Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires

Avis consultatif
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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur une lettre rectificative au projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONSEIL D’ÉTAT
Séance du 11 juin 2015

Assemblée générale
Section de l’intérieur
Section des finances
Section de l’administration

N° 390136
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

Avis sur une lettre rectificative au projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires
1 - Le Conseil d’État, saisi le 26 mai 2015 d’une lettre rectificative au projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qu’il avait examiné le 11 juillet 2013 et qui avait été déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 17 juillet 2013 sans avoir pu être inscrit à l’ordre du jour, s’est prononcé sur cette lettre rectificative le 11 juin 2015.
2 - Dans sa nouvelle version telle qu’elle résulte de la lettre rectificative, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ne comporterait plus que 25 articles au lieu des 59 initiaux.
En premier lieu, sont supprimés par la lettre rectificative le chapitre IV du titre Ier, qui comportait les dispositions déontologiques relatives aux membres des juridictions administratives et financières, et le chapitre II du titre IV, qui comportait diverses dispositions, statutaires et non statutaires relatives à ces mêmes juridictions, ces questions faisant désormais l’objet de dispositions spécifiques d’habilitation sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
Sont également supprimés le chapitre Ier relatif à la mobilité du titre II (à l’exception de l’article 23), le chapitre Ier du titre III, le chapitre III du titre IV, lequel comportait des dispositions d’ajustements rédactionnels et de références textuelles, et enfin l’article 44 du chapitre Ier du titre IV qui modifiait l’article L. 222-6 du code forestier concernant les fonctionnaires de l’État pouvant être affectés à l’Office national des forêts.
En second lieu, la lettre rectificative modifie les dispositions des chapitres Ieret III du titre Ier consacrés respectivement à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts et à la commission de déontologie, du chapitre Ier du titre III relatif à l’amélioration de la situation des agents non titulaires. En outre, elle prévoit, à ses articles 24 et 25, d’habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances des mesures concernant respectivement la fonction publique et les juridictions administratives et financières, dont certaines figuraient dans le projet de loi initial déposé à l’Assemblée nationale le 17 juillet 2013. Le I de l'article 25 prévoit des mesures concernant le statut et la déontologie des membres du Conseil d'État et des autres juridictions administratives, ainsi que des mesures relatives au fonctionnement de la juridiction administrative et à la durée de certaines fonctions. Le II du même article prévoit des mesures relatives à la déontologie et au statut des magistrats et personnels de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes.
Ce sont ces dernières dispositions qui font l’objet du présent avis. Le Conseil d’État ne s’est prononcé que sur les dispositions du projet de loi modifiées par la lettre rectificative. Il n’a pas examiné les dispositions non modifiées par celle-ci, pour lesquelles il renvoie à son avis du 11 juillet 2013, ni celles retirées du projet de loi, dès lors qu’il ne résultait pas de ces retraits de difficultés juridiques, rédactionnelles ou administratives qui auraient affecté la hiérarchie des normes, la cohérence du texte ou la bonne administration.
Sur l’étude d’impact
3 - Une lettre rectificative, qui est de même nature que le projet de loi qu’elle a pour objet de modifier, doit être accompagnée, conformément aux dispositions de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, d’une étude d’impact répondant aux exigences de cet article.
4 - En l’espèce, le Conseil d’État a relevé que l’étude d’impact identifiait de manière suffisante les objectifs poursuivis et leurs impacts prévisibles. Il note en particulier que l’étude a été complétée avant l’Assemblée générale, comme cela avait été demandé lors de l’examen en section, sur la généralisation de l’institution du référent déontologue, la procédure de transmission préalable, avant nomination, de la déclaration d’intérêts et l’évaluation des moyens qui seront nécessaires à la commission de déontologie de la fonction publique pour exercer les missions qui lui seront dévolues.
Sur l’article 1er
5 - Le Conseil d’État a relevé que, par rapport à la version initiale du projet de loi qu’il avait examinée le 11 juillet 2013, l’article 1erdu projet de loi résultant de la lettre rectificative, qui réécrit l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ajouterait l’intégrité aux principes déontologiques d’impartialité, de dignité et de probité dans le respect desquels tout fonctionnaire doit exercer ses fonctions. Il a estimé que cet ajout était nécessaire afin de rendre cohérent, sur ce point, le projet de loi avec la rédaction de l’article 1er de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lequel dispose que « les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d’un mandat électif local ainsi que celles chargées d’une mission de service public exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ».
6 - Le Conseil d’État a estimé que l’inscription du respect du principe de laïcité parmi les obligations professionnelles des fonctionnaires avait toute sa place au nouvel article 25 de la loi du 13 juillet 1983, eu égard aux impératifs constitutionnels qui s’imposent aux collectivités publiques et donc à la fonction publique. En effet, en vertu tant des dispositions de l’article 1er de la Constitution de 1958 que de celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'État, le fonctionnaire est, en toute circonstance, tenu à l’obligation d’exercer ses fonctions dans le respect du principe de laïcité.
Le Conseil d’État n’a pas retenu une disposition de la lettre rectificative qui, dans une première version, prévoyait que « Le fait pour un fonctionnaire de manifester, dans l’exercice de ces fonctions, ses croyances religieuses constitue un manquement à ses obligations professionnelles ». Il a, en revanche, admis, après saisine rectificative sur ce point, une disposition prévoyant que le fonctionnaire doit, au titre du respect du principe de laïcité, « notamment s’abstenir de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». A la différence de celle qui a été écartée et qui aurait présenté le grave inconvénient de faire naître un doute sur la nécessité de définir, pour exercer l’action disciplinaire, les fautes susceptibles d’être ainsi qualifiées, la disposition en cause n’a pas pour objet d’instituer une incrimination disciplinaire spécifique, mais constitue une illustration particulière de l’une des obligations auxquelles est tenu tout fonctionnaire en application du principe de laïcité. Ainsi, le fonctionnaire qui ne s’abstiendrait pas de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, manquerait à cette obligation. Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, seraient appréciées par l'administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré des agissements critiqués, comme des autres circonstances dans lesquelles un tel manquement serait constaté (CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 127017).
7 - Le Conseil d’État n’a pas retenu le premier alinéa du II de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction issue de la lettre rectificative au projet de loi qui prévoyait que « Tout chef de service porte à la connaissance des agents placés sous son autorité, notamment à leur entrée dans le service, les règles déontologiques qui leur sont applicables ». Il a estimé que cette information déontologique d’ordre général, qu’il incombe au chef de service de diffuser auprès des agents placés sous son autorité, ne saurait constituer une obligation statutaire, laquelle aurait nécessairement pour contrepartie l’institution d’un droit pour les agents à une telle information. Elle ne peut dès lors être comprise que dans le cadre du pouvoir général d’organisation du service en application de la jurisprudence Jamart. Par suite, le Conseil d’État a repris l’alinéa qui figurait dans le projet de loi initial, examiné par lui le 11 juillet 2013, qui prévoyait qu’il appartient à tout chef de service de veiller au respect des principes déontologiques énumérés à l’article 25 nouveau de la loi du 13 juillet 1983.
Sur l’article 2
8 - Le Conseil d’État a relevé, s’agissant de la définition du conflit d’intérêts, que la lettre rectificative, qui reprend la rédaction résultant de la loi précitée du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, met en cohérence le projet de loi avec celle-ci, afin d’éviter toute différence rédactionnelle injustifiée.
Sur l’article 4
9 - Le Conseil d’État a noté que la lettre rectificative ajoutait un article 25 quater dans la loi du 13 juillet 1983, prévoyant que la nomination dans l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient (mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d’État) serait subordonnée à la transmission préalable (et non plus dans les deux mois de la nomination comme cela était prévu dans le projet de loi avant sa modification par la lettre rectificative) par l’agent d’une déclaration d’intérêts à l’autorité investie du pouvoir de nomination. Le Conseil d’État a estimé que cette disposition, qui renforce la nécessaire prévention des conflits d’intérêts, relevait du domaine de la loi en tant qu’elle concerne les collectivités territoriales et certaines catégories d’établissements publics.
10 - Au IV du même article 25 quater de la loi du 13 juillet 1983, le Conseil d’État a observé que le projet du Gouvernement prévoyait que la déclaration d’intérêts serait versée au dossier de l’agent selon des modalités permettant d’en garantir la confidentialité. Le Conseil d’État a substitué à cette rédaction celle qu’il avait déjà adoptée le 11 juillet 2013 en rappelant que, si le dossier d’un fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant sa situation administrative, l’article 18 de la loi du 13 juillet 1983 proscrit de faire état, dans ce dossier, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques du fonctionnaire et que ces mêmes dispositions, qui protègent notamment la liberté d’opinion constitutionnellement garantie aux fonctionnaires, font obstacle à ce que les déclarations d’intérêts prévues par le projet de loi figurent au dossier des agents publics et contiennent des éléments de cette nature.
11 - En revanche, s’agissant des dispositions relatives à la gestion des instruments financiers, le Conseil d’État a constaté que le projet prévoyait, à l’instar de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique que les agents dont les missions ont une incidence en matière économique et dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient sont tenus, à peine de nullité de leur nomination, de prendre, dans un délai de deux mois après la date de celle-ci, toute disposition pour que leurs instruments financiers soient gérés, pendant la durée de leurs fonctions, dans des conditions excluant tout droit de regard de leur part. Cette mise en cohérence rédactionnelle avec l’article 8 de la loi du 11 octobre 2013 lui paraît, en l’état du droit, devoir s’imposer.
Sur l’article 8
12 - Le Conseil d’État a estimé qu’aucun obstacle juridique ne s’opposait à ce que soit confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le contrôle des mandats de gestion et des déclarations de situation patrimoniale afin de centraliser auprès de cette instance l’exercice de cette compétence spécialisée. Il a pris acte de la mise en cohérence qu’opère le projet de loi entre les compétences de la Haute Autorité et celles de la Commission de déontologie lorsqu’un agent public, ayant la qualité de membre du Gouvernement ou de titulaire d’un mandat exécutif local, souhaite prendre un intérêt dans le secteur privé ou concurrentiel.
Il a aussi estimé qu’étaient nécessaires les mesures tendant à renforcer l’efficacité des pouvoirs d’enquête et contrôle de la Commission de déontologie en lui permettant notamment d’avoir accès à divers documents dont la communication apparaît nécessaire à l’instruction effective des dossiers, sous réserve que ces investigations soient réalisées dans le respect du droit à l’information de l’agent concerné, ce que prévoit le projet de loi.
13 - Au III de cet article, le Conseil d’État a relevé que le projet était mis en cohérence avec la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique s’agissant de l’assimilation à une entreprise privée de tout organisme ou entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles de droit privé, alors que le projet de loi initial visait toute personne morale de droit public exerçant une activité économique.
Sur l’article 9
14 - Le Conseil d’État a estimé que ne se heurtait à aucune objection la disposition instituant le droit pour les fonctionnaires appartenant à l’une des trois fonctions publiques, de pouvoir consulter un référent déontologue chargé de leur apporter des conseils en matière de respect des principes déontologiques et de répondre aux questions qu’ils peuvent se poser dans l’exercice quotidien de leurs fonctions. Toutefois, la mise en place des référents déontologues doit répondre à la diversité des missions et des organisations des collectivités et administrations publiques, tout en offrant les garanties appropriées, notamment d’indépendance et de confidentialité, aux titulaires de ces fonctions, aux agents qui les consulteraient ainsi qu’aux autorités administratives qui pourraient les saisir. A cet effet, le Conseil d’État a estimé nécessaire de renvoyer à des décrets en Conseil d’État le soin de déterminer les conditions de mise en œuvre de ce nouveau dispositif.
Sur l’article 25-I
15 - Le Conseil d'État a estimé utile d’élargir le champ d’application des règles relatives à la déontologie des membres du Conseil d’État et des magistrats du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de façon à permettre au Gouvernement, s'il le souhaite, d'appliquer ces règles aux membres de juridictions administratives spécialisées, y compris à ceux qui n'auraient pas la qualité de magistrat.
16 - Le Conseil d'État a considéré, conformément à une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel notamment rappelée dans la décision n° 2006- 208 L du 30 novembre 2006,que les appellations des fonctions et des formations de jugement au sein du Conseil d’État ne relevaient pas du domaine de la loi, alors même que certaines d’entre elles figurent dans des articles de forme législative. Il n’a en conséquence pas retenu les dispositions qui prévoyaient la modification de ces appellations, dès lors que l’article 38 de la Constitution n’autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances que « des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Les dispositions en question pourront, le cas échéant, être déclassées afin qu’il soit procédé à leur modification par voie réglementaire.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 11 juin 2015.