Loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

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CONSEIL D’ETAT
Assemblée générale
Séance du mardi 2 février 2016
Section de l’intérieur
N° 391.124
EXTRAIT DU REGISTRE DES  DELIBERATIONS
 

AVIS SUR UN PROJET DE LOI prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 26 janvier 2016 d’un projet de loi prorogeant, pour une nouvelle période de trois mois, l'état d'urgence déclaré par les décrets n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 et n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 et déjà prorogé par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

Cette nouvelle prorogation s’achèverait le 26 mai 2016.

2. Il a reconnu que cette nouvelle prorogation était justifiée par la persistance d’ « un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », selon les termes de l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dès lors :

  • que les liens entre le terrorisme intérieur et le terrorisme dirigé depuis l’étranger contre la France n'ont rien perdu de leur intensité ;

  • qu’en particulier, un nombre important de ressortissants français sont présents en zone irako-syrienne aux côtés de groupes terroristes et sont susceptibles de revenir en France à tout moment pour y accomplir des actions violentes ;

  • que des actions terroristes de moindre ampleur qu’avant l’instauration de l’état d’urgence, mais pareillement inspirées, continuent de se produire sur le sol national, illustrant la persistance de la menace.

3. L’expérience acquise depuis le 14 novembre a confirmé la nécessité des mesures prises au titre de l’état d’urgence tant pour prévenir les attentats que pour désorganiser les filières terroristes, leur armement et leur financement, notamment dans le cadre des saisies et procédures judiciaires.

4. Le Conseil d’Etat a constaté que les précautions prévues contre d’éventuels excès dans l’emploi de ces mesures, ainsi que leur contrôle juridictionnel, se sont révélés effectifs.

En particulier, le juge de l’excès de pouvoir s’assure que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à leur finalité (CC n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, cons. 11). Pour sa part, la procédure du référé-liberté permet, dans des délais très brefs, un débat oral et contradictoire devant un juge qui dispose, vis-à-vis del’administration, de larges pouvoirs de suspension et d’injonction. Au terme de cette procédure, un nombre significatif de mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence ont ainsi été suspendues, modifiées ou abrogées.

En outre, comme l’indique le Gouvernement dans l’exposé des motifs du projet de loi, la proportionnalité des mesures à intervenir dans le cadre de la prorogation qui est proposée sera renforcée :

  • d’une part, parce que les assignations à résidence en cours le 26 février 2016 prendront fin et ne pourront être reprises qu’après un nouvel examen particulier de chaque dossier, ainsi que l’a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 (cons. 12),

  • d’autre part, par l’intention du Gouvernement, sauf circonstances nouvelles, de réduire « très substantiellement » le nombre des mesures restrictives de liberté par rapport à la première période de l’état d’urgence.

L’écoulement du temps et les résultats acquis au cours de la première période limitent en effet le nombre  des mesures nécessaires au cours de la suivante.

5. La prorogation prévue opère dès lors une conciliation non déséquilibrée entre la sauvegarde des droits et libertés constitutionnellement garantis, d’une part, et la protection de l’ordre et de la sécurité publics, d’autre part.
Elle est en outre compatible avec les engagements internationaux de la France et, notamment, avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

6. L’état d’urgence doit demeurer temporaire.
Comme le relevait déjà le juge des référés du Conseil d’Etat le 9 décembre 2005 (n° 287777) à propos de l’état d’urgence de 2005, et encore tout récemment le 27 janvier 2016 (n° 396220), « un régime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui dans un Etat de droit sont par nature limités dans le temps et dans l’espace ».

a) S’agissant de ses effets dans l’espace, le Conseil d’Etat estime que le ressort géographique déterminé par les décrets des 14 et 18 novembre 2015 reste proportionné aux circonstances.
b) S’agissant de ses effets dans le temps, l’état d’urgence reste un « état de crise » qui est par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment. La durée de trois mois, telle qu’elle est proposée par le Gouvernement, n’apparaît pas inappropriée au regard des motifs justifiant la prorogation.
Lorsque, comme cela semble être le cas, le « péril imminent » ayant motivé la déclaration de l’état d’urgence trouve sa cause dans une menace permanente, c’est à des instruments pérennes qu’il convient de recourir. Il convient donc que le Gouvernement prépare dès maintenant la fin de l’état d’urgence.

7. L’état d’urgence perd son objet, dès lors que s’éloignent les « atteintes graves à l’ordre public » ayant créé le péril imminent ou que sont mis en oeuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l’état d’urgence principalement fondés sur des moyens de police administrative, ont vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l’a suscité.

Y doivent contribuer tous les moyens légaux des périodes normales hors état d’urgence et, d’abord, une bonne coopération entre la justice, la police judiciaire et les autres forces de sécurité. A cet égard, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, prochainement examiné par le Parlement, entend renforcer à la fois l’efficacité des enquêtes et des investigations sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les garanties des justiciables et la surveillance des personnes rentrant de zones contrôlées par des groupes terroristes. En complétant significativement la législation applicable, il fournit de nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme.

Plus largement, doivent permettre de répondre à la menace terroriste l’ensemble des politiques publiques dans les domaines du renseignement, de la sécurité publique, de la défense, de l’éducation, de l’intégration et de la coopération internationale.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du mardi 2 février 2016.