Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique
1. Le Conseil d’État a été saisi le 22 décembre 2021 d’un projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire.
Ce projet comporte trois articles :
- Le premier modifie la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire pour transformer à compter du 15 janvier 2021 en « passe vaccinal » le « passe sanitaire » prévu au 2° du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 pour l’accès à certaines activités, et le rendre applicable aux personnes intervenant dans les lieux ou établissements où se déroulent ces activités. Ce même article renforce le dispositif de lutte contre la fraude concernant ces différentes formes de « passe ». Il proroge en outre l’état d’urgence sanitaire en Martinique et le déclare à la Réunion jusqu’au 31 mars 2022. Il prévoit enfin qu’en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire dans l’une des autres collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution avant le 1er mars 2022, cet état d’urgence s’appliquera également jusqu’au 31 mars 2022 ;
- Le deuxième article modifie l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions pour permettre l’utilisation des systèmes d’information mis en œuvre en application de cet article aux fins de contrôle du respect des mesures de mise en quarantaine ou de placement à l’isolement ;
- Le troisième article, dont l’objet est étranger à la gestion de la crise sanitaire, modifie le code de la santé publique pour introduire un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention dans la procédure de prononcé et de renouvellement des mesures d’isolement et de contention, en conséquence des décisions n° 2021-912/913/914 QPC du Conseil constitutionnel en date du 4 juin 2021 et n° 2021-832 DC du 16 décembre 2021.
2. L’étude d’impact répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009 403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
3. Le comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique a été consulté. Il a rendu un avis le 24 décembre 2021.
Sur le principe du « passe vaccinal »
4. Le Conseil d’État rappelle que le 2° du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 permet au Premier ministre, jusqu’au 31 juillet 2022, de subordonner par décret à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées certaines activités.
Ces activités sont :
- l’ensemble des activités de loisirs ;
- les activités de restauration ou de débit de boisson ;
- les foires et salon professionnels ;
- sauf en cas d’urgence, les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, pour les personnes accompagnant ou visitant les personnes accueillies et pour les patients accueillis pour des soins programmés ;
- sauf en cas d’urgence, les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux au sein de l’hexagone, de la Corse et des collectivités d’outre-mer ;
- sur décision du préfet, les grands centres commerciaux, dans des conditions garantissant l’accès aux biens et services de première nécessité.
5. Le projet de loi prévoit de modifier cette disposition pour permettre au Premier ministre de subordonner l’accès à ces activités, à l’exception des services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux dont l’accès resterait soumis au régime du « passe sanitaire », à la présentation d’un justificatif de statut vaccinal, sans possibilité, en principe, de faire état de l’un des deux autres justificatifs.
Le décret mettant en œuvre ce « passe vaccinal » pourrait toutefois préciser les cas dans lesquels pourraient être admis un certificat de rétablissement ou un certificat de contre-indication, pour des raisons liées à l’état médical de l’intéressé. Le décret pourrait également exiger, pour des raisons de santé publique, un cumul de plusieurs justificatifs.
6. Le Conseil d’État rappelle qu’il lui appartient, comme il l’a indiqué au point 8 de son avis n° 402691 du 21 avril 2021, de vérifier que les mesures de police sanitaire prévues pour lutter contre l’épidémie assurent, au regard des risques liés à la propagation du virus, en l’état des connaissances scientifiques, une conciliation conforme à la Constitution des nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales reconnues à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (voir notamment la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020, paragr. 12).
Comme il l’a indiqué s’agissant du « passe sanitaire » au point 12 de son avis n° 403629 du 19 juillet 2021, le Conseil d’État relève que la mesure de « passe vaccinal » prévue est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes souhaitant accéder aux activités en cause. Il souligne en particulier qu’elle peut limiter significativement la liberté d'aller et de venir et est de nature à restreindre la liberté de se réunir et le droit d'expression collective des idées et des opinions (voir sur ce point la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, paragr. 37).
L’atteinte est renforcée, s’agissant du « passe vaccinal », par la restriction des justificatifs admissibles. La mesure appelle dès lors également un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles.
7. Le Conseil d’État relève, tout d’abord, que la mesure envisagée s’inscrit dans un contexte sanitaire notablement différent de celui qui prévalait à la date de son avis sur le projet de loi prévoyant le « passe sanitaire ». Il lui incombe en conséquence, à la lumière notamment de la situation épidémiologique et de la couverture vaccinale de la population à la date à laquelle il se prononce, d’évaluer les dispositions prévues par le projet de loi au regard de l’ensemble du dispositif afin d’en apprécier la proportionnalité.
Ce contexte est d’abord marqué, depuis le mois d’octobre 2021 par une importante progression de l’épidémie liée au variant Delta, assimilable à une « cinquième vague ». Le taux d’incidence atteint 550 pour 100 000 habitants, tandis que le taux de reproduction R effectif reste supérieur à 1. La pression sur le système de soins se renforce avec, au 21 décembre, 16 142 patients COVID-19 hospitalisés, dont 3 109 en soins critiques, tout en restant inférieure aux vagues précédentes en raison, notamment, de l’extension de la couverture vaccinale. Plus de 76,8% de la population générale présente une primo-vaccination complète (hors dose de rappel), soit plus de 89,3% de la population éligible (données Santé publique France au 23 décembre 2021).
L’évolution prévisible à court et moyen terme de l’épidémie est tributaire de l’apparition et la diffusion rapide du nouveau variant Omicron. Le Conseil d’État constate qu’en l’état des connaissances, ainsi que le relève le comité de scientifiques dans son avis en date du 24 décembre 2021, « bien qu’il existe encore beaucoup d’incertitudes, il est probable que le variant Omicron a une gravité plus faible que les variant antérieurs ». Il résulte toutefois de cet avis ainsi que des autres informations communiquées par le Gouvernement que la plus grande contagiosité de ce variant apparaît établie, et rend probable une accélération de la progression de l’épidémie à brève échéance. Par ailleurs, les données disponibles font état d’une moindre protection par la vaccination actuellement pratiquée et, partant, d’un risque d’infection ou de réinfection en dépit d’une vaccination ou d’un antécédent de covid-19. Il est également possible que ce variant affecte ou compromette l’efficacité des traitements antiviraux disponibles, notamment pour les personnes connaissant un déficit immunitaire.
Il apparaît en revanche, au vu des informations médicales disponibles (voir l’avis du comité de scientifiques en date du 16 décembre 2021 : « Le variant Omicron : anticiper la 6ème vague ») qu’un rappel vaccinal, ou la combinaison entre une infection préalable et un schéma vaccinal adapté, permettent de rétablir une protection importante contre l’infection et contre les formes sévères de la maladie.
8. Dans ce contexte, le « passe vaccinal » vise, comme le « passe sanitaire », à limiter l’exercice de certaines activités qui mettent en présence simultanément un nombre n’important de personnes, ou qui exposent par leur nature même les personnes qui y participent à un risque particulier de diffusion du virus, et à réduire ainsi la probabilité pour ces personnes de transmettre mais aussi de développer la maladie. Ainsi, l’objectif sanitaire poursuivi est également de limiter le nombre de formes graves de la maladie et d'alléger la pression qui s'exerce sur les services hospitaliers pour la prise en charge des malades atteints de la covid-19 ainsi que des patients victimes d'accidents ou d'autres pathologies.
Le Conseil d’État relève que le « passe vaccinal » est présenté par les pouvoirs publics comme visant, en outre, à inciter les personnes ne s’étant pas encore engagées dans un schéma vaccinal à entamer cette démarche. Il estime qu’au vu de l’évolution de la situation épidémique et de la progression de la couverture vaccinale dans le pays, cet objectif indirect de la mesure, qui tend à limiter plus largement les risques de diffusion du virus dans les activités autres que celles entrant dans le champ de la mesure en raison des risques particuliers que celles-ci présentent, et les risques de développement des formes graves de la maladie, contribuant ainsi à réduire la pression exercée sur le système de soins, s’inscrit dans l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Le Conseil d’État suggère, à cet égard, d’adapter la finalité des mesures que le Premier ministre peut prendre dans le cadre du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, pour tenir compte, au-delà de la seule lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19, des effets induits sur le système de soins.
9. Le Conseil d’État s’interroge, en premier lieu, sur la place du « passe vaccinal » dans la palette des pouvoirs de police sanitaire conférés au Gouvernement par la loi.
Il constate que le Gouvernement choisit, dans le projet, de ne permettre au Premier ministre que de mettre en place le « passe vaccinal » selon les modalités présentées au point 5, en exigeant à titre exclusif un justificatif de vaccination ou deux justificatifs cumulativement, sans l’habiliter à imposer pour tout ou partie de ces activités le « passe sanitaire » dans sa forme actuellement applicable.
Ainsi, le projet ne retient pas un dispositif analogue à celui résultant du 1° du même A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, qui permet au Premier ministre d’imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d’une collectivité d’outre-mer, de présenter « le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ». Ces dispositions doivent s’entendre, à la lumière des travaux préparatoires, comme habilitant le Premier ministre, selon les circonstances, à prévoir le recours à l’un des trois justificatifs, à l’instar du « passe sanitaire », ou à exiger un cumul de justificatif, ou encore à prévoir que l’un seulement des trois justificatifs est admis, à l’instar du « passe vaccinal ».
Le Conseil d’État considère que si le choix fait par le projet peut induire une forme de rigidité, en plaçant le Gouvernement, en cas d’évolution favorable des circonstances, devant l’alternative entre le maintien du passe vaccinal tel qu’il est envisagé et la suppression de toute condition d’accès aux activités en cause, sans lui permettre de prononcer une mesure moins intrusive, ce choix ne se heurte par lui-même à aucun obstacle juridique.
10. Le Conseil d’État s’interroge, en second lieu, sur la nécessité et la proportionnalité du « passe vaccinal » en tant que tel.
Il relève que si l’impossibilité d’accéder à ces activités au bénéfice du seul résultat négatif d'un examen de dépistage virologique ne peut par elle-même se justifier par l’objectif de limiter le risque de transmission par la personne concernée, elle contribue en revanche à l’objectif énoncé précédemment de limiter le risque de voir la personne développer la maladie, y compris une forme sévère de celle-ci, ainsi qu’à l’objectif indirect d’incitation à la vaccination. Dans le contexte sanitaire décrit au point 7 et compte tenu de son évolution prévisible, le souhait du Gouvernement de mettre en œuvre un dispositif de nature à limiter davantage encore que le « passe sanitaire » la possibilité pour les personnes fréquentant les lieux et établissements concernés de développer l’infection, afin de freiner autant que possible la propagation d’une nouvelle vague et ses conséquences sur le système de santé, n’apparaît pas inadéquate.
En revanche, en l’état des données disponibles et des informations fournies par le Gouvernement, l’impossibilité d’accéder aux activités concernées, quelle qu’en soit la nature, pour les personnes titulaires d’un certificat de rétablissement n’apparaît pas justifiée, eu égard au niveau de protection conféré pendant une certaine durée au moins par une infection à la covid-19. Si le Conseil d’État relève que le projet de loi permet au pouvoir réglementaire de prendre en compte un tel certificat, il note que cette possibilité est limitée aux cas où des raisons liées à « l’état médical » de l’intéressé le justifient, et au terme d’un examen propre à chaque activité. Le Conseil d’État rappelle par ailleurs qu’en l’état des recommandations des autorités scientifiques, une personne ayant un antécédent de covid-19 ne peut entamer un schéma vaccinal qu’au bout d’une durée de deux mois à compter de son infection.
Par suite, afin de mieux garantir la proportionnalité de l’atteinte portée par la mesure aux droits et libertés en cause, le Conseil d’État suggère de modifier la rédaction du projet pour admettre expressément le certificat de rétablissement, par dérogation et dans des conditions définies par décret, comme un substitut du justificatif de statut vaccinal, indépendamment de la nature des activités pratiquées et de l’état médical actuel de la personne. Il appartiendra au pouvoir réglementaire d’adapter, au vu des connaissances scientifiques disponibles, la durée de prise en compte de ce certificat à compter de la précédente infection.
Sous cette réserve, le Conseil d’État considère que cette mesure ne se heurte par elle-même à un obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Le Conseil d’État relève que le projet inclut les mineurs de douze à dix-sept ans, éligibles à la vaccination, dans le champ de la mesure, à l’instar du « passe sanitaire » actuel. Il estime que ce choix est cohérent avec les objectifs de la mesure, eu égard notamment à l’exposition particulière des mineurs à la vague épidémique actuelle.
Sur l’application du « passe vaccinal » aux personnes accédant à diverses activités
11. Procédant, enfin, à l’examen de l’étendue de la mesure, pour chacune des activités concernées, le Conseil d’État considère qu’au vu des éléments communiqués par le Gouvernement et dans le contexte sanitaire décrit au point 7, le fait de subordonner à un justificatif de statut vaccinal ou de rétablissement l’accès à des activités de loisirs, à des établissements de restauration ou de débit de boissons, à des foires et salons professionnels ou aux grands centres commerciaux désignés par décision préfectorale, est, en dépit du caractère très contraignant de la mesure pour les personnes, de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l’épidémie avec les droits et libertés en cause.
S’agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le Conseil d’État rappelle qu’il avait admis leur inclusion dans le « passe sanitaire » eu égard, d’une part, aux effets attendus de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie, s’agissant de déplacements au cours desquels les passagers se côtoient pendant une longue durée dans un espace clos, et, d’autre part, à la circonstance que la majorité de ces déplacements présentent un caractère occasionnel et sont susceptibles d’être programmés à l’avance, et à condition de réserver les cas où l’urgence fait obstacle à la présentation du justificatif requis (voir le point 15 de l’avis n° 403629 du 19 juillet 2021).
Le Conseil d’État estime que le contexte sanitaire, en particulier la diffusion du variant Omicron, peut justifier le renforcement des mesures de protection dans les transports de longue distance qui, en l’état des informations communiquées par le Gouvernement, peuvent dans certains cas constituer des lieux présentant un risque accru de diffusion du virus.
Il souligne toutefois que l’impossibilité de faire état d’un test de dépistage négatif aura pour effet de priver les personnes non vaccinées de toute possibilité de prendre l’avion ainsi que le train ou le bus pour de longues distances. Elle est de nature à porter une atteinte substantielle à leur liberté d’aller et venir et à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
Pour mieux garantir la proportionnalité du dispositif, le Conseil d’État suggère d'introduire la possibilité d'admettre la présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 en cas de déplacement pour des motifs impérieux de nature familiale ou de santé, y compris lorsque ce déplacement ne présente pas un caractère d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif de statut vaccinal ou du certificat de rétablissement.
Le Conseil d’État note par ailleurs que les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux relevant du 2° du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 peuvent être soumis, au regard de la nature des justificatifs susceptibles d’être exigés, à des règles différentes des déplacements relevant du 1° du même A, alors qu’il peut s’agir dans ce dernier cas également de déplacements entre deux points du territoire national. Il relève toutefois que ces deux catégories de déplacements sont globalement soumises à des régimes juridiques distincts, incluant notamment, dans le cas du 1°, la possibilité d’imposer des mesures de quarantaine ou d’isolement, sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans les hypothèses mentionnées au II de l’article L. 3131-15 du même code. Le Conseil d’État estime dès lors que la différence de traitement rendue possible par la loi n’est pas par elle-même contraire aux exigences résultat du principe constitutionnel d’égalité.
12. Le Conseil d’État rappelle que le régime résultant de la loi du 31 mai 2021, tel que modifié par le présent projet de loi, bien qu’il ne comporte pas comme l’état d’urgence sanitaire de procédure spécifique de déclenchement et, le cas échéant, de cessation anticipée, se borne à ouvrir au Premier ministre la faculté de recourir aux catégories de mesures qu’elle mentionne. Le IV de l’article 1er de cette loi précise que ces mesures ne peuvent être prises qu’à la condition d’être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
Le Conseil d’État souligne que le prononcé de chacune de ces mesures est soumis, sous le contrôle du juge, à la condition qu’elle soit, dans son principe comme dans sa portée, sa durée et son champ d’application territorial, strictement nécessaire, adaptée et proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. Il appartient au Premier ministre de mettre fin immédiatement, le cas échéant sur une base territorialisée, aux mesures qui ne rempliraient plus ces conditions, son abstention ou son refus de le faire étant susceptible d’être soumis au contrôle du juge.
Sur l’application du « passe vaccinal » à certains professionnels
13. Le Conseil d’État rappelle qu’il résulte du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 que les règles relatives au « passe sanitaire » peuvent également être rendues applicables aux personnes « qui interviennent » dans les lieux, établissements, services ou évènements mentionnés aux 1° et 2° de ces dispositions « lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue ». Les professionnels qui ne sont pas en mesure de produire ce justificatif font l’objet, en application du C de ces dispositions, d’une suspension de leur contrat de travail, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération.
La conformité de ces dispositions à la Constitution a été admise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, au regard, d’une part, de l’objectif de protection de la santé poursuivi et, d’autre part, de l’encadrement de la mesure, et notamment de la nature des justificatifs susceptibles d’être produits par les intéressés pour exercer leur activité professionnelle.
Le Gouvernement entend étendre aux professionnels concernés les nouvelles règles relatives au « passe vaccinal », ce qui implique qu’ils devront justifier être détenteurs d’un certificat de vaccination, d’un certificat de rétablissement ou d’un certificat de contre-indication vaccinale, exigence qui pourra, le cas échéant, être cumulée avec l’obligation de justifier d’un certificat de dépistage négatif.
14. Le Conseil d’État relève que la mesure devrait se traduire pour les personnes exerçant une activité soumise à l’exigence du « passe vaccinal » par une contrainte conduisant la plupart de ces personnes à se faire vacciner. Il estime dans ces conditions que l’introduction par le législateur d’une telle obligation doit être subordonnée au respect des mêmes exigences de procédure et de compétence et des mêmes principes que ceux qui s’appliquent à la vaccination obligatoire à laquelle sont déjà astreints certains professionnels.
15. Le Conseil d’État rappelle, en premier lieu, qu’il avait considéré, dans son avis n° 403629 sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, que les dispositions relatives à la suspension et à la cessation de fonctions des agents publics et salariés de droit privé devaient être soumises à la commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle en application de l’article L. 2271-1 du code du travail et au conseil commun de la fonction publique en application de l’article 9 ter de la loi du 13 juillet 1983.
Il en résulte en l’espèce que le Gouvernement n’était pas tenu de saisir ces organismes du présent projet de loi, qui ne modifie pas les dispositions relatives à la suspension et à la cessation de fonctions des salariés et agents, même s’il restreint la nature des justificatifs susceptibles d’être présentés pour l’exercice de leur activité.
16. Le Conseil d’État observe, en deuxième lieu, que le projet de loi laisse au pouvoir réglementaire la faculté d’imposer le passe vaccinal aux professionnels entrant dans son champ d’application, dès lors que des considérations de santé publique liées à la lutte contre l’épidémie le justifieraient.
Le Conseil d’État rappelle que l’atteinte portée par l’obligation vaccinale au libre accès, par les citoyens, à l'exercice d'une activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale, qui constitue une liberté publique, ne peut résulter que du législateur (Ass, 7 juillet 2004, Ministre de l’intérieur c. Benkerrou, n° 255136). Le pouvoir réglementaire est seulement compétent pour déterminer les conditions de mise en œuvre de cette obligation et les conséquences qui en résulteraient pour les personnes qui ne la respecteraient pas (CE Ass. 12 décembre 1953, Union nationale des associations familiales, p. 545 ; Section, 16 juin 1967, Ligne nationale pour la liberté des vaccinations, p. 259 ; CE, Ass, 3 mars 2004, ALIS, n° 222918). Il appartient ainsi en principe au législateur, comme le prévoient tant les dispositions de l’article L. 3111-4 du code de la santé publique que celles de l’article 12 de la loi du 5 août 2021, de déterminer les catégories de salariés et agents soumis à l’obligation vaccinale.
Le Conseil d’État estime cependant qu’eu égard à la spécificité du dispositif de « passe vaccinal », introduit dans le cadre de la crise sanitaire actuelle et qui s’impose au public fréquentant certains lieux et établissements comme aux professionnels qui y exercent leur activité, le législateur peut, sans méconnaître l’article 34 de la Constitution, renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir le champ d’application de la mesure, comme le prévoient déjà au demeurant les dispositions actuelles du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 en ce qui concerne le passe sanitaire.
17. Le Conseil d’État rappelle, en troisième lieu, que l’instauration d’une obligation vaccinale s’inscrit dans un cadre constitutionnel et conventionnel bien établi.
Le Conseil constitutionnel juge ainsi : « qu'il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ; qu'il lui est également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ; que, toutefois, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé » (Conseil constitutionnel, décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, cons. 10). Le Conseil d’État en déduit que le principe d’une obligation de vaccination ne méconnaît, dans son principe, ni l’objectif de protection de la santé énoncé par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ni le droit à la vie et à l’intégrité physique, ni le principe de dignité de la personne humaine ni la liberté de conscience. Il revient toutefois au Conseil d’État de vérifier que les modalités retenues par la loi instaurant cette obligation de vaccination ne sont pas manifestement inappropriées à la lutte contre l’épidémie de la covid-19.
La Cour européenne des droits de l’homme juge que la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention (CEDH, décision n° 24429/03 du 15 mars 2012, Solomakhin c. Ukraine, paragr. 33). Pour déterminer si cette ingérence peut emporter violation de l’article 8 de la Convention, la Cour recherche si elle est justifiée au regard du second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », si elle poursuit l’un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans cette disposition et si elle est à cet effet « nécessaire dans une société démocratique ». Il constate enfin que la Cour estime qu’une obligation vaccinale poursuit des buts légitimes de protection de la santé et de protection des droits d’autrui et répond à un besoin social impérieux (CEDH, décision n° 47621/13 du 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque, paragr. 265 à 311) et admet cette ingérence si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi.
Statuant au contentieux, le Conseil d’État a considéré qu’une obligation vaccinale justifiée par les besoins de la protection de la santé publique et proportionnée au but poursuivi ne méconnaissait ni les articles 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de sauvegarde des droits de l’homme, ni l’article 2 de son premier protocole additionnel, ni la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée le 4 avril 1997 (CE, 6 mai 2019, Ligue nationale pour la liberté des vaccinations n° 419242).
Dans le contexte actuel de la crise sanitaire, le Conseil d’État a, par une récente décision contentieuse du 10 décembre 2021 (n° 456004), jugé qu’une loi de pays de Polynésie française imposant la vaccination contre la covid-19 à un nombre important de salariés et agents susceptibles d’être particulièrement exposés au virus ne portait pas une atteinte disproportionnée à leur droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la CESDH et que la circonstance qu’en cas de méconnaissance de l’obligation, l’employeur ou le chef de service est tenu d’exercer les responsabilités qui lui incombent en vertu du droit commun et dans le respect des garanties prévues par celui-ci ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits des professionnels concernés. Le juge des référés du Conseil d’État s’est, par ailleurs, récemment fondé sur les enjeux sanitaires de la vaccination pour rejeter, en raison de l’absence de doute sérieux quant à la légalité du texte, un recours contre un décret réduisant à un jour la durée de validité des tests de dépistage, par ailleurs désormais payants pour les personnes non vaccinées, en dépit de la charge financière que représentait la mesure pour les professionnels astreints à la détention d’un passe sanitaire (JRCE, 14 décembre 2021, Association La voix du peuple, n° 458876).
18. Le Conseil d’État relève qu’en l’espèce, le Gouvernement justifie l’extension du passe vaccinal à certains professionnels intervenant dans les lieux, établissements et transports mentionnés au 2° du B de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, à l’exception de ceux d’entre eux intervenant dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’actuel d) de ce 2°, par les risques de contamination particulièrement élevés auxquels sont exposés les intéressés du fait de leur activité ainsi que du risque d’hospitalisation accru qui en découle en l’absence de vaccination (cf. point 8 du présent avis).
Le Conseil d’État observe que la portée de la mesure est strictement encadrée puisqu’elle ne trouvera à s’appliquer que lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifiera et, en application des dispositions générales du 1er alinéa du A du II de l’article 1er de la loi, « dans l'intérêt de la santé publique, aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation ». Il appartiendra ainsi au Gouvernement, sous le contrôle du juge administratif, de restreindre son champ d’application aux seuls professionnels qui se trouvent effectivement exposés, du fait de l’exercice de leurs fonctions, à un risque de contamination accru. Il résulte en outre du C du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 qu’il appartient à l’employeur, lorsque cela est possible, de chercher à reclasser les intéressés dans des emplois où le passe vaccinal n’est pas exigé.
Le Conseil d’État en déduit que le fait d’imposer un passe vaccinal à certains professionnels ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles et conventionnelles précédemment rappelées.
Sur les modalités de contrôle de la réglementation relative au « passe sanitaire » et au « passe vaccinal »
19. Il résulte du B du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, la présentation des justificatifs du « passe activité » ne doit pas permettre aux contrôleurs « d'en connaître la nature et ne s'accompagne d'une présentation de documents officiels d'identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l'ordre. » Le projet de loi permet aux personnes chargées du contrôle du « passe sanitaire » et du « passe vaccinal », en cas de doute sur ces documents, d’exiger la présentation d’un document officiel d’identité.
Le Conseil d’État relève que diverses dispositions législatives et réglementaires prévoient déjà la vérification par les professionnels de l’identité de leurs clients, en particulier en ce qui concerne le paiement par chèque (article L. 131-15 du code monétaire et financier), les transactions bancaires (article L. 561-5 du code monétaire et financier), la vente de boissons alcooliques dans les débits de boissons (article L. 3342-1 du code de la santé publique), l’accès aux salles de jeux dans les casinos (article R. 321-27 du code de la sécurité intérieure) ou les compagnies aériennes (articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Le Conseil d’État constate qu’en l’espèce, la vérification de l’identité des clients soumis au « passe sanitaire » ou au « passe vaccinal » par les professionnels, en cas de doute sur l’authenticité de ces documents, est nécessaire pour prévenir le recours à des documents frauduleux. Il en déduit que la mesure est justifiée par un objectif de santé publique.
Le Conseil d’État considère dès lors qu’aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle à ce que l’accès des personnes dans un établissement, un lieu ou un service de transports soit subordonné à la justification par les intéressés de leur identité, lorsqu’une telle demande est motivée par des considérations objectives. Il relève, au demeurant, que le juge des référés a retenu que n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de ce que le passe sanitaire porte une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale des intéressés en ce qu’il comporte la mention de l’identité de son titulaire (JRCE, 30 août 2021, Gentillet, n° 455623).
Sur la constatation et la répression des infractions pénales
20. En premier lieu, l’absence de contrôle du « passe sanitaire » par l’exploitant des établissements concernés n’est pénalement réprimée que si les faits ont été constatés à trois reprises en 45 jours. L’infraction est alors passible d’un an de prison et 9 000 euros (D du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021). Le projet de loi prévoit de sanctionner cette absence de contrôle, en cas de mise en demeure restée sans effet, d’une contravention de cinquième classe.
Le Conseil d’État estime que compte tenu des enjeux de santé publique qui s’attachent au contrôle par les exploitants des justificatifs du « passe sanitaire » et du « passe vaccinal », la peine ainsi prévue ne présente pas un caractère manifestement disproportionné eu égard à la gravité du manquement.
21. En deuxième lieu, il résulte des sixième et septième alinéas du D) du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 que le fait de présenter un « passe sanitaire » appartenant à autrui, de même que le fait de transmettre, en vue de son utilisation frauduleuse, un « passe sanitaire » authentique sont punis d’une contravention de quatrième classe. Le projet de loi rend ces infractions passibles d’une contravention de cinquième classe, ce qui aura notamment pour conséquence que le montant de l’amende à laquelle s’exposent les contrevenants, actuellement fixé à 750 euros, sera porté à 1 500 euros (et 3 000 euros en cas de récidive).
Le Conseil d’État estime que cette nouvelle sanction n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements sanctionnés. Il relève au demeurant qu’une récente décision contentieuse a jugé que l’amende administrative de 1 500 euros environ punissant en Polynésie française le non-respect des obligations de vaccination contre la covid-19 auxquelles est subordonné, dans cette collectivité, l’exercice de certaines activités professionnelles ne présentait pas un caractère disproportionné eu égard au manquement qu’elle a pour objet de sanctionner (CE, 10 décembre 2021, n° 456004).
22. En troisième lieu, il résulte du D du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 que l’usage, la procuration ou la proposition de procuration d’un faux « passe sanitaire » sont punis des mêmes peines que son établissement, à savoir cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Le Conseil d’État relève que le projet de loi ajoute à la liste de ces infractions la « détention » d’un faux passe sanitaire ou vaccinal.
II observe que si aucun principe ne fait obstacle à ce que la détention d’un tel justificatif soit pénalement sanctionnée, alors même que son usage n’aurait pas été caractérisé, le principe de l’intentionnalité des peines implique que le détenteur de ce document ait connaissance de son caractère falsifié. Il estime en conséquence préférable de préciser dans la loi, comme le prévoient déjà les dispositions de droit commun de l’article 441-3 du code pénal, que la détention d’un tel document doit être frauduleuse.
Le Conseil d’État estime, par ailleurs, que la sanction prévue à raison de tels faits ne présente pas un caractère manifestement disproportionné alors même que les dispositions précitées de droit commun sanctionnent la détention frauduleuse d’un faux document moins sévèrement que son établissement, son usage ou sa cession.
23. En dernier lieu, le projet de loi modifie le D du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 aux fins d’autoriser les agents habilités à constater l’infraction de non-présentation du passe sanitaire pourront accéder, pendant les horaires d’ouverture au public, aux lieux, établissements ou événements concernés afin de contrôler la détention de ce document par les personnes qui s’y trouvent.
Le Conseil d’État relève qu’en l’état actuel du droit, aucune disposition n’habilite les forces de l’ordre à contrôler les justificatifs du « passe sanitaire » et à pénétrer, dans le cadre de ces contrôles, dans les établissements concernés. Le projet de loi vise ainsi à sécuriser juridiquement les conditions de réalisation de ces contrôles.
Le Conseil d’État estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle juridique. Il suggère par souci de cohérence d’étendre l’habilitation au contrôle du respect par l’exploitant ou le professionnel responsable de son obligation de contrôle de ces documents.
Sur l’applicabilité outre-mer
24. Le projet de loi rend applicables en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie les différentes modifications apportées aux dispositions de la loi du 31 mai 2021.
Comme il l’avait relevé dans son avis précité du 19 juillet dernier sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire (n° 403.629, point 40) et dans son avis n° 404103 du 7 octobre dernier sur le projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire (point 15), le Conseil d’État relève que la compétence de l’État en matière de garantie des libertés publiques sur l’ensemble du territoire de la République justifie l’extension dans ces deux collectivités des dispositions relatives à l’application du « passe vaccinal » au public qui fréquente les lieux et établissements soumis à cette réglementation.
En revanche, au regard de leur compétence en matière de santé publique et de droit du travail, les collectivités de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie peuvent seules subordonner l’exercice de certaines activités professionnelles à la présentation d’un justificatif de vaccination, de rétablissement ou de dépistage (V., en ce qui concerne l’exigence d’une vaccination obligatoire, AG, 15 mai 2003, n° 369.040, projet de loi relatif à la politique de santé publique ; CE, 10 décembre 2021, Le Cléach, n° 456004).
Le Conseil d’État estime en conséquence que les dispositions du projet de loi relatives au « passe vaccinal » ne peuvent être étendues aux professionnels de ces collectivités.
Sur l’application de l’état d’urgence sanitaire dans certaines collectivités d’outre-mer
25. Le projet prévoit de proroger l’état d’urgence sanitaire déclaré sur le territoire de la Martinique par le décret n° 2021-931 du 13 juillet 2021, et prorogé jusqu’au 31 décembre 2021 par la loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.
Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique l’état d’urgence sanitaire ne peut être prorogé au-delà d’une durée d’un mois que par la loi. Il relève qu’aucun vecteur législatif en cours d’examen, et susceptible d’être adopté à brève échéance, ne contient de disposition prorogeant l’état d’urgence sanitaire en Martinique au-delà du 31 décembre. Par suite, l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 13 juillet 2021 ne sera plus en vigueur à la date prévisible de promulgation du présent projet de loi et ne saurait dès lors faire l’objet de la mesure de prorogation envisagée.
Le Gouvernement a fait part de son intention, au vu de l’évolution récente de la situation sanitaire localement, de prendre un décret en Conseil des Ministres déclarant de nouveau l’état d’urgence sanitaire à partir de début janvier. Faute de pouvoir prendre en compte ce futur décret dans l’examen du projet de loi, à la date du présent avis, le Conseil d’État estime qu’il appartiendra au Gouvernement, une fois ce décret adopté, d’en tirer les conséquences en introduisant une disposition de prorogation au cours de la discussion parlementaire.
26. Le projet prévoit par ailleurs, par dérogation à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, de déclarer lui-même l’état d’urgence sanitaire à la Réunion jusqu’au 31 mars 2022.
Comme le Conseil d’État l’a indiqué au point 2 de son avis n° 401919 du 11 janvier 2021, pour apprécier le bien-fondé de cette mesure dans son principe, dans son champ géographique comme dans la durée envisagée, il convient de rechercher si, au regard des données disponibles sur la situation sanitaire et en l’état des connaissances scientifiques, cette mesure est justifiée par l’existence et la persistance prévisible de la catastrophe sanitaire à la Réunion, en tenant compte de l’efficacité des mesures propres au régime de l’état d’urgence et de leur adéquation pour faire face à la situation sanitaire actuelle comme à son évolution prévisible.
Il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’État que la situation épidémiologique s’est fortement dégradée. Au 20 décembre, le taux d’incidence du territoire, en forte augmentation, s’élève à 533 pour 100 000 habitants, alors que la couverture vaccinale, bien que supérieure à celle de la plupart des autres territoires ultra-marins, reste limitée : 58 % de la population éligible dispose d’un schéma vaccinal complet et 63 % a reçu au moins une dose.
Dans un contexte de particulière fragilité du système local de soins, le Conseil d’État estime que la mesure envisagée est justifiée en l’état des données disponibles.
27. Le projet prévoit enfin que si l’état d’urgence sanitaire est déclaré sur le territoire d’une autre collectivité mentionnée à l’article 72-3 de la Constitution avant le 1er mars 2022, il y sera applicable jusqu’au 31 mars 2022.
Cette mesure, analogue à la disposition admise par le Conseil d’État dans son avis (n° 403827) du 30 août 2021 sur un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer, constitue une dérogation temporaire et limitée aux dispositions de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique. Elle est en lien avec la situation sanitaire fragile de ces territoires, et avec les contraintes particulières de la lutte contre la propagation de l’épidémie dans ces territoires, rappelées au point 8 du même avis, relatives notamment à l’isolement géographique et à l’interdépendance de leurs systèmes hospitaliers.
Ces facteurs peuvent justifier de prévoir par avance une durée pouvant dépasser un mois en cas de déclaration rapprochée de l’état d’urgence sanitaire dans l’un de ces territoires et de fixer une date commune pour le réexamen simultané de leur situation avec les autres collectivités d’outre-mer déjà placées sous le régime de l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d’État estime qu’elle ne se heurte à aucun obstacle juridique.
Sur les modifications apportées au fichier « SI-DEP »
28. Le projet de loi modifie la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire en vue de permettre l’utilisation du système d’information « SI-DEP » par les services préfectoraux aux fins d’assurer le suivi et le contrôle du respect du placement en quarantaine ou à l’isolement.
29. Le Conseil d’État rappelle que le droit au respect de la vie privée, qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, impose que « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012). Il appartient à cet égard au « législateur d'instituer une procédure propre à sauvegarder le respect de la vie privée des personnes, lorsqu'est demandée la communication de données de santé susceptibles de permettre l'identification de ces personnes » (Conseil constitutionnel, décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999).
De même, pour être conforme aux exigences tirées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée, un traitement de données à caractère personnel doit se limiter aux données pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, ces données doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et des garanties doivent être prévues afin de protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (cf. par ex. CEDH, 22 juin 2017, Affaire Aycaguer c. France, n° 8806/12).
Enfin, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit « RGPD ») pose les grands principes auxquels doit se conformer tout traitement de données à caractère personnel : i) licéité, loyauté, transparence, ii) limitation des finalités, iii) minimisation des données, qui doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, iii) exactitude des données, iv) limitation de la conservation des données à une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, v) intégrité et confidentialité des données, qui doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée.
30. Le Conseil d’État relève qu’en l’espèce, l’objectif poursuivi par le législateur est de permettre aux services préfectoraux de contrôler les obligations de dépistage auxquelles sont soumises les personnes en provenance de certains États étrangers avant la levée des mesures de quarantaine ou d’isolement dont elles font l’objet. Il estime que le contrôle administratif de ce dépistage peut justifier l’accès des services préfectoraux qui en sont chargés, à certaines données figurant dans le système d’information « SI-DEP », dont la création a été autorisée par l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 précitée. Il considère que l’ajout de cette nouvelle finalité au système d’information ainsi que la possibilité pour les agents habilités des services préfectoraux d’accéder aux données strictement nécessaires pour leurs missions de suivi et de contrôle ne méconnaît aucune des exigences de la Constitution et du droit de l’Union européenne précédemment rappelées.
Au regard des explications ainsi fournies par le Gouvernement quant à l’objet très circonscrit de la mesure, il estime toutefois nécessaire de préciser la nouvelle finalité du système d’information « SI-DEP » en faisant référence au contrôle du respect de l’obligation de dépistage imposée aux personnes faisant l’objet de mesures d’isolement ou de quarantaine.
Le Conseil d’État souligne qu’en application du iv) de l’article 5 du RGPD, les données auxquelles les services préfectoraux auront ainsi accès ne pourront être conservées que pour la durée strictement nécessaire à l’exercice de leur mission de contrôle.
Le Conseil d’État rappelle enfin que l’ajout par la loi d’une finalité au système d’information « SI-DEP » ne dispense pas le Gouvernement de veiller au respect par le traitement des exigences du RPGD et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et notamment d’assurer l’actualisation de l’analyse d’impact et d’en tirer les conséquences.
Sur le régime de contention et d’isolement
31. Le projet de loi encadre, par un contrôle systématique de l’autorité judiciaire, les mesures d’isolement et de contention prises dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement en application de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, afin de garantir les droits des personnes qui en font l’objet.
Le Conseil d’État constate que le projet reprend des dispositions initialement introduites dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2022, censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-832 DC du 16 décembre 2021, en raison de leur absence de place dans une telle loi.
32. Le Conseil d’État rappelle que, par une première décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, résultant de l’article 72 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, au motif que ces mesures privatives de liberté, entrant dans le champ de l’article 66 de la Constitution, ne prévoyaient pas de voies de recours juridictionnel spécifiques permettant de contester les mesures de contraintes.
Les nouvelles dispositions de cet article, introduites par l’article 72 de la loi de financement de sécurité sociale pour l’année 2021 afin de remédier à cette censure, ont de nouveau été déclarées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021 et abrogées avec un effet différé au 31 décembre 2021. Le Conseil constitutionnel, sans se prononcer sur les autres griefs dont il était saisi, s’est fondé sur la circonstance qu'alors que le nombre de renouvellements des mesures de contention et d’isolement n’est pas limité, aucune disposition législative ne soumettait leur prolongation au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution
33. Le Conseil d’État rappelle, par ailleurs, qu’il résulte en outre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (V. par ex. 15 septembre 2020, Aggerholm c. Danemark, n° 45439/18) que ces mesures de contention et d’isolement sont susceptibles, lorsqu’elles ne sont pas suffisamment encadrées ou d’une durée excessive, de constituer une violation de l’article 3 de la Convention relatif aux traitements inhumains ou dégradants.
34. Le Conseil d’État relève d’abord que le projet de loi, reprenant sur ce point les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, limite la durée des mesures d’isolement et de contention à douze heures pour la première et à six heures pour la seconde, conformément aux recommandations de la Haute autorité de santé (Recommandation de bonne pratique, Isolement et contention en psychiatrie générale, février 2017) et qu’il prévoit qu’elles ne peuvent, sauf à titre exceptionnel, être renouvelées au-delà de quarante-huit heures pour l’isolement et de vingt-quatre heures pour la contention.
Alors qu’il résulte des dispositions actuelles qu’une évaluation médicale doit être réalisée toutes les douze heures, le projet de loi prévoit que deux évaluations devront être réalisées toutes les vingt-quatre heures. Il ressort des explications fournies par le Gouvernent que cette mesure vise à prendre en compte les difficultés matérielles rencontrées par les institutions et professionnels de santé pour procéder à cette évaluation en période nocturne.
Le Conseil d’État estime que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
35. Le Conseil d’État relève ensuite que le projet de loi prévoit qu’au-delà des durées respectives de quarante-huit heures et de vingt-quatre heures précédemment mentionnées, le renouvellement à titre exceptionnel des mesures d’isolement et de contention peut être décidé par le médecin dans les mêmes conditions de durée que celles prévues pour les mesures de prolongation initiales. Le directeur de l’établissement doit alors informer sans délai de cette décision le juge des libertés et de la détention. Ce dernier peut se saisir d’office pour y mettre fin. Le directeur de l’établissement est tenu de saisir le juge des libertés et de la détention avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement ou de la quarante-huitième heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées. Le juge doit alors statuer dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme de ces durées d’isolement et de contention.
Le projet de loi prévoit par ailleurs que si le renouvellement d’une mesure d’isolement est encore nécessaire après deux décisions de maintien prises par le juge des libertés et de la détention, celui-ci s’effectuera selon une périodicité hebdomadaire. Le juge des libertés et de la détention devra être saisi au moins vingt-quatre heures avant l’expiration d’un délai de sept jours à compter de sa précédente décision et statuera avant l’expiration de ce délai de sept jours. Le renouvellement des mesures de contention s’effectuera dans les mêmes conditions mais pour une période de trois jours, eu égard à la gravité de l’atteinte portée à la liberté individuelle des intéressés.
Le Conseil d’État estime que le dispositif ainsi prévu garantit, ainsi que l’a exigé le Conseil constitutionnel dans ses décisions précitées, l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution.
Le Conseil d’État relève toutefois que le projet de loi ne garantit l’information sur le renouvellement des mesures d’isolement et de contention que d’un seul membre de la famille ou d’une personne susceptible d’agir dans l’intérêt du patient, y compris lorsque le médecin a connaissance de l’identité de plusieurs d’entre elles. Au regard de la gravité de l’atteinte portée par ces mesures à la liberté individuelle des intéressés et à la diversité des situations personnelles et familiales, il suggère de modifier le projet en garantissant au moins l’information du conjoint, du partenaire uni par un pacte civil de solidarité ou du concubin, lorsqu’il existe et que le médecin est en mesure de le contacter.
36. Le projet de loi précise en outre que lorsque le juge des libertés et de la détention ordonne la mainlevée des mesures ainsi prises par le médecin, aucune nouvelle mesure ne peut être prise avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures à compter de cette mainlevée, sauf survenance d’éléments nouveaux dans la situation du patient qui rendent impossibles d’autres modalités de prise en charge permettant d’assurer sa sécurité ou celle d’autrui. Le directeur de l’établissement informe alors sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à la nouvelle mesure.
Le Conseil d’État observe que la possibilité pour le médecin, si des circonstances nouvelles le justifient, de décider une nouvelle mesure d’isolement et de contention, après une première décision de mainlevée du juge des libertés et de la détention, est conforme à l’autorité de chose jugée et n’appelle aucune critique. La possibilité de prendre, si des circonstances particulières le justifient, une telle décision dans un délai de quarante-huit heures ne méconnaît pas par elle-même l’autorité de chose jugée, d’autant, au demeurant, qu’elle implique l’information sans délai du juge.
Le Conseil d’État considère dès lors que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Cet avis a été délibéré et adopté par la Commission permanente du Conseil d’État dans sa séance du dimanche 26 décembre 2021.