Le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public.
Les faits
Les maires de Morsang-sur-Orge et d’Aix-en-Provence avaient interdit des spectacles de "lancer de nains" qui devaient se dérouler dans des discothèques de leurs communes.
Pour ce faire, ils s’étaient fondés non sur les pouvoirs de police spéciale des spectacles, qu'ils tenaient de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, mais sur les pouvoirs de police générale que leur confiaient les dispositions de l'article L. 131-2 du code des communes. Lorsqu’elles sont appliquées aux spectacles, ces dernières dispositions sont généralement entendues comme visant à garantir la sécurité du public ou à prévenir d’éventuels troubles matériels à l’ordre public à l’occasion d’une représentation.
En l’espèce, faisant usage de leur pouvoir de police générale, les maires avaient interdit ces spectacles non pour des considérations de cette nature, mais en estimant que ces représentations portaient atteinte au respect de la dignité de la personne humaine.
Le sens et la portée de la décision
Le Conseil d'État a jugé que le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l'ordre public. Par conséquent, l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut interdire une attraction qui y porte atteinte, même en l'absence de circonstances locales particulières, en faisant usage de son pouvoir de police générale.
Si l’ordre public recouvre traditionnellement sécurité, tranquillité et salubrité publique, la jurisprudence avait étendu l’acception de cette notion pour prendre en considération, dans certaines circonstances spécifiques, des aspects de moralité publique, justifiant notamment la fermeture de lieux de débauche et de prostitution (17 décembre 1909, Chambre syndicale de la corporation des marchands de vins et liquoristes de Paris, p. 990 ; 11 décembre 1946, Dames Hubert et Crépelle, p. 300), le contrôle du caractère décent des inscriptions portées sur les monuments funéraires (Ass. 4 février 1949, Dame Veuve Moulis, n°91208, p. 52), ou l'interdiction de diffusion, en raison de circonstances locales, de certains films à caractère immoral (Section 18 décembre 1959, Société « Les Films Lutetia », p. 693).
[La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement ou de dégradation, par ailleurs visée par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui proscrit les traitements inhumains ou dégradants, avait déjà été élevée au rang de principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (décision n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, p. 100).]
En faisant du respect de la dignité humaine une composante de l’ordre public, le Conseil d’Etat montré que l’ordre public ne peut être regardé comme purement « matériel et extérieur » et recouvre une conception de l’Homme dont les pouvoirs publics sont les garants. Le Conseil d’Etat s’est toutefois refusé à consacrer la moralité publique comme une composante de l’ordre public, se gardant d’interpréter trop largement les pouvoirs de police de l’autorité administrative.
27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge - Rec. Lebon p. 372