Le droit de vote est un fondement de notre démocratie. Il revient aux juges de veiller à la bonne application des règles qui l’encadrent.
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Sommaire du dossier thématique:
1. Le juge administratif est le juge des élections municipales, cantonales, régionales et européennes
3. Le juge dispose de pouvoirs étendus de rectification des résultats et d’annulation de l’élection
4. L’annulation d’une élection entraîne, en principe, l’organisation d’un nouveau scrutin
Consacré par l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum », le droit de vote est un fondement de notre démocratie. Universel, égal et secret, ce droit appartient, selon les termes du quatrième alinéa du même article, à « tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». S’agissant des élections municipales et européennes, le droit de vote est également accordé aux citoyens de l’Union européenne résidant en France.
Afin de garantir le plein exercice de ce droit, il revient aux juges, lorsqu’ils sont saisis de protestations sur ce point, de veiller à la bonne application des règles qui l’encadrent. Tel est l’objet du contentieux électoral, qui désigne l’ensemble des litiges relatifs à l’organisation des élections ainsi qu’aux résultats des scrutins. Ce contentieux repose sur un même corpus de règles, rassemblées notamment au sein du code électoral. Cette unicité tient, tout d’abord, à ce que les différentes élections soulèvent des questions communes, en matière de notamment d’inscriptions sur les listes électorales, de déroulement de la campagne ou de modalités du vote. Elle tient, ensuite, à ce que les juridictions administratives et le Conseil constitutionnel, entre lesquels est réparti le contentieux des élections politiques, partagent la conception selon laquelle le juge électoral n’est pas seulement un gardien des formalités, mais aussi et surtout le garant de la sincérité du vote.
Les juridictions judiciaires jouent aussi un rôle en matière électorale : les litiges relatifs aux inscriptions et radiations de personnes déterminées sur les listes électorales relèvent du juge civil ; la fraude électorale au sens de l’article L. 97 du code électoral constitue un délit réprimé par le juge pénal.
1. Le juge administratif est le juge des élections municipales, cantonales, régionales et européennes
La Constitution de 1958 dispose que le Conseil constitutionnel « veille à la régularité de l’élection du Président de la République » (art. 58), statue « sur la régularité de l’élection des députés et sénateurs » (art. 59) et « veille à la régularité des opérations de référendums » (art. 60).
Les autres scrutins, y compris les référendums locaux, relèvent de la juridiction administrative.
Les litiges relatifs à l’élection des conseillers municipaux (art. L. 249 du code électoral) et à celle des conseillers départementaux (art. L. 222 du même code) relèvent de la compétence en premier ressort du tribunal administratif dans le ressort duquel l’élection a été organisée. Le jugement du tribunal administratif est alors susceptible d’appel devant le Conseil d’État.
Le garant de la sincérité du vote
En principe, le tribunal administratif doit statuer dans un délai de deux mois sur les protestations dont il est saisi en tant que juge électoral. Cependant, en cas de renouvellement général, ce délai est porté à trois mois. Par ailleurs, dans les circonscriptions où le montant des dépenses électorales est plafonné et où les candidats sont donc soumis au contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le délai est prorogé afin de laisser à cette commission le temps de statuer avant que le tribunal ne rende son jugement. Faute d’avoir statué dans les délais, le tribunal administratif est dessaisi au profit du Conseil d’Etat (art. R. 117 et R. 121 du code électoral).
Outre ses compétences d’appel, le Conseil d’Etat est compétent, aux termes des dispositions de l’article L. 311-3 du code de justice administrative, pour se prononcer en premier et dernier ressort sur les élections européennes, les élections régionales, les élections à l’Assemblée de Corse, les élections aux assemblées de certaines collectivités d’outre-mer et les élections à l’Assemblée des Français de l’étranger (l’article 58 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France a, à cet égard, modifié le 9° de l’article L. 311-3).
2. La faculté de contester une élection devant le juge administratif est largement ouverte, mais encadrée dans le temps
Un contentieux ouvert à tout électeur
La faculté de contester une élection appartient aux électeurs de la circonscription, aux candidats et au préfet, mais aussi à toute personne éligible s’agissant du contentieux des élections municipales et au ministre de l’intérieur concernant le contentieux des élections au Parlement européen. Les autres personnes, notamment les collectivités territoriales, associations, comités de soutien ou partis politiques, n’ont pas qualité pour agir. Sont ainsi jugées irrecevables les recours formés par un syndicat de salariés (CE, 12 mai 1978, Elections municipales de Notre-Dame de Gravenchon, n° 08601) ou par un parti politique (CE, 17 octobre 1986, Elections cantonales de Sevran, n° 70266). Par ailleurs, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte d’un candidat, il lui revient de saisir le juge de l’élection.
Pas de ministère d’avocat
La contestation des résultats d’une élection devant le juge administratif n’est pas soumise à l’obligation de recourir à un avocat. Cette dispense vaut tant devant les tribunaux administratifs (art. R. 431-2 du code de justice administrative) que devant le Conseil d’Etat (art. R. 432-2 du même code).
La réglementation est favorable aux requérants s’agissant du lieu de dépôt de la protestation. Pour les élections municipales, celle-ci peut ainsi être consignée dans le procès-verbal des opérations électorales ou bien déposée à la préfecture, à la sous-préfecture ou au greffe de la juridiction saisie.
Des délais brefs
Les délais dans lesquels les requérants peuvent contester une élection sont étroitement encadrés. Ce délai est de dix jours pour les élections européennes (art. 25 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977), les élections régionales et les élections à l’Assemblée de Corse (art. L. 361 et L. 381 du code électoral). Pour les élections municipales et cantonales (art. R. 113 et R. 119 du même code), il expire à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection pour les recours en première instance devant les tribunaux administratifs ; le délai pour faire appel devant le Conseil d’État est d’un mois (art. R. 116 et R. 123 du même code).
Pour la computation de ces délais, il n’est tenu compte ni du jour qui sert de point de départ (le jour de proclamation des résultats) ni du jour d'échéance. La tardiveté de la protestation est appréciée au regard de sa date de réception et non du cachet de la Poste apposé sur celle-ci lors de son envoi. Est ainsi tardive une protestation arrivée après l’expiration du délai, alors même qu’elle a été postée avant l’expiration du délai (CE, 18 novembre 1977, Elections municipales de Cortevaix, n° 07601).
Compte tenu du caractère resserré de ces délais, le Conseil d’Etat a reconnu aux requérants la possibilité, en matière de contentieux électoral, d’adresser leur protestation à la préfecture par voie de courrier électronique, sous réserve toutefois que la personne contestant le scrutin confirme par un courrier au tribunal administratif compétent en être l’auteur (CE, 28 décembre 2001, Elections municipales d’Entre-deux-Monts, n° 235784).
Une demande précise
La protestation doit, pour être recevable, indiquer clairement l’élection dont l’annulation est demandée et formuler des griefs précis mettant en cause la validité du scrutin (CE, 9 octobre 2002, Elections municipales de Goyave, n° 235362). Ainsi, est irrecevable une protestation contenant de simples observations ou des demandes qui n’induisent pas une remise en cause des résultats (CE, 6 mars 2002, Elections municipales de Rangiroa, n° 236243).
Enfin, en matière de contentieux électoral, une protestation n’a pas d’effet suspensif en première instance. Ainsi, l’élu conserve son mandat jusqu’à ce que le juge de l’élection ait statué par une décision définitive.
3. Le juge dispose de pouvoirs étendus de rectification des résultats et d’annulation de l’élection
Le juge administratif est tout d’abord compétent pour rectifier les résultats de l’élection en procédant à la neutralisation des erreurs ou irrégularités dans le décompte des voix qu’il constate, lorsqu’ils peuvent être déterminés avec certitude. Lorsqu’il ne peut déterminer comment les suffrages ont pu, ou auraient pu, se répartir régulièrement et sincèrement entre les différents candidats, notamment en raison de manœuvres, le juge peut être conduit à annuler l’élection. Dans certaines hypothèses, le juge dispose enfin de pouvoirs lui permettant de déclarer inéligible un candidat.
La rectification
Dans les cas où le juge de l’élection peut identifier avec certitude les bénéficiaires des suffrages écartés à tort ou mal décomptés, il procède à la réattribution de ces suffrages et corrige en conséquence les résultats de l’élection (CE, 20 février 2002, Elections municipales de Saint-Elie, n° 235473). Il peut aussi déclarer nuls des bulletins validés à tort par le bureau de vote. Cela peut le conduire soit à confirmer les résultats, lorsque les candidats proclamés élus conservent la majorité après la rectification ainsi opérée, soit à annuler l’élection de ces candidats et à proclamer élus ceux qui, une fois les résultats rectifiés, obtiennent la majorité des suffrages régulièrement exprimés (CE, 22 octobre 1979, Elections des représentants à l’Assemblée des communautés européennes, n° 18449).
Il arrive que le juge, bien qu’il connaisse le nombre exact de suffrages affectés par une irrégularité, ne soit pas en mesure de déterminer les bénéficiaires de ces suffrages. Tel est le cas par exemple lorsque des suffrages n’ont pu être exprimés en raison de l’absence d’acheminement des procurations du fait d’une grève des services postaux (CE, 23 févr. 1990, Elections municipales de Bastia, n° 109014). Le juge procède alors à un calcul hypothétique consistant à replacer le ou les candidats élus dans la situation la plus défavorable susceptible de résulter de la prise en compte ou de l’élimination de ces voix afin de vérifier si ces candidats auraient bien été élus en l’absence de ces irrégularités. Si tel n’est pas le cas, il annule l’élection.
L’annulation en cas de manœuvre ayant affecté la sincérité du scrutin
La circonstance qu’une ou plusieurs irrégularités ou manœuvres aient été commises ne conduit pas automatiquement à l’annulation de l’élection. Le juge apprécie, au cas par cas, si la sincérité du scrutin a pu être affectée. Afin d’apprécier cette incidence, il met en regard la gravité, l’ampleur et les répercussions potentielles de ces irrégularités avec l’écart des voix.
Lorsque, compte tenu du faible écart des voix ainsi que de la nature et de l’ampleur de la manœuvre, de l’irrégularité ou de l’abus de propagande en cause, le juge estime que la sincérité du scrutin a été viciée, il annule en principe l’élection. A titre d’illustrations, ont ainsi pu entraîner l’annulation du scrutin, compte tenu de l’écart des voix, la diffusion d’un tract mensonger, diffamatoire ou injurieux excédant les limites de ce qui est admissible dans le cadre de la polémique électorale et auquel il n’a pu être utilement répondu (CE, 13 décembre 1989, Elections municipales d’Aulnat, n° 108662), un climat de violence ayant troublé la sérénité des opérations électorales et conduit à des pressions sur les électeurs (CE, 22 février 2002, Elections municipales de Sainte-Anne, n° 236226), ou encore des interventions officielles de l’autorité municipale en faveur d’un candidat aux élections cantonales (CE, 6 mai 1983, R., n° 43098).
Il arrive que le juge ne prononce qu’une annulation partielle de l’élection. Tel est par exemple le cas lorsque, dans une élection au scrutin de liste à la proportionnelle, avec répartition suivant la règle de la plus forte moyenne, l’irrégularité ou l’abus de propagande en cause n’a, compte tenu de l’écart des voix, pas été de nature à remettre en cause la majorité issue des urnes, mais a toutefois été de nature à influer sur l’attribution du dernier siège à pourvoir. Dans un tel cas, le juge annule l’élection du seul candidat élu sur ce siège, qu’il laisse vacant.
Par ailleurs, le juge peut être conduit à annuler l’élection d’un candidat pour des motifs tenant à la personne de celui-ci. Tel est le cas lorsque le juge annule l’élection d’un candidat inéligible ou en situation d’incompatibilité. Se trouvent par exemple inéligibles au conseil départemental, à raison de leurs fonctions, un agent de police municipale, qui est frappé par l’inéligibilité prévue par le 6° de l’article L. 195 du code électoral à l’égard des fonctionnaires des corps actifs de police (CE, 25 septembre 1995, Elections cantonales de Sainte-Luce, n° 160080), ou un inspecteur des impôts chargé des fonctions de rédacteur à la division des affaires juridiques de la direction des services fiscaux, en raison de l’inéligibilité prévue au 11° du même article (CE, 24 avril 2012, Elections cantonales du Vésinet, n° 353844).
Déclaration d’inéligibilité
Dans certaines hypothèses, le juge peut déclarer inéligible un candidat.
Les conditions dans lesquelles le juge, saisi de griefs tirés d’irrégularités dans le financement de la campagne, peut prononcer l’inéligibilité d’un candidat sont régies par les dispositions de l’article L. 118-3 du code électoral. Cette inéligibilité est prononcée pour une durée qui est fixée par le juge et qui ne peut dépasser trois ans.
Ainsi, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le juge « peut déclarer inéligible » le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ainsi que le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l’article L. 52-12 du code électoral. Pour apprécier s’il y a lieu de déclarer inéligible un candidat sur ce fondement, le juge tient compte de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte, du montant des sommes et de toutes les circonstances de l’espèce.
Par ailleurs, depuis les modifications apportées par la loi n° 2011-412 du
14 avril 2011, l’article L. 118-3 du code électoral prévoit que le juge de l’élection « prononce également l’inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
Enfin, le nouvel article L. 118-4 du code électoral permet au juge de l’élection de déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
4. L’annulation d’une élection entraîne, en principe, l’organisation d’un nouveau scrutin
La date d’effet de l’annulation du scrutin est celle de la notification du jugement ou de la décision (CE, 17 mai 1974, Elections municipales de Camelas, n° 93122)
Un nouveau scrutin dans les trois mois
L’annulation de l’ensemble des opérations électorales entraîne, en principe, l’organisation d’un nouveau scrutin. S’agissant des élections municipales, les électeurs doivent ainsi être convoqués aux urnes dans les trois mois qui suivent la date à laquelle cette annulation est devenue définitive (art. L. 251 du code électoral). Dans l’intervalle, une délégation spéciale remplit les fonctions du conseil municipal (art. L. 2121-35 du code général des collectivités territoriales).
En revanche, lorsque l’annulation ne porte pas sur l’ensemble des opérations électorales, mais seulement sur l’élection d’un ou plusieurs candidats d’une liste sans que les conditions posées pour un renouvellement de l’assemblée délibérante soient remplies (art. L. 270 du code électoral : perte de plus du tiers de ses membres ou nécessité de compléter le conseil municipal avant l’élection d’un nouveau maire), le ou les sièges sont laissés vacants jusqu’au prochain renouvellement intégral de l’assemblée délibérante (CE, 29 janvier 1999, Commune de Saint-Philippe et Boyer, n° 197371), sauf dans l’hypothèse où le juge peut prononcer élu le suivant de liste à la place d’un candidat frappé d’inéligibilité.
Enfin, l’élu dont l’élection a été annulée par le tribunal administratif reste, en principe, en fonction jusqu’à ce que le jugement devienne définitif, c’est-à-dire à l’expiration du délai d’appel, ou, s’il a fait appel, jusqu’à la décision du Conseil d’Etat statuant comme juge d’appel (CE, 28 septembre 1990, Elections municipales de Limeil-Brévannes, n° 109115).