’inverse, lorsque l’administration rectifie les bases d’imposition, c’est à elle qu’il revient d’établir le bien-fondé de la rectification, sauf si le contribuable ne les a pas remises en cause dans le délai de trente jours qui lui était imparti pour ce faire (art. R. 194-1 du livre des procédures fiscales) ;
- En deuxième lieu, dès lors que certaines pièces ne sont entre les mains que d’une seule partie, il est de bon sens de faire peser sur elle la charge de les produire, et ce quelle que soit la procédure d’imposition suivie (ainsi de la preuve de l’exactitude des écritures comptables, qui ne peut reposer que sur le contribuable : CE, 27 juillet 1984, SA Renfort Service, n° 34588, Rec.) ;
- Enfin, certaines règles de preuve spécifiques ont été prévues par le législateur : ainsi, la charge de la preuve repose toujours sur le contribuable lorsqu’il fait l’objet d’une imposition d’office (art. L. 193 du livre des procédures fiscales) ou que sa comptabilité comporte de graves irrégularités et que l’imposition est établie conformément à l’avis de la commission départementale des impôts (Art. L. 192 du LPF). En revanche, la charge de la preuve pèse toujours sur l’administration lorsqu’elle entend infliger une pénalité (art. L. 195 du même livre).
1-3-3 Renvois préjudiciels et questions prioritaires de constitutionnalité
Le juge de l’impôt, qu’il soit administratif ou judiciaire, est investi de la plénitude de compétence, qui lui permet de régler lui-même des questions qui relèveraient normalement de la compétence de l’autre ordre de juridiction. Sa compétence est toutefois limitée s’agissant, d’une part, de l’interprétation et de l’appréciation de validité des actes du droit de l’Union européenne et, d’autre part, de celle de la constitutionnalité des lois.
L’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne impose aux juridictions des Etats membres de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne toute question en appréciation de validité d’un acte du droit de l’Union européenne, sauf à ce que « l’application du droit [de l’Union] s’impose avec une évidence telle qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre la question posée » (CJCE, 6 octobre 1982, Société CILFIT, aff. 283/81, Rec. p. I-3415), toute question en interprétation de ce droit.
De nombreuses questions de compatibilité de loi fiscale aux principes de non-discrimination, aux libertés de circulation des capitaux ou d’établissement garantis par le droit de l’Union européenne ont ainsi été soumises au juge administratif français. Celui-ci n’hésite pas à renvoyer ces questions au juge européen de Luxembourg, notamment à raison de la complexité des règles en matière de TVA (par ex., pour la détermination des opérations imposables : CE, 9 décembre 2015, Ordre des avocats de Paris, n° 386143, inédite ; ou s’agissant de déterminer l’Etat qui perçoit cette taxe en cas d’opérations transfrontalières : CE, 9 février 2000, Syndicat des producteurs indépendants, n° 203425, T.). Ainsi, sur les 20 questions préjudicielles renvoyées par la juridiction administrative française à la Cour de justice de l’union européenne et qui sont aujourd’hui pendantes, 6 concernent la matière fiscale.
Par ailleurs, les contribuables entendant obtenir la décharge de leurs impositions ont su pleinement tirer profit de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité créée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. L’article 61-1 de la Constitution offre depuis dix ans la possibilité de soulever, par voie d’exception, c’est-à-dire à l’occasion d’un litige soumis à une juridiction, administrative comme judiciaire, un moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi. Un grand nombre de questions prioritaires de constitutionnalité ont été transmises au Conseil d’Etat (soit qu’elles l’ont été par les TA ou CAA soit qu’elles ont été posées directement au Conseil d’Etat) en matière fiscale. Lorsqu’elles revêtaient un caractère sérieux, elles ont été transmises au Conseil constitutionnel qui a ainsi pu se prononcer sur le respect de droits et libertés constitutionnellement garantis très divers auxquels le législateur a pu porter atteinte, directement ou par incompétence négative (CC, 18 juin 2010, SCI Kimberly Clark, n°2010-5 QPC) :
- Le droit à un recours effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (CC, 28 mars 2013, SARL Majestic Champagne, n° 2012-298 QPC) ;
- Le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et celui de proportionnalité des délits et des peines consacrés par l’article 8 de la DDHC (CC, 7 mars 2014, n° 2013-371 QPC)
- Le principe d’égalité devant les charges publiques, consacré à l’article 13 de la DDHC (CC, 21 janvier 2011, Mme B., n° 2010-88 QPC ; CC, 20 janvier 2015, Afep, n° 2014-437 QPC), qui s’oppose au caractère confiscatoire de l’impôt ;
- Le principe d’égalité devant la loi protégé par l’article 6 de la DDHC (CC, 6 juin 2014, Société Orange SA, n° 2014-400 QPC ; CC, 20 juin 2014, M. et Mme M., n° 2014-404 QPC) ;
- Ou le droit de propriété protégé par l’article 2 de la DDHC et les garanties fondamentales attachées son exercice (CC, 18 juin 2010, n°2010-5 QPC).
2- Une intervention plus marginale dans les autres types de contentieux en matière fiscale
2-1 Le contentieux du recouvrement
Les litiges fiscaux ne sont pas uniquement liés à l’établissement de celui-ci et au calcul de son assiette ou sa liquidation : le recouvrement de l’impôt génère également du contentieux, qui obéit à des règles spécifiques. Cette branche du contentieux fiscal est toutefois peu abondante : dans 98% des cas, les contribuables paient les impositions mises à leur charge dans les délais (source : Cour des comptes).
2-1-1 La répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire
Lorsqu’un contribuable ne s’est pas acquitté de sa dette fiscale dans les délais, l’administration peut procéder au recouvrement forcé de l’impôt. Elle dispose ainsi de prérogatives spéciales, en particulier d’un privilège sur les meubles du contribuable qui prime sur les privilèges prévus par les dispositions de l’article 1920 du Code civil lorsque plusieurs créanciers se retournent contre un même débiteur. En outre, en vertu des dispositions de l’article 1929 ter du CGI, l’administration bénéficie d'une hypothèque légale sur les biens immeubles des contribuables qui sont redevables de l'impôt. Le législateur a enfin permis aux services fiscaux de saisir des sommes d'argent dont disposent certains créanciers du contribuable : les salaires versés au contribuable par son employeur (articles L. 145-1 et suivants du Code du travail) ou toute créance que détient le contribuable sur un tiers débiteur, par l’émission d’avis à tiers détenteur (articles L. 262 et suivants du LPF). Il s’agit de la voie de droit la plus usitée par l’administration fiscale pour procéder au recouvrement forcé d’une créance : chaque année plus de 5 millions d’avis à tiers détenteurs sont émis (source : DGFIP).
Le contentieux du recouvrement a seulement trait à la légalité de l’obligation de payer, qui doit être distinguée de la validité ou de l’exigibilité de L’impôt.
La compétence du juge varie ici aussi en fonction de la nature de la demande. Aux termes de l’article L. 281 du LPF, il convient de distinguer les litiges qui portent sur la « régularité en la forme » du recouvrement (ce qui inclut en particulier la question de la compétence du comptable à l'origine des poursuites) – on parle alors d’opposition à poursuites – des litiges qui portent sur le fond de cette opération – on parle alors d’opposition à contraintes.
Lorsque la contestation vise la régularité formelle de l'acte de poursuites, elle doit toujours être portée devant le juge judiciaire.
En revanche, lorsque la contestation de l'obligation de payer est fondée sur des moyens de fond, le litige est porté logiquement devant le juge de l'impôt qui serait compétent pour statuer sur une contestation dirigée contre l’établissement de l’impôt. Nous renvoyons donc ici aux règles de répartition décrites précédemment.
2.1.2. L’office du juge du recouvrement
Il convient au préalable de préciser que comme pour la contestation des actes relatifs à l’établissement de l’impôt, la contestation des poursuites engagées dans le cadre du recouvrement passe par une phase administrative, avec la saisine du supérieur hiérarchique de l’agent à l'origine de la procédure de recouvrement forcé (article R. 281-1 du LPF). Ce n'est qu'en cas de réponse défavorable que le contribuable peut saisir le juge.
Lorsqu’il saisit le juge administratif pour contester un acte de poursuite, le contribuable peut soulever trois séries de moyens :
- l'obligation de payer n'existe pas à l'égard du contribuable, soit parce que cette obligation a été éteinte par un paiement libératoire antérieur, soit parce qu'elle pèse sur une autre personne, soit parce qu'un tiers n'est ni codébiteur solidaire, ni détenteur de fonds appartenant au contribuable ;
- le montant réclamé au contribuable est excessif, soit qu'il ne tienne pas compte des paiements partiels déjà effectués, soit qu'un tiers ne soit ni codébiteur solidaire, ni détenteur de fonds appartenant au contribuable ;
- la somme pour laquelle le contribuable est poursuivi n'est pas encore exigible (le contribuable bénéficie du sursis de paiement) ou ne l’est plus, le délai de prescription étant écoulé.
La frontière entre l'opposition à contrainte, où seule est contestée l'obligation de payer, et le contentieux de l'imposition, par lequel le contribuable conteste le bien-fondé des impositions mises à sa charge, est parfois difficile à tracer. Le contribuable est en effet très souvent tenté de soutenir que l'imposition qu'il conteste n'est pas exigible et, en outre, n'est pas due parce qu'il la considère non fondée dans son principe ou dans son montant. Le juge administratif exerce un contrôle vigilant sur les moyens soulevés dans ce type de contentieux, en n’hésitant pas à requalifier certaines conclusions (CE, 28 janvier 1983, Billeter, n° 14444, inédite).
Si le recouvrement forcé est entaché d’illégalité, le juge administratif ne pourra toutefois pas l’annuler, seul le juge de l’exécution judiciaire étant compétent pour prononcer l’annulation des actes de poursuites. Le juge administratif va alors prononcer la décharge de l’obligation de payer (par ex. : CE, 25 juin 2003, Mlle C. , n° 240817, A). Il reviendra alors au comptable public de tirer les conséquences de la mainlevée de la contrainte administrative.
2-2 Les autres voies de recours
Les contentieux de l’établissement et du recouvrement de l’impôt n’épuisent pas l’intégralité des litiges nés à raison de l’activité des services fiscaux.
Bien que longtemps ignoré en droit fiscal, le recours pour excès de pouvoir y trouve une place dont l’assise vient récemment d’être consolidée. Les administrés peuvent également engager la responsabilité de l’Etat à raison du fonctionnement des services fiscaux.
2-2-1 Le recours pour excès de pouvoir
Le recours pour excès de pouvoir présente en droit fiscal un caractère subsidiaire : dès lors qu’un recours de plein contentieux est ouvert devant le juge de l’impôt, l’exception de recours parallèle ferme l’accès au juge de l’annulation.
Ainsi, le terrain privilégié du recours pour excès de pouvoir se concentre sur l’annulation des actes généraux et impersonnels, dont la contestation par voie d’action ne relève pas du juge de l’impôt.
Il s’agit en premier lieu des actes règlementaires, règlements autonomes, intervenant notamment pour définir la procédure fiscale contentieuse ou l’organisation de l’administration fiscale, comme règlements d’application de la loi (par ex., CE, 6 juin 2008, Syndicat national de la restauration publique organisée, n° 299287, Inédite).
En second lieu, la solution dégagée par la décision du 18 décembre 2002, Mme D. (CE, Section, n° 233618, Rec.), en vertu de laquelle peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir les circulaires et instructions lorsqu’elles présentent un caractère impératif, a été transposée au contentieux fiscal : une instruction fiscale, même si elle se borne à résumer les modifications apportées par le législateur à un dispositif fiscal, est susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir dès lors qu'elle présente un caractère impératif (CE, 6 mars 2006, Syndicat national des enseignants et artistes, n° 262982, Rec.). Les personnes justifiant d’un intérêt à agir pourront ainsi demander l’annulation des circulaires et instructions à caractère impératif : tel est le cas des contribuables dont la situation est visée par une interprétation, ainsi que de ceux qui appartiennent au même cercle d’intérêt (CE, Section, 4 mai 1990, Association freudienne et autres, n° 55124, Rec.).
Il faut signaler que le Conseil d’Etat a admis la recevabilité des recours dirigés contre les réponses écrites aux parlementaires, à la condition que ces réponses, outre qu’elles revêtent un caractère impératif, soient opposables à l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, c’est-à-dire qu’elles ajoutent à la loi (CE, Section, 16 décembre 2005, Société Friadent, n° 272618, Rec.) Le pouvoir règlementaire étant rarement compétent pour ajouter à la loi des conditions par voie d’interprétation impérative, le juge administratif annule alors l’instruction pour incompétence (CE, 6 mars 2006, Syndicat national des enseignants et artistes, n° 262982, Rec.) ou pour violation de la loi (CE, 27 février 2006, Syndicat national de la restauration publique organisé, n° 280590, T.). Il peut par ailleurs contrôler la conventionalité d’une loi que la circulaire reproduit à l’identique (pour une méconnaissance de la liberté d’établissement protégée par le droit de l’Union européenne : CE, 2 juin 2006, Mlle C., n° 275416, Rec.), ou sa constitutionnalité, renvoyant alors la QPC au Conseil constitutionnel (CE, 9 juillet 2010, M. et Mme M., n° 339081, T.).
Le Conseil d’Etat a toutefois jugé récemment qu’une réponse du ministre de l'économie et des finances relative au dispositif de régularisation des avoirs détenus à l'étranger, exprimée dans un document prenant la forme d'une "foire aux questions", qui se borne à renvoyer sans s'y substituer aux circulaires ministérielles encadrant l'action de l'administration fiscale pour l'application, notamment, de l'article 123 bis du code général des impôts (CGI), ne peut être regardée comme étant au nombre des prises de position de l'administration fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement de ces dispositions et n’est par suite pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. (CE, 17 mai 2017, M. Lacquemant, n° 404270).</ANA>
A côté de ces actes à caractère général, le juge de l’excès de pouvoir peut connaître de recours contre les actes individuels qui sont détachables de la procédure d’imposition :
- les décisions de refus d’agrément, dès lors que l’agrément aurait permis de bénéficier de certains régimes d’impositions favorables prévus par la loi (TC, 17 octobre 1988, SA Cie Méridionale de navigation, n° 2523, Rec.) ;
-Le refus de se voir reconnaître la qualité d’assujetti à la TVA, alors que cette qualité permet au contribuable d’opérer des déductions de celle qu’il a lui-même acquittée, ce qui est pour lui parfois plus avantageux (CE, Plénière, 20 juillet 1990, Association pour l’action sociale de la Charente-Maritime, n° 84846, Rec.) ;
- Certaines prises de position de l’administration fiscale sur une situation de fait : ces rescrits, qui permettent, dans un but de sécurité juridique, d’obtenir une prise de position de l’administration qui lui sera opposable, sont par principe rattachés à la procédure d’imposition et ne peuvent donc être contestés devant le juge de l’excès de pouvoir ; mais une exception avait déjà été posée lorsque celui qui sollicitait la prise de position n’était pas le redevable de l’impôt. Il en allait ainsi des associations qui demandaient si les dons qu’elles recevaient pouvaient faire l’objet d’un crédit d’impôt parce qu’elles devaient être regardées comme des associations d’intérêt général (CE, 3 juillet 2002, association des contribuables associés c/ ministre de l’économie, 214393, T.) ; de même, s’agissant d’une personne souhaitant faire exécuter des travaux et ayant demandé si ceux-ci entraient dans le champ de l’exemption de TVA, qui n’est pas, compte tenu de la réponse apportée, le redevable de la TVA (CE, 19 février 2014, M. G. , 358719, T.).
Une étape supplémentaire a été franchie quant à la possibilité de contester ces prises de position : le Conseil d’Etat a jugé, dans un arrêt de section du 2 décembre 2016, Société Export Press, (n° 387613 et a., Rec.) que le recours dirigé contre un rescrit est recevable lorsque ces prises de position seraient susceptibles d’entraîner pour le contribuable des effets notables autres que fiscaux. Il s’agit ici des prises de position qui ont pour effet de faire peser de lourdes sujétions sur le contribuable, de le pénaliser lourdement sur un plan économique en le plaçant dans une situation concurrentielle défavorable ou pour conséquence de le faire renoncer à un projet.
En outre, les refus de l’administration fiscale d’octroyer des décharges ou des remises gracieuses, qui ne peuvent être contestées devant le juge de l’impôt, relèvent du contentieux de l’excès de pouvoir (CE, Section, 12 juin 1936, Dame de Crozals-Roch et Sieur Delpon de Vaux, n° 47785, Rec.). Les remises ou décharges gracieuses étant des mesures de faveur accordées alors que la légalité de l’imposition n’est pas en cause, le juge administratif exerce un contrôle minimum : il censure les erreurs de droit, les erreurs de fait et les détournements de pouvoirs (CE, 15 octobre 1980, M. Gallot, n°17482, Inédite) ; par ailleurs, il n’annulera le refus de remise qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation sur la disproportion entre les revenus du contribuable, soutenant être dans une situation d’indigence ou de gêne, et le montant de sa dette fiscale (CE, 29 juin 1988, Mme S., n°s 58265 ; 58400, Rec.). Le Conseil d’Etat a même reconnu l’existence de cas de fermeture pure et simple du recours pour excès de pouvoir : en effet, il a jugé que la décision de l'administration de faire usage du pouvoir que lui confèrent les dispositions de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales (LPF) revêt un caractère purement gracieux et qu’il en résulte que le refus d'accorder un dégrèvement sur le fondement de ces dispositions est insusceptible de recours (CE, 19 juin 2017, Société GBL Energy, n° 403096, T.).
Enfin, certains actes qui font grief aux tiers peuvent être soumis au juge de l’excès de pouvoir :
- une commune peut ainsi contester le refus du ministre des finances d’assujettir certaines manifestations à des taxes dont le produit leur reviendrait (CE, Section, 13 octobre 1967, Ville de Puteaux, n° 68259, Rec.) ;
- une collectivité locale peut également demander l’annulation du refus de l’administration fiscale de procéder à des rectifications de contribuables dont l’imposition initiale était erronée à raison d’erreurs de l’administration (CE, 27 avril 2009, Commune de Valdoie, n° 296920, T.).
2-2-2 Le contentieux de la responsabilité
Un contribuable peut engager la responsabilité de l’Etat s’il a subi un dommage autre que celui du paiement de l’impôt (CE, 5 juillet 1996, SCI Saint-Michel, n° 150398, Rec.).
La répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction déroge ici à la décision Blanco du Tribunal des conflits (8 février 1873, Rec.), qui réserve au seul juge administratif la possibilité de connaître d’actions en responsabilité à raison de pures activités de puissance publique : ainsi, le juge compétent pour apprécier la régularité des opérations d’établissement de l’impôt l’est également pour condamner l’administration à réparer les dommages causés par ces opérations (TC, 31 juillet 1875, Renaux, n° 81, Rec. ; TC, 1er juillet 2002, Société Pinault Bretagne et Cie, n°3294, Rec.).
Le juge administratif a, comme dans les autres branches du droit administratif, fait évoluer sa jurisprudence quant aux conditions d’engagement de la responsabilité à raison de l’activité des services fiscaux : si le principe d’irresponsabilité de l’administration fiscale avait été abandonné de longue date (CE, 21 février 1913, Compagnie parisienne des tramways, Rec.), une faute lourde a longtemps été exigée. Cette exigence a été progressivement assouplie, une faute simple suffisant depuis une décision du 27 juillet 1990, Bourgeois (Section, n°44676, Rec.) lorsque la faute avait été commise lors d’une opération se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt ne présentant pas de difficultés particulières, avant d’être totalement abandonnée par une décision du 21 mars 2011, Krupa (n° 306225, Rec.) : il est ainsi possible d’obtenir la réparation d’un préjudice, y compris de troubles dans les conditions d’existence, qui trouve sa cause directe et certaine dans les décisions de l’administration.
Les fautes permettant d’engager la responsabilité de l’administration sont diverses : l’omission par l’administration d’informer le comptable d’une demande de sursis de paiement (CE, 31 octobre 1990, Champagne, n° 71073, Rec.), un retard anormal sur une mainlevée de sûreté sur des biens après dégrèvement (CE, 24 février 1986, Consorts Legrand, n° 40031, inédite), un « acharnement administratif » au cours de la procédure de vérification (CE, 6 avril 2001, M. L., n° 194347, T.), ou encore la méconnaissance par une loi fiscale d’une convention internationale ( CE, Assemblée, 8 février 2007, G., n° 279522, Rec.). Très récemment, le Conseil d’Etat a reconnu la possibilité pour une personne ayant fait l'objet de prélèvements illégaux sur son compte en règlement de la dette fiscale d'un contribuable dont elle n'était pas solidairement responsable d’exercer un recours en responsabilité de l'Etat du fait de la perception indue des sommes en cause pour demander la réparation d'un préjudice distinct de celui correspondant au paiement à tort de ces sommes (CE, 20 février 2018, M. Durup de Baleine, n°393219).
Si une faute simple suffit ainsi à engager la responsabilité de l’administration fiscale, il doit, d’une part, exister un lien de causalité entre la faute de l’administration et le dommage. D’autre part, le préjudice qui en découle doit revêtir un caractère direct et certain. Cette condition du caractère direct du préjudice peut ne pas être remplie, comme dans le contentieux général de la responsabilité administrative (CE, 18 juin 1986, Mme Krier, n° 49813, Rec.), s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision sans commettre d’illégalité, c’est-à-dire en respectant les formalités prescrites, en prenant en compte l’ensemble des éléments qu’il lui appartenait de considérer ou encore en retenant une autre base légale (Décision Krupa précitée).
Enfin, le juge administratif saisi d’une action en responsabilité à raison de l’activité de l’administration fiscale ne condamnera pas celle-ci à réparer s’il retient l’existence de causes exonératoires, notamment le fait du contribuable (même décision).
[1] M Collet, P. Collin, Procédures fiscales, 2ème éd., 2014, Thémis droit, PUF, Paris, p. 260