Avis sur un projet de loi pour une école de la confiance

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à une école de la confiance.

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CONSEIL D’ÉTAT   
Assemblée générale
_________
Section de l’intérieur
Section de l’administration      
Séance du jeudi 29 novembre 2018
N° 396047
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBÉRATIONS
AVIS SUR UN PROJET DE LOI
pour une école de la confiance

1. Le Conseil d'Etat a été saisi le 22 octobre 2018 d’un projet de loi « pour une école de la confiance » qui comporte vingt-quatre articles, d’importance et de nature diverses, répartis en quatre titres principaux : garantir les savoirs fondamentaux pour tous, innover pour s’adapter aux besoins des territoires, améliorer la gestion des ressources humaines, simplifier le système éducatif.
2. L’étude d’impact complète et bien documentée qui accompagne le projet répond aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Sur la portée normative de certaines dispositions

3. Le projet de loi énonce que : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».
Si ces dispositions expriment certaines des valeurs incontestables autour desquelles l’école républicaine est construite, elles ne produisent par elles-mêmes aucun effet de droit et réitèrent des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires comme de lois particulières assorties, le cas échéant, de sanctions pénales.
Le Conseil constitutionnel déduit de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que « la loi a vocation à énoncer des règles » et, par suite, censure les dispositions « manifestement dépourvues de toute portée normative » (CC, décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005). En conséquence, le Conseil d’Etat ne maintient pas dans le projet de loi les dispositions qui ont en revanche toute leur place dans son exposé des motifs.

Sur l’abaissement de six à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire

4. Le projet de loi modifie l’article L. 131-1 du code de l’éducation pour prévoir que : « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans. ». Ces dispositions qui incorporent l’école maternelle dans le périmètre de l’obligation d’instruction entrent en vigueur à la rentrée scolaire 2019 et s'appliquent à compter de la rentrée scolaire de l'année civile où l'enfant atteint l'âge de l’instruction obligatoire. Elles confèrent à l’enfant un droit à être scolarisé dès trois ans et instituent, pour les communes et l’Etat, une obligation de  garantir son effectivité.
En ce qui concerne la portée du droit à l’instruction et de l’instruction obligatoire

5. Aux termes du 13ème alinéa du Préambule de 1946, « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». En application de l’article 34 de la Constitution, il revient au législateur de déterminer « les principes fondamentaux (...) de l’enseignement  ». L’article 2 du protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose par ailleurs que : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. (…).

6. Depuis l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire, aux termes duquel : « L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus…», l’obligation d’instruction s’inscrit dans une tradition républicaine jamais démentie. La loi sur l’instruction primaire obligatoire du 9 août 1936 a ainsi porté l’instruction obligatoire de treize à quatorze ans avant que l’ordonnance n°59 45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire n’en fixe le terme à seize ans et sa formulation actuelle, qui figure à l’article L. 131-1 du code de l’éducation : « L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». En France, comme dans la plupart de pays comparables, l’instruction obligatoire implique l'obligation faite aux parents de faire instruire leurs enfants. Cette obligation est impérative et seul le législateur peut y apporter des dérogations exceptionnelles (CE, 21 juillet 1970, n° 73299, Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques).
En ce qui concerne le choix de fixer  à trois ans le début de l’instruction obligatoire

7. Le Conseil d’Etat estime que le choix du législateur de fixer à trois ans l’âge de  l’instruction obligatoire et d’étendre la durée de celle-ci de dix à treize ans, motivé par l’objectif de  renforcer l’égalité d’accès à l’acquisition de la langue orale et écrite notamment pour les enfants issus des milieux les moins favorisés, de  lutter le plus précocement possible contre les risques ultérieurs de décrochage scolaire et d’affirmer l’identité pédagogique propre de l’école maternelle, contribue à garantir les principes d’égal accès à l’instruction et de droit à l’instruction.

8. A cet égard, il observe qu’en France l’école maternelle est reconnue comme une école par le législateur depuis la loi du 2 août 1881 instituant une école maternelle non obligatoire, gratuite et laïque, que la loi du 30 octobre 1886 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire est venue renforcer. Elle fait aujourd’hui l’objet des dispositions de l’article L. 321-2 du code de l’éducation qui lui assignent un triple objectif d’instruction, de socialisation et de construction du lien entre la famille et l’école. Organisée selon un cycle unique, elle dispose de programmes officiels publiés par arrêté et de maîtres spécialement formés à la délivrance de ces premiers apprentissages.

9. Le Conseil d’Etat relève que d’ores et déjà 98, 9 % des enfants de trois ans sont scolarisés en maternelle si bien que les effectifs d’élèves âgés de trois à cinq ans supplémentaires à scolariser à partir de 2019 en raison de la réforme seront, au regard du taux de scolarisation actuel, seulement de l’ordre de 26 000 élèves. Il attire toutefois l’attention du Gouvernement sur la situation spécifique de certaines collectivités d’outre-mer où les taux de scolarisation sont inférieurs à la moyenne nationale, dans un contexte de forte hausse démographique pour les enfants de 3 à 5 ans.
En ce qui concerne l’accompagnement de la charge résultant pour les communes de l’abaissement de six à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire

10. Aux termes de l’article 72-2 de la Constitution, « tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
Le Conseil d’Etat relève que l’abaissement de six à trois ans de l’instruction obligatoire ne constitue pas un transfert de compétence imposant « l’attribution de ressources équivalentes » c’est-à-dire de « ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert » (CC, décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005), mais l’extension d’une compétence déjà assumée par les communes (CC, décision n° 2010-109 QPC du 25 mars 2011, département des Côtes d'Armor), qui n’impose par suite au législateur que « d'accompagner (cette  extension de compétences) de ressources dont il lui appartient d'apprécier le niveau, sans toutefois dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriale » (CC, décisions n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011 relative à l’allocation personnalisée d’autonomie et n° 2011-144 QPC relative à la prestation de compensation du handicap). Il relève au surplus que les écoles maternelles et enfantines donnent lieu à des dépenses obligatoires pour les communes lorsque celles-ci ont décidé de les créer, alors même qu’elles n’en n’ont pas l’obligation en l’état actuel du droit (CE, Ass., 31 mai 1985, ministre de l’éducation nationale contre association d’éducation populaire de l’école Notre Dame d’Arc-les-Gray, n° 55925).

11. Les dispositions du projet qui prévoient que l’Etat attribue à chaque commune les ressources correspondant à l’augmentation des dépenses obligatoires qu’elle a consenties en application des dispositions des articles L. 212-4, L. 212-5 et L. 442-5 du code de l’éducation au titre de l’année scolaire 2019-2020 par rapport à l’année scolaire précédente, dans la limite de la part d’augmentation résultant directement de l’abaissement à trois ans de l’âge de l’instruction obligatoire, se conforment ainsi  aux exigences de l'article 72-2 de la Constitution.

Sur le contrôle de l’instruction dispensée dans la famille

12. Le projet de loi modifie les dispositions de l’article L. 131-10 du code de l’éducation qui fixent le cadre législatif actuel du contrôle par les autorités académiques de l’instruction dans la famille.
Si, aux termes de l’article L. 131-1 du code de l’éducation : « L'instruction est obligatoire… » et, selon l’article L. 131-1-1 du même code, « (…) assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement », elle «… peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix. » (article L. 131-2 du code de l’éducation). Il résulte de ces dispositions un « droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 19 juillet 2017, association les enfants d’abord, n° 406150). Le Conseil d’Etat constate que si, sur cette question, la pratique des Etats diffère, l’instruction à domicile étant, par exemple, interdite en Allemagne et en Espagne, pour sa part la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge que l’article 2 du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique pour l’Etat « le droit d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons particulières de qualité et que la vérification et l’application des normes éducatives fait partie intégrante de ce droit ». (CEDH, décision du 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n° 10233/83). Il en résulte que s’il est loisible au législateur de permettre l’instruction au sein de la famille, il lui appartient également de déterminer les principes et les principales modalités de son contrôle dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels.

13. Les dispositions actuelles de l’article L. 131-10 du code de l’éducation organisent deux contrôles de l’instruction donnée dans la famille.
L’un incombe au maire qui doit, au cours de la première année de la déclaration  d’instruction à domicile puis, tous les deux ans, diligenter une enquête administrative « aux fins d’établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables et si il leur est donné (aux enfants) une instruction compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille ».
L’autre contrôle incombe à l’autorité compétente en matière d’éducation. Il a lieu au moins une fois par an «  notamment » au domicile et a une double finalité : il tend, d’une part, à « vérifier que l'enseignement assuré est conforme au droit de l'enfant à l'instruction » et d’autre part, à s’assurer que l'instruction dispensée au même domicile « l'est pour les enfants d'une seule famille ».
Lorsqu’un premier contrôle, dont le contenu est fixé à l’article R. 131-14 du code de l’éducation, révèle des résultats insuffisants, ceux-ci sont notifiés aux personnes responsables de l’enfant « avec l’indication du délai dans lequel elles devront fournir des explications ou améliorer la situation et des sanctions dont elles seraient l’objet dans le cas contraire ». Si le deuxième contrôle effectué à l’expiration de ce délai confirme l’insuffisance de l’instruction donnée à l’enfant, les personnes qui en sont responsables sont mises en demeure, dans les quinze jours suivant la notification de ces résultats, d'inscrire l’enfant dans un établissement d'enseignement public ou privé de leur choix. Le fait de ne pas donner suite à une mise en demeure est puni d’une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende (article 227-17-1 du code pénal).
Lorsqu’un contrôle à domicile révèle l’existence d’une école de fait, laquelle constitue un établissement privé hors contrat non déclaré, l’article L. 441-4 du code de l’éducation fait obligation à l’inspecteur d’académie de saisir le procureur de la République des faits constitutifs de cette infraction qui est punie de 15 000 euros d’amende, du prononcé de la fermeture de l’établissement et de la peine complémentaire d’interdiction d’ouvrir et de diriger un établissement scolaire et d’y enseigner, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans. Le même article prescrit à l’inspecteur d’académie en pareille circonstance de mettre en demeure les « parents des élèves scolarisés dans l’établissement d’inscrire leur enfant dans un autre établissement dans les quinze jours qui suivent la notification de la mise en demeure ».

14. En revanche, le refus des parents de se plier au contrôle a pour seule conséquence la saisine du procureur de la République (article L. 131-9 du code de l’éducation). Le refus réitéré du contrôle n’étant pas assimilé, dans l’état actuel du droit, à un contrôle révélant une instruction insuffisante, il ne peut conduire à la mise en demeure de scolariser l’enfant, alors même que son instruction pourrait être défaillante (CE, 13 janvier 2014, ministre de l’éducation nationale c/Roberger, n° 370323).
C’est principalement à cette dernière difficulté que le projet de loi entend à juste titre  remédier. A cet effet, il prévoit que deux refus consécutifs de contrôle pourront déboucher sur la mise en demeure des personnes responsables de l’enfant de l’inscrire dans un établissement d’enseignement scolaire de leur choix.
Le Conseil d’Etat estime, sous réserve des observations qui suivent, que le dispositif de contrôle de l’instruction des familles envisagé dans le projet ne contrevient à aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle.

15. Il observe, en premier lieu, que le principe d’un contrôle à domicile de l’instruction de l’enfant est en adéquation avec sa double finalité : d’une part, en accédant à l’enfant au sein de l’environnement dans lequel les personnes qui en sont responsables ont fait le choix de l’instruire, d’évaluer si son droit à l’instruction est bien assuré et, d’autre part de démasquer des écoles de fait qui tentent de se soustraire aux obligations légales, notamment de déclaration préalable assorti d’un droit d’opposition, que leur imposent dans l'intérêt de l'ordre public ou de la protection de l'enfance les articles L. 441-1 et suivants du code de l’éducation. Il relève que l’article L. 131-10 du code de l’éducation n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre à l’autorité compétente de pénétrer au domicile de personnes responsables de l’enfant sans leur consentement et qu’au surplus le projet de loi réserve le cas de refus qui seraient fondés sur un « motif légitime ».
Il relève, en deuxième lieu, que diverses législations assimilent déjà le refus de contrôle au domicile à un contrôle défaillant exposant aux mêmes conséquences, comme en matière de vérification du respect des conditions permettant à un étranger de faire bénéficier des membres de sa famille de la procédure de regroupement familial (article L. 421-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) ou de contre-visite médicale pour un fonctionnaire placé en congé de maladie (CE, 27 janvier 2017, Denoual, n° 281514).

16. Il a, en troisième lieu, jugé nécessaire, avec l’accord du Gouvernement, d’amender la rédaction du texte pour mieux préciser l’objet du contrôle, les objectifs pédagogiques au regard desquels il s’exerce, les conditions d’information des personnes responsables de l’enfant, et indiquer sans équivoque que le contrôle se déroule « en principe au domicile où l’enfant est instruit ». Il lui a par ailleurs paru nécessaire, compte tenu des droits en jeu, de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les modalités du contrôle, tant en ce qui concerne son contenu que sa procédure aujourd’hui régie par circulaire.
Les conséquences qui s’attachent aux contrôles lui ont semblé enfin devoir  être précisées pour assurer la proportionnalité de la mesure prononcée aux suites du contrôle. Si dans l’hypothèse où deux contrôles successifs font apparaître une insuffisance de l’instruction il est adéquat et nécessaire que l’administration soit dans l’obligation de prononcer une mise en demeure de scolariser l’enfant dans un établissement, une telle injonction ne doit pas revêtir de  caractère automatique lorsqu’ont été opposés deux refus de contrôles successifs à domicile. Il est apparu nécessaire en pareil cas d’ouvrir à l’administration la faculté, si des circonstances particulières le justifient, d’organiser une modalité alternative de contrôle du niveau d’instruction de l’enfant, avant de prononcer, le cas échéant, l’obligation de le scolariser.

17. Dans ces conditions, les dispositions ont paru assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, le droit à l’instruction dans la famille reconnu par le législateur et le respect de la vie privée qui résulte de l'article 2 de la Déclaration de 1789 et inclut l’inviolabilité du domicile, et, d’autre part, l’objectif de sauvegarde de l’ordre public qui s’attache au respect du régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat et le droit de l’enfant à être instruit.

Sur les établissements publics locaux d’enseignement international

18. Le projet de loi institue le cadre législatif d’un « établissement public local d’enseignement international » (EPLEI), ayant pour vocation de délivrer des diplômes bi-nationaux ou européens et regroupant école, collège et lycée.

19. Le projet de loi entend ce faisant généraliser l’expérience de la création de l’école européenne de Strasbourg dont il reprend l’essentiel des dispositions issues de l’ordonnance n° 2014-238 du 27 février 2014 codifiées aux articles L. 421-19-1 du code de l’éducation. Les établissements publics locaux d’enseignement international relèveront, comme les établissements publics locaux d’enseignement régis par les articles L. 421-1 du même code, de la tutelle du ministère de l’éducation nationale et exerceront comme ceux-ci  une mission d’enseignement. Ils peuvent être rattachés à cette catégorie d’établissements publics.

20. Le Conseil d’Etat observe toutefois que les règles constitutives des établissements publics locaux d’enseignement internationaux s'écartent de celles applicables aux établissements publics d’enseignement. La quasi totalité des dispositions législatives relatives aux établissements publics locaux d’enseignement ne sont pas applicables aux établissements public locaux d’enseignement international. Ceux ci sont créés par une convention constitutive signée entre les collectivités parties prenantes (articles L. 421-19-1 et L. 421 19 2 du code de l’éducation). Ils constituent une personne morale rassemblant, sous l’autorité d’un seul chef d’établissement et d’un unique conseil d’administration, des établissements publics du second degré dotés de la personnalité morale et des établissements du premier degré qui en sont dépourvus (article L. 421 19-1 du même code). Le chef d’établissement cumule les prérogatives d’un directeur d’école d’un principal de collège et d’un proviseur de lycée (article L. 421-19-3 du même code). La composition (articles L. 421 19-4 et L. 421-19-6 du même code) et les prérogatives du conseil d’administration s’écartent substantiellement de celles des établissements publics locaux d’enseignement.

21. L’intervention du législateur est en conséquence requise  pour créer le cadre juridique instituant les établissements publics locaux d’enseignement international (CE, avis du 25 octobre 2018 sur la proposition de loi n° 2 portant création d'une Agence de la cohésion des territoires, n  395.974) qui n’appelle pas d’autre remarque du Conseil d’Etat.

Sur le recours à l’expérimentation

22. Le projet de loi rassemble et réécrit de façon plus cohérente les dispositions législatives du code de l’éducation, prises sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, relatives aux possibilités d’expérimentations reconnues aux établissements d’enseignement, qui demeurent aujourd’hui éparpillées, redondantes et pour certaines d’entre elles obsolètes. Il étend les domaines d’expérimentation notamment à l’organisation des horaires d’enseignement et aux procédures d’orientation des élèves. Ces dispositions qui mentionnent un domaine d’expérimentation suffisamment précis, assignent à ces expérimentation une durée de cinq ans, les soumettent à une évaluation dont les conditions seront précisées par décret pour décider de leurs éventuels reconduction, abandon ou généralisation, ne méconnaissent aucune règle de valeur constitutionnelle. (CC, décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004 Loi relative aux libertés et responsabilités locales ; CE, avis du 23 novembre 2017 sur un projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, n° 393.744, point 5.). Elles n’appellent pas d’observation du Conseil d’Etat.

Sur le conseil d’évaluation de l’école

23. Le projet de loi institue, par une nouvelle rédaction des articles L. 241-12 et suivants du code de l’éducation, un conseil d’évaluation de l’école, qui se substitue à l’actuel Conseil national d’évaluation du système scolaire lequel succédait lui-même au Haut Conseil de l’éducation institué par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école et au Haut Conseil de l'évaluation de l'école créé en 2000.

24. Le Conseil d’Etat prend note de la volonté du Gouvernement de renforcer la capacité d’évaluation du ministère de l’éducation nationale du système éducatif comme le recommandent de nombreux rapports (Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) - Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), l’évaluation des établissements par les académies, rapport à Monsieur le ministre de l’éducation nationale, n° 2017-080 - décembre 2017, p. 11. Cour des comptes : l’Education nationale : organiser son évaluation pour améliorer sa performance, décembre 2017 Assemblée nationale, rapport d’information n° 1265 du 27 septembre 2018 sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif).

25. Il rappelle qu’en principe la création d’une instance consultative ou délibérative placée auprès d’un ministre n’exige pas d’intervention autre que celle du pouvoir réglementaire (CC, décisions n° 98-183 L du 5 mai 1998 et n° 2003-194 L du 22 mai 2003 et décret n° 2000 1060 du 27 octobre 2000 instituant le Haut Conseil de l'évaluation de l'école). Il observe toutefois que le Conseil national d’évaluation se substitue au Conseil national d’évaluation du système scolaire, lui-même institué par la loi du 8 juillet 2013. Il relève également que le conseil comprend notamment deux députés qui ne peuvent être désignés en application du II de l’article LO 145 du code électoral qu'en vertu d'une disposition législative.

Sur les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation

26. Le projet de loi crée des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation qui se substituent aux Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPEE) relevant des articles L. 625-1 et L. 721-3 du code de l’éducation elles-mêmes héritières des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres. Au-delà du changement d’intitulé, dont il résulte les dispositions de coordination nécessaires, le projet de loi comporte deux modifications substantielles. En premier lieu il ajoute aux dispositions de l’article L. 625-1 du code de l’éducation qui fixent les principes de la formation des maîtres la mention d’un « référentiel de formation » des métiers du professorat, c'est-à-dire d’un cadre national. En second lieu il modifie les modalités de choix du directeur de l’Institut actuellement « nommé (…) par arrêté conjoint des ministres (…) sur proposition du conseil de l'école. » Le projet supprime la proposition du conseil de l’école au profit d’une procédure d’appel à candidature et d’audition par un comité. Le Conseil d’Etat écarte les dispositions relevant du pouvoir réglementaire auquel il reviendra notamment de fixer la durée du mandat du directeur ou encore les modalités de désignation et de fonctionnement du comité d’audition.
 
Sur les dispositions relatives aux personnels au service de la mission éducative

27. Afin de favoriser le recrutement de personnels enseignants mieux préparés à l’exercice de leurs missions, le projet de loi autorise le recrutement, sous le régime contractuel applicable aux assistants d’éducation, d’étudiants qui, souhaitant se préparer aux concours du professorat et de l’éducation, sont inscrits à cet effet dans une formation supérieure. Il modifie en conséquence l’article L. 916-1 du code de l’éducation pour élargir à des fonctions pédagogiques, d’enseignement ou d’éducation, les missions susceptibles d’être exercées en qualité d’assistant d’éducation au profit de ceux qui sont inscrits dans une de ces formations.
Le Conseil d’Etat souligne que les missions particulières qu’il est ainsi prévu de confier à cette nouvelle catégorie d’assistants d’éducation les feront regarder comme occupant eux aussi des emplois publics. Dès lors, la priorité de recrutement en faveur des étudiants boursiers instaurée par le cinquième alinéa de l’article L. 916-1 du code de l’éducation leur sera applicable sous la réserve, dégagée par le Conseil constitutionnel (CC, décision n° 2003-471 DC du 24 avril 2003, Loi relative aux assistants d’éducation, point 10), que ces étudiants présentent des aptitudes égales.
Si cette modification n’appelle pas d’autre observation juridique de la part du Conseil d’Etat, celui-ci estime opportun, dans la mesure où l’essentiel de cette réforme relève de mesures non législatives, d’appeler l’attention du Gouvernement sur le fait que l’attractivité de la rémunération proposée, de nature à permettre l’élargissement effectif du vivier des étudiants intéressés par les métiers du professorat et de l’éducation, et la mise en place d’un accompagnement de qualité des étudiants concernés mettant en cohérence la formation supérieure reçue et les missions à exercer, seront déterminants pour la réussite du dispositif.

28. Le projet prévoit d’insérer dans le code de l’éducation de nouvelles dispositions afin de permettre aux statuts particuliers des personnels d’éducation, des psychologues de l’éducation nationale, des personnels de direction des établissements d’enseignement relevant du ministre de l’éducation nationale ainsi qu’aux inspecteurs d’académie - inspecteurs pédagogiques régionaux et aux inspecteurs de l’éducation nationale de comporter des dérogations identiques à celles dont  ne peuvent bénéficient, parmi les personnels du service public de l’éducation nationale, que les « corps enseignants » en application de l’article 10 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat.
Le Conseil d’Etat relève que l’extension à d’autres corps de cette possibilité de dérogation peut trouver une justification dans les exigences inhérentes à une gestion harmonisée de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale.
Il estime toutefois inapproprié de l’inscrire dans un article inséré dans le code de l’éducation. Un tel choix n’est en effet pas cohérent avec l’objectif d’unification du régime applicable à l’ensemble de ces personnels qu’entend poursuivre la réforme proposée, d’autant que le projet du Gouvernement s’écarte à un double titre des possibilités de dérogation ouvertes par l’article 10 de la loi du 11 janvier 1984 : non seulement en retenant un critère de mise en œuvre distinct mais, en outre, en leur conférant une portée beaucoup plus large qui s’étendrait à toutes les dispositions du statut général. Or, la loi ne peut ouvrir des possibilités de dérogation à ses dispositions qu’à la condition de leur conférer une portée aussi limitée et encadrée que possible. 
Le Conseil d'Etat considère que l’objectif poursuivi par le Gouvernement serait satisfait de manière plus cohérente et juridiquement plus sûre par une modification circonscrite de l’article 10 de la loi du 11 janvier 1984 afin d’étendre le bénéfice de la dérogation qui y figure à ces autres corps.
Sur la présidence du conseil académique en formation restreinte aux enseignants chercheurs

29. Le projet de loi comporte des dispositions qui modifient l’article L. 952-6 du code de l’éducation afin de permettre au président d’un établissement public d’enseignement supérieur de présider le conseil académique siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs.

30. L’article L. 712-4 du code de l’éducation prévoit que le conseil académique regroupe les membres de la commission de la recherche mentionnée à l'article L. 712-5 du même code et de la commission de la formation et de la vie universitaire mentionnée à l'article L. 712-6 du même code, toutes deux composées à majorité d’enseignants-chercheurs. Lorsque le conseil académique siège en formation restreinte aux enseignants-chercheurs, il est l'organe compétent, mentionné à l'article L. 952-6 du code de l’éducation, pour l'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs (IV de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation). Ses prérogatives portent notamment sur la création des comités de sélection et la proposition du nom du candidat sélectionné.

31. Si l’article L. 712 du code de l’éducation prévoit explicitement que les fonctions de président d’universités « sont incompatibles avec celles de membre élu du conseil académique », l’article L. 712-14 du même code permet aux statuts de l'université de prévoir que le président du conseil académique « peut être le président du conseil d'administration de l'université ».
La possibilité pour un président d’université, non élu au conseil académique mais lui-même enseignant-chercheur, d’en présider es qualités la formation restreinte ayant été contestée dans certains établissements comme portant atteinte au principe d’indépendance des enseignants chercheurs, le projet de loi dispose, afin de clarifier le droit applicable, que les statuts « peuvent prévoir que le président ou le directeur de l’établissement peut présider la formation restreinte aux enseignants-chercheurs du conseil académique ». En pareil cas il est tenu au respect du principe énoncé à l’article L. 952-6 du code de l’éducation selon lequel l’examen des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs « relèvent des seuls représentants des enseignants chercheurs et personnels assimilés d’un rang au moins égal à celui postulé par l’intéressé si il s’agit de son recrutement et d’un rang au moins égal à celui de l’intéressé si il s’agit de son affectation ou du déroulement de sa carrière. ».

32. Le Conseil d’Etat rappelle en premier lieu que « l’indépendance des professeurs comme celle des enseignants-chercheurs ayant une autre qualité » suppose (…) « une représentation propre et authentique dans les conseils de la communauté universitaire » (CC, décision n° 83 165 DC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, cons. 27.) et implique « que les professeurs et maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs (sans imposer) que toutes les personnes intervenant dans la procédure de sélection soient elles-mêmes des enseignants-chercheurs d'un grade au moins égal à celui de l'emploi à pourvoir » (CC, décision n° 2010-20/21 QPC du 6 août 2010, M. Jean, cons. 6 ). Il estime que ces exigences ne sont pas méconnues dès lors que le président de l’université est élu à la majorité absolue des membres du conseil d'administration parmi les enseignants-chercheurs (article L. 712-2 du code de l’éducation) par un collège électoral composé des enseignants-chercheurs et des personnels assimilés en exercice dans l'établissement (article L. 712-3 du même code).

33. Si en second lieu, « par leur nature, les fonctions d’enseignement et de recherche exigent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des enseignants-chercheurs soient garanties » (CC, décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993), le Conseil d’Etat estime que la présidence de la formation restreinte du conseil académique par le président de l’université  n’est pas de nature à modifier, par elle-même, l’équilibre général des expressions au sein de cette instance. A cet égard, il relève que si le président de l’université assure la direction de l’université, ce qui justifie qu’il participe à la gestion des ressources humaines et notamment à celle des enseignants-chercheurs, la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a retiré aux présidents et directeurs des établissements d’enseignement supérieur le « droit de veto » dont ils disposaient en application des dispositions de l’article L. 712-2 du code de l’éducation jusqu’alors en vigueur qui prévoyaient qu’«aucune affectation ne peut être prononcée si le président émet un avis défavorable motivé ».

34. Le Conseil d’Etat considère par conséquent que les statuts d’un établissement « peuvent prévoir que le président ou le directeur de l’établissement peut présider la formation restreinte aux enseignants-chercheurs du conseil académique », dès lors que le président a la qualité d’enseignant-chercheur, sans méconnaître le principe d'indépendance des enseignants-chercheurs.

Sur les ordonnances et les autres dispositions

35. Le projet de loi comporte trois habilitations prises sur le fondement et dans les conditions de l’article 38 de la Constitution en vue, d’une part, de procéder pour l’ensemble des collectivités d’outre-mer à la révision et à l’actualisation des dispositions de nature législative particulières à l'outre-mer au sein du code de l'éducation, d’autre part, de modifier l’organisation des services académiques relevant des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur pour tenir compte du périmètre des circonscriptions administratives régionales de l’Etat, enfin de simplifier l’organisation et le fonctionnement des conseils académiques et départementaux de l’éducation nationale. Ces dispositions n’appellent pas de remarque particulière du Conseil d’Etat.

36. Enfin, le projet de loi comporte diverses dispositions qui ont pour objet :
- de préciser et compléter le régime des incapacités applicable aux personnels relevant du service public de l’éducation codifié à l’article L. 911-5 du code de l’éducation ;
- de modifier ou abroger diverses dispositions législatives du code de l’éducation en vue de la création d’un rectorat de plein exercice à Mayotte ;
- de sécuriser par une disposition expresse la pratique actuelle de compensation opérée entre les bourses de lycée et les frais d’hébergement et restauration ;
- de simplifier la procédure de recrutement d’agent comptable d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ;
- de créer une caisse de préfiguration en vue de la mise en place d’une caisse des écoles unique des écoles des quatre premiers arrondissements parisiens dont la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris a prévu la fusion ;
- de rendre applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie l’article 39 de la loi du 22 juillet 2013 précitée dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants ;
- de procéder à la ratification expresse, dans le respect du délai prévu à cet effet, de six ordonnances y compris les modifications auxquelles le Conseil avait donné un avis favorable lors de l’examen de chacun des projets de loi de ratification.
Ces dispositions ne se heurtent à aucune objection d’ordre juridique et n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 29 novembre 2018.