Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante.
1. Le Conseil d’État a été saisi le 28 juillet 2021 d’un projet de loi en faveur des travailleurs indépendants. Ce projet de loi a été modifié par trois saisines rectificatives reçues les 13, 22 et 23 septembre 2021.
2. Ce projet de loi, que le Conseil d’État a proposé de renommer « projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante », et qui comprend quatorze articles, est organisé en quatre chapitres, respectivement consacrés à la simplification de différents statuts de l’entrepreneur, à l’habilitation à refondre le code de l’artisanat, à « diverses mesures destinées à créer un environnement juridique plus protecteur », ainsi qu’à des dispositions d’application outre-mer et finales.
3. L’étude d’impact éclaire de manière tout à fait satisfaisante, mesure par mesure, la démarche du Gouvernement, même si le Conseil d’État considère que, s’agissant en particulier des articles 1er à 4 présentés d’un seul tenant dans ce document, les rubriques consacrées à la nécessité de légiférer, aux options alternatives à celle retenue par le projet et aux impacts juridiques de cette option, gagneraient à être étoffées en vue du débat parlementaire, afin de mieux mettre en lumière et de mieux défendre l’originalité des choix gouvernementaux et leurs implications.
4. Le Conseil d’État relève en outre que deux ordonnances récemment publiées, l’ordonnance n° 2021-1189 du 15 septembre 2021 portant création du Registre national des entreprises et l’ordonnance n° 2021-1192 du même jour portant réforme du droit des sûretés, interviennent dans des domaines que le projet de loi va de nouveau modifier, ce qu’une meilleure anticipation des impacts du projet et une meilleure coordination des travaux législatifs auraient dû permettre d’éviter.
5. En raison des contraintes calendaires que le Gouvernement s’est imposées à lui-même, le recueil de l’ensemble des consultations obligatoires sur le projet de loi n’a débuté que le 16 septembre, une fois prononcé le discours du Président de la République annonçant les principales mesures qu’il contient. Le Conseil d’État constate que toutes les consultations obligatoires ont finalement été effectuées ou que les délais impartis pour y procéder en urgence sont expirés mais regrette de n’avoir pu prendre plus utilement connaissance des avis ainsi rendus avant de rendre le sien.
6. Au-delà de ces remarques liminaires, ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’État les observations suivantes.
Simplification de différents statuts de l’entrepreneur
Nouveau statut d’entrepreneur individuel
7. Le projet de loi complète le chapitre VI du titre II du livre V du code de commerce, consacré à l’entrepreneur individuel, pour y insérer deux sections nouvelles dont la rédaction a été substantiellement revue et clarifiée en accord avec le Gouvernement, à la suite de la section 1 relative à l’insaisissabilité de la résidence principale et de la section 2 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) : une section dévolue au statut de l’entrepreneur individuel, et une section traitant du transfert de son patrimoine professionnel.
La première section, par une dérogation expresse au droit commun des articles 2284 et 2285 du code civil qui consacrent le droit de gage général du créancier sur le patrimoine du débiteur prévoit, sans création d’une personne morale distincte, la scission du patrimoine de l’entrepreneur individuel entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel. Une définition succincte de chaque patrimoine est donnée par le projet de loi, les précisions étant renvoyées à un décret en Conseil d’État. Le patrimoine professionnel est défini comme constitué des biens, droits, obligations et sûretés de l’entrepreneur « utiles » à l’exercice de son activité ou de sa pluralité d’activités. Le projet réserve expressément la possibilité de prendre des sûretés conventionnelles et organise, pour les créanciers de la sphère professionnelle, la possibilité de demander à l’entrepreneur individuel de renoncer à la scission de son patrimoine. Les créanciers privilégiés que sont l’administration fiscale et les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont quant à eux protégés par des dispositions spécifiques qui maintiennent leur droit de gage sur l’ensemble des patrimoines, personnel et professionnel.
La seconde section nouvelle prévoit les conditions du transfert de l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, par cession à titre onéreux, donation entre vifs ou apport en société, dans des conditions qui s’apparentent à celles d’une transmission universelle de patrimoine sans liquidation. Un décret simple est prévu pour préciser, au-delà de ce que contiennent les dispositions du projet qui en déterminent les principes fondamentaux (y compris les cas de nullité), ces modalités de transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, ainsi que les modalités du droit d’opposition ouvert aux créanciers sous le contrôle du juge.
8. Le Conseil d’État souligne que, par son ampleur, l’innovation juridique contenue dans la première section nouvelle va bien au-delà de la protection du débiteur organisée par les sections existantes du code de commerce, qui sont issues, d’une part, de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique ayant rendu la résidence principale du débiteur insaisissable par les créanciers intervenant dans la sphère professionnelle, et d’autre part, de la loi n° 2010 658 du 15 juin 2010 relative à l’EIRL. Certes, ce dernier statut − que celui d’entrepreneur individuel tel que créé par le projet de loi a vocation à remplacer, puisqu’est expressément prévue sa mise en extinction – comprenait déjà des éléments de rupture avec le droit civil, en particulier le principe de l’unicité du patrimoine, en organisant, sans création de personne morale distincte, une scission de patrimoine par identification d’un patrimoine affecté à l’activité professionnelle, seul droit de gage général des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle. Toutefois, même au gré de ses assouplissements successifs, en dernier lieu par la récente loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, le statut d’EIRL prévoit, au niveau législatif, une déclaration plaçant l’entreprise sous ce régime et des modalités d’information des créanciers quant à la teneur du patrimoine affecté, toutes formalités dont le projet de loi a pour but de dispenser l’entrepreneur individuel dans le cadre du statut simplifié qu’il crée. Dans le projet, la séparation du patrimoine s’effectue de plein droit, sans démarche administrative ou information des créanciers.
Dans l’examen du texte, le Conseil d’État n’identifie, en premier lieu, aucune inconstitutionnalité tenant à la méconnaissance du principe d’égalité, dès lors que le projet organise un traitement juridique homogène au sein de chacune des deux catégories distinctes de créanciers de l’entrepreneur individuel que sont respectivement ceux intervenant dans la sphère professionnelle et ceux intervenant dans la sphère personnelle. Il observe en second lieu que si la lettre de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel la loi « détermine les principes fondamentaux […] du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », n’est pas méconnue par le projet de loi, d’importantes précisions, indispensables à la sécurité juridique du nouveau régime, devront être apportées par voie réglementaire, s’agissant en particulier des contours exacts de la notion de biens utiles à l’activité professionnelle. À cet égard, le Conseil d’État souligne que cette rédaction retenue pour définir dans le texte de loi le patrimoine professionnel permettra, dans les précisions qui seront apportées par le décret en Conseil d’État à venir, de prévoir par exemple un alignement sur le traitement comptable de cette question, si toutefois l’entrepreneur dispose d’un bilan comptable. Ce décret devra aussi traiter du sort des biens communs entre l’entrepreneur et son conjoint, du sort des biens de nature « mixte » − c’est-à-dire inclus pour partie dans le patrimoine professionnel et pour partie dans le patrimoine personnel −, ainsi que du sort du patrimoine détenu en numéraire, en l’absence d’obligation faite à l’entrepreneur individuel d’ouvrir un compte distinct pour les besoins de son activité professionnelle.
Le Conseil d’État appelle en troisième lieu l’attention du Gouvernement sur les conséquences du projet quant à l’exercice du droit de propriété des créanciers garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ou à la protection de leurs biens qui découle du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Certes, il convient de noter que le dernier article du projet de loi réserve expressément l’application du nouveau régime aux seules créances, de toute nature, nées postérieurement à son entrée en vigueur, ce qui est un gage de sécurité juridique et fait écho à la réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel avait formulée dans sa décision n° 2010-607 DC du 10 juin 2010 rendue sur la loi relative à l’EIRL.
Toutefois, le Conseil d’État observe que par cette décision, éclairée par ses commentaires autorisés, le Conseil constitutionnel a déclaré le statut d’EIRL conforme à la Constitution en relevant qu’il comprenait une information des créanciers sur la consistance de leur droit de gage général et son évolution dans le temps, via l’obligation déclarative alors prévue par le texte qui lui était soumis. À cet égard, le Conseil d’État prend acte de la volonté du Gouvernement de limiter autant que possible, dans le présent projet, tout formalisme dans la création et le fonctionnement d’une activité d’entrepreneur individuel et par conséquent, de ne prévoir dans la loi aucune obligation d’information des créanciers. Il note que cette volonté de supprimer tout formalisme s’inscrit dans le but général poursuivi par le texte, qui consiste à encourager la création d’entreprise, de la manière la plus simple. Dès lors, le Conseil d’État estime que même si le silence gardé par la loi quant à l’information des créanciers fait peser sur eux seuls la responsabilité de s’informer, par tous moyens, de la consistance de leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel ou sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, les articles nouveaux introduits par le projet de loi dans le code de commerce peuvent être regardés comme ne portant pas, par eux-mêmes, une atteinte excessive à l’exercice du droit de propriété ou aux biens des créanciers de l’entrepreneur individuel, au regard du but d’intérêt général poursuivi. Il relève à cet égard que le texte donne une définition du patrimoine professionnel qui sera précisée par décret en Conseil d’État ainsi qu’il a été ci-dessus, prévoit la possibilité de demander des sûretés conventionnelles, et, pour les créanciers du patrimoine professionnel une renonciation à la scission, toutes dispositions qui doivent faciliter l’exercice par les créanciers de leur droit de propriété.
Les considérations qui précèdent conduisent le Conseil d’État à estimer que ces dispositions du projet, ne sont contraires à aucune règle, non plus qu’à aucun principe supérieur, s’imposant au législateur.
Enfin, sur le terrain de la cohérence entre le contenu du projet de loi et les objectifs poursuivis par le Gouvernement, le Conseil d’État exprime ses doutes, d’une part, quant à l’effectivité de la protection offerte à l’entrepreneur individuel en tant que débiteur, et d’autre part, quant à la réalité de la simplification de la situation juridique de celui-ci, compte tenu des dérogations prévues par le projet de loi déjà mentionnées. En effet, sur le premier point, si l’impossibilité pour l’entrepreneur individuel de se porter caution pour l’un de ses patrimoines sur son autre patrimoine, que le Conseil d’État propose d’inscrire expressément dans le texte, permet d’éviter un contournement de la mesure qui aurait pu être massif, l’organisation d’un dispositif de renonciation à la scission du patrimoine à la demande d’un créancier professionnel qui fait partie de l’équilibre d’ensemble de la réforme proposée et, que l’exposé des motifs justifie par le souci d’« éviter l’assèchement du crédit », risque, compte tenu des rapports de force économiques en présence, de mettre à mal la protection nouvellement offerte par le projet de loi. Il ne faut pas non plus exclure qu’il résulte du déficit d’information sur la consistance du droit de gage général des créanciers mentionné ci-dessus, une forme d’insécurité préjudiciable au développement du nouveau statut envisagé. De sorte que l’allégement radical des formalités imposées à l’entrepreneur individuel au stade du démarrage de son activité pourrait se trouver ultérieurement contrarié par un surcroît de formalités liées aux garanties que les créanciers souhaiteront obtenir, ou bien aux contentieux qui se noueront le cas échéant pour clarifier le bien-fondé de la répartition opérée entre les patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel. Le Conseil d’État observe sur ce point que le Gouvernement aurait pu, pour parvenir à l’objectif poursuivi, mieux explorer la possibilité, ignorée par l’étude d’impact, d’améliorer le régime de l’EIRL en allégeant encore les formalités attachées à ce statut trop peu utilisé, ou plus simplement encore, de faire connaître plus largement ce statut auprès des entrepreneurs susceptibles d’être intéressés par la protection qu’il offre d’ores et déjà.
9. Le projet tire les conséquences, à l’article L. 161-1 du code des procédures civiles d’exécution, de la réforme du statut d’entrepreneur individuel. Il pose la règle selon laquelle une procédure d’exécution à l’encontre de l’entrepreneur individuel ne peut porter que sur le patrimoine sur lequel le créancier dispose d’un droit de gage général (patrimoine personnel, professionnel, ou ensemble du patrimoine). Il précise par ailleurs que lorsque l’entrepreneur individuel a renoncé au bénéfice de la scission de son patrimoine, il peut, s’il établit que les biens qui constituent son patrimoine professionnel sont d’une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance, demander au créancier que l’exécution soit en priorité poursuivie sur ces derniers. Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État.
10. Un article du projet de loi contient les dispositions « miroir » de celles introduites au début du projet dans le code de commerce, afin de préciser, respectivement au sein du livre des procédures fiscales (à l’article L. 273 B) et du code de la sécurité sociale (à l’article L. 133 4 7), les prérogatives respectives de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans l’usage du droit de gage étendu dont disposent ces créanciers à l’égard de l’entrepreneur individuel. D’une part, est reprise l’inopposabilité de la scission du patrimoine de ce redevable en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées de ses obligations au regard de la législation fiscale et sociale, qui est rendue plus effective que dans le régime existant de l’EIRL, par l’abandon de la saisine préalable du juge judiciaire destinée à faire constater ces manquements. Le Conseil d’État observe que le contrôle juridictionnel continuera de s’exercer sur la procédure et que la charge de la preuve des manquements du redevable continuera de peser sur l’administration et les organismes de recouvrement. D’autre part, est incluse dans ces deux articles de code la prérogative supplémentaire consistant, pour certains impôts et contributions susceptibles de mêler étroitement sphère personnelle et sphère professionnelle (impôt sur le revenu, taxe foncière afférente aux biens nécessaires à l’activité professionnelle, CSG et CRDS), à disposer d’un droit de gage sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel, même hors le cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservations graves et répétées.
Le Conseil d’État considère que si de telles prérogatives créent, au bénéfice de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales, une situation constitutive d’une rupture d’égalité par rapport aux autres créanciers, cette situation est acceptable au regard des buts poursuivis par ces dispositions, qui se rattachent à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude ainsi qu’à l’objectif d’intérêt général d’effectivité du recouvrement des prélèvements obligatoires en cause.
11. Le premier article d’habilitation contenu dans ce premier chapitre du projet de loi prévoit deux ordonnances à l’objet connexe mais distinct : la première pour adapter aux articles nouveaux du code de commerce, mentionnés au point 7 ci-dessus, le droit des entreprises en difficulté, c’est-à-dire à titre principal le livre VI du code de commerce, ainsi que le livre III du code rural et de la pêche maritime ; la seconde pour adapter aux mêmes articles nouveaux le droit du surendettement des particuliers contenu dans le livre VII du code de la consommation, en vue de traiter des difficultés de l’entrepreneur individuel relativement à son patrimoine personnel.
Le Conseil d’État considère que ces ordonnances, qui devront être prises dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, permettront de préciser utilement les implications du nouveau statut de l’entrepreneur individuel. Il estime que le texte de l’article d’habilitation encadre celle-ci de manière adéquate. Il invite cependant le Gouvernement, à l’occasion de l’examen du projet de loi au Parlement et en fonction de la teneur des débats parlementaires quant aux caractéristiques de ce nouveau statut, à solliciter l’élargissement du champ de l’habilitation prévue par cet article, afin de procéder aux ajustements et mises en cohérence qui se révéleraient nécessaires dans d’autres codes et lois, dont le code civil.
Mise en extinction du statut d’EIRL
12. L’avant-dernier article du premier chapitre du projet de loi met en œuvre la « mise en extinction » du statut d’EIRL souhaitée par le Gouvernement. Le Conseil d’État relève que le texte du projet procède par économie de moyens, c’est-à-dire uniquement aux suppressions et abrogations rendues strictement nécessaires par cet objectif : là où les articles L. 526-5-1 à L. 526-21 du code de commerce formant la section ad hoc de ce code mentionnent, d’une part, la création d’EIRL (L. 526-5-1, L. 526-8 et L. 526-19), et d’autre part, la particularité de la poursuite d’activité après le décès de l’entrepreneur avec conservation de l’affectation de patrimoine à l’activité professionnelle. L’EIRL ne disparaîtra donc pas instantanément de l’ordonnancement juridique et le projet prévoit expressément que ce statut continuera de régir les EIRL existantes à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, mais il ne sera plus possible d’en créer et la poursuite de leur activité après le décès de l’entrepreneur sera nettement dissuadée.
Le Conseil d’État, tout en soulignant que cette mise en extinction n’était pas juridiquement indispensable, reconnaît la cohérence politique consistant à y procéder, et l’absence d’obstacle juridique à le faire dans les formes abrogatives prévues par le projet.
Dispositions applicables aux professions libérales réglementées
13. Le projet autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, d’une part en précisant les règles communes qui leur sont applicables, d’autre part en adaptant les différents régimes juridiques leur permettant d’exercer sous forme de société. L’habilitation prévoit aussi de permettre de faciliter le développement et le financement des structures d’exercice de ces professions libérales. Justifiée par un état du droit insatisfaisant et complexe, bien décrit dans l’étude d’impact, elle n’appelle pas d’observation du Conseil d’État qui propose d’en ajuster la rédaction afin de mieux expliciter ses finalités et son domaine d’intervention.
Artisanat
14. L’article unique du chapitre du projet consacré à l’artisanat consiste à habiliter le Gouvernement à procéder, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la loi, à une complète refonte de la partie législative du code de l’artisanat, à droit constant, moyennant les adaptations nécessaires précisées dans le corps de l’article d’habilitation. Le Conseil d’État, dont le Gouvernement indique lui-même, dans l’étude d’impact de son projet, qu’il a récemment appelé son attention sur l’urgente nécessité de cette recodification après les échecs des tentatives antérieures, n’a pas d’observation complémentaire à formuler sur cet article opportun.
Environnement juridique plus protecteur
Dettes professionnelles dont sont redevables certains débiteurs ne relevant pas des procédures instituées par le livre VI du code de commerce
15. Le troisième chapitre du projet de loi est le plus composite.
Il comprend tout d’abord un article destiné à poursuivre, au-delà de ce qui a été fait en dernier lieu par l’article 39 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 pour modifier la procédure du rétablissement personnel, la démarche du législateur consistant à ouvrir l’entière procédure de surendettement des particuliers aux entrepreneurs qui ne peuvent faire face à leurs dettes professionnelles, mais qui ne relèvent ni des procédures instituées au livre VI du code de commerce pour les entreprises en difficulté, ni de celles instituées par le livre VII du code de la consommation pour les particuliers surendettés, à cause du libellé des articles de ce dernier livre qui réservent la recevabilité des demandes des particuliers à leurs dettes personnelles. Comme le révèle l’étude d’impact, est essentiellement en cause en l’espèce le cas des dirigeants majoritaires de SARL, s’agissant de leurs dettes de contributions et cotisations sociales. Cette difficulté avait été bien mise en lumière par la Cour de cassation, dans un avis n° 16007 du 8 juillet 2016 (Demande n° 16-70.005) par lequel elle avait estimé que ces dettes étaient de nature professionnelle, faisant alors obstacle à l’application du livre VII du code de la consommation.
Les modifications apportées par le projet aux articles L. 711-1 et L. 711-2 du code de la consommation paraissent au Conseil d’État adéquates pour surmonter l’obstacle législatif tenant à l’absence de prise en compte des dettes professionnelles des entrepreneurs concernés, et n’appellent pas d’autre commentaire de sa part.
Ouverture d’un revenu de remplacement pour les travailleurs indépendants qui cessent une activité non viable économiquement
16. Le projet du Gouvernement introduit un nouveau cas d’ouverture du droit à l’allocation des travailleurs indépendants (ATI), prévue par l’article L. 5424-25 du code du travail issu de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui bénéficie actuellement aux travailleurs indépendants privés de leur activité professionnelle dans certaines circonstances (liquidation judiciaire, redressement judiciaire lorsque le plan de redressement prévoit le remplacement du dirigeant), lorsqu’ils répondent à des conditions de durée antérieure d’activité, de revenus antérieurs d’activité et de ressources.
Afin d’élargir le nombre de bénéficiaires qui est resté en-deçà des objectifs poursuivis par le législateur de 2018 tels qu’ils ressortaient de l’étude d’impact de la loi précitée, le projet prévoit qu’en bénéficieront également les travailleurs indépendants dont l’entreprise a fait l’objet d’une déclaration de radiation du registre ou répertoire des entreprises dont elle relevait.
Pour éviter un éventuel détournement du dispositif, tout en facilitant la mise en œuvre de cette nouvelle voie d’accès à l’ATI, qui repose sur une déclaration du travailleur indépendant, le Gouvernement souhaite qu’elle soit assortie de deux séries de conditions, qui s’ajoutent à celles déjà introduites par la loi du 5 septembre 2018. En premier lieu, le caractère non viable de l’activité devrait être attesté par un tiers de confiance, selon des critères et des modalités définis par décret en Conseil d’État. En second lieu, une période de cinq années serait instaurée, au cours de laquelle un travailleur indépendant ne pourrait bénéficier de l’ATI, la période courant à compter de la date à laquelle il aurait cessé d’en bénéficier au titre d’une activité antérieure.
17. Le Conseil d’État estime que dans leur principe, la création de ce nouveau cas d’ouverture du droit à l’ATI, et l’instauration d’une période de cinq année au cours de laquelle cette allocation ne pourra être perçue relèvent d’un choix d’opportunité. En effet, le législateur, auquel il appartient de définir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées pour mettre en œuvre le droit à des moyens convenables d’existence énoncé par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Conseil constitutionnel, décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 101), peut pour les motifs énoncés précédemment limiter les circonstances ouvrant droit au revenu de remplacement.
18. Le Conseil d’État relève toutefois que cette nouvelle voie d’accès à l’ATI ne peut être réservée à certaines catégories seulement de travailleurs indépendants, à l’exclusion d’autres catégories qui relèvent du champ de l’ATI tel qu’il est défini à l’article L. 5424-24 du code du travail, sauf à méconnaître le principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, en l’absence de motif d’intérêt général justifiant une telle différence de traitement.
Il retient en conséquence, avec l’accord du Gouvernement, un schéma permettant de faire coïncider le champ de ce nouveau cas d’ouverture avec celui des bénéficiaires potentiels de l’ATI, en prévoyant qu’il s’applique à tous les travailleurs indépendants relevant de l’article précité du code du travail, quel que soit leur secteur d’activité.
19. Le Conseil d’État souligne également la nécessité d’articuler ce nouveau cas d’ouverture du droit à l’allocation, qui repose sur une déclaration de cessation d’activité, avec les réformes en cours, d’une part, des différents registres et répertoires d’entreprises qui devrait se traduire par la création à moyen terme d’un registre national des entreprises fusionnant la plupart des registres d’entreprises existants, et, d’autre part, des centres de formalité des entreprises (CFE), dont l’article 1er de la loi du 22 mai 2019 n° 2020-946 du 30 juillet 2020 relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) prévoit qu’ils coexisteront, jusqu’au 1er janvier 2023, avec le guichet unique préfigurant l’organisme unique mentionné à l’article L. 123-33 du code de commerce.
Il propose donc, avec l’accord du Gouvernement, une rédaction de la nouvelle circonstance ouvrant droit à l’ATI qui ne fait pas référence aux registres d’entreprises existants en cours de refonte, mais aux services compétents pour instruire les demandes de radiation, selon les modalités transitoires qui prévaudront jusqu’au 1er janvier 2023.
Circuit de financement de la formation professionnelle des travailleurs indépendants
20. Le projet de loi réforme le circuit d’affectation des contributions à la formation professionnelle des travailleurs indépendants qui sont prévues par les articles L. 6331-48, L. 6331-53 et L. 6331-65 du code du travail. Ces contributions devraient ainsi suivre le schéma qui prévaut désormais pour la formation professionnelle des salariés depuis la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le produit de la collecte serait reversé, non plus directement aux fonds d’assurance-formation des non-salariés (FAF), mais à France compétences qui redistribuerait ensuite les fonds aux différents affectataires (FAF, Caisse des dépôts et consignation pour le financement du compte personnel de formation, et opérateurs du conseil en évolution professionnelle).
Le projet du Gouvernement modifie également à la marge les dispositions relatives aux modalités de recouvrement de ces contributions, notamment en actualisant les dispositions relatives aux frais de gestion que peuvent percevoir l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), qui vont centraliser la collecte de leurs réseaux avant de transférer les fonds à France compétences, pour rémunérer cette mission de collecte pour compte de tiers.
Ces mesures, qui permettent d’harmoniser ces dispositions avec celles applicables pour le financement de la formation professionnelle des salariés, ne se heurtent à aucun obstacle juridique et n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’État.
21. Le projet modifie également les dispositions relatives au fonds d’assurance-formation des artisans. Il est ainsi mis un terme au partage de la contribution des chefs d'entreprise exerçant une activité artisanale entre le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale (FAFCEA) et les conseils de la formation au sein des chambres des métiers et de l’artisanat de région. Ces derniers, institués par décret, sont chargés de la formation des chefs d’entreprises exerçant une activité artisanale dans le seul domaine de la gestion et du développement de leur entreprise, tandis que le FAFCEA, prévu par l’article 8 de l’ordonnance n° 2003-1213 du 18 décembre 2003, assure leur formation « métier ». Le projet du Gouvernement prévoit le reversement, via France compétences, de la contribution au seul FAF de non-salariés mentionné à l’article L. 6332-9 du code du travail, afin notamment de simplifier les démarches de l’artisan, qui n’aura plus qu’un seul interlocuteur pour toute demande de financement de formation.
Le Conseil d’État considère que ces dispositions ne soulèvent pas de difficultés juridiques et que le changement d’affectation d’une partie du produit de cette imposition de toute nature, qui n’était pas affectée à l’État, peut trouver sa place dans une loi ordinaire (Assemblée générale (Section sociale) – 7 octobre 2010 – Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 − N° 384547).
Renforcement de la procédure disciplinaire des experts-comptables
22. Le projet de loi comprend un article dans lequel le Conseil d’État propose de regrouper l’ensemble des dispositions par lesquelles le Gouvernement souhaite modifier l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable, afin de rendre la procédure disciplinaire qu’elle organise conforme aux exigences du Conseil constitutionnel en matière d’impartialité de la juridiction disciplinaire, impliquant la séparation entre autorité de poursuite et formation de jugement (cf. la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, Banque populaire Côte d’Azur [Pouvoir disciplinaire de la Commission bancaire]), ainsi qu’en matière d’individualisation des peines (cf. la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-815 QPC du 29 novembre 2019 censurant la révocation automatique du sursis à exécution d’une sanction disciplinaire à l’encontre d’un expert-comptable). Cette réforme passe notamment par la désignation de davantage de magistrats au sein des chambres régionales de discipline et de leurs équivalents outre-mer, de sorte que, selon l’étude d’impact rectifiée sur ce point, ce sont 54 magistrats qui exerceraient au sein de ces instances disciplinaires (en métropole et outre-mer), ce qui permettrait de retrouver l’étiage d’avant la réforme territoriale portée par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Est ainsi récrit l’article 49 de l’ordonnance du 19 septembre 1945, relatif à la composition des chambres régionales de discipline des experts-comptables, pour en reprendre la substance actuelle (un magistrat présidant la chambre, deux membres élus du conseil régional de l’ordre) et y ajouter la mention d’un magistrat chargé des poursuites ainsi que d’un rapporteur nommé par lui. Sont également inscrites dans la loi trois principales garanties procédurales d’impartialité : la nomination du rapporteur par le magistrat chargé des poursuites ; le renvoi de l’affaire par ce dernier, au vu de l’instruction, devant la chambre régionale de discipline avec notification aux parties des griefs retenus ; l’absence de participation aux délibérations du rapporteur comme du magistrat chargé des poursuites.
Par ailleurs, le vivier des membres des chambres régionales issus de la magistrature (président et son suppléant, magistrat chargé des poursuites) est élargi de deux manières : d’une part, en permettant qu’il soit fait appel à des magistrats honoraires, et d’autre part, sans restreindre le choix à la cour d’appel du siège de la chambre mais en incluant toutes les cours d’appel dans le ressort desquelles le conseil régional de l’ordre des experts-comptables exerce sa compétence.
Est ajouté un article pour transposer la substance de ces modifications à la chambre régionale d’Île-de-France, moyennant la création de deux sections, l’une liée à la cour d’appel de Paris et l’autre à celle de Versailles. Le Conseil d’État prend acte de ce que deux autres articles destinés à traiter du cas des instances de discipline compétentes pour l’outre-mer ont dû être retirés par le Gouvernement, faute de temps suffisant pour procéder, dans les délais impartis, aux consultations obligatoires requises par le code général des collectivités territoriales.
Une troisième modification de l’ordonnance de 1945 porte sur son article 49 bis pour adapter dans les mêmes termes la procédure suivie devant la commission nationale chargée, en première instance, de la discipline des associations de gestion et de comptabilité, qui représentent la forme associative de l’activité libérale des experts-comptables. Une quatrième modification, ayant toujours le même objet, porte, à l’article 50 de l’ordonnance, sur la chambre nationale de discipline, compétente pour statuer en appel sur les décisions prises par la commission nationale instituée à l’article 49 bis.
Quant à la cinquième et dernière modification, elle tire directement, à l’article 53 de l’ordonnance, les conséquences de la décision QPC du 29 novembre 2019 déjà mentionnée, afin de supprimer l’automaticité de la révocation du sursis à exécution d’une sanction disciplinaire.
Sous réserve de leur regroupement dans un unique article du projet et de quelques suggestions de modification de forme, ces dispositions n’appellent pas de plus ample commentaire de la part du Conseil d’État.
Règles de gestion des personnels des chambres de commerce et d’industrie
23. Par un article introduit le 13 septembre 2021 par saisine rectificative, le Gouvernement entend, ainsi qu’il l’expose en détail dans l’étude d’impact, remédier au « blocage » du processus de profonde réforme des règles de gestion des personnels des chambres de commerce et d’industrie (composé de CCI France, tête de réseau, et des CCI de région) tel qu’il avait été engagé par l’article 40 de la loi « PACTE » du 22 mai 2019, dans le sens d’un basculement vers les règles du droit privé en lieu et place du statut administratif préexistant.
Alors qu’avant l’entrée en vigueur de la loi PACTE, les CCI recrutaient des agents publics sous le statut mentionné à l’article 1er de la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952, tout en pouvant recruter des personnels de droit privé mais uniquement pour la gestion de leurs services industriels et commerciaux (concessions et gestion des grands équipements : ports et aéroports en particulier), depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE, qui met en œuvre le nouveau modèle économique des CCI davantage tourné vers une offre de services facturés, les CCI recrutent uniquement des personnels de droit privé. Environ 2 000 personnels ont ainsi été recrutés et travaillent dans les CCI aux côtés d’environ 13 000 agents publics sous statut, la population de personnels de droit privé étant amenée, à terme, à remplacer celle des agents publics. La convention collective destinée à s’appliquer à l’ensemble de ces personnels, qui devait être adoptée et agréée par la tutelle avant la fin de l’année 2020, n’a pu l’être dans le délai prévu.
Le projet prévoit ainsi de modifier les dispositions transitoires contenues dans l’article 40 de la loi PACTE, afin de relancer la négociation, mais en la faisant précéder de nouvelles élections professionnelles pour désigner une nouvelle « instance représentative nationale du personnel », de manière à refléter la composition mixte des personnels et, donc, à « débloquer la situation », tout en prévoyant quel serait le droit applicable en cas d’échec de la nouvelle négociation.
Le projet comprend également une série de dispositions pérennes caractérisant juridiquement, au regard du code du travail, cette convention collective sui generis qui n’est ni une convention de branche, ni un accord d’entreprise. Il en va ainsi du champ d’application de la convention collective, des règles de représentativité présidant à sa validité, ou des règles de signature, de publicité et de dépôt de cette convention.
Est ainsi organisée plus nettement l’extinction programmée du statut des agents administratifs, à la fois en étendant sans limite de durée le droit d’option pour le régime de droit privé que l’article 40 de la loi PACTE bornait dans le temps, et en systématisant le principe du remplacement d’éléments statutaires par leur équivalent issu de la convention collective ou d’accords collectifs, sans que – par détermination de la loi − cela ne constitue une modification du contrat de travail qui ouvrirait droit à une procédure de licenciement pour les personnels concernés.
Le Conseil d’État, auquel il n’appartient pas de se prononcer en opportunité sur le choix gouvernemental des modalités retenues pour remédier à la situation de blocage telle qu’elle est caractérisée dans l’étude d’impact, dès lors que ces modalités ne contreviennent à aucune règle non plus qu’à aucun principe supérieur, ne décèle pas, dans ces dispositions du projet, d’atteinte inconstitutionnelle aux droits des agents publics actuellement employés par les CCI.
Dispositions finales
24. Les deux derniers articles du projet, comprenant respectivement, d’une part, les dispositions permettant de rendre applicables aux îles Wallis et Futuna certains articles issus du projet codifiés dans le code de commerce, le code de la consommation et le code des procédures civiles d’exécution, et d’autre part, les dispositions pour lesquelles le Gouvernement envisage une entrée en vigueur différée de la loi, n’appellent aucun commentaire particulier de la part du Conseil d’État.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale et la commission permanente du Conseil d’État dans leurs séances du jeudi 23 septembre 2021 et du mardi 28 septembre 2021.