L'Assemblée nationale a rendu public l'avis du Conseil d'État sur une proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte
1. Saisi sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 39 de la Constitution de la proposition de loi enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juillet 2021 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, présentée par M. Sylvain Waserman, député, le Conseil d’État, après en avoir examiné le contenu, formule les observations et suggestions qui suivent.
Cadre juridique en vigueur et contexte de la proposition de loi
2. La loi n° 2016 1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a créé un régime unifié du lanceur d’alerte. Inspiré notamment des propositions de l’étude adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’État en février 2016 (Le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger du 25 février 2016), ce régime donne une définition du lanceur d’alerte, organise des canaux et des procédures de signalement des alertes et prévoit des mesures de protection des lanceurs d’alerte contre d’éventuelles représailles.
3. Le constat réalisé notamment par le rapport d’information du 7 juillet 2021 présenté par M. Gauvain et M. Marleix, députés, sur l’évaluation de l’impact de la loi du 9 décembre 2016, est qu’en dépit des garanties élevées pour les lanceurs d’alerte que contient le régime créé par la loi du 9 décembre 2016, la protection et l’accompagnement des auteurs de signalement restent faibles en pratique, exposant parfois ceux-ci à de grandes difficultés. Ce rapport a proposé en conséquence de consolider le régime des lanceurs d’alerte à l’occasion de la transposition de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.
Cette directive souligne « le rôle clé des lanceurs d’alerte dans la révélation et la prévention des violations du droit de l’Union et dans la préservation du bien-être de la société » et prévoit des normes minimales communes pour garantir une protection efficace des personnes qui, ayant obtenu dans un contexte professionnel des informations sur des violations du droit de l’Union dans des domaines spécifiques, signalent ou divulguent publiquement celles-ci selon les procédures et dans les conditions qu’elle prévoit.
Contenu et objectifs de la proposition de loi
4. La proposition de loi a pour objet de transposer la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, et à l’aune des constats réalisés sur l’application du cadre juridique existant, de « construire un environnement clair et protecteur pour les lanceurs d’alerte ». A cette fin la proposition de loi contient les dispositions suivantes.
Le titre Ier modifie la définition du lanceur d’alerte (article 1er) et étend les protections accordées aux lanceurs d’alerte à des tiers, personnes physiques ou morales, liées à celui-ci (article 2).
Le titre II relatif aux procédures de signalement précise le fonctionnement des canaux internes et externes de signalement, les modalités de recours à la divulgation publique (article 3), et les garanties de confidentialité qui s’attachent au statut de lanceur d’alerte (article 4).
Le titre III, relatif aux mesures renforçant la protection des lanceurs d’alerte, prévoit l’interdiction de mesures de représailles à leur encontre et s’efforce de mieux les protéger contre les procédures « baillons ». Il crée un régime d’irresponsabilité civile des lanceurs d’alerte et d’irresponsabilité pénale de ceux-ci à raison de l’obtention et du stockage des informations à l’origine du signalement (articles 5 et 6). Il améliore les conditions de leur réinsertion professionnelle en cas de sanction sans fondement et créée un référé-liberté spécifique à l’exercice du droit d’alerte devant le juge administratif (article 7). Il renforce et étend le champ des sanctions applicables aux personnes auteures de mesures de représailles contre les lanceurs d’alerte (article 8), impose aux autorités responsables d’un canal de signalement externe d’organiser un soutien financier et psychologique aux lanceurs d’alerte (article 9), modifie les dispositions de l’article L. 911 1 1 du code de justice administrative relatives à l’injonction de réintégration d’un agent public pour permettre leur application aux lanceurs d’alerte (article 10). Il met enfin en cohérence les dispositions de l’article L. 151 8 du code de commerce relatives au secret des affaires avec les nouvelles dispositions prévues par la proposition de loi (article 11).
Les dispositions finales du titre IV précisent la date à laquelle la loi entrera en vigueur (article 12) et prévoient la compensation de la charge pour l’État résultant de l’application de la proposition de loi (article 13).
Le Défenseur des droits a donné le 29 octobre 2021 un avis (n°21-16) sur la proposition de loi. Après avoir souligné les « avancées importantes » auxquelles aboutit le dispositif législatif envisagé, il recommande plusieurs voies d’amélioration de son rôle dans l’accompagnement et le soutien des lanceurs d’alerte et préconise de renforcer leur protection, notamment en amont des représailles dont ils peuvent faire l’objet.
Observations générales d’ordre légistique
5. Le Conseil d’État prend acte du choix fait par la proposition de procéder par modification des articles concernés de la loi du 9 décembre 2016 et adjonction de nouveaux articles à ce texte. Mais il indique qu’une autre option consistant à abroger les dispositions du chapitre 2 du titre Ier de la loi du 9 décembre 2016 et à écrire une loi nouvelle dédiée au droit d’alerte suivant le plan très clair de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 aurait été possible afin de gagner en accessibilité et en intelligibilité du texte.
A défaut, le Conseil d’État suggère à tout le moins de procéder à des restructurations de la proposition de loi, notamment de ses dispositions relatives aux canaux de signalement. Il recommande par ailleurs de prêter une attention particulière à la précision des termes utilisés et, dans la mesure du possible, d’adapter la terminologie de la directive au langage juridique français.
Examen des dispositions de la proposition de loi
Définition du lanceur d’alerte
6. La directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 prévoit une protection des personnes signalant des informations obtenues dans un contexte professionnel et relatives à certaines violations du droit de l’Union. Sont concernées les violations d’actes de l’Union précisément énumérés dans l’annexe, qui sont relatifs à dix domaines juridiques (marchés publics, services, produits et marchés financiers, sécurité et conformité des produits…), ainsi que les violations portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou relatives au marché intérieur. Les informations visées sont définies largement : elles peuvent porter sur des faits avérés ou sur des « soupçons raisonnables » et concerner des « informations sur des violations » qui se sont produites ou sont « très susceptibles » de se produire dans l’organisation où l’intéressé travaille ou dans une organisation avec laquelle il est en contact professionnel, ou encore des tentatives pour dissimuler de telles violations.
La directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 permet aux États membres d’étendre la protection au titre du droit national à d’autres domaines que ceux qu’elle vise (art. 2.2) et d’adopter ou maintenir des dispositions plus favorables aux auteurs de signalement que celles qu’elle prévoit (art. 25.1). Elle précise que sa mise en œuvre ne peut constituer un motif pour réduire le niveau de protection déjà offert par un État membre dans les domaines qu’elle régit (art. 25.2).
7. En droit interne, le lanceur d’alerte est défini aujourd’hui par l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Le droit d’alerte a ainsi en droit national un champ large qui inclut d’ores et déjà la violation du droit primaire et du droit dérivé de l’Union européenne. Il peut être exercé dans un cadre professionnel ou hors de ce cadre. Mais son exercice est soumis à des conditions de qualification des violations faisant l’objet du droit d’alerte.
Dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, la proposition de loi donne une nouvelle rédaction, où le lanceur d’alerte est défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime ou un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, une violation du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ». Les principales innovations consistent dans la suppression de l’exigence que la violation d’une norme de droit soit « grave et manifeste » et que l’intéressé ait eu « personnellement » connaissance des faits ainsi que dans l’introduction de la référence à des « informations » et à la « tentative de dissimulation ».
8. Le Conseil d’État constate que les dispositions envisagées permettent d’atteindre un niveau de protection conforme à ce qu’exige la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, ce qui n’est pas le cas, sur certains points, du droit aujourd’hui en vigueur. La proposition de loi assure ainsi la transposition du texte européen. Par ailleurs, elle ne prévoit aucun recul des garanties actuellement applicables en droit interne dans les domaines couverts par la directive, ce qui serait contraire au principe de non-régression prévu à son article 25.2, ni d’ailleurs en dehors de ces domaines.
9. Les dispositions envisagées s’appliqueraient dans le même champ que celles qui sont issues de la loi du 9 décembre 2016. Ce champ excède celui de la directive puisqu’il s’étend aux signalements effectués hors d’un cadre professionnel et à ceux qui portent sur la violation de toute norme communautaire ou internationale et de toute disposition législative ou réglementaire. La proposition va ainsi au-delà de ce que la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 impose.
Le Conseil d’État constate que ce parti n’est pas contraire à la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, qui, ainsi qu’il a été dit au point 6, autorise les États membres à étendre la protection qu’elle prévoit aux auteurs de signalements portant sur la violation de règles autres que celles qu’elle mentionne. Par ailleurs, il approuve le choix de préserver la clarté et l’intelligibilité du dispositif de protection des lanceurs d’alerte en évitant, autant que possible, de poser des règles distinctes selon la nature des violations signalées.
10. Il estime cependant devoir attirer l’attention des auteurs de la proposition de loi sur deux points.
Le premier concerne la condition relative au caractère « grave et manifeste » de la violation signalée. Cette condition joue en effet un rôle important dans l’équilibre du dispositif législatif actuel. Le fait que les États membres n’ont pas introduit dans la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 une condition analogue n’est sans doute pas sans rapport avec leur choix de circonscrire la protection à certains domaines juridiques – dont ne font pas partie, notamment, les relations de travail – et à des textes limitativement énumérés, parmi lesquels ne figure pas, en particulier, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le deuxième est relatif à la référence à la notion d’« informations sur des violations », qui sera interprétée à la lumière de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, et pourrait conduire, y compris en dehors du champ de celle-ci, à étendre la protection aux auteurs de signalements portant sur des soupçons raisonnables ou des violations seulement potentielles.
Avant de supprimer la condition relative au caractère « grave et manifeste » des violations signalée ou d’introduire la référence à la notion d'« informations sur des violations » dans l’ensemble du champ couvert par les dispositions nationales, le Conseil d’État recommande d’évaluer l’impact de telles mesures, notamment en ce qui concerne les risques de détournement du dispositif de protection.
Cette évaluation des risques pourrait conduire à cantonner l’une et/ou l’autre de ces innovations au champ de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 ou, a minima, à réserver, dans le champ d’application de la proposition de loi, la possibilité d’exercer le droit d’alerte sur la base d’« informations sur des violations » seulement lorsque celles-ci sont obtenues dans un contexte professionnel.
Informations exclues du régime de l’alerte
11. En application de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, le projet complète l’article de la loi du 9 décembre 2016, qui exclut du régime du droit d’alerte les informations couvertes par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret entre un avocat et son client ainsi que par le secret des délibérations judiciaires - le Conseil d’État suggère de substituer à ce terme celui de « secret des procédures juridictionnelles » - et le secret de l’enquête et de l’instruction, dont il pourrait être utilement précisé qu’il concerne la matière pénale.
Articulation entre le régime général et les régimes spéciaux d’alerte
12. A côté du régime général de l’alerte que constituent la loi du 9 décembre 2016 dans le champ du droit national et la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 dans le champ du droit de l’Union, des régimes spécifiques ont aussi été institués par des normes juridiques applicables, notamment, à des secteurs économiques ou à des activités déterminées. Les dispositions du III de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 qu’envisage de créer la proposition de loi prévoient que les dispositions du droit national ou du droit de l’Union applicables à ces régimes spéciaux n’ont vocation à être appliquées que si ces derniers comportent des garanties de protection des lanceurs d’alerte au moins aussi favorables que celles prévues par la proposition de loi. Si cette condition n’est pas satisfaite, les dispositions du régime général de la loi du 9 décembre 2016 seront alors seules appliquées. Un décret devra établir la liste des procédures ne disposant pas du niveau de garanties requis.
13. Le Conseil d’État observe que l’intention, affichée par les auteurs de la proposition de loi, de rendre applicable, dans la mesure du possible, le régime offrant les garanties les plus favorables de protection des lanceurs d’alerte, répond à une logique conforme aux objectifs de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019. Il relève en revanche que les dispositions envisagées conduisent à appliquer systématiquement l’ensemble des dispositions du régime général lorsque les garanties prévues pour la procédure spéciale ne sont pas d’un niveau équivalent, contrairement à ce que prévoit l’article 3 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 aux termes duquel « Lorsque des règles spécifiques concernant le signalement de violations sont prévues dans les actes sectoriels de l’Union (…) ces règles s’appliquent ». La directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 impose donc de faire prévaloir la procédure spéciale quand les dispositions qui l'instituent ont été prises pour l'application d'actes sectoriels de l'Union. Dans le cas inverse, elle impose d'écarter le texte prévoyant une procédure spéciale si et dans la mesure où il ne comporte pas les garanties qu'elle prévoit. Le Conseil d'État recommande de modifier les dispositions envisagées en tenant compte de cette double exigence.
Extension de la protection à d’autres personnes que le lanceur d’alerte
14. La proposition de loi rend applicables à d’autres personnes que le lanceur d’alerte certaines des protections qu’elle prévoit. Cette extension de la protection des lanceurs d’alerte aux « facilitateurs », aux « personnes physiques en lien avec la personne signalant » et aux « entités juridiques contrôlées » transpose le point 4 de l’article 4 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019.
Le Conseil d’État comprend que l’extension par la proposition de loi de la qualité de facilitateur à des personnes morales, que la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 réserve aux seules personnes physiques, a notamment pour objet de protéger les associations et syndicats qui peuvent aider les lanceurs d’alerte. Afin de remédier à des hésitations sur le caractère complet de la transposition, le Conseil d’État suggère que la proposition de loi définisse la notion de « facilitateur » dans des termes identiques à ceux de la directive, à savoir « personne qui aide un auteur de signalement au cours du processus de signalement ». L’utilisation de la notion de « tiers », qui figure dans la directive, pourrait aussi permettre une meilleure lisibilité des dispositions de l’article.
15. La proposition de loi entend transposer le point 4 de l’article 6 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui rend applicables les protections accordées aux personnes effectuant un signalement directement auprès des institutions ou organes de l’Union. Le Conseil d’État interprète ces dispositions comme créant, pour les seules violations du droit de l’Union européenne entrant dans le champ d’application de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, un canal de signalement externe, distinct de ceux que doit organiser le droit national d’un État membre pour transposer les objectifs que la directive fixe à titre principal. Il suggère en conséquence de mentionner les organes et institutions de l’Union comme relevant du canal externe de signalement défini par la proposition de loi.
Procédure de signalement des alertes
16. La proposition de loi modifie l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 relatif à la procédure de signalement des alertes. Ainsi qu’il a été dit, la nouvelle procédure, qui vise à transposer les articles 6 à 15 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, comporte deux différences majeures par rapport à la procédure actuelle : elle s’applique à tous les signalements, et pas seulement aux signalements de certaines violations du droit de l’Union, et à tous les lanceurs d’alerte, et pas seulement à ceux qui procèdent à un signalement dans un cadre professionnel.
Dans un objectif de meilleure accessibilité et intelligibilité de la loi, le Conseil d’État recommande de scinder cet article en quatre articles, qui, pour le premier, expliciterait les conditions à respecter pour bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte et, pour les trois suivants, préciseraient les règles régissant respectivement les signalements internes, les signalements externes et les divulgations publiques.
17. Pour bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte, une personne doit non seulement répondre à la définition qu’en donne la loi mais aussi respecter la procédure de signalement définie par celle-ci. La proposition de loi devrait expliciter plus clairement les différentes alternatives procédurales qui s’offrent à un auteur de signalement pour bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte : soit procéder à un signalement interne, canal qui doit être privilégié si les informations ont été recueillies dans un cadre professionnel ; soit procéder à un signalement externe ; soit, sous réserve de respecter les conditions fixées par la loi, rendre le signalement public.
Signalements internes
18. Alors que l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 réserve aux membres du personnel et aux collaborateurs extérieurs et occasionnels la possibilité de réaliser des signalements internes, la proposition de loi élargit la liste des personnes pouvant procéder à de tels signalements, pour inclure notamment les détenteurs du capital social, les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance ainsi que les membres du personnel et de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance des contractants, sous-traitants et fournisseurs. Le Conseil d’État prend acte de ce que la proposition de loi va au-delà des dispositions de l’article 8 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 puisqu’elle inclut dans cette liste « les personnes ayant candidaté à un emploi, lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de cette candidature ».
La proposition de loi pose le principe général selon lequel les signalements internes s’effectuent auprès du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par celui-ci. Elle impose toutefois, comme l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016, que certaines personnes morales de droit public ou de droit privé établissent une procédure dédiée de recueil et de traitement des signalements internes. Le champ d’application de cette obligation est identique à celui qui résulte de la mise en œuvre de l’article 8 de la loi du 9 décembre 2016 et du décret n° 2017 564 du 19 avril 2017 pris pour son application. Pour lever toute ambiguïté rédactionnelle, le Conseil d’État suggère que la proposition de loi reprenne sur ce point les termes du décret du 19 avril 2017. Conformément au paragraphe 4 de l’article 8 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, la proposition de loi étend l’obligation aux « entités relevant du champ d’application des actes de l’Union européenne mentionnés au B de la partie I et dans la partie II de l’annexe de la directive », le seuil de cinquante salariés ne leur étant pas applicable. Cette disposition vise notamment les entreprises de services financiers.
La proposition de loi indique que la procédure de recueil et de traitement des signalements internes est établie après consultation des instances de dialogue social. Elle devra donc être soumise à l’avis préalable du comité social et économique dans les entreprises ou du comité technique dans les administrations.
La proposition de loi prévoit que la procédure de recueil et de traitement des signalements internes est soumise au respect de certaines garanties, notamment en termes de délais de réponse, de confidentialité et d’impartialité. Elle renvoie à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser les modalités d’application. Ces dispositions n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’État.
Le Conseil d’État prend acte de ce que la proposition de loi ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de l’obligation d’instaurer une procédure de recueil des signalements internes.
Signalements externes
19. Dans le champ d’application qui est le sien, la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 impose aux États membres de désigner les autorités compétentes pour recueillir les signalements externes, les traiter et informer leurs auteurs des suites qui y sont données. Elle définit, par ailleurs, les obligations qui pèsent sur ces autorités externes, notamment en termes de délais de réponse et de confidentialité.
La proposition de loi transpose ces dispositions et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer la liste des autorités compétentes pour traiter les signalements externes.
20. Le Conseil d’État relève que sont susceptibles de figurer dans cette liste non seulement des administrations et des établissements publics de l’État mais également des autorités publiques indépendantes, des autorités administratives indépendantes ou encore des personnes morales de droit privé, en particulier des ordres professionnels ou des organismes sociaux. Le Conseil d’État considère qu’en imposant l’obligation d’instaurer un canal de recueil et de traitement des signalements externes et en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer la liste des autorités soumises à ces obligations, sans encadrer aucunement ce renvoi, la proposition de loi méconnaît l’étendue de la compétence du législateur. S’il ne revient pas à ce dernier d’arrêter la liste de toutes les autorités concernées, il lui appartient à tout le moins de préciser les catégories juridiques dont elles relèvent. Il conviendrait ainsi que la proposition de loi mentionne que les autorités externes peuvent être, outre des administrations et établissements publics de l’État, notamment des autorités administratives indépendantes, des autorités publiques indépendantes, ou encore des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public.
21. Le Conseil d’État estime, en deuxième lieu, que, si tout signalement d’une violation du droit de l’Union entrant dans le champ d’application de la directive (UE)2019/1937 du 23 octobre 2019 est susceptible de relever de la compétence d’une autorité externe précisément désignée, il n’en va pas nécessairement de même de tout signalement répondant au champ d’application de la proposition de loi. La liste des autorités arrêtée par décret en Conseil d’État ne pourra donc pas être exhaustive. Comme il l’explicite dans l’avis rendu sur la proposition de loi organique dont il a été concomitamment saisi (Avis n° 404000 du 4 novembre 2021), le Conseil d’État considère, qu’en l’absence d’autorité compétente désignée par décret en Conseil d’État pour traiter d’une alerte, le Défenseur des droits ne peut pas se voir reconnaître une compétence subsidiaire. Il peut, en revanche, orienter l’auteur du signalement vers l’administration, l’autorité ou l’organisme le mieux à même d’en connaître. Le Conseil d’État estime que la circonstance que certains signalements externes soient traités par des autorités ne relevant pas de la liste arrêtée par décret en Conseil d’État ne fait pas obstacle à une complète transposition de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 dès lors, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que les autorités compétentes pour traiter les signalements de violations du droit de l’Union entrant dans son champ d’application seront mentionnées dans cette liste.
22. Le Conseil d’État note, en troisième lieu, que la proposition de loi circonscrit le champ des autorités externes à celles figurant sur la liste arrêtée par décret en Conseil d’État, restreignant par là-même la protection attachée au statut de lanceur d’alerte aux personnes ayant adressé leur signalement externe à une autorité figurant sur cette liste. Il relève pourtant que des signalements externes adressés à d’autres autorités peuvent justifier le bénéfice de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte. Il en va ainsi des signalements effectués auprès de l’autorité judiciaire ou de ceux qui, à défaut d’autorité compétente désignée par décret en Conseil d’État, sont orientés par le Défenseur des droits vers l’administration, l’autorité ou l’organisme le mieux à même d’en connaître. Il en va ainsi également, en application du paragraphe 4 de l’article 6 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, des signalements de violations relevant du champ d’application de la directive effectués auprès des institutions, organes ou organismes de l’Union compétents. Le Conseil d’État estime nécessaire que les dispositions de la proposition de loi relatives aux signalements externes mentionnent ces différentes alternatives.
23. La proposition de loi précise que la procédure de recueil et de traitement des signalements mise en œuvre par les autorités externes mentionnées sur la liste arrêtée par décret en Conseil d’État est soumise au respect de certaines garanties, notamment en termes de délais de réponse et de confidentialité précisées par ce même décret. Ce dernier devra également porter sur l’obligation de formation des agents ainsi que sur l’exigence d’un réexamen triennal de la procédure requises par la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019.
24. Le Conseil d’État estime que la proposition de loi doit également mentionner l’obligation pour les autorités externes désignées par décret en Conseil d’État de rendre accessibles les informations relatives à l’existence de cette procédure, comme le prévoit l’article 13 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, et de transmettre chaque année au Défenseur des droits un bilan de leur activité de traitement des signalements externes.
Divulgations publiques
25. Conformément à l’article 15 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, la proposition de loi élargit les possibilités de rendre public un signalement. Elle transpose toutefois imparfaitement les dispositions de la directive, ce qui conduit à aller au-delà de ce que cette dernière autorise. Le Conseil d’État estime que la proposition de loi devrait s’attacher à reproduire plus fidèlement les termes de l’article 15 de la directive.
Le Conseil d’État tient à souligner que les dispositions encadrant les conditions dans lesquelles un signalement peut être rendu public permettent seulement de déterminer si un auteur de signalement peut bénéficier de la protection attachée au statut de lanceur d’alerte. Elles ne portent en rien atteinte à la liberté d’expression.
Confidentialité et durée de conservation des signalements
26. La proposition de loi complète l’article 9 de la loi du 9 décembre 2016 relatif à la confidentialité des signalements. Elle transpose notamment les dispositions de l’article 16 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui précisent les conditions dans lesquelles l’identité de l’auteur du signalement peut être divulguée. Ces dispositions de la proposition de loi n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’État.
27. La proposition de loi ajoute à l’article 9 de la loi du 9 décembre 2016 un alinéa relatif à la durée de conservation des signalements. Le Conseil d’État souligne que, lorsqu’elles font l’objet de traitements, les données à caractère personnel relatives à des alertes doivent être conservées dans le respect du règlement général sur la protection des données et des textes mettant en œuvre ces traitements. Lorsque ces données sont archivées, les durées de conservation, limitées aux finalités poursuivies, doivent tenir compte des délais d’éventuelles procédures contentieuses.
Protection, dans un contexte professionnel, contre les mesures de représailles
28. Les auteurs de signalement sont susceptibles de faire l’objet de représailles ou de menaces de représailles dans un contexte professionnel. Les articles L. 1132-3-3 du code du travail et 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, modifiés en ce sens par la loi du 9 décembre 2016, énoncent les garanties dont bénéficie un salarié ou un agent public lorsqu’il a signalé une alerte dans le cadre prévu par cette loi. Sont ainsi interdites par exemple toutes sanctions ou mesures discriminatoires.
29. La proposition de loi a pour objet d’élargir le champ des bénéficiaires des mesures de protection et de renforcer ces dernières. A cette fin, la proposition de loi reprend les dispositions de l’article 19 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 laquelle établit les mesures de protection qu’un État membre doit garantir à l’auteur d’un signalement d’une atteinte au droit de l’Union européenne. La proposition de loi étend cette protection à l’ensemble des signalements.
Le Conseil d’État constate que les dispositions de la proposition de la loi permettent de répondre à l’exigence de transposition de la directive précitée et apportent ainsi des garanties renforcées par rapport à celles résultant des dispositions des articles L. 1132-3-3 du code du travail et 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, à un champ élargi de bénéficiaires.
30. Le Conseil d’État note que, pour ce faire, la proposition de loi crée au sein de la loi du 9 décembre 2016 un nouvel article reprenant l’intégralité des dispositions de l’article 19 de la directive précitée, et complète l’article L. 1132-3-3 du code du travail pour y prévoir explicitement que toute mesure de coercition, d’intimidation et de harcèlement est également interdite, tout en laissant subsister les dispositions de l’article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 précité.
Le Conseil d’État relève toutefois que ces différentes dispositions, qui poursuivent les mêmes fins, utilisent des catégories juridiques proches mais distinctes, issues pour les unes du droit de l’Union européenne et pour les autres du droit interne, et ont vocation à s’appliquer tant aux relations de travail de droit privé qu’à celles relevant du droit public. Il considère que leur superposition est susceptible de créer des difficultés d’interprétation et de porter, par suite, atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Le Conseil d’État estime par conséquent qu’il serait opportun que la proposition de loi distingue, d’une part, les garanties dont bénéficient les travailleurs salariés en application de l’article L. 1132-3-3 du code du travail qui devrait être complété pour tenir compte des éléments nouveaux issus de l’article 19 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 telle que l’interdiction de modifier les horaires de travail ou d’utiliser l’évaluation de la performance à des fins de représailles, d’autre part, les garanties dont bénéficient les agents publics sur le fondement de l’article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983, lesquelles pourraient également être complétées afin de mentionner explicitement la protection des lanceurs d’alerte dans les procédures de recrutement et contre le licenciement, alignant ainsi la protection des lanceurs d’alerte qui sont agents publics sur celle des salariés, et enfin, les garanties présentant un caractère transversal dont l’ensemble des lanceurs d’alerte bénéficierait, qui pourraient être inscrites dans la loi la loi du 9 décembre 2016 et qui reprendraient les dispositions des k, m, n et o de l’article 19 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019.
Le Conseil d’État estime enfin qu’il peut exister, dans les relations du travail, un risque de dévoiement des garanties apportées aux lanceurs d’alerte et suggère que soit introduit dans le code du travail un mécanisme de sanctions des témoignages et signalements réalisés avec l'intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits rendus publics ou diffusés, inspiré de celui prévu au dernier alinéa de l’article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983.
La proposition de loi tire les conséquences, à l’article L. 911-1-1 du code de justice administrative, de la création du nouvel article 10-1 dans la loi la loi du 9 décembre 2016, et n’appelle pas de commentaire de la part du Conseil d’État.
31. Afin de favoriser la reconversion d’un salarié licencié en méconnaissance de l’interdiction des représailles, la proposition de loi prévoit que le conseil des prud’hommes peut condamner l’entreprise à abonder le compte professionnel de formation du salarié concerné jusqu’à son plafond. Le Conseil d’État constate que cette mesure qui présente le caractère d’une sanction ne méconnait pas les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des sanctions. Il considère que l’attribution d’une telle compétence au conseil des prud’hommes ne se heurte à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
32. La proposition de loi prévoit par ailleurs que les dispositions relatives aux voies de recours dont peut bénéficier l’auteur d’un signalement sont d’ordre public absolu et ne peuvent faire l’objet d’aucune renonciation par accord ou contrat. Elle précise en outre que ces voies de recours ne peuvent pas davantage « être limitées par […] une quelconque politique, forme d’emploi ou condition de travail », conformément aux termes de l’article 24 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019. Le Conseil d’État note que ces dispositions s’appliquent à l’ensemble des voies de recours prévues au chapitre II de la loi du 9 décembre 2016, que le lanceur d’alerte se trouve dans une situation de droit privé relevant ou non du droit du travail, ou de droit public. Le Conseil d’État considère par conséquent qu’elles ont une portée plus large que le cadre professionnel envisagé par l’article 24 de la directive précitée.
Exonération de la responsabilité civile des lanceurs d’alerte
33. En application du 2 de l’article 21 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, les lanceurs d’alerte « n’encourent aucune responsabilité d’aucune sorte » à raison du signalement ou de la divulgation publique à laquelle ils procèdent conformément à cette directive. Si l’exonération de responsabilité déjà prévue par l’article 122-9 du code pénal issu de loi du 9 décembre 2016 a d’ores et déjà satisfait à l’obligation de transposition dans le champ pénal, ses modalités d’application ne couvrent pas la totalité des obligations de réparation issues du droit civil. La transposition implique donc nécessairement l’adoption de dispositions exonérant également les lanceurs d’alerte de la responsabilité civile. Si le principe d’une telle exonération ne paraît présenter de difficulté d’ordre constitutionnel, il en va différemment de la portée illimitée que semble conférer à celle-ci la rédaction des dispositions de la proposition de loi. Le Conseil d’État estime en conséquence nécessaire de circonscrire précisément l’application de cette exonération aux seules finalités poursuivies par la loi, à l’instar des dispositions de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui viennent d’être rappelées, qui ne portent que sur la responsabilité « concernant le signalement ou la divulgation publique ».
Exonération de responsabilité à raison de l’accès, de l’obtention et du stockage des informations qui font l’objet d’un signalement ou sont divulguées publiquement
34. La proposition de loi transpose en droit interne le point 3 de l’article 21 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 qui prévoit d’exonérer les lanceurs d’alerte de toute responsabilité à raison de l’obtention des informations faisant l’objet d’un signalement ou d’une divulgation ou de l’accès à celles-ci. Elle exonère également les lanceurs d’alerte de toute responsabilité pénale à raison de l’accès ou du stockage des données confidentielles sur lesquelles reposerait, le cas échéant, un signalement ou une divulgation exercée dans les conditions prévues par la même loi.
Le Conseil d’État recommande de faire évoluer la rédaction de ces dispositions. D’une part, il estime nécessaire de préciser la définition des infractions qui, en application du même point 3 de l’article 21 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019, n’entrent pas dans le champ de l’exonération de responsabilité qui est ainsi instaurée. La seule mention de la notion peu lisible « d’infraction pénale autonome » reprise de la directive ne permet pas de comprendre la portée exacte des dispositions. Le Conseil d’État suggère de préciser que les lanceurs d’alerte sont exonérés de la responsabilité pénale à raison de ces faits « dans les conditions prévues par l’article 122-9 du code pénal », ces conditions étant de nature à couvrir la réserve des infractions pénales « autonomes » visée par la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019. D’autre part, il n’estime pas nécessaire de maintenir les dispositions prévoyant l’exonération de la responsabilité pénale des lanceurs d’alerte à raison, spécifiquement, de l’accès à des informations confidentielles ou du stockage de telles informations dont le champ est déjà couvert par les dispositions plus générales de l’article 122 19 du code pénal.
Provision pour frais d’instance
35. La proposition de loi permet au juge, à l’occasion de toute instance, d’octroyer au lanceur d’alerte une provision destinée à couvrir les frais de cette instance, si celle-ci peut être regardée comme engagée à son encontre à des fins de représailles de sa qualité de lanceur d’alerte. Elle vise à faire obstacle aux « procédures baillons ». Un décret en Conseil d’État devra préciser les modalités d’application de ces dispositions aux procédures particulières applicables devant les différentes juridictions.
Ces dispositions, inspirées de celles applicables aux procédures de divorce, prévues par le 6° de l’article 255 du code civil, n’appellent pas d’observations particulières. Le Conseil d’État suggère que, pour tenir compte des préoccupations des auteurs de la proposition de loi, celle-ci prévoie que le juge puisse décider, pour des considérations d’équité, que la provision versée reste définitivement acquise au lanceur d’alerte dans le cas où celui-ci serait la partie perdante.
Création d’un référé-liberté droit d’alerte
36. La proposition de loi prévoit la possibilité pour un lanceur d’alerte, lorsqu’il est agent public, de saisir le juge administratif d’un recours en référé-liberté afin que celui-ci ordonne sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative « la sauvegarde de son droit d’alerter » auquel une atteinte grave et manifestement illégale aurait été portée. Elle fait bénéficier l’auteur du signalement d’une présomption d’urgence.
Le Conseil d’État observe que les dispositions de l’article L. 521 2 du code de justice administrative (CJA) ne font pas, dès aujourd’hui, obstacle à ce que le juge ordonne toute mesure pour assurer la sauvegarde des droits attachés à la qualité de lanceur d’alerte qui découlent du droit fondamental à la liberté d’expression. Il rappelle que le juge du référé-liberté procède à une appréciation in concreto de l’ensemble de la situation dont il est saisi, à laquelle participe l’appréciation de l’urgence, et qu’il a su adapter de manière permanente son office pour faire face à des enjeux nouveaux et complexes, sans qu’il ait été nécessaire de modifier les dispositions qui ont créé cette procédure. Les dispositions envisagées n’apparaissent ainsi pas nécessaires pour atteindre les objectifs poursuivis et sont de nature à complexifier le paysage procédural existant. Le Conseil d’État recommande de ne pas les conserver. Il observe de plus que le référé suspension (L. 521-1 CJA) et le référé mesures utiles (L. 521-3 CJA) constituent également des instruments juridiques auxquels les lanceurs d’alerte peuvent recourir pour protéger leurs droits.
Sanctions pouvant être prononcées contre les personnes faisant obstacle à l’exercice du droit d’alerte
37. La proposition de loi modifie les dispositions de l’article 13 de la loi du 9 décembre 2016, d’une part, afin de généraliser l’application de l’amende civile pouvant être prononcée en cas d’action dilatoire ou abusive contre un lanceur d’alerte et, d’autre part, pour définir une sanction pénale réprimant les représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte. Il crée par ailleurs un nouvel article prévoyant la possibilité de publier les jugements prononcés à l’occasion de plusieurs procédures juridictionnelles relatives à la protection des lanceurs d’alerte.
Le Conseil d’État estime que les sanctions ainsi créées ou modifiées ne sont pas disproportionnées, et que tant le champ que l’objet de l’amende civile sont définis de manière suffisamment précise. Il estime en revanche que les dispositions relatives à la sanction pénale, qui ne précisent pas la nature exacte des représailles incriminées, et celles relatives à la publication des jugements, qui ne précisent pas que cette sanction doit être prononcée par la juridiction qui a prononcé ce jugement, par une décision spécialement motivée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, ne sont pas conformes aux exigences qui résultent du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines prévu par la Constitution. Il recommande de modifier ces dispositions.
Le Conseil d’État observe par ailleurs que plusieurs incriminations déjà prévues par le code pénal, notamment celle figurant à son article 226-10 (dénonciation calomnieuse), suffisent à assurer la transposition du point 2 de l’article 23 de la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 imposant de prévoir des sanctions applicables aux auteurs de signalement ayant sciemment signalé ou divulgué publiquement de fausses informations.
Soutien psychologique et financier des lanceurs d’alerte
38. La proposition de loi crée, dans la loi du 9 décembre 2016, un article 14-1 prévoyant que les autorités compétentes pour recevoir des signalements externes mettent en place des mesures de soutien financier et psychologique à destination des lanceurs d’alerte.
Le Conseil d’État observe que la mise en place de telles mesures, que la directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 envisage mais n’impose pas, concerne l’organisation administrative et budgétaire des autorités en cause et ne relève pas du domaine de la loi. Il souligne qu’en tant qu’elles s’appliquent au Défenseur des droits, les dispositions envisagées sont contraires à la Constitution (Conseil constitutionnel, décision n° 2016-740 DC du 8 décembre 2016) et qu’elles peuvent en conséquence susciter des interrogations au regard du principe constitutionnel d’égalité si elles étaient réservées à certaines autorités externes. Le Conseil d’État recommande par suite de ne pas maintenir ces dispositions. Il remarque en outre que d’autres dispositifs ont été envisagés, tel que la création, ainsi que le recommande le Défenseur des droits, d’un fonds alimenté par le produit des amendes prononcées en cas de manquement à l’obligation de mettre en place des procédures de signalement.
Secret des affaires
39. La disposition de la proposition de loi, qui se borne à préciser que l’inopposabilité du secret des affaires à un signalement réalisé par un lanceur d’alerte prévue par le 2° de l’article L. 151 8 du code de commerce ne s’applique que lorsque celui-ci a été réalisé conformément aux dispositions la loi du 9 décembre 2016, n’appelle pas de commentaire particulier.
Questions transversales
40. Les dispositions de la proposition de loi ayant vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire de la République, le Conseil d’État souligne qu’il convient de prévoir des mentions d’applicabilité pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 4 novembre 2021.