Avis sur les modalités d'intervention des partis politiques européens dans le cadre des élections des représentants au Parlement européen en France

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur les modalités d'intervention des partis politiques européens dans le cadre des élections des représentants au Parlement européen en France

CONSEIL D’ETAT
Section de l’intérieur
Séance du mardi 19 mars 2019
N° 397096
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

Le Conseil d’Etat, (section de l’intérieur) saisi par le Premier ministre des questions suivantes :

1. Les dispositions de l’article 21 du règlement (UE, EURATOM) n° 1141/2014 du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, en tant notamment qu’elles renvoient au droit national pour ce qui concerne « le financement et l'éventuelle limitation des dépenses électorales pour tous les partis politiques, candidats et tiers en vue des élections au Parlement européen et de leur participation », doivent-elles être lues comme autorisant les partis politiques européens à participer, y compris financièrement, à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France ? ou bien les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral aux termes desquelles « Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger » font-elles obstacle à une telle participation ?

2. Dans l’hypothèse où l’interdiction prévue à l’article L. 52-8 du code électoral s’opposerait à la participation des partis politiques européens à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France :

2.1. Des dépenses engagées par un parti politique européen en faveur d’une liste nationale mais non intégrées au compte de campagne de celle-ci constitueraient-elles des dépenses omises, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-12 ?

2.2. L’article 31 du règlement n° 1141/2014 autorise-t-il l’organisation cofinancée de réunions communes ou la réalisation de documents d’information ? Selon quelles modalités ces opérations cofinancées devraient-elles être reportées dans le compte de campagne ?
 

2.3. Dans l’hypothèse d’une facturation par le parti européen des coûts d’actions communes au parti national (dépenses pouvant le cas échéant être prises en charge par le remboursement national de l’Etat au niveau national), faut-il comprendre de l’article 23.2 du règlement précité qui prévoit expressément qu’« en cas de dépenses exécutées en commun par des partis politiques européens avec des partis politiques nationaux ou par des fondations politiques européennes avec des fondations politiques nationales, ou avec d'autres organisations, les pièces justificatives des dépenses supportées par ces partis politiques européens ou ces fondations politiques européennes directement ou par l'intermédiaire de ces tiers sont jointes dans les états financiers annuels visés au paragraphe 1 », qu’un contrôle serait exercé par l’ « Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes » lors de la transmission des états financiers afin notamment d’éviter un double financement sur fonds publics ?

2.4. L’article 15 du règlement n° 1141/2014, qui prévoit que la conversion d’une personne morale nationale en un parti politique européen maintient dans leur intégralité les droits et obligations préexistants de l'ancienne entité juridique nationale, doit-il être interprété en ce sens qu’un parti politique français soumis à la loi du 11 mai 1988 qui obtiendrait son enregistrement en tant que parti politique européen conserverait ses droits et obligations préexistants, et par conséquent pourrait participer au financement de la campagne d’une liste de candidats aux élections européennes au même titre qu’un parti politique national ?

3. Dans l’hypothèse où un parti politique d’un autre Etat membre de l’Union européenne qui n’aurait pas le statut de parti politique européen participerait à la campagne électorale :

3.1. Toute intervention d’un tel parti dans la campagne électorale devrait-elle être regardée comme interdite ? Ou bien pourrait-elle être acceptée à la condition que la liste au bénéfice de laquelle se ferait cette intervention rembourse les dépenses correspondantes audit parti ?

3.2. Les dépenses engagées par un parti politique d’un autre Etat membre en faveur d’une liste candidate à l’élection organisée en France, mais non intégrées au compte de campagne de celle-ci, constitueraient-elles des dépenses omises, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-12 ?


Vu la Constitution, notamment son article 4 ;

Vu le règlement (UE, EURATOM) n° 1141/2014 du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes ;

Vu le code électoral, notamment ses articles L. 52-8 et L. 52-12 ;

Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen ;

Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, notamment son article 11-4 ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 97-2303 AN du 13 février 1998 ;

 

EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENS
DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

I. - Sur la première question

Sur la portée de l’article 21 du règlement (UE, EURATOM) n° 1141/2014 du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2014

1. L’article 10 du traité sur l’Union européenne stipule, à son point 4, que « les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union. »

Aux termes des deux premiers alinéas de l’article 21 du règlement (UE, EURATOM) n° 1141/2014 du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2014 :

« Sous réserve du deuxième alinéa, le financement de partis politiques européens par le budget général de l'Union européenne ou par toute autre source peut servir à financer les campagnes menées par les partis politiques européens à l'occasion des élections au Parlement européen auxquelles eux-mêmes, ou leurs membres, participent, conformément à l'article 3, paragraphe 1, point d).

Conformément à l’article 8 de l’acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, le financement et l'éventuelle limitation des dépenses électorales pour tous les partis politiques, candidats et tiers en vue des élections au Parlement européen et de leur participation à celles-ci sont régis dans chaque Etat membre par les dispositions nationales. »

L’article 23 du même règlement prévoit que les partis politiques européens sont tenus de faire parvenir à l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes les pièces justificatives des frais qu’ils ont supportés « en cas de dépenses exécutées en commun (…) avec des partis politiques nationaux ».

Il résulte des dispositions ci-dessus que les partis politiques européens peuvent participer, y compris financièrement, à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France, seuls ou conjointement avec des partis nationaux. Ces dispositions, qui sont directement applicables en droit national, l’emportent sur la règle prévue, pour les partis, à l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988 et, pour les candidats, à l’article L. 52-8 du code électoral rendu applicable à l’élection des représentants au Parlement européen par l’article 2 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, qui interdit aux partis et aux candidats de « recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger ».

Dans l’hypothèse où, dans le cadre de la campagne mentionnée à l’alinéa ci-dessus, un parti européen engagerait des dépenses au profit d’un parti national, par exemple à l’occasion de manifestations conjointes, il résulte du deuxième alinéa de l’article 21 du règlement cité ci dessus que ces dépenses obéiraient aux règles de financement en vigueur dans l’Etat membre auquel le parti national appartient. En conséquence, un parti français qui bénéficierait d’une contribution directe ou indirecte d’un parti européen devrait faire apparaître celle-ci dans ses comptes de campagne en application de l’article L. 52-12 du code électoral.

Le contrôle de ces opérations devrait être exercé par l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes et par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, chacune dans son champ de compétence. Il pourrait également s’exercer en collaboration entre ces deux organismes puisque l’article 24 du règlement prévoit que « le contrôle du respect, par les partis politiques européens, des obligations établies par le présent règlement est exercé, de façon coopérative, par l’Autorité, l’ordonnateur du Parlement européen et les Etats membres compétents. »

Sur la portée de l’article 22 du règlement et sa combinaison avec l’article 21

2. Aux termes du premier alinéa de l’article 22 du règlement :

« Nonobstant l'article 21, paragraphe 1, le financement des partis politiques européens par le budget général de l'Union européenne ou par toute autre source n'est pas utilisé pour financer directement ou indirectement d'autres partis politiques et notamment des partis nationaux ou des candidats nationaux. Ces partis politiques nationaux et candidats nationaux demeurent soumis à l'application de leurs réglementations nationales. »

Les dispositions ci-dessus, placées sous l’intitulé « Interdiction de financement », posent une règle générale qui interdit aux partis politiques européens d’apporter une contribution financière directe ou indirecte à d’autres partis, que ce soit pour leur fonctionnement général ou dans le cadre de campagnes électorales ou référendaires.

Toutefois, cette règle générale ne s’applique pas à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen, laquelle fait l’objet des dispositions spéciales de l’article 21 placées sous l’intitulé « Financement des campagnes menées à l’occasion des élections au Parlement européen » dont l’interprétation a été donnée au point 1.

 

II. - Sur la deuxième question

3. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la deuxième question devient sans objet.

 III. - Sur la troisième question

4. Ainsi qu’il a été dit au point 1, l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988 et l’article L. 52-8 du code électoral interdisent aux partis et aux candidats de « recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger ».

Le législateur a ainsi entendu éviter que puisse s’instaurer un lien de dépendance qui serait préjudiciable à l’expression de la souveraineté nationale, comme l’a relevé le Conseil d’Etat dans sa décision Parti nationaliste basque ERI-PNB du 8 décembre 2000 (n° 212044, rec. p. 594).
 

Le premier alinéa de l’article 21 du règlement ne s’appliquant qu’aux partis politiques européens, les dispositions ci-dessus font obstacle à l’intervention d’un parti politique d’un autre Etat dans la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France, dès lors qu’elle se traduirait par une contribution ou une aide matérielle directe ou indirecte au profit d’un candidat ou d’une liste nationale. L’auteur et le bénéficiaire d’une telle contribution pourraient être punis de trois ans d’emprisonnement de 45 000 € d’amende, ainsi qu’il est prévu à l’article 11-5 de la loi du 11 mars 1988.

5. Aux termes de l’article L. 52-12 du code électoral, « chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. »

Il résulte des dispositions ci-dessus que des dépenses engagées par un parti politique d’un autre Etat membre en faveur d’une liste candidate à l’élection organisée en France, qui constitueraient une contribution d’une personne morale de droit étranger prohibée par l’article L. 52-8 du code électoral, devraient être facturées par le parti étranger et inscrites aux dépenses du compte de campagne du candidat placé en tête de la liste bénéficiaire. Il reviendrait alors à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de décider d’un éventuel rejet de ce compte, en fonction notamment de l’importance des sommes en cause et d’un éventuel dépassement du plafond des dépenses autorisées.

 

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’Etat dans sa séance du mardi 19 mars 2019.