Le juge administratif et l’application du principe de laïcité

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L’organisation des relations entre l’État et les Églises en France repose sur un principe simple et clair : la religion relève de la sphère privée, l’État affirmant son indépendance et sa neutralité à l’égard des institutions religieuses. Toutefois, la liberté religieuse ne se borne pas à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle implique une certaine extériorisation qu’il s’agisse de l’exercice du culte ou tout simplement de l’expression – individuelle ou collective – d’une croyance religieuse. Il convient dès lors de garantir la conciliation entre l’intérêt général et l’ordre public, d’une part, la liberté de religion et son expression, d’autre part. Le juge administratif est au cœur de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui peut être regardé comme la traduction juridique de ce qu’est la laïcité.

L’organisation des relations entre l’État et les Églises en France repose sur un principe simple et clair : la religion relève de la sphère privée, l’État affirmant son indépendance et sa neutralité à l’égard des institutions religieuses.

Toutefois, la liberté religieuse ne se borne pas à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle implique une certaine extériorisation qu’il s’agisse de l’exercice du culte ou tout simplement de l’expression – individuelle ou collective – d’une croyance religieuse. Il convient dès lors de garantir la conciliation entre l’intérêt général et l’ordre public, d’une part, la liberté de religion et son expression, d’autre part.

Le juge administratif est au cœur de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui peut être regardé comme la traduction juridique de ce qu’est la laïcité. Il apparaît ainsi, pour reprendre les propos de Marceau Long, ancien Vice‐président du Conseil d’Etat, comme le « régulateur de la laïcité ». Lorsque la neutralité de l’Etat est invoquée, le juge administratif s’attache à ce qu’elle ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression religieuse des agents publics. Lorsqu’il est en revanche question de la liberté religieuse des citoyens, le juge administratif cherchera à en garantir l’effectivité tout en restant attentif aux exigences relatives, notamment, à la protection de l’ordre public.

1- Les principes : liberté de religion et neutralité de la puissance publique

 1-1 La reconnaissance de la liberté de religion

La liberté de religion a une dimension avant tout individuelle : c’est la liberté de croire ou de ne pas croire. Les textes, internes et internationaux, qui garantissent la liberté de religion en font, d’ailleurs, un élément de la liberté de pensée ou de conscience de chaque individu.

L’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. ». Le Conseil constitutionnel a également érigé la liberté de conscience en principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 novembre 1977, Liberté d’enseignement, n°77-87 DC), principe qu’il rattache désormais à l’article 10 (voir, en particulier, les décisions n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 et 2017-695 QPC du 29 mars 2018) . Le Conseil d’État évoque, pour sa part, « un principe constitutionnel de liberté d’expression religieuse » (CE, 27 juin 2008, Mme M…, n°286798). Dans le cadre du référé « liberté », le Conseil d’État a, en outre, qualifié la liberté de culte de liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (JRCE, 16 févr. 2004, M. B., n°264314, B).

Les engagements internationaux auxquels a souscrit la France ont renforcé la protection de la liberté de religion entendue comme la liberté de l’individu de se déterminer face à la question religieuse. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (convention EDH) garantit ainsi la liberté de religion dans plusieurs de ses articles. Son article 9 § 1– (dont le contenu est repris par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) – stipule que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique le droit de changer de religion ou de conviction, ainsi que le droit de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. ». Son article 14 interdit les discriminations, notamment celles fondées sur la religion, tandis que l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention EDH prévoit le droit pour les parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) fait d’ailleurs de la liberté consacrée à l’article 9 un élément essentiel pour le fonctionnement des sociétés démocratiques. Elle juge ainsi traditionnellement : « Telle que la protège l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société » (ex : CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, req. n° 14307/88 ; CEDH, Gde. ch., 18 févr. 1999, Buscarini et a. c. Saint-Martin, req. n° 24645/94).

1-2 La neutralité de l’État

Jusqu’en 1905, les rapports entre les Églises et l’État étaient organisés, en France, par le Concordat conclu entre Napoléon Ier et Pie VII en 1801. Ce régime reposait sur la reconnaissance des cultes : outre la religion catholique, qualifiée de « religion de la majorité des Français », étaient aussi reconnus les cultes réformé, calviniste et israélite. Ces quatre cultes reconnus étaient érigés en services publics.

Mettant fin à ce régime, la loi du 9 décembre 1905 fonde la neutralité de l’État en matière religieuse. Son article 2 dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…). » La loi de 1905 ne consacre pas uniquement l’indifférence de l’État à l’égard du phénomène religieux, elle lui impose aussi de garantir l’effectivité de la liberté de culte. L’article 1er de cette loi dispose ainsi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci‐après dans l'intérêt de l'ordre public. » L’exigence de neutralité de l’Etat est consacrée à l’article 1er de la Constitution de 1958 qui affirme : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Le Conseil d’Etat a qualifié la laïcité de principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, 6 avril 2001, Syndicat national des enseignants du second degré, n°219379) puis de principe constitutionnel (CE, 26 mars 2005, ministre de l’outre-mer c/ gouvernement de la Polynésie française, n°265560).

La neutralité de l’État se manifeste également par l’interdiction d’élever ou d’apposer des signes ou emblèmes religieux sur les monuments publics ou les emplacements publics (article 28 de la loi de 1905).

Dans deux affaires d’assemblée du 9 novembre 2016, le Conseil d’État a précisé le champ d’application de cette interdiction en distinguant, d’une part, les signes ou emblèmes selon qu’ils revêtent une dimension cultuelle ou culturelle et, d’autre part, selon leur localisation. Ces contentieux portaient sur l’installation de crèches de Noël par des personnes publiques dans des emplacements publics. Le Conseil d’État juge que de telles installations peuvent être admises uniquement lorsqu'elles présentent un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Il précise que cette dimension peut être appréciée en tenant compte du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux. Par ailleurs, le lieu de l’installation est également déterminant, l’appréciation étant particulièrement restrictive lorsque l’installation est réalisée dans un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public (CE, Ass., 9 novembre 2016, Association de la libre pensée de Vendée, n° 395223 ; même jour, Commune de Melun, n° 395122).

Pour autant le régime concordataire reste toutefois en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Les prêtres, pasteurs et rabbins qui y officient sont ainsi rémunérés sur les deniers publics. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, le Conseil constitutionnel a jugé que le maintien du Concordat dans ces territoires ne méconnaît pas l’exigence constitutionnelle de laïcité (CC, 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité, n°2012-297 QPC).

 Les États européens retiennent d’ailleurs des schémas très variés d’organisation des relations entre puissance publique et cultes. Certains Etats comme la Belgique ou l’Allemagne ont mis en place un système de financement public des religions reconnues. D’autres confèrent un statut particulier à certaines religions. C’est le cas notamment de l’Italie avec les accords de Latran de 1929 modifiés par les accords de Villa Madame de 1984 conclus avec le Saint-Siège. Enfin, certaines religions ont le statut d’Eglise d’Etat comme par exemple l’église anglicane en Angleterre ainsi que dans les dépendances de la Couronne britannique (Jersey, Guernesey et l'Île de Man).

2- Le juge administratif veille à la neutralité de la puissance publique tout en préservant les droits de ceux qui la servent.

Le principe de laïcité de l’État, qui intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, et le principe de neutralité des services publics, corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics, sont la source d’une exigence particulière de neutralité religieuse de ces services.

Cette exigence se traduit notamment par l’interdiction des subventions publiques pour l’exercice des cultes et l’encadrement de la liberté de religion des agents publics.

2-1 L’interdiction de principe d’un financement public des cultes et ses aménagements

L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…) ». Une collectivité publique ne peut ainsi légalement apporter son soutien financier à une association cultuelle quand bien même cette dernière aurait également des activités sociales et culturelles (CE, Sect., 9 octobre 1992, Commune de Saint‐Louis c/ association « Siva Soupramanien de Saint‐Louis », n°94455).

Mais ce principe n’exclut pas dans certaines hypothèses la possibilité ou même l’obligation, pour la puissance publique, d’organiser activement l’exercice de la liberté religieuse, voire d’apporter des financements à des activités en rapport avec l’exercice du culte.

2-1-1 Les personnes publiques doivent assurer le libre exercice du culte de certains publics

Le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi de 1905 prévoit, en effet, que : « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ».

En d’autres termes, la puissance publique a l’obligation d’assurer le libre exercice du culte des personnes qui, comme dans les hôpitaux ou les prisons, ne peuvent l’exercer librement par elles-mêmes. Si les aumôniers des établissements pénitentiaires sont simplement agréés sur le fondement des articles R. 351-3 et D.352-1 du code pénitentiaire, les aumôniers militaires, qui ont le statut de « militaires servant en vertu d’un contrat » en application du décret n°2008-1524 du 30 décembre 2008, sont des agents publics de même que ceux des établissements publics hospitaliers qui sont recrutés comme contractuels. Le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser qu’il appartient au pouvoir règlementaire de déterminer les conditions de recrutement des ministres du culte attachés aux armées et que, parmi ces conditions peut être instituée une condition de diplôme parmi les conditions de recrutement (CE, 27 juin 2018, Union des associations diocésaines de France et Monseigneur Pontier, n° 412039).

Faute de prendre les mesures permettant de garantir la liberté d’exercice du culte de ces publics se trouvant dans une situation particulière, la personne publique engage sa responsabilité. Le Conseil d’Etat a ainsi considéré que l’État avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité pour ne pas avoir agréé des ministres du culte en nombre suffisant pour permettre à toute personne détenue la pratique du culte qu’elle revendique (CE, 16 octobre 2013, Garde des Sceaux c/ M. F. et autres, n°351115, s’agissant d’une personne détenue, témoin de Jéhovah). Saisi, dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, de la décision de fermeture d’une salle utilisée pour la prière dans le bâtiment d’une résidence universitaire, le Conseil d'Etat a, en revanche, refusé de faire droit aux conclusions des requérants dès lors, d’une part, que la fermeture était justifiée par des considérations liées à la sécurité et, d’autre part, que l’administration était disposée à examiner les conditions de la mise à disposition de nouveaux locaux (JRCE, 6 mai 2008, M. M., n°315631).

Plus généralement, le Conseil d’Etat juge que ces publics captifs ne peuvent pas, en principe, être totalement privés du droit de pratiquer leur religion. Il a ainsi précisé que les personnes placées en cellule disciplinaire conservent, d'une part, le droit de s'entretenir avec un aumônier en dehors de la présence d'un surveillant et, d'autre part, le bénéfice de l'autorisation prévue par l'article R. 352-9 du code pénitentiaire de recevoir ou conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle quand bien même les dispositions de l’article R. 235-8 du code pénitentiaire prévoit que le placement en cellule disciplinaire emporte la suspension de l’accès aux activités (CE, 11 juin 2014, M. S., n°365237).

Le libre exercice du culte comprend également l’accès aux menus confessionnels. Toutefois, en la matière, le Conseil d’État juge que l'administration pénitentiaire n'est pas obligée de garantir une alimentation conforme aux convictions religieuses des détenus en toutes circonstances. Cependant, elle doit, dans la mesure du possible, au regard des contraintes matérielles et de l'objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements, permettre le respect des prescriptions alimentaires liées à ces croyances (CE, 25 février 2015, M. K., n°385929).

Sur ce sujet, dans le cadre de la restauration scolaire, le Conseil d’Etat juge qu’il n’existe aucune obligation pour un gestionnaire de service public facultatif de proposer des repas différenciés en fonction des convictions religieuses des usagers, et ces derniers n'ont pas de droit à cet égard. Toutefois, pour redéfinir les règles d’organisation et de fonctionnement dudit service, le gestionnaire doit tenir compte de l’intérêt général qui prévoit que l’ensemble des usagers puissent en bénéficier. Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que ni les principes de laïcité et de neutralité, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public ne font obstacle à la proposition de repas de substitution en fonction des convictions religieuses des enfants/usagers (CE, 11 décembre 2020, Commune de Châlons-sur-Saône, n°426483).

2-1-2 L’entretien des lieux de culte, les subventions et la mise à disposition de locaux

L’article 13 de la loi de 1905 dispose que « L'Etat, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte » dont elles sont propriétaires. ».

L’entretien des édifices cultuels nationalisés en 1789, c’est à dire la grande majorité des édifices catholiques qui sont demeurés la propriété de l’Etat, des départements et des communes et sont laissés gratuitement à la disposition des associations cultuelles par la loi de 1905, est ainsi pris en charge par la puissance publique.

A noter que la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a ouvert la possibilité pour les communes et les départements de garantir les emprunts contractés par les associations cultuelles pour financer la construction d’édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux.

De plus, la jurisprudence a précisé les modalités de mise à dispositions des locaux communaux au bénéfice d’une association cultuelle pour l’exercice d’un culte. Le Conseil d’État a en effet précisé qu’une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation de ses locaux par une association pour la seule raison qu’ils seraient utilisés pour l’exercice d’un culte. Toutefois, pour être possible, les conditions financières de la mise à disposition du local doivent respecter le principe d’égalité et exclure toute libéralité. De plus, si pour les locaux font partie du domaine public, la mise à disposition ne peut être exclusive et pérenne. Une telle mise à disposition peut en revanche être permise pour les locaux relevant de son domaine privé, sous condition d’absence de libéralité (CE, 7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 417629).

Concernant l’entretien des lieux de cultes, la multiplication des contentieux relatifs à l’aide financière apportée par certaines collectivités territoriales pour la réalisation de travaux en lien avec des pratiques cultuelles a conduit le CE, par cinq décisions d’assemblée du 19 juillet 2011, à préciser les conditions dans lesquelles pouvait intervenir ce type d’aides. Il a ainsi rappelé qu’en application de la loi de 1905 les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat mais aussi accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels. En revanche, il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte.

Ces principes laissent une certaine marge de manœuvre aux personnes publiques. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que, sous réserve de l’existence d’un intérêt public local et dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues, une personne publique pouvait par exemple prendre en charge des travaux d’aménagement de locaux appelés à être utilisés comme abattoir pour ovins afin d’y permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel, compte tenu des impératifs d’ordre public liés à la protection de la salubrité publique et de la santé publique, dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte (CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n°309161).

De même, le juge administratif a estimé qu’une collectivité publique pouvait participer au financement de la construction d’un ascenseur destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à la basilique Notre-Dame de Fourvière compte tenu de l’intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique de son territoire, sous réserve toutefois, d’une part, que cet équipement ne soit pas destiné à l’exercice du culte et, d’autre part, que la participation financière de la collectivité ne soit pas versée à une association cultuelle et qu’elle soit exclusivement affectée au financement du projet, ce dernier point étant garanti par un engagement contractuel (CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et P., n°308817).

Le Conseil d’État a fait application des principes dégagés dans ces décisions pour juger que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ne pouvait légalement refuser l’octroi d’une subvention à une association au seul motif qu’elle se livrait à des activités cultuelles alors que le projet au titre duquel le financement était sollicité ne présentait pas lui-même un caractère cultuel et que le versement des subventions accordées dans le cadre du programme s'accompagnait de la conclusion de conventions permettant de garantir que les subventions seraient exclusivement affectées au financement du projet à l’exclusion de toute activité cultuelle (CE, 26 novembre 2012, ADEME, n°344379).

En revanche, les subventions se rapportant à des cérémonies cultuelles demeurent prohibées quand bien même ces dernières présenteraient un intérêt culturel et économique et qu'en marge de ces processions sont organisées des manifestations à caractère culturel ou historique (CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, n°347049, s’agissant de l’organisation des ostensions septennales dans le Limousin).

A noter que la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République prévoit la signature d’un contrat d’engagement républicain imposant l’obligation de garantir le respect du principe de laïcité, de l’ordre public et des symboles de la République pour les associations et fondations bénéficiant de subventions publiques. Le Conseil d’État, saisi de la légalité du décret d’application,  a considéré que le texte poursuivait un but légitime dès lors que le contrat tend à assurer le respect, par les associations qui souhaitent bénéficier d’un agrément ou d’une subvention, des principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que du caractère laïque de la République, de l’ordre public et des symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution (CE, 30 juin 2023, Union syndicale solidaire et autre, n° 461962 et a.).

2-2 La neutralité, source d’obligations mais aussi de protection pour les agents

Le principe de neutralité des services publics justifie que des restrictions soient apportées à la liberté d’expression religieuse des agents publics dans l’exercice des fonctions sans pour autant permettre de discriminations à raison de leurs convictions religieuses.

2-2-1 L’interdiction faite aux agents de manifester leur religion dans leurs fonctions

Le Conseil d’Etat a ainsi précisé que le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses (CE avis, 3 mai 2000, Demoiselle J. X., n°217017).

Le juge administratif est généralement saisi de ces questions dans le cadre du contentieux disciplinaire. La légalité de la sanction sera alors fonction de la nature de l’expression des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l’agent ainsi que des fonctions qu’il exerce ou encore des avertissements qui auraient déjà pu lui être adressés. La sanction doit également être proportionnée. Le Conseil d’Etat a ainsi confirmé la sanction prise à l’encontre d’un agent public qui faisait apparaitre son adresse électronique professionnelle sur le site d’une association cultuelle (CE, 15 octobre 2003, M. O., n°244428) ou encore qui avait distribué aux usagers des documents à caractère religieux à l’occasion de son service (CE, 19 février 2009, M. B., n° 311633). Le service public de l’enseignement fait l’objet d’une attention toute particulière compte tenu des risques de prosélytisme (CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, n°91.406, rec. p. 463 ; 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, n°98.284, Rec. p. 247 ; CE Ass., Avis, 21 septembre 1972, n°309354).

Le Conseil d’État a précisé que cette interdiction s’étend également aux stagiaires des établissements publics. Il a ainsi jugé que lors des stages, prévus par la formation d’élève infirmier, réalisés dans un établissement chargé d’une mission de service public, les élèves infirmiers sont soumis, au même titre que les agents titulaires, à l’obligation de neutralité découlant du principe de laïcité (CE, 28 juillet 2017, Mme B. et autres, n°s 390740 et autres). Il en va de même pour les praticiens étrangers accueillis comme stagiaires dans un établissement public de santé (CE, 10 février 2020, M. B., n° 418299).

Le fait que le service public soit confié à une personne privée ne change pas la nature des obligations inhérentes à l’exécution du service public (CE, Sect., 31 janvier 1964, CAF de l’arrondissement de Lyon, Rec. p.76). La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 19 mars 2013 CPAM de Seine‐Saint‐Denis, que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux‐ci sont assurés par des organismes de droit privé » (Cass. Soc., 19 mars 2013, n°12-11.690, publié au bulletin). A noter que la Cour de cassation, même en l’absence de mission de service public, admet la validité d’un règlement intérieur, en l’espèce d’une association, restreignant la liberté de manifester sa religion pour les salariés dès lors que cette restriction est suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies et proportionnée au but recherché (Cass. Ass. Plèn., 25 juin 2014, n°13-28.369)

2-2-2 Le droit des agents publics au respect de leurs convictions religieuses

Les exigences relatives à la laïcité de l’Etat et à la neutralité des services publics ne doivent pas conduire à la négation de la liberté de conscience dont les agents publics peuvent se prévaloir au même titre que les autres administrés. La liberté d’opinion notamment religieuse est d’ailleurs rappelée par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

L’avis Mlle Marteaux du 30 mai 2000 (précité) prohibe toute discrimination fondée sur la religion dans l’accès aux fonctions et le déroulement de carrière. Les convictions religieuses, surtout lorsqu’elles sont notoires, doivent être indifférentes au recrutement des fonctionnaires et agents publics. Dans une décision célèbre (CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, n°46.027, Rec. p. 561), le Conseil d’État avait validé la décision du ministre d’écarter du concours d’agrégation de philosophie l’abbé Bouteyre, déclarant que les textes avaient pu légalement donner au ministre la possibilité de réserver ce concours aux candidats agréés par l’autorité administrative. Cette jurisprudence a été remise en cause par un avis de l’Assemblée du Conseil d’Etat du 21 septembre 1972 selon lequel aucun texte n’écarte plus désormais des fonctions de l’enseignement secondaire les personnels non laïcs.

De manière générale, la pratique d’une religion ne doit en aucun cas constituer un critère discriminant à l’encontre d’un candidat (CE, 25 juillet 1939, Demoiselle Beis, rec. p. 524) ou d’un agent contractuel prétendant à la titularisation (CE, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, précité). Un concours d’officiers de police a ainsi été annulé en raison des questions que le jury avait posées à un candidat sur son origine et sur ses pratiques confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse (CE, 10 avril 2009, M. E.H., n°311888).

Le juge administratif veille également au respect de ces principes dans le cadre de la carrière des agents publics. Le Conseil d’Etat juge que ni l’appartenance à une religion, ni sa pratique à titre privé, même connue par les autres agents du service, ne peut justifier une mesure défavorable à l'encontre d'un agent comme une mauvaise appréciation sur une feuille de notation (CE, 16 juin 1982, Epoux Z., n°23277), une sanction (CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss, au recueil p. 379) ou, a fortiori, un licenciement (CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, précité).

Certains aménagements du temps de travail des agents publics sont également autorisés au nom de la liberté religieuse dans la mesure où ces aménagements restent compatibles avec le bon fonctionnement du service public (JRCE, 16 février 2004, M. B., précité : autorisation d’absence refusée à raison des nécessités de service public). Une circulaire peut ainsi légalement déterminer la liste des fêtes religieuses pour lesquelles les agents peuvent solliciter une autorisation d’absence sans que cette dernière puisse être regardée comme exhaustive (CE, 12 février 1997, Melle H., n°125893).

3- La garantie d’un équilibre entre la libre expression des convictions religieuses des citoyens et la protection de l’intérêt général et de l’ordre public

Les normes constitutionnelles et conventionnelles rappellent que la liberté de religion ne saurait avoir une portée absolue. Qu’il s’agisse de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ou encore de la convention EDH, des restrictions à la liberté de religion sont toujours autorisées au nom, principalement, de la protection de l’ordre public. La Cour EDH laisse une grande marge de manœuvre aux Etats dans l’encadrement de l’expression religieuse (s’agissant de l’interdiction du voile en milieu scolaire et universitaire : CEDH, 4 décembre 2009, Dogru et Kervanci c/ France ; CEDH, 10 novembre 2005, Sahin c/ Turquie, req. n°44774/98).

Le juge administratif contrôle la légalité des restrictions apportées à la libre expression des convictions religieuses et veille à leur stricte nécessité.

3-1 Les motifs justifiant d’encadrer l’extériorisation des convictions religieuses

3-1-1 Dans la vie en société

Le juge administratif contrôle la légalité des mesures restreignant la libre expression des convictions religieuses ou refusant la reconnaissance des associations cultuelles à raison de la protection de l'ordre public.

L’encadrement des manifestations religieuses relève principalement du pouvoir de police administrative du maire, notamment compétent pour réglementer les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, comme les sonneries des cloches. La police du culte à l’intérieur de l’édifice est en revanche prise en charge par les autorités affectataires (CE, 24 mai 1938, Abbé Touron, Rec. p. 462).

Les autorités de police administratives sont également compétentes pour réglementer les conditions de l’abattage rituel d’animaux s’agissant par exemple de la création d’un agrément des organismes religieux susceptibles d’habiliter des sacrificateurs (CE 25 novembre 1994, association cultuelle israélite Cha’are Shalom Ve‐Tsedek, n°110002). S’agissant de l’abattage rituel, le Conseil d’Etat a également rappelé que le principe de laïcité impose l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, mais aussi que la République garantisse le libre exercice des cultes. Il a, dès lors, jugé que la possibilité de déroger à l'obligation d'étourdissement préalable pour la pratique de l'abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité (CE, 5 juillet 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, n°361441).

Conformément à la jurisprudence Benjamin, le juge administratif s’assure toutefois que les mesures prises sont strictement nécessaires au maintien de l’ordre public. Le Conseil d’Etat a ainsi annulé l’arrêté d’un maire qui avait interdit au clergé revêtu d’habits sacerdotaux d’accompagner à pied des convois funèbres (CE, 19 février 1909, Abbé Olivier, n°27355, au recueil) ou encore l’arrêté préfectoral interdisant toute cérémonie et tout office religieux dans un bâtiment à l'intention, notamment, des personnes y ayant leur résidence (CE, 14 mai 1982, Association internationale pour la conscience de Krisna, n°31102). Il a également annulé l’interdiction par un maire du port de vêtements de bain spécifique manifestant une appartenance religieuse de manière ostensible sur l’ensemble des plages d’une commune en l’absence de risques avérés de troubles à l’ordre public (CE, 17 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, 475636).

Le Conseil d’État a jugé que le refus opposé à une association cultuelle de lui accorder la location d'une salle municipale, surtout lorsqu'il est consécutif à d’autres refus de même nature opposés à des associations identiques et annulés précédemment par le juge administratif, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion dès lors que la commune ne fait état d’aucune menace à l’ordre public, mais seulement de considérations générales relatives au caractère sectaire de l’association, ni d’aucun motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services (JRCE, 30 mars 2007, Ville de Lyon, n° 304053 ; à rapprocher de Commune de Valbonne op.cit.).

Des considérations d'ordre public peuvent également justifier le rejet d'une demande de reconnaissance du statut d’association cultuelle.

Conformément aux articles 1er, 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905, les associations qui revendiquent le statut d’association cultuelle, en premier lieu, doivent avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte, en deuxième lieu, ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l’acquisition, la location, la construction, l’aménagement et l’entretien des édifices servant au culte ainsi qu’à l’entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l’exercice du culte et, en troisième lieu, ne peuvent bénéficier de ce statut si certaines des activités de l’association peuvent porter atteinte à l’ordre public.

Ce statut présente certains avantages notamment en matière fiscale qui incite les religions dites nouvelles ou les sectes à en réclamer le bénéfice.

Le Conseil d’État a été amené à juger de la qualité d’association cultuelle (CE, Ass., 1er février 1985, Association chrétienne Les témoins de Jéhovah de France, n°46488) mais aussi de la légalité de décisions de refus prises au motif de l’existence de troubles à l’ordre public. Le juge administratif a ainsi confirmé le refus de l’Etat de conférer le statut d’association cultuelle au mouvement du « Vajra triomphant » à raison des procédures pénales engagées  contre son fondateur et contre certaines associations dont elle était proche (CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Vajra Triomphant, n°248467). Dans d’autres cas d’espèce, il a admis le caractère cultuel de certaines associations (CE, 23 juin 2000, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Clamecy, n°215109).

3-1-2 Dans les relations avec les usagers du service public

La neutralité du service public est le corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics et implique notamment l’égal accès des usagers au service public et leur égal traitement. Elle garantit tout à la fois la liberté de conscience, de religion et l’absence de discrimination.

La qualité d’usager du service public n’implique en elle-même, aucune limitation à la liberté de d’opinion et de croyance, ni à la possibilité de les exprimer. Si un devoir de stricte neutralité s’impose à l’agent des services publics, qui incarne un service qui doit lui-même être neutre, les usagers ont, a priori, le droit d’exprimer leurs convictions religieuses.

Des restrictions à la liberté des usagers des services publics de manifester leur conviction peuvent toutefois être envisagées. Elles résultent alors soit de textes particuliers soit de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public.

L’exemple le plus significatif est l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, créé par la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics qui interdit aux élèves de ces établissements, usagers du service, le port de signes ou tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse (ex : voile, kippa, grande croix) ou ceux dont le port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse en raison du comportement de l'élève.

Le Conseil d’Etat avait admis, préalablement à l’intervention du législateur, le principe d’un encadrement de la liberté religieuse des élèves sous réserve qu’il ne conduise pas à une interdiction générale et absolue de porter des signes distinctifs qui serait contraire à la liberté d’expression des élèves (CE, 2 novembre 1992, Z, 130394).

Depuis l’adoption de cette loi, le Conseil d’Etat a notamment confirmé la sanction prise à l’encontre d’une jeune femme qui avait systématiquement refusé de retirer un bandana et ainsi donné à ce dernier le caractère d’un signe manifestant de manière ostensible son appartenance religieuse (CE, 5 décembre 2007, M. et Mme G., n°295671). Il a également jugé que le « keshi » sikh, bien qu’il soit d’une dimension plus modeste que le turban traditionnel et de couleur sombre, ne peut être qualifié de signe discret et que, par suite, le seul port de ce signe manifeste ostensiblement l'appartenance à la religion sikhe de celui qui le porte (CE, 5 décembre 2007, M. S., n°285394). Plus récemment, le Conseil d’État a également jugé que le ministre de l’éducation nationale pouvait interdire le port de vêtement de type abaya ou qamis dès lors qu’ils manifestent ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse (CE, 27 septembre 2024, Association la voix lycéenne et autres, n°s 487944, 487974, 489177)

La CEDH a confirmé la conformité à la Convention EDH de mesures d’expulsion d’un établissement scolaire intervenues en application de la loi de 2004 (CEDH, 4 décembre 2008, Dogru c. France, req. n° 27058/05 ; du même jour, Kervanci c. France, req. n° 31654/04). Elle a confirmé sa jurisprudence récemment concernant l’interdiction du port de signes convictionnels visibles à l’école (CEDH, 9 avril 2024, Mikyas et autres c. Belgique, req. n° 50681/20).

Dans un autre contexte, le Conseil d’État a également jugé que les fédérations sportives, chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée, pouvaient imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives afin de de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation (CE, 29 juin 2023, Association Alliance citoyenne et autres, n° 458088,  et a.)

Par ailleurs, le principe de laïcité interdit « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers » (Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n°2004-505 DC). Le Conseil d’Etat considère ainsi que ni les dispositions de l’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ni les stipulations de l’article 9 de la convention EDH ne justifie qu’un individu puisse être dispensé, compte tenu de ses pratiques religieuses, de figurer tête nue sur les photographies destinées à l’établissement de la carte nationale d’identité (CE, 15 décembre 2006, Association United Sikhs et Mann Singh, n° 289946 ; CE, 27 juillet 2001, Fonds de défense des Musulmans en justice, n°216903).

3-2 La prise en compte de pratiques radicales dans l’examen de situations individuelles

Si la neutralité de l’Etat implique que l’administration soit indifférente à la question religieuse, le juge administratif accepte néanmoins que l’administration tienne compte de pratiques religieuses jugées radicales dans l’examen de situations individuelles.

L’indifférence de l’État à l’égard de la religion s’exprime ainsi chaque fois que l’administration ou le juge tranchent une question de droit sans égard pour l’objet religieux de la demande ou le caractère religieux du demandeur. L’application de la norme juridique est en principe indifférente au fait religieux, pour des raisons d’égalité devant la loi.

Le Conseil d’Etat accepte, cependant, que l’administration tienne compte, dans le cadre du traitement de certaines demandes, de pratiques religieuses particulièrement radicales.

Il a ainsi rejeté le recours dirigé contre une décision de refus d’agrément opposé, dans le cadre d’une procédure d’adoption d’un pupille de l’État, à un couple ayant fait connaître leur adhésion personnelle à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et leur opposition à l'usage de cette méthode thérapeutique (CE, 24 avril 1992, Département du Doubs c/ Epoux F., n°110178).

Le Conseil d’Etat a également jugé que l’adhésion à certaines pratiques radicales pouvait constituer un « défaut d’assimilation » au sens de l’article 21-4 du code civil qui prévoit que le Gouvernement peut, par décret en Conseil d’Etat, s’opposer à la déclaration acquisitive de nationalité française d’un conjoint de Français. Saisi d’une affaire portant sur l’épouse d’un ressortissant français se réclamant du courant salafiste et revendiquant notamment le port du niqab, le Conseil d’Etat a relevé que la requérante avait « adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d’égalité des sexes » (CE, 27 juin 2008, Mme M., précité) ou adopte un mode de vie caractérisé par une méconnaissance et une ignorance des valeurs et principes essentiels de la société française (CE, 20 mars 2023, Mme A. n° 461575). Il considère également justifié l’opposition à l’acquisition de la nationalité française d’un président d’association gestionnaire d’un lieu de culte ayant eu une responsabilité dans le recrutement et le maintien en fonction d’un prédicateur connu pour des propos d’une teneur radicale et violente et contraires aux valeurs essentielles de la société françaises (CE, 24 octobre 2023, M. E., n° 469227). En revanche, le seul port du voile ne peut, en revanche, justifier, à lui seul un défaut d’assimilation (CE, 19 novembre 1997, B.H., n°169368 ; CE, 3 février 1999, Mme E.Y., n°161251).

La nécessaire neutralité des pouvoirs publics à l’égard des convictions religieuses de chacun admet donc des limites qui ne tiennent pas uniquement à la protection de l’ordre public dans sa conception classique. Le Conseil constitutionnel a confirmé cette évolution dans sa décision du 7 octobre 2010 relative à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public n°2010-613 DC). Il a ainsi jugé : « que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque-là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ». A noter que la Cour EDH a conclu à l’absence de violation des articles 8 et 9 de la convention en raison de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public en soulignant que la préservation du « vivre ensemble » est un objectif légitime justifiant la restriction en question (CEDH, Gde. ch., S.A.S c. France, req. n° 43835/11).

ANNEXE

Sélection de jurisprudence en matière de laïcité pour la période 2014-2024

 

I. Jurisprudence du Conseil d’État, des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

Le Conseil d’État a notamment eu à statuer entre les 2014 et 2024 dans 34 affaires en lien avec le principe de laïcité :

Sur le port de signes ostensibles en milieu scolaire :

CE, Juge des référés, ord., 7 septembre 2023, Association action droits des musulmans, n°487891, C – (Communiqué de presse) : Saisi en urgence par une association, le juge des référés du Conseil d’État rejette le référé contre l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics. En l’état de l’instruction, le juge estime que l’interdiction du port de ces vêtements ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

CE, Juge des référés, ord., 25 septembre 2023, Association la voix lycéenne et autres, n°487896, 487975 –(Communiqué de presse) : Saisi en urgence par deux associations et un syndicat, le juge des référés du Conseil d’État rejette le référé-suspension contre l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics. En l’état de l’instruction, le juge des référés estime qu’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de l’interdiction décidée par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse le 31 août 2023.

CE, 27 septembre 2024, Association La voix lycéenne et autres, nos 487944, 487974, 489177, A : Saisi au fond par deux associations et un syndicat, le Conseil d’Etat rejette la demande d’annulation pour excès de pouvoir contre l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics. Le Conseil d’Etat juge que l’interdiction prise par le ministre chargé de l’éducation nationale et de la jeunesse est légale et conforme au principe de laïcité. Par cette solution, le Conseil d’Etat entérine la position prise par le juge des référés un an auparavant.

Sur le port de vêtements ou d’objets affichant une appartenance religieuse dans le cadre d’une activité sportive s’exerçant au sein de fédérations sportives assurant l’organisation d’un service public :

CE, Juge des référés, ord., 22 novembre 2021, Association alliance citoyenne et autres, n° 458092 : Saisi en urgence par une association, le juge des référés du Conseil d’Etat rejette le référé-suspension contre l’interdiction du port du hijab pendant les compétitions et manifestations sportives organisées par la Fédération française de football (FFF). En l’état de l’instruction, le juge estime que l’interdiction de port de ces vêtements n’est pas caractéristique d'une urgence qui justifie la suspension de la décision litigieuse.

CE, 29 juin 2023, Association Alliance citoyenne et autres et Ligue des droits de l'homme, n°458088, 459547, 463408, A(Communiqué de presse) : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a été saisi par deux associations souhaitant que le port du hijab soit autorisé par la Fédération française de football (FFF), ainsi que par la Ligue des droits de l’homme qui contestait l’interdiction du port pendant les matchs de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale». Il juge que les fédérations sportives, chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée, peuvent imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives afin de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation. Il estime que l’interdiction édictée par la FFF est adaptée et proportionnée.

Sur le port de vêtements ou d’objets affichant une appartenance religieuse dans l’espace public :

CE, Juge des référés, ord., 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres et Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, nos 402742, 402777 : Saisi en appel par plusieurs associations, le juge des référés du Conseil d’Etat annule l’ordonnance et suspend l’arrêté municipal au motif que le maire a excédé ses pouvoir de police en interdisant l’accès de la plage aux individus portant une tenue manifestant une appartenance religieuse de manière ostensible sans démontrer de risques avérés de troubles à l'ordre public.

CE, Juge des référés, ord., 26 septembre 2016, Association de défense des droits de l’homme et Collectif contre l’islamophobie en France, n°403578 : Saisi en appel par plusieurs associations, le juge des référés du Conseil d’Etat annule l’ordonnance et suspend l’arrêté municipal au motif que ni une menace terroriste persistante et récente, ni certains incidents ne sont susceptibles de faire apparaitre que l’interdiction, sur l’ensemble des plages d’une commune, de tenues manifestant une appartenance religieuse de manière ostensible est justifiée par des risques avérés de troubles à l’ordre public.

CE, Juge des référés, ord., 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n° 464648 : Saisi en appel par une commune, le juge des référés du Conseil d'Etat rejette la requête contre l’ordonnance qui a suspendu la délibération du conseil municipal prévoyant des dérogations aux règles communes en raison des convictions religieuses des usagers. Il juge que certes la commune peut prévoir de tels aménagements, à la condition qu’ils ne soient pas excessifs au regard du principe d’égalité des usagers devant le service public consubstantiel au principe de neutralité.

CE, 17 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, n°475636, B : Dans cette affaire, le Conseil d’État juge plus particulièrement que ni certains incidents survenus plusieurs années auparavant, ni une menace terroriste persistante à la suite d’attentats commis dans la région ne sont susceptibles de faire apparaître que l’interdiction, sur l’ensemble des plages d’une commune, de tenues manifestant une appartenance religieuse de manière ostensible serait justifiée par des risques avérés de troubles à l’ordre public.

CAA de Marseille, 3 juillet 2017, Ligue des droits de l’homme, n° 17MA01337, C : tenues vestimentaires manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse dans l’espace public causant des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

Sur le régime alimentaire conforme à une confession religieuse :

Dans le milieu carcéral :

CE, 16 juillet 2014, Garde des sceaux, ministre de la justice c/. M. Khadar, n° 377145,  : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que la fourniture de menus confessionnels ne peut être imposé à l’administration pénitentiaire afin de satisfaire les convictions religieuses des détenus en raison des contraintes matérielles propres à la gestion de l’établissement pénitentiaire.

CE, 25 février 2015, M. Stojanovic, n°375724, B : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que les détenus peuvent exercer leurs convictions religieuses en matière d'alimentation, sans que l'administration soit tenue de garantir, en toutes circonstances, cette situation. Le Conseil d’Etat précise que le refus de cette possibilité ne constitue pas une atteinte excessive à leur droit de pratiquer leur religion, compte tenu des impératifs de sécurité et des contraintes de gestion des établissements pénitentiaires.

CE, 10 février 2016, M. Khadar, n°385929, A : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que l'administration pénitentiaire n'est pas obligée de garantir une alimentation conforme aux convictions religieuses des détenus en toutes circonstances. Toutefois elle doit, dans la mesure du possible, au regard des contraintes matérielles et de l'objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements, permettre le respect des prescriptions alimentaires liées à ces croyances.

Dans le milieu scolaire :

CE, 11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483, A : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge qu’il n’existe aucune obligation pour un gestionnaire de service public facultatif de proposer des repas différenciés en fonction des convictions religieuses des usagers, et ces derniers n'ont pas de droit à cet égard. Toutefois, pour redéfinir les règles d’organisation et de fonctionnement dudit service le gestionnaire doit tenir compte de l’intérêt général qui prévoit que l’ensemble des usagers puissent en bénéficier. Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que ni les principes de laïcité et de neutralité, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public ne font obstacle à la proposition de repas de substitution en fonction des convictions religieuses des enfants/usagers.

CAA Toulouse, 26 janvier 2023, Commune de Beaucaire, n° 21TL01227, 21TL01230, C : Obstacles à la mise en place de menu de substitution dans les cantines – Conformité des dispositions du règlement intérieur des temps périscolaires.

CAA de Lyon, 23 octobre 2018, M. Marcel Girardin, n° 16LY03088, C : principes de laïcité et de neutralité – Demande de suppression des repas sans porc.

Sur l’installation d’insignes religieux dans des emplacements publics :

CE, Ass, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 395223, A : Le Conseil d’Etat précise le champ d’application materiae de l’article 28 de la loi de 1905 en distinguant les signes ou emblème cultuel et ceux culturel d’une part, et loci selon que le signe ou emblème se situe au siège d’une collectivité publique ou dans un autre emplacement public tel que la voie publique à la condition qu’ils ne soient pas constitutifs d’un acte de prosélytisme. En l’espèce, l'installation d'une crèche de Noël au siège de la collectivité ne respecte pas le principe de neutralité des personnes publiques, car aucunes circonstances particulières lui conférant un caractère culturel, artistique ou festif n’est caractérisé.

CE, Ass, 9 novembre 2016, Commune de Melun c/Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395122, A : Dans cette affaire similaire à celle supra (Fédération de la libre pensée de Vendée), le Conseil d’Etat insiste sur l’appréciation casuistique qui permet de distinguer si un signe ou emblème installé dans une enceinte publique relève du champ cultuel ou culturel. En l’espèce, il juge que la crèche installée dans le porche de l'hôtel de ville de la collectivité publique ne reposait sur aucun usage local ni élément culturel, artistique ou festif. Par conséquent, en l'absence de telles circonstances particulières, son installation est contraire au principe de neutralité des personnes publiques.

CE, 15 juillet 2020, M. Geantet, n° 423702, C : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la présence de symboles religieux sur un blason communal en précisant qu’il peut inclure des éléments cultuels uniquement s'ils sont directement liés aux caractéristiques de la commune, sans exprimer de préférence religieuse ou reconnaître un culte, en conséquent le principe de neutralité n’est pas atteint en l’espèce.

CE, 26 juillet 2023, Commune de Perpignan, n°470109, C : Saisi d’une demande en annulation d’une l’ordonnance du juge des référés du TA de Montpellier imposant à la Commune de Perpignan de retirer la crèche de la Nativité installée dans le patio de l'hôtel de ville sous astreinte journalière, le Conseil d’État juge d'une part, que les effets de cette ordonnance pouvaient être obtenus par une procédure de référé régie par l'article L. 521-1 du code de justice administrative et, d'autre part, qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que la mesure sollicitée ait été de nature à prévenir un péril grave. Constatant cependant que la crèche de la Nativité n'est plus exposée dans le patio de l'hôtel de ville, le Conseil d’État relève que le pourvoi de la commune de Perpignan est devenu sans objet et conclut au non-lieu.

CE, 30 octobre 2024, M.Ouzoulias et autres, nos 490587 e. a. : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat est saisi par plusieurs associations d’un recours pour excès de pouvoir contre la tenue d’une cérémonie officielle à l’Elysée. Le Conseil rejette le recours au motif qu'aucune décision n'a été prise pour autoriser une cérémonie religieuse lors de la remise d'un prix au Président de la République, malgré l'allumage d'une bougie et le chant d'un hymne, ce qui rend irrecevable le recours engagé.

CAA de Paris, 8 octobre 2015, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n°15PA00814,C+ : Installation d’une crèche dans la cour de l’Hôtel de ville de Melun – Annulation de la décision du maire compte du caractère religieux.

CAA de Nantes, 13 octobre 2015, Département de la Vendée, n° 14NT03400, C+ : décision favorable à l’installation de crèche dans une enceinte publique car représentation non ostentatoire.

CAA de Marseille, 3 avril 2017, M. Garcia et autre, n° 15MA03863, C : Crèche dans le hall de l’hôtel de ville de la Ville de Béziers – Absence d’usage local ou d’élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif

CAA Toulouse, 13 avril 2023, Association groupe de la libre pensée de Béziers et environs, n° 22TL22249, C : Annulation de la décision d’un maire d’une commune d’installer une crèche de Noël - Respect du principe de neutralité.

TA Toulouse, 30 mars 2023, M. M. Muttawa et autre, n° 2105014, C : Projection de caricatures du dessinateur de Charlie hebdo sur des bâtiments publics – Hommage à Samuel Paty – Absence d’atteinte au principe de neutralité ou de laïcité.

Sur la mise à disposition de moyens publics au profit d’une association cultuelle :

CE, 10 février 2017, Ville de Paris, n° 395433 : En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la conclusion d’un bail emphytéotique administratif pour construire un édifice cultuel est possible à condition que l'affectataire soit une association cultuelle conformément aux exigences de la loi du 9 décembre 1905.  Le Conseil d’Etat précise que si l'affectataire n'est pas l'emphytéote, le bail doit inclure une clause résolutoire garantissant que le lieu soit affecté à une telle association.

CE, 10 février 2017, Ville de Paris, n° 395433 : En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la conclusion d’un bail emphytéotique administratif pour construire un édifice cultuel est possible à condition que l'affectataire soit une association cultuelle conformément aux exigences de la loi du 9 décembre 1905.  Le Conseil d’Etat précise que si l'affectataire n'est pas l'emphytéote, le bail doit inclure une clause résolutoire garantissant que le lieu soit affecté à une telle association.

CE, 7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 417629 : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat distingue les règles de mise à disposition d’un local communal à une association cultuelle selon que ce local appartienne au domaine public ou au domaine privé de la commune propriétaire. Dans la première hypothèse, le local communal peut être utilisé par l’association dès lors que les conditions financières excluent toute libéralité et aide à un culte. Par conséquent, la mise à disposition pérenne et exclusive d’un local appartenant au domaine public de la commune méconnait les dispositions de l’article L.2144-3 du CGCT. Dans la seconde hypothèse, le local communal peut être l’objet d’un bail dans les conditions de droit commun sans contrevenir à l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905.

CE, 22 décembre 2022, Commune de Montreuil, n° 447100 : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que le principe de laïcité n'empêche pas une décision de préemption pour réaliser un équipement collectif à vocation cultuelle, à condition de respecter la neutralité à l’égard des cultes et le principe d'égalité. En l’espèce, une telle décision ne constitue pas une aide à l'exercice d'un culte conformément à la loi du 9 décembre 1905. Toutefois, le Conseil d’Etat précise que la loi précitée prévoit que ce droit de préemption d’une commune envers une association cultuelle soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et toute aide directe ou indirecte à un culte, à défaut d’un texte législatif dérogatoire à la loi sur la séparation des Eglises et de l'Etat.

CE, 18 mars 2024, Commune de Nice c/ M. Vardon et autre, n°471061: Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours en annulation au sujet d’un arrêt d’une cour administrative d’appel qui a annulé un arrêté autorisant l’occupation d’un local communal à titre gratuit par une association en vue d’y célébrer la fête musulmane de l’Aïd‑el‑Fitr. En se fondant sur la règle spéciale issue de l’article L. 2144-3 du CGCT, le Conseil d’Etat juge qu’il est loisible qu’une commune permette l’utilisation d’un local par une association cultuelle dès lors qu’il répond à un intérêt général sans être constitutif d’une libéralité, ni porter atteinte au principe de neutralité.

CE, 30 juin 2024, Union syndicale Solidaires et autres, nos 461962, 462013, 462015 : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat statut en faveur de la légalité du contrat d’engagement républicain en considérant que ses nouvelles obligations imposées aux associations visent à garantir le respect du principe de laïcité, de l'ordre public et des symboles de la République, ce qui est un motif légitime.

CAA Versailles, 17 septembre 2023, Association centre de loisirs Chnéor, n°20VE02332, C : Question de la perception de subventions publiques dès lors que les activités ne seraient pas par nature cultuelle – Question de l’affectation des subventions de la CAF.

TA Dijon, 28 novembre 2023, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, n°2101533, C : Annulation d’une délibération approuvant les termes du contrat d’engagement républicain auquel doivent souscrire des associations pour bénéficier de subvention de la commune – Contrat prévoyant un fonctionnement « laïc » de toutes associations.

Sur les abatages rituels :

CE, 5 juillet 2013, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs, n° 361441, A

CE, 4 octobre 2019, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs, n° 423647, B

CE, Juge des référés, ord., 17 février 2021, Association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs, n° 449083, C

CE, 1er juillet 2022, Association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, n°441260, C

Dans ces affaires, le Conseil d’État confirme l’autorisation exceptionnelle de l’abattage rituel, avec des normes d’étourdissement adaptées, dans un objectif de concilier le respect du principe de laïcité, avec les exigences de la police sanitaire et l’égalité des croyances.

Sur les oppositions l’acquisition de la nationalité française :

 

CE, 15 novembre 2022, Association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, n°449077, CCE, 24 octobre 2023, M. E , n°469227, B Dans cette affaire, le Conseil d’État juge plus particulièrement que le Gouvernement n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’article 21-4 du code civil en s’opposant à l’acquisition de la nationalité française par un étranger, président d’une association gestionnaire d’une mosquée ayant eu une responsabilité particulière dans le recrutement et le maintien en fonction de l’un des prédicateurs, connu pour des propos d’une teneur radicale et violente, en particulier sur les réseaux sociaux, encourageant la propagation de thèses contraires ou hostiles aux valeurs essentielles de la société française.

Concernant les agents publics :

Les aumôniers :

CE, 20 mars 2023, Mme A, n°461575, C : Le Conseil d’État constate qu’il ressort du dossier de cette affaire que le mode de vie de la ressortissante israélo-américaine est caractérisé par une méconnaissance et une ignorance des valeurs et principes essentiels de la société française. Il juge ainsi que le Premier ministre n’a pas fait une inexacte application de l’article 21-4 du code civil en estimant d’une part, que Mme A. ne pouvait être considérée comme assimilée à la société française et en s’opposant d’autre part et par suite, à ce qu’elle acquière la nationalité française. CE, 27 juin 2018, Union des associations diocésaines de France et Monseigneur Pontier, n° 412039, A. En application des articles L. 4121-2 du code de la défense et des articles 2 et 3 de la loi du 8 juillet 1880 relative à l'abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l'aumônerie militaire, il appartient au pouvoir réglementaire de déterminer par un décret en Conseil d'Etat les conditions de recrutement des ministres du culte attachés aux armées. Ces conditions de recrutement sont fixées par le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires, que le décret n° 2017-756 a complété. La mission des aumôniers militaires, des aumôniers hospitaliers et des aumôniers pénitentiaires est d'assurer le libre exercice du culte ainsi qu'un soutien spirituel auprès des militaires des armées et des formations rattachées, des patients des établissements hospitaliers et des personnes détenues. En imposant une obligation de détention d'un diplôme de formation civile et civique pour les aumôniers recrutés par les armées ou les établissements hospitaliers et pour ceux des aumôniers des établissements pénitentiaires bénéficiaires d'une indemnité, le pouvoir réglementaire a ajouté une condition supplémentaire au recrutement ou à l'indemnisation de ces aumôniers, qui repose sur la poursuite d'objectifs d'intérêt général et de sauvegarde de l'ordre public en lien avec la mission de ces aumôniers, qui interviennent dans des lieux fermés ou isolés, auprès d'agents ou de publics dont la liberté de mouvement est limitée, afin de leur permettre le libre exercice de leur culte. L'institution d'une telle condition n'a par ailleurs pour effet ni d'encadrer l'exercice des cultes au sein des armées ou des formations rattachées, des établissements hospitaliers et des établissements pénitentiaires, ni de substituer l'appréciation de l'administration à celle de l'aumônier national ou des autorités cultuelles, auxquels il appartient de proposer les candidats aux fonctions d'aumônier. La formation en matière civile et civique visée par le décret n° 2017-756, qui ne porte pas sur leur ministère religieux, mais sur l'environnement social, institutionnel et juridique dans lequel s'exerce leur activité d'aumônier et n'implique pas que l'administration, comme les enseignants y participant, porte une appréciation sur le contenu des croyances concernées, peut, par suite, être assurée, financée ou réglementée par une collectivité publique sans méconnaître le principe posé par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat.

Par suite, en instituant cette condition de diplôme, le pouvoir réglementaire ne s'est pas immiscé dans l'organisation des cultes ni n'a entaché son appréciation d'une erreur manifeste.

TA Rennes, Ord., 12 octobre 2023, Association professionnelle aumônerie musulmane de France, n° 2301943, C : Immixtion de l’autorité publique dans le fonctionnement de l’église – Désignation d’un aumônier dans un hôpital public.

Les stagiaires du secteur public

CE, 28 juillet 2017, Mme Boutaleb et autres, n°s 390740, 390741, 390742, B : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que les élèves des instituts de formation paramédicaux sont des usagers du service public qui sont, sauf lorsqu’ils ont cours dans un lycée public, libres de faire état de leurs croyances religieuse. Ils ne sont pas soumis au principe de neutralité a contrario des agents du service public hospitalier. Toutefois, le Conseil d’Etat opère une distinction entre les stages, prévus par la formation d’élève infirmier, réalisés dans un établissement chargé d’une mission de service public où les stagiaires sont soumis au même titre que les titulaires à l’obligation de neutralité découlant du principe de laïcité ; et les stages dans un établissement privé qui sont soumis aux règles définies par le règlement intérieur.

CE, 12 février 2020, M. Bekheit, n° 418299 : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat juge que les praticiens étrangers accueillis comme stagiaires dans un établissement public de santé doivent respecter les obligations des agents du service public hospitalier. Bien qu'ils aient la liberté de conscience, le principe de neutralité leur interdit la manifestation de croyances religieuses dans le cadre de leurs fonctions. Toutefois, le Conseil d’Etat précise qu’en l’espèce le seul port d’une barbe n’était pas de nature à manifester une appartenance religieuse. Il faut que le port d’un signe ou emblème manifestant une conviction ou appartenance religieuse soit univoque et explicite pour être considéré contraire au principe de neutralité du service public.

L’accès à la fonction publique

CE, 27 juin 2018, Syndicat national de l’enseignement supérieur, n° 419595 : Dans cette affaire, le Conseil d’Etat énonce que les principes de laïcité et de neutralité garantissent que l'accès aux fonctions publiques, y compris celle de président d'une université, se fait sans distinction de croyance et de religion. Le Conseil d’Etat rappelle les conditions d’exercice d’un emploi public, à savoir respecter la neutralité des services publics en n’exprimant pas ses opinions religieuses dans l'exercice de ses fonctions et de faire preuve de réserve en dehors de celles-ci.

CAA de Paris, 18 octobre 2024, M. Mohamed Belguendouz, n°23PA02755, C+ : Refus d’agréement pour exercer la fonction de policier adjoint fondé sur une caractéristique physique ne pouvant traduire une volonté de manifester ses croyances religieuses.

CAA Lyon, 27 septembre 2023, M. F. El Merghadi, n° 21LY01316, C : Refus de titularisation en fin de stage en raison de manifestations dans l’espace public de convictions religieuses par l’agent.

TA Paris, 4 octobre 2023, Association de défense de la méritocratie en classes préparatoires, n°2114410, C : Dispositif dérogatoire permettant à des candidats de disposer d’un aménagement d’épreuves pour un motif religieux.

Sur le régime juridique des associations cultuelles

CAA de Paris, 16 novembre 2023, Association des musulmans de Noisy-le Grand, n° 21PA04879, C : requête dirigée contre l’abrogation d’un arrêté préfectoral reconnaissance le caractère cultuel d’une association en raison de troubles à l’ordre public.

Sur l’agrément d’associations apportant leur concours à l’enseignement public :

CAA de Paris, 16 novembre 2023, Association des musulmans de Noisy-le Grand, n°21PA04879, C : requête dirigée contre l’abrogation d’un arrêté préfectoral reconnaissance le caractère cultuel d’une association en raison de troubles à l’ordre public.

TA Paris, 22 mars 2023, Association Coexister France, n° 2114395, C : Appréciation par le juge du respect du principe de laïcité au regard des prises de positions publiques de certains membres de l’association ayant conduit au refus d’agrément de l’association.

II. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Sur l’interdiction du port de signes convictionnels visibles en milieu scolaire

CEDH, 9 avril 2024, Mikyas et autres c. Belgique, n° 50681/20 : Dans cette affaire, les requérantes contestaient l’interdiction du port du voile dans leurs établissements scolaires. La Cour juge irrecevables les griefs fondés sur l'article 9 de la convention, estimant qu'ils manquent manifestement de fondement. Elle précise que la neutralité de l'enseignement communautaire, qui interdit de manière générale les signes convictionnels visibles, ne contrevient pas en soi à l'article 9. L'interdiction ne vise pas spécifiquement le voile islamique, mais s'applique à tous les signes convictionnels visibles. La Cour rappelle que les autorités nationales, dans le cadre de leur marge d'appréciation, peuvent légitimement chercher à maintenir un environnement scolaire exempt de signes religieux. Elle conclut, selon une jurisprudence constante, que la restriction est proportionnée aux objectifs de protection des droits d'autrui et de l'ordre public, et donc « nécessaire dans une société démocratique ».

TA Nice, 9 juin 2015, Mme D., n° 1305386, C+ : Les parents d’élèves accompagnant les sorties scolaires sont des usagers du service public et donc non-soumis à l’obligation de neutralité.

Sur le port de vêtements ou d’objets affichant une appartenance religieuse dans l’espace public :

CEDH, Gde Ch., 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, n°43835/11 : Dans cette affaire, la requérante conteste la conformité de la loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, aux droits et libertés garantis par la convention. La Cour estime qu’il n’y a pas de violation des articles 8 et 9 de la convention. Elle souligne que la préservation du « vivre ensemble » est un objectif légitime justifiant la restriction en question, et que l’État bénéfice d’une large marge d’appréciation en matière de politique générale car l’interdiction relève d’un « choix de société ». Concernant l'article 14, combiné avec les articles 8 et 9, la Cour a jugé que, bien que l’interdiction du voile intégral a des effets négatifs sur les femmes musulmanes, elle repose sur une justification objective et raisonnable.

CEDH, 5 décembre 2017, Hamidović c. Bosnie-Herzégovine, n°57792/15 : Dans cette affaire, il était question de contrôler la conformité d’un outrage à magistrat avec la liberté religieuse d’un témoin se présentant la tête couverte d’une calotte devant l’autorité judiciaire. La Cour rappelle, selon une jurisprudence constante, que des restrictions reposant sur le pouvoir du juge de régir la procédure, dès lors qu’elles visent un but légitime sont possibles sous réserve d’être raisonnables. La Cour énonce que la laïcité, protégée par l’article 9 de la Convention, sert à préserver les principes laïques et démocratiques, liés à la « protection des droits et libertés d’autrui » par conséquent constitue un but légitime. Pour autant, la Cour constate la violation de l’article 9 de la convention car la mesure est injustifiée et non nécessaire au regard de la nature de témoin du requérant.

CEDH, 11 juillet 2017, Belcacemi et Oussar c. Belgique, n° 37798/13 : Dans cette affaire, les requérantes contestent la conformité de la loi du 1er juin 2011 à la convention. La Cour juge que la restriction vise à garantir les conditions du « vivre ensemble », un élément de la protection des droits et libertés d’autrui, et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique. Dans le prolongement de sa jurisprudence, la Cour considère que répondre aux exigences minimales de la vie en société peut justifier cette interdiction, dans la mesure où elle a pour objectif la préservation des conditions du « vivre ensemble ».

CEDH, 11 juillet 2017, Dakir c. Belgique, n° 4619/12 : Dans cette affaire, les requérantes contestent la conformité de règlements communaux à la convention. La Cour statut que l’interdiction des règlements de la zone de police de Vesdre est proportionnée à l’objectif de préserver les conditions du « vivre ensemble » et de protéger les droits d’autrui. Elle juge que cette restriction est nécessaire dans une société démocratique, considérant que le choix d’accepter ou non le port du voile intégral dans l’espace public était un choix de société, à l'instar de l'affaire S.A.S. c. France. En outre, la Cour conclu à la violation de l'article 6 § 1 en raison d’un formalisme excessif qui limite disproportionnellement l’accès au prétoire du juge.

CEDH, 18 septembre 2018, Lachiri c. Belgique, n° 3413/09 : Dans cette affaire, il est question de la conformité d’une décision judiciaire excluant la requérante de la salle d’audience en raison de son refus d’enlever son voile. La Cour, dans la continuité de sa jurisprudence Hamidović, considère que la liberté religieuse des citoyens dès lors qu’ils ne sont pas agents du service public judiciaire doit pouvoir s’exercer dans une société démocratique saine. En conséquence, la Cour caractérise la violation de l’article 9 de la convention.

CEDH, 3 septembre 2024, Missaoui et Akhandaf c. Belgique, n° 54795/21 : Dans cette affaire, les requérantes se plaignent d’une interdiction d’accès à la piscine d’Anvers, en raison du port du burkini, fondée sur un règlement local. Elles n'ont pas formé de pourvoi en cassation, après un avis défavorable d’un avocat sur ses chances de succès. Les requérantes invoquent une discrimination fondée sur la religion. La Cour déclare la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en vertu de l'article 35 § 1 de la convention.

Sur le régime alimentaire conforme à une confession religieuse :

CEDH, 9 juin 2020, Erlich et Kastro c. Roumanie, nos 23735/16, 23740/16 : Dans cette affaire, les requérants contestent l’absence de repas conformes à leur religion comme une atteinte à leur liberté de religion. La Cour rejette la violation de l’article 9 de la convention au motif que les autorités pénitentiaires ont pris les mesures nécessaires pour respecter les convictions religieuses des requérants, en tenant compte des exigences strictes liées à la préparation des repas casher. Elles ont ainsi satisfait en l’espèce, à leurs obligations positives de manière raisonnable.

CEDH, 10 novembre 2020, Neagu c. Roumanie, n°21969/15 et Saran c. Roumanie, n°65993/16 : Dans ces affaires similaires, les requérants contestent le refus de l’administration pénitentiaire de fournir des repas conformes à leurs préceptes religieux suite à un changement de religion. La Cour énonce que les autorités nationales ont déséquilibré les intérêts entre l’établissement pénitentiaire, les autres détenus et le détenu concerné. La Cour considère que la demande du requérant dans l’affaire Neagu, d’obtenir un régime alimentaire religieux, n’aurait pas perturbé la gestion de la prison ni affecté les repas des autres détenus. Elle note également que le requérant dans l’affaire Saran a déjà bénéficié de repas conformes à sa religion dans trois prisons, suggérant que le système pénitentiaire roumain pouvait répondre à ce type de demande. La Cour valide la violation des obligations positives l’article 9 de la convention qui incombent aux autorités nationales.

Sur l’installation d’insignes religieux dans des enceintes publiques :

CEDH, Gde Ch., 18 mars 2011, Lautsi et autres c. Italie, n°30814/06 : la Cour statue sur la non-violation de l'article 2 du Protocole n°1 de la convention, et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 9 de la convention. La Cour estime que la présence de symboles religieux dans les écoles relève de la marge d'appréciation de l'État, surtout en l'absence de consensus européen sur la question, tant que cela ne conduit pas à de l'endoctrinement. La présence du crucifix dans les salles de classe en Italie, bien qu'elle donne une visibilité à la religion majoritaire, ne suffit pas à caractériser une forme d'endoctrinement, d'autant plus qu'elle n'est pas liée à un enseignement obligatoire du christianisme. En outre, la Cour souligne qu'il n'y a pas d'intolérance à l'égard des élèves d'autres religions ou convictions car chaque parent conserve le droit d'éduquer ses enfants selon ses propres convictions philosophiques ou religieuses.

Sur les abatages rituels :

CEDH, 13 février 2024, Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique, nos 16760/22 e.a. : Dans cette affaire, les requérants contestent la conformité de l’interdiction d’abatage sans étourdissement préalable pour des raisons religieuses tenant à l’abatage rituel, avec les articles 9 et 14 de la convention. Concernant l’article 9, la Cour reconnaît que l'interdiction de l'abattage sans étourdissement constitue une ingérence, mais estime qu'elle peut être justifiée si elle poursuit un but légitime et est prévue par la loi. Bien que l'article 9 précité ne mentionne pas explicitement la protection du bien-être animal, la Cour l'associe au but légitime de la protection de la morale publique. Elle souligne que la notion de morale est évolutive et que la convention doit être interprétée à la lumière des conceptions contemporaines. En ce qui concerne l’article 14, la Cour considère que les contextes de la chasse, de la pêche et de l'abattage sont fondamentalement distincts et ne peuvent être comparés. Concernant l'absence de distinction entre les individus soumis à des préceptes religieux et le reste de la population, elle note que la loi prévoit des spécificités pour l'abattage rituel, notamment une méthode d'étourdissement non létale. Enfin, la Cour estime que l'absence de distinction entre les pratiquants juifs et musulmans ne constitue pas une discrimination, les situations dénoncées n'étant pas sensiblement différentes au regard de l'ingérence dans la liberté religieuse. Au regard des éléments énoncés ci-dessus, la Cour rejette à l’unanimité la violation des articles 9 et 14 de la convention, en poursuivant la solution apportée par la CJUE, et s’opposant à la logique de certaines juridictions nationales des Etats-membres.

Sur l’application du principe de neutralité des agents du service public et la limitation du port de signes religieux pour les salariés :

CEDH, 26 novembre 2015, Ebrahimian c. France, n°64846/11 : Dans cette affaire, la Cour statut que le non-renouvellement du contrat de la requérante constitue une ingérence au droit de manifester sa religion, toutefois cette ingérence est conforme à l’article 9 de la convention EDH car elle vise à protéger les droits et libertés des autres, en l’espèce les patients. L’objectif est de garantir la neutralité religieuse dans le service public pour respecter toutes les croyances des usagers et assurer une égalité de traitement, sans distinction de religion. Cette restriction poursuit donc un but légitime de protection des droits d’autrui, sans nécessiter de justification supplémentaire liée à la sécurité publique ou à l’ordre.

Sur les pratiques rituelles et cultuelles en milieu carcéral :

CEDH, 14 juin 2022, Abdullah Yalçın c. Turquie, n°34417/10 (en anglais) : La Cour estime que les autorités n'ont pas trouvé un équilibre adéquat entre la sécurité en prison et le droit du requérant à la liberté de culte. Elles n'ont pas procédé à une évaluation individualisée du cas, par exemple pour déterminer si le requérant représentait un risque élevé, ni exploré d'autres solutions pour le lieu de prière, comparant ainsi le risque de rassemblement pour la prière du vendredi à d'autres types d'activités. La Cour statut par conséquent à la violation de l’article 9 de la convention.

Sur la liberté d’éducation des parents :

CEDH, 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, n°29086/12 : Dans cette affaire, la question de la conformité entre l’instruction publique à travers un cours de natation mixte et le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon des préceptes religieux. La Cour estime que le droit des requérants de manifester leur religion est en jeu, puisqu'ils ont subi une ingérence dans l'exercice de leur liberté religieuse protégée par l’article 9 de la convention. Toutefois, la Cour considère que l'obligation de suivre des cours de natation mixtes en primaire vise à favoriser l'intégration des enfants étrangers, assurer l'égalité entre les sexes, respecter la scolarité obligatoire et prévenir l'exclusion sociale. Cette mesure poursuit ainsi un but légitime au sens de l'article 9 § 2 de la convention. Enfin, la Cour juge qu’il est dans l'intérêt des enfants de recevoir une scolarisation complète et non sélective en fonction de la religion, l'intégration sociale prévalant ainsi sur les souhaits des parents.

Sur les pratiques rituelles et cultuelles qui relèvent de la sphère médicale, de santé :

CEDH, Gde Ch., 17 septembre 2024, Pinto Mulla c. Espagne, n°15541/20 : Dans une affaire impliquant des transfusions sanguines administrées à une requérante, témoin de Jéhovah, pendant une intervention chirurgicale d'urgence. La Cour estime que l'autorisation juridictionnelle donnée pour ces transfusions résulte d'un processus décisionnel ayant omis des informations essentielles sur les souhaits de la patiente, liées à ses convictions religieuses, qui ont été dûment enregistrés à plusieurs reprises.  La Cour conclut à la violation de l'article 8 de la convention, interprété à la lumière de l'article 9 en raison que le personnel médical n'a pas suffisamment respecté l’autonomie de la requérante et qu'elle souhaite exercer pour se conformer à un principe essentiel de sa religion.

III. Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

Sur les abatages rituels :

CJUE, Gde Ch., 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. c. Vlaamse Regering, aff. C‑336/19 : La Cour interprète le droit de l'Union européenne, à la lumière de l'évolution sociétale en faveur de la protection du bien-être animal, comme permettant aux États membres d'imposer un étourdissement réversible lors de l'abattage rituel. La Cour précise que le règlement (CE) n° 1999/2009 ne vise pas à unifier les législations nationales, mais permet aux États d'imposer des règles plus strictes, y compris l'interdiction de l'abattage sans étourdissement préalable. Cependant, ces mesures ne doivent pas porter atteinte de manière disproportionnée à la liberté religieuse prévue à l'article 10 de la CDFUE. Enfin, la Cour juge qu’en l’espèce la mesure flamande imposant un étourdissement réversible garantit un équilibre entre la protection du bien-être animal et le respect de la liberté religieuse des croyants juifs et musulmans.

Sur l’application du principe de neutralité aux agents du service public et la limitation du port de signes religieux pour les salariés :

CJUE, Gde Ch., 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, aff. C-188/15 et aff. C-157/15 : La Cour pose le principe selon lequel la volonté d'un employeur de répondre aux souhaits d'un client qui ne veut pas de services d'une travailleuse portant un foulard islamique ne peut pas être considérée comme une exigence professionnelle essentielle selon la directive 2000/78/CE. Toutefois, la Cour considère qu’un employeur peut interdire le port de signes ou emblèmes religieux au sein de l’entreprise par une clause de neutralité au sein du règlement intérieur.

CJUE, Gde Ch., 15 juillet 2021, WABE et MH Müller Handels, affaires jointes C‑804/18 et C‑341/19 : La Cour examine si une règle interne d'entreprise interdisant les signes visibles de convictions constitue une discrimination directe fondée sur la religion, selon la directive 2000/78. Elle souligne que le port de tels signes est protégé par la liberté de pensée, de conscience et de religion. Une règle interdisant toute manifestation de convictions n'est pas considérée comme une discrimination directe si elle s'applique de manière générale à tous les travailleurs. Bien que cette règle puisse causer un désagrément à certains, elle n'instaure pas de traitement différencié fondé sur la religion. La Cour évalue ensuite si une différence de traitement indirecte peut être justifiée par la volonté de maintenir une politique de neutralité. Elle reconnaît qu'un tel objectif peut être légitime, mais qu'il doit être justifié par un besoin réel de l'employeur. La différence de traitement doit être cohérente et proportionnée par rapport aux conséquences défavorables visées. Enfin, la Cour rappelle que les dispositions nationales protégeant la liberté de religion doivent être prises en compte pour évaluer la légitimité de la différence de traitement.

CJUE, 13 octobre 2022, L.F. c. S.C.R.L, aff. C-344/20 : La Cour précise sa jurisprudence en indiquant qu’au sens de la directive 2000/78/CE « la religion ou les convictions » constituent un seul et unique motif de discrimination couvrant tant les convictions religieuses que les convictions philosophiques ou spirituelles. Un règlement intérieur édictant une obligation de neutralité religieuse ou philosophique n’institue pas une discrimination directe dès lors que cette sujétion est appliquée de manière générale et indifférenciée. Si cette clause peut éventuellement être discutée sur le terrain de la discrimination indirecte, la marge d’appréciation laissée aux États demeure limitée car à défaut, il y a un risque d’atteinte à l’effet utile du cadre général mis en place par le droit de l’Union en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi.

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