L'Assemblée nationale a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail.
CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale
Séance du jeudi 4 février 2021
N° 401.872
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
1. Saisi par le président de l’Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n° 3718 pour renforcer la prévention en santé au travail, déposée par Mmes Parmentier-Lecocq, députée du Nord, et Grandjean, députée de Meurthe-et-Moselle, et plusieurs de leurs collègues, le Conseil d’Etat, après avoir examiné les articles de la proposition de loi, présente les observations et suggestions qui suivent.
2. La proposition de loi se fixe pour objectif principal de transposer l’accord national interprofessionnel sur la santé au travail conclu le 10 décembre 2020, au titre des stipulations appelant une traduction législative, en veillant au respect des équilibres trouvés par les partenaires sociaux. En outre, la proposition de loi intègre un certain nombre de mesures complémentaires ayant notamment pour objectif de décloisonner la santé publique et la santé au travail.
Le texte décline quatre axes de réforme :
- Renforcer la prévention au sein des entreprises et décloisonner la santé publique et la santé au travail, notamment en renforçant le contenu du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), en étendant les missions des services de santé au travail (SST) à l’évaluation et à la prévention des risques professionnels dans l’entreprise, ainsi qu’à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, notamment au titre de campagnes de vaccination et de dépistage, et en favorisant la participation de ces services aux structures locales de coopération sanitaire. Dans ce cadre, les services de santé au travail deviennent les « services de prévention et de santé au travail » (SPST) ;
- Améliorer la qualité du service rendu par les services de santé au travail, notamment en matière de prévention et d’accompagnement, à travers la mise en œuvre d’une procédure de certification et une révision de leurs règles de tarification, plus transparente et plus équitable pour les petites entreprises. Pour améliorer leur connaissance de l’état de santé des travailleurs, l’accès au dossier médical partagé est ouvert aux médecins du travail et aux infirmiers ;
- Renforcer l’accompagnement de certains publics, notamment vulnérables, et lutter contre la désinsertion professionnelle : dans chaque SPST, une cellule sera dédiée à la prévention de la désinsertion professionnelle. La proposition de loi prévoit le développement des pratiques médicales à distance relevant de la télémédecine et de la téléexpertise pour le suivi des travailleurs. Elle introduit également une visite de mi-carrière professionnelle. Enfin, elle améliore et étend le suivi en santé au travail des intérimaires, salariés d’entreprises sous-traitantes ou prestataires comme des travailleurs indépendants et chefs d’entreprise non-salariés. Le dispositif de pré reprise est revu afin d’améliorer les conditions de retour de congé maladie de longue durée ;
- Réorganiser la gouvernance de la santé au travail, en adaptant l’organisation interne aux SPST, en élargissant les conditions dans lesquelles le médecin du travail peut déléguer une partie de ses missions à d’autres professionnels de santé du service et en renforçant le pilotage national. En particulier, la proposition de loi ouvre la possibilité de recourir à des médecins praticiens correspondants et consacre au niveau législatif le statut de l’infirmier en santé au travail. En ce qui concerne le pilotage national, un comité national de prévention et de santé au travail (CNPST) est institué au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, disposant de compétences étendues. Enfin, la proposition de loi augmente la durée minimale des formations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail des membres de la délégation du personnel du comité social et économique dans les entreprises de moins de 300 salariés.
3. Le Conseil d’Etat observe que la proposition de loi résulte d’une co-construction associant Parlement, partenaires sociaux et Gouvernement selon un processus inédit. En application de l’article L. 1 du code du travail, le Gouvernement avait invité les partenaires sociaux, dans un document d’orientation en date du 15 juin 2020, à engager une négociation interprofessionnelle destinée à aboutir pour la fin d’année 2020, en définissant plusieurs objectifs. Cette négociation a abouti à la signature d’un accord le 10 décembre 2020. Pour la première fois, un texte présenté par des parlementaires procède à la transposition d’un accord national interprofessionnel dans la loi.
Considérations transversales
Sur le champ des travailleurs concernés
4. Les dispositions de la quatrième partie du code du travail modifiées par la proposition de loi ne sont pas applicables aux fonctionnaires et agents publics, qui relèvent d’un régime juridique propre (décret n° 82-453 du 28 mai 1982 modifié relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique), à l’exception de ceux relevant des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (art. L. 1411-1 du code du travail). Par suite, en ne faisant mention que des services relevant du code du travail, les articles modifiant le code de la santé publique et relatifs à la coordination territoriale de santé (article 5) et au dossier médical partagé (article 11) ne leur seraient, en l’état du texte, pas rendus applicables.
5. A l’inverse, la proposition de loi s’applique de droit aux travailleurs relevant du code rural et de la pêche maritime, par l’effet du renvoi prévu à l’article L. 717-1 de ce code. Néanmoins, les services de santé au travail en agriculture font l’objet de règles spécifiques, notamment en ce qui concerne leur organisation, confiée aux caisses de mutualité sociale agricole (article L. 717-3) ainsi que les cotisations dues par les entreprises qui leur sont rattachées et définies proportionnellement à la masse salariale (article L. 717-2-1). La proposition de loi appelle donc sur ce point une clarification : il appartient au législateur de préciser dans quelle mesure il entend conserver certaines des spécificités agricoles dans le nouveau régime.
6. Enfin, les dispositions du code du travail modifiées par la proposition de loi sont applicables aux travailleurs dans les mines et les carrières, pour lesquels le pouvoir réglementaire peut prévoir des adaptations (art. L. 180-1 et art. L. 351-1 du code minier), mais ne le sont pas aux gens de mer qui relèvent d’un service de santé spécifique (art. L. 5545-13 du code des transports).
Sur le partage entre la loi et le règlement
7. S’agissant de la répartition des compétences entre la loi et le règlement sur le fondement des articles 34 et 37 de la Constitution, il y a lieu de rappeler que seules appellent en principe l’intervention du législateur les dispositions qui relèvent de l’une des matières énumérées à l’article 34 ou qui dérogent à un principe général du droit.
8. L’essentiel des dispositions de la proposition de loi relèvent du droit du travail dont il appartient au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de déterminer les principes fondamentaux. Il n’incombe ainsi pas au législateur, en matière de santé au travail, de déterminer les modalités pratiques, notamment en termes de périodicité, selon lesquelles s’effectuent les interventions de la médecine du travail (CE, 19 juillet 2017, CGT-FO, n° 408377).
9. Le Conseil d’Etat observe que plusieurs articles de la proposition de loi rehaussent au niveau législatif, en reprenant parfois pour partie les mêmes termes, des dispositions relevant de la partie réglementaire du code du travail. Tel est le cas notamment pour la visite de pré reprise (article 18) ou les modalités selon lesquelles le médecin du travail peut confier certaines de ses missions aux autres membres de l’équipe pluridisciplinaire (article 24). De tels rehaussements avaient déjà été opérés, par touches successives, par la loi du 20 juillet 2011, en ce qui concerne l’organisation des services de santé au travail, et par la loi du 8 août 2016, en ce qui concerne le suivi individuel de l’état de santé.
10. Si, pris isolément, plusieurs des rehaussements opérés par la proposition de loi présentent une réelle justification par rapport à ces précédents, il en résulte néanmoins une ligne de partage entre loi et règlement peu cohérente, des éléments substantiels liés au fonctionnement des SST, à la nature des examens obligatoires ou au statut des infirmiers de santé au travail demeurant définis par décret.
11. A défaut d’une remise à plat, qui serait bienvenue mais excéderait sans doute l’objet de la présente proposition de loi, le Conseil d’Etat estime que, tout en maintenant une base législative suffisante, certaines des dispositions de la proposition de loi qui relèvent des modalités de mise en œuvre pourraient utilement être renvoyées au décret, à l’exemple de la liste exhaustive des documents faisant l’objet d’une publication obligatoire (article 10), du contenu exact de la visite de mi-carrière (article 16) ou des missions consultatives dévolues au comité national et aux comités régionaux de prévention et de santé au travail (articles 25 et 26).
Sur la possibilité donnée aux partenaires sociaux de définir les modalités d’application de certaines dispositions de la loi
12. La proposition de loi renvoie au comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), réunissant les organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national, le soin de définir les modalités d’application du « passeport prévention » (article 3), ainsi que, s’agissant des services de santé au travail interentreprises, les référentiels servant de base à leur certification et les principes guidant l’accréditation des organismes chargés de cette certification (article 8). Si la proposition de loi soumet ses décisions à une approbation par voie réglementaire, qui conditionnera leur applicabilité, cette circonstance ne retire pas au CNPST sa qualité d’auteur des décisions en cause et donc d’attributaire d’une compétence d’application des lois.
13. D’une part, sur le fondement de l’article 34 de la Constitution, qui range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, et du 8ème alinéa du Préambule de 1946, qui dispose que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », le Conseil constitutionnel juge qu’il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte (décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, cons. 8 ; décision n° 2016-579 QPC du 5 octobre 2016, paragr. 6 et 7).
14. Le Conseil d’Etat considère que le CNSPT, qui associe à parité les organisations représentatives au niveau interprofessionnel, peut être regardé comme une instance de concertation et de négociation participant à la mise en œuvre du 8ème alinéa du Préambule de 1946. Il conviendra cependant de garantir, au titre des règles d’organisation du comité (article 25), que les délibérations du comité traduisent effectivement l’expression de la volonté des partenaires sociaux dans des conditions respectant les exigences de ce 8ème alinéa.
15. D’autre part, l’article 21 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en œuvre une loi, à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu (décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, cons. 30). Le Conseil constitutionnel a admis, pour la gestion du régime d’assurance maladie, que la mise en œuvre des principes posés par la loi peut être renvoyée à une convention nationale passée entre les caisses de sécurité sociale et les organisations de professionnels de santé, dont l’entrée en vigueur est subordonnée à son approbation par l’autorité ministérielle, dès lors que la sphère d’application et la portée de ce mécanisme sont étroitement circonscrites (décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, cons. 21 à 23).
16. Le Conseil d’Etat estime que sur le fondement rappelé au point 13, la compétence donnée au CNPST, à l’article 3, peut être admise pour définir les modalités concrètes d’application du passeport prévention lorsque ces modalités touchent au champ des relations de travail et sous réserve que le législateur épuise au préalable sa propre compétence en définissant les caractéristiques essentielles de ce passeport (cf. point 23). Il considère, par ailleurs, que la proposition de loi devrait prévoir la possibilité pour le Premier ministre de prendre les mesures d’application qu’appelle nécessairement la loi en cas en cas de carence des partenaires sociaux.
17. En revanche, il estime que la délégation donnée au CNPST, à l’article 8, pour définir l’ensemble du régime de certification des services de santé au travail présente une fragilité constitutionnelle. Il considère en premier lieu que la compétence reconnue aux partenaires sociaux sur le fondement rappelé au point 13, qui ne s’exerce qu’au titre de la détermination des conditions de travail et de la gestion des entreprises, ne peut s’étendre aux règles de fonctionnement, de certification et d’accréditation applicables à des personnes de droit privé, qui ressortissent du domaine des obligations civiles et commerciales (cf. par analogie, décision n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014, cons. 5 et 6). Il estime, en second lieu, que, du fait tant de la variété des obligations imposées à travers la certification que de leur portée pour le secteur économique concerné, dès lors qu’elles conditionneraient le maintien de l’agrément (cf. point 30), la délégation de leur définition au CNPST pourrait excéder la limite admise par la jurisprudence sur le fondement rappelé au point 15 (voir avis CE, Assemblée générale, 16 janvier 2020, n° 399528, Projet de loi instituant un système universel de retraite). Le Conseil d’Etat suggère, par conséquent, de prévoir que ces règles sont fixées par décret après avis du comité.
Dispositions relatives à la prévention au sein des entreprises et au décloisonnement de la santé publique et de la santé au travail (Titre Ier)
Définition du harcèlement sexuel
18. Au 1° de l’article 1er, la proposition de loi procède à une harmonisation de la définition du harcèlement sexuel donnée respectivement au code pénal et au code du travail. L’article 11 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a en effet ajouté à la liste des faits incriminés à l’article 222-33 du code pénal les propos ou comportements à connotation sexiste, sans que la définition du harcèlement sexuel mentionnée à l’article L. 1153-1 du code du travail, qui sert de fondement aux droits des salariés et aux obligations des employeurs en la matière, n’ait été mise en cohérence. Le Conseil d’Etat considère que cette harmonisation, bienvenue, devrait être menée à son terme, en complétant cette définition des autres apports de la loi du 3 août 2018 qui incriminent également les propos ou comportements subis par la victime de façon répétée lorsqu’ils émanent de plusieurs personnes dont chacune prise isolément n’a agi qu’une seule fois.
Document unique d’évaluation des risques professionnels
19. L’article 2 de la proposition de loi rehausse au niveau législatif l’existence du document unique d’évaluation des risques professionnels, document qui transcrit les résultats de l’évaluation que doit mener l’employeur en application de l’article L. 4121-3 du code du travail. Il fusionne ce document avec le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail prévu à l’article L. 2312-27 du même code.
20. Cette fusion porte sur deux documents dont l’objet et le champ sont différents. Le Conseil d’Etat relève, en premier lieu, que le programme annuel s’inscrit dans le cadre de la consultation sur la politique sociale prévue à l’article L. 2312-26 du code du travail dont l’objet ne porte pas uniquement sur la prévention des risques professionnels mais également, comme l’indique l’intitulé du programme annuel, sur les conditions de travail. Il suggère que la mention de l’amélioration des conditions de travail soit réintroduite à l’article L. 2312-27 du code du travail. Il constate, en second lieu, que la consultation sur la politique sociale n’est aujourd’hui prévue que dans les entreprises de cinquante salariés au moins. La proposition de loi a donc pour effet de rendre obligatoire l’adoption d’un programme annuel de prévention des risques professionnels dans les entreprises d’un effectif inférieur. Le Conseil d’Etat considère que cette mesure nouvelle, qui s’imposera à un très grand nombre de petites et très petites entreprises, est justifiée par l'objectif de protection de la santé des travailleurs qu’elle poursuit. Il note, en outre, que l’article L. 4121-3 du code du travail permet à un décret en Conseil d’Etat d’adapter la périodicité de la mise à jour du document unique dans les entreprises de moins de onze salariés.
21. La proposition de loi assigne un nouvel objet au document unique d’évaluation des risques professionnels qui devra « organiser la traçabilité collective des expositions ». Le Conseil d’Etat observe que cette traçabilité est assurée par la conservation des versions successives du document, que la proposition de loi impose conformément aux prévisions de l’accord national interprofessionnel. Il suggère d’indiquer que le document « assure » la traçabilité collective des expositions, pour éviter que la disposition ne soit lue comme imposant des mesures d’organisation dont la nature n’est pas précisée dans le texte.
22. Enfin, il est prévu que le comité social et économique apporte sa contribution à l’analyse des risques dans l’entreprise. Il conviendrait de préciser l’articulation de cette contribution avec les attributions reconnues au comité par le 1° de l’article L. 2312-9 du code du travail, aux termes duquel il « procède à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi que des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 ».
Passeport prévention
23. L’article 3 institue un « passeport prévention » destiné à recenser l’ensemble des formations suivies par les travailleurs et relatives à la sécurité et à la prévention des risques professionnels. Pas davantage que l’accord national interprofessionnel dont elle reprend les stipulations, la proposition de loi ne définit ni la nature des droits et des obligations qui seront attachés au passeport formation ni les personnes responsables de son alimentation et les conséquences en cas de manquement aux obligations en résultant. Or, selon l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical et il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution (décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019, paragr. 11). Le Conseil d’Etat s’interroge également sur un éventuel rattachement de cet outil à l’actuel « passeport d'orientation, de formation et de compétences » intégré au compte personnel de formation et mentionné à l’article L. 6323-8 du code du travail. Par suite, il estime que la proposition de loi devrait préciser les caractéristiques essentielles du passeport prévention. Si l’option d’un rattachement au compte personnel de formation était retenue, il appartiendrait ainsi au législateur de désigner les personnes responsables de l’alimentation de ce compte.
Elargissement des missions dévolues aux services de santé au travail
24. L’article 4 élargit le champ des missions dévolues aux services de santé au travail. Afin de décloisonner les champs de la santé publique et de la santé au travail, il prévoit notamment que les services de santé au travail « participent à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage ». Le Conseil d’Etat observe que cette disposition n’est pas pleinement cohérente avec la règle générale fixée au premier alinéa de l’article L. 4622-2 selon laquelle les services de santé au travail « ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Il estime qu’il conviendrait donc soit de préciser que la nouvelle mission s’exerce dans la limite définie au premier alinéa, soit de modifier cet alinéa pour remplacer le terme « exclusive » par le terme « principale ».
Intégration de la médecine du travail dans les structures locales de coopération sanitaire
25. L’article 5 vise à favoriser la participation des services de santé au travail au sein des structures locales de coopération sanitaire instituées par les lois du 28 janvier 2016 et du 24 juillet 2019 : les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les dispositifs d’appui coordonné (DAC). Le Conseil d’Etat estime que les dispositions modifiant le code de la santé publique appellent deux ajustements de rédaction. S’agissant des CPTS, les services de santé au travail devraient être mentionnés isolément et non pas rattachés à la catégorie des acteurs médico-sociaux et sociaux. S’agissant des DAC, la reprise de la rédaction aujourd’hui applicable aux centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et formulée selon une logique de droit d’option ne semble pas pleinement adaptée pour les services de santé au travail, qui se positionnent en tant qu’utilisateurs et non comme prestataires du dispositif.
Surveillance de marché
26. L’article 7 de la proposition de loi porte sur l’application, en matière d’équipements de travail et d’équipements de protection individuelle, du règlement (UE) 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits. Le Conseil d’Etat observe que l’affirmation selon laquelle la surveillance de marché contribue à la santé et à la sécurité des travailleurs est dénuée de portée normative. Il en va de même de la disposition indiquant que les autorités administratives compétentes s’assurent du respect par les opérateurs économiques de leurs obligations respectives et prennent à cet effet les mesures appropriées, sauf à l’interpréter comme conférant à ces autorités de nouvelles missions et des pouvoirs supplémentaires, auquel cas elle appellerait des développements complémentaires pour ne pas être entachée d’incompétence négative. Il suggère, par conséquent, de ne pas retenir cette disposition.
Dispositions relatives à l’offre de services (Titre II)
Fonctionnement des services de santé au travail
27. Les services de santé au travail interentreprises sont obligatoirement constitués sous la forme d’organismes à but non lucratif, dotés de la personnalité civile et de l'autonomie financière (art. D. 4622-15 du code du travail) ; il s’agit, en pratique, d’associations créées sur le fondement de la loi de 1901. Sont tenues d’adhérer à ces services toutes les entreprises qui ne relèvent pas d’un service autonome de santé en travail, un tel service pouvant être institué lorsque l’effectif de salariés atteint au moins 500 salariés (article D. 4622-5 du code du travail).
28. Ces organismes ne sont pas regardés comme assurant une mission de service public (TC, 24 février 1992, n° 2686, Sté d'exploitation des établissements Pernet c/ Service médical et social interentreprises de la région Rosselle-Nied), pas davantage que le médecin du travail qui exerce en leur sein (CE, 10 février 2016, Mme Letellier, n° 384299). Les évolutions apportées à leur organisation et leur fonctionnement par la proposition de loi, qui ne modifient pas substantiellement leur régime juridique et en particulier les modalités du contrôle exercé par l’Etat, n’apparaissent pas susceptibles de modifier cette qualification.
29. Pour autant, compte tenu de leur objet, le Conseil d’Etat estime que le législateur peut soumettre ces services à des règles d’organisation et de fonctionnement. En particulier, les restrictions aux principes de liberté d’établissement et de libre prestation de services qui en résultent peuvent être justifiées par un objectif de protection de la santé publique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reconnaissant aux Etats membres la faculté de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint (cf. CJUE, 10 mars 2009, Hartlauer, aff. C-169/07 ; CJUE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes, C-171/07 et C-172/07, pt. 19). La CJUE juge de manière constante qu’en matière de santé publique, les Etats membres disposent d’une marge d’appréciation, qui tient au fait que « la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et intérêts protégés par le traité » (arrêt Apothekerkammer des Saarlandes).
30. L’article 8 de la proposition de loi soumet les services de santé au travail interentreprises (SSTI) à une obligation de certification par des organismes indépendants, sur la base d’un référentiel reposant notamment sur des indicateurs de qualité de service. Le Conseil d'Etat estime qu'aucun obstacle juridique ne s'oppose à cette évolution visant à répondre à des exigences de protection de la santé publique. Il s'interroge cependant sur le devenir de la procédure d'agrément des SSTI prévue par les dispositions réglementaires (articles D. 4622-48 et suivants du code du travail). Les auteures de la proposition de loi ayant fait part au Conseil d’Etat de leur souhait de privilégier le maintien d'une procédure d'agrément et la prise en compte des résultats de la certification par la décision administrative, le Conseil d’Etat note qu’un tel schéma impose de donner une base légale au principe même de l'agrément.
31. Outre la question traitée aux points 12 à 17 et liée au rôle dévolu au comité national de prévention et de santé au travail (CNPST), le Conseil d’Etat relève que la définition, au nouvel article L. 4622-9-1, d’un « socle de services obligatoires », en tant qu’il renverrait à un ensemble de règles de fonctionnement et d’organisation, associé à des indicateurs de qualité, apparaît redondante avec celle, prévue à l’article L. 4622-9-2, prévoyant un référentiel pour la certification. De plus elle soulèverait un problème d’articulation avec les obligations définies dans la partie réglementaire du code du travail. Le Conseil d’Etat suggère de lui substituer la notion de « socle de services de base », dont la portée normative est précisée à l’article 9 de la proposition de loi relatif aux règles de tarification, qui dispose que les services relevant du socle de base sont financés par une cotisation proportionnelle au nombre de travailleurs suivis. Concernant ce dernier article, le maintien d’une cotisation strictement proportionnelle aux effectifs de travailleurs suivis justifierait de renoncer à la notion de « barème des cotisations » mentionnée dans la proposition de loi (CE, 30 juin 2014, n° 365071).
32. Enfin, le Conseil d’Etat recommande, à l’article 29, de reporter la date d’entrée en vigueur de l’obligation de certification au-delà du 31 mars 2022, cette échéance apparaissant trop ambitieuse compte tenu des délais propres à l’élaboration des référentiels, à l’accréditation des organismes de contrôle et à la réalisation des opérations de certification.
Accès du médecin du travail au dossier médical partagé
33. Dans l’objectif de décloisonner la médecine de ville et la médecine du travail et d’assurer une prise en charge globale des travailleurs, la proposition de loi permet aux professionnels de santé au travail d’accéder au dossier médical partagé prévu à l’article L. 1111 14 du code de la santé publique (article 11) et, réciproquement, aux professionnels de santé en charge du diagnostic et du soin d’accéder au dossier médical en santé au travail (article 12).
34. Le dossier médical partagé rassemble, afin de favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins, et dans le respect du secret médical, les informations nécessaires à la coordination des soins de son titulaire et reportées par les professionnels intervenant dans la prise en charge de ce dernier.
35. Le quatrième alinéa de l’article L. 1111-18 du code de la santé publique dispose que : « Le dossier médical partagé n'est pas accessible dans le cadre de la médecine du travail ». L’article 51 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a modifié cette disposition à compter du 1er juillet 2021 pour prévoir que « dans le cadre de la médecine du travail, le dossier médical partagé est accessible uniquement pour y déposer des documents ». La proposition de loi remet en cause cet équilibre en permettant au médecin du travail de consulter le dossier médical partagé et de prendre ainsi connaissance des informations concernant le salarié qui y ont été reportées à l’occasion de sa prise en charge par d’autres professionnels de santé, notamment.
36. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont l’une des composantes est le respect de la confidentialité des données personnelles concernant la santé, et les exigences constitutionnelles qui s’attachent au droit à la protection de la santé, figurant au 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui peut impliquer la communication d’informations nominatives à caractère médical entre professionnels de santé (décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 46).
37. La création du dossier médical personnel, devenu le dossier médical partagé, a été validée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle répondait aux « exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à la protection de la santé, qui implique la coordination des soins et la prévention des prescriptions inutiles ou dangereuses, qu'à l'équilibre financier de la sécurité sociale » (décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, cons. 5).
38. L’octroi au médecin du travail, dont le rôle est exclusivement préventif, de la faculté de consulter le dossier médical partagé du salarié se présente à cet égard de manière différente. Cette faculté lui permettra cependant d’avoir une image plus complète de l’état de santé du salarié, pour assurer sa protection, celle de ses collègues et celle des tiers, en facilitant la communication d’informations médicales avec les autres professionnels de santé, qui est aujourd’hui possible sur le fondement de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique. Elle répond à un objectif d’amélioration de la prévention qui entre dans les finalités du dossier médical partagé énumérées à l’article L. 1111-14 du même code.
39. En revanche, le salarié ne bénéficie pas du libre choix du médecin du travail ou du professionnel du service de santé au travail qui assure son suivi. Les conditions dans lesquelles un salarié peut être amené à consentir à ce que le professionnel de santé au travail accède à son dossier médical partagé apparaissent ainsi très différentes de celles dans lesquelles il peut donner un tel consentement en médecine de ville ou lors d'une prise en charge hospitalière. Enfin le dossier médical partagé contient des informations médicales, le cas échéant très anciennes, qui ne sont pas toutes nécessaires à l’exercice des missions de la médecine du travail.
40. Le Conseil d’Etat relève toutefois que la proposition de loi entoure de garanties l’accès au dossier médical partagé dans le cadre de la médecine du travail. En premier lieu, s’appliquent les garanties propres au dossier médical partagé, dont chaque titulaire peut refuser l’ouverture, rendre certaines informations inaccessibles ou interdire l’accès à certains professionnels de santé, à l’exception du médecin traitant (articles L. 1111-15, R. 1111-38 et R. 1111-41 du code de la santé publique). En deuxième lieu, la proposition de loi limite l’accès au dossier médical partagé aux seuls professionnels de santé au travail intervenant dans le suivi de l’état de santé du salarié. Ces professionnels exercent sous l’autorité du médecin du travail dont les conditions d’indépendance professionnelle, notamment vis-à-vis de l’employeur, sont garanties par la loi (art. L. 4623-8 du code du travail). En dernier lieu, la proposition de loi subordonne la possibilité pour le professionnel de santé au travail d’accéder au dossier médical partagé du salarié au recueil préalable du consentement de l’intéressé.
41. Le Conseil d’Etat estime nécessaire de compléter ces garanties en prévoyant qu’aucune conséquence ne saurait être tirée du refus du salarié d’autoriser le médecin du travail à accéder à son dossier médical partagé. Il recommande en outre que les informations dont le médecin du travail prend connaissance en consultant le dossier médical partagé du salarié soient exclues de celles qu’il est tenu, en cas de litige, de communiquer au médecin mandaté par l’employeur, en application de l’article L. 4624-7 du code du travail, mesure qui assurerait une conciliation entre le droit au respect de la vie privée et le principe du contradictoire.
42. Le Conseil d’Etat prend acte de ce que les auteures de la proposition de loi ont indiqué qu’elles entendaient amender le texte notamment en limitant l’accès au dossier médical partagé au seul médecin du travail, à l’exclusion par conséquent des autres professionnels de santé au travail, en subordonnant la certification prévue à l’article 8 à des critères liés à la protection des données de santé et en précisant que l’employeur ne pourra pas avoir connaissance du refus du salarié d’autoriser l’accès à son dossier médical partagé.
43. Le Conseil d’Etat considère que, compte tenu de cet encadrement, la disposition ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle. Il rappelle cependant que la faculté ouverte par la loi devra être mise en œuvre dans le respect des règles de fond et de procédure prévues par le règlement (UE) 2016/79 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 sur la protection des données et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique et aux libertés.
Intégration du dossier médical en santé au travail au dossier médical partagé
44. L’article L. 4624-8 du code du travail dispose qu’« un dossier médical en santé au travail, constitué par le médecin du travail, retrace dans le respect du secret médical les informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail ». L’article 51 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a prévu qu’à compter du 1er juillet 2021, le dossier médical en santé au travail serait « intégré » au dossier médical partagé, ce qui permettra aux autres professionnels intervenant dans la prise en charge du salarié d’y avoir accès. La proposition de loi apporte des précisions sur les modalités d’accès au dossier médical en santé au travail.
45. Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que les caractéristiques des deux dossiers sont différentes. Le dossier médical partagé est un dossier numérique rattaché à une personne et rassemblant des données structurées et ordonnées. Le dossier médical en santé au travail est rattaché à un médecin du travail et ne suit pas le salarié. Il n’est pas nécessairement numérique et son contenu peut être assez disparate d’un service de santé au travail à l’autre, en l’absence d’encadrement réglementaire.
46. Il rappelle ensuite que certaines informations figurant habituellement dans les dossiers médicaux en santé au travail et relatives par exemple à l’employeur du salarié ou à leurs relations de travail ne relèvent pas de la logique ayant présidé à la création du dossier médical partagé. Il considère que permettre à tout professionnel de santé d’y avoir accès porterait au droit au respect de la vie privée une atteinte qui n’est pas justifiée par l’objectif de protection de la santé. Il estime donc nécessaire de prévoir dans la loi que, parmi les informations figurant dans le dossier médical en santé au travail, seules celles nécessaires au développement de la prévention ainsi qu’à la coordination, la qualité et la continuité des soins sont versées au dossier médical partagé de l’intéressé. Par souci de clarté, il propose en outre de faire mention du dossier médical en santé au travail à l’article L. 1111-15 du code de la santé publique, qui énumère les différentes sources d’alimentation du dossier médical partagé.
47. Il note enfin que dès lors que le dossier médical partagé est alimenté par le dossier médical en santé au travail, il n’apparaît pas nécessaire d’indiquer que ce dernier est accessible aux professionnels de santé participant à sa prise en charge en application des articles L. 1110 4 et L. 1110 12 du code de la santé publique, sauf à donner à ces derniers accès à des informations qui ne seraient pas versées au dossier médical partagé.
48. Le Conseil d’Etat relève enfin que la mise en œuvre de la réforme implique d’importants travaux de rapprochement des systèmes d’information qui rendent peu probable la perspective d’une entrée en vigueur le 31 mars 2022, comme le prévoit la proposition de loi.
Système national des données de santé
49. Le système national des données de santé (SNDS) regroupe les données issues des bases sanitaires et médico-sociales, telles que le système national d’information interrégimes de l’assurance maladie ou le programme de médicalisation des systèmes d’information. Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé (Conseil d’Etat, avis n° 396624 du 7 février 2019), le système national des données de santé, « par les possibilités qu’il offre en matière d’analyse et de suivi du système de santé et des dispositifs d’assurance maladie, contribue à la protection de la santé, qui est une exigence constitutionnelle depuis la décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980 du Conseil Constitutionnel ».
50. La proposition de loi intègre les données de santé issues des dossiers médicaux en santé au travail dans le périmètre du système national des données de santé.
51. Le Conseil d’Etat relève que les données de santé issues des visites d’information et de prévention réalisées par la médecine du travail figurent déjà dans ce périmètre. Il considère que l’élargissement auquel conduit la proposition de loi ne méconnaît aucune exigence de valeur constitutionnelle ou conventionnelle compte tenu des garanties apportées par le cadre législatif du système national des données de santé. En vertu de l’article L. 1461-7 du code de la santé publique, un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés dressera la liste des catégories de données issues des dossiers médicaux en santé au travail qui seront réunies au sein du système national des données de santé.
52. Le Conseil d’Etat recommande de modifier la rédaction de la proposition de loi, qui ajoute les données issues des dossiers médicaux de santé au travail aux données issues des visites d’information et de prévention déjà mentionnées au 11° de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique alors que les premières englobent les secondes. Il relève en outre que, aux termes de la proposition de loi, les données visées portent uniquement sur les données de santé, ce qui exclut les données relatives à l’emploi et aux activités professionnelles des salariés et s’interroge sur la nécessité de prévoir l’introduction de telles informations dans le SNDS à des fins épidémiologiques.
Dispositions relatives à l’accompagnement de certains publics et à la lutte contre la désinsertion professionnelle (Titre III)
Cellules pluridisciplinaires de prévention de la désinsertion professionnelle
53. L’article 14 de la proposition de loi crée des cellules pluridisciplinaires de prévention de la désinsertion professionnelle au sein des services de prévention et de santé au travail. Si l’exposé des motifs indique que ces cellules seront créées aux sein des services autonomes et des services interentreprises, l’emplacement choisi dans le code du travail pour introduire l’article les concernant conduit à ne le rendre applicable qu’aux services interentreprises. Le Conseil d'Etat estime qu'il conviendrait de modifier l'emplacement de la disposition dans le code pour la rendre applicable aux deux catégories de services, en cohérence avec l'exposé des motifs. Il suggère en outre de substituer l’expression « organismes locaux d’assurance maladie » à l’expression « services médicaux de l’assurance maladie ».
Télésanté au travail
54. L’article 15 consacre la possibilité, pour les services de santé au travail, de recourir à la télémédecine pour assurer le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs. Les deux nouveaux alinéas qui s’ajouteraient à l’article L. 4624-1 du code du travail, qui peuvent n’en faire qu’un seul, renvoient aux pratiques médicales à distance relative de la télémédecine mentionnées à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique. Le Conseil d'Etat estime que ce renvoi ne s’impose pas dès lors que la définition des actes de télémédecine est peu adaptée aux visites et examens réalisés dans le cadre de la médecine du travail. Il lui semble en outre trop restrictif car il exclut les visites et examens réalisés par des infirmiers en santé au travail. Le texte pourrait se borner à indiquer que « les visites et examens prévus dans le cadre du suivi individuel de l’état de santé des travailleurs peuvent être réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication, dans des conditions précisées par décret ».
Visite de mi-carrière
55. L’article 16 de la proposition de loi prévoit que les salariés bénéficieront, au mitan de leur carrière professionnelle, d’une visite médicale destinée à repérer une inadéquation entre le poste de travail et l’état de santé du salarié. Comme cela a été indiqué au point 11, la disposition envisagée pourrait s’en tenir à prévoir le principe de cette visite et à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin d’en préciser les modalités d’application. En tout état de cause, il conviendrait de supprimer les deux derniers alinéas de la proposition d’article L. 4624-2-1 du code du travail qui sont redondants, respectivement, avec les articles L. 4624-3 et L. 4624 10 du même code.
Santé au travail des travailleurs intérimaires, des travailleurs indépendants et des travailleurs intervenant sur un même site
56. L’article 17 vise à améliorer les conditions dans lesquelles est assuré le suivi par les services de santé au travail des travailleurs intérimaires, travailleurs indépendants et des travailleurs intervenant sur un même site. Il prévoit notamment que les services de prévention et de santé interentreprises peuvent fournir aux travailleurs indépendants une offre spécifique de services en matière de prévention, de suivi individuel et de prévention de la désinsertion professionnelle. Le Conseil d'Etat estime qu’il n’y a pas lieu d’indiquer, comme le fait la proposition de loi, que les dispositions du code du travail relatives à la santé et à la sécurité au travail leur sont applicables. En effet, cette mention apparaît ambiguë et susceptible d'être interprétée comme leur ouvrant droit, en outre, au bénéfice des dispositifs de droit commun de la médecine du travail, dans des conditions qui ne seraient pas précisées.
57. L’article 17 de la proposition de loi traite en outre de l’organisation de la médecine du travail lorsque des travailleurs aux statuts divers interviennent sur le site d’une entreprise disposant de son propre service de prévention et de santé au travail. Le Conseil d'Etat considère que cette disposition appelle une précision s’agissant des salariés des entreprises extérieures, qui comprennent les entreprises sous-traitantes intervenant sur le site. L’article 17 prévoit en effet que le suivi individuel de leur état de santé peut être assuré par le service de prévention et de santé au travail de l’entreprise utilisatrice mais qu’en revanche la prévention des risques professionnels auxquels ils sont exposés doit être assurée de manière conjointe par ce service et les services dont ils relèvent. Le champ des missions devant être exercées de manière conjointe n’est pas précisément délimité, la prévention des risques professionnels pouvant englober toutes les missions de la médecine du travail, notamment le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs pour lequel l’intervention du service de l’entreprise utilisatrice n’est envisagée que comme une faculté. Il conviendrait de se référer aux missions de la médecine du travail telles qu’elles sont définies, pour l’ensemble des services, autonomes ou interentreprises, par l’article L. 4622-2 du code du travail. Enfin, la rédaction envisagée du premier alinéa de l’article L. 4622-5-1 comporte une ambiguïté sur les parties à la convention qu’il prévoit. Cette ambiguïté pourrait être levée en écrivant : « Lorsqu’une entreprise dispose de son propre service de prévention et de santé au travail, ce service peut assurer dans des conditions fixées par convention, le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs indépendants et des salariés des entreprises extérieures exerçant sur le site de l’entreprise ».
Reprise après un arrêt de travail
58. L’article 18 précise que lorsque le salarié est en arrêt de travail, la suspension du contrat de travail ne fait pas obstacle à l’organisation d’un « rendez-vous de préreprise ». Le texte n’indique pas quel est l’objet de ce rendez-vous ni qui peut en être à l’initiative. Il prévoit que l’employeur peut informer le salarié sur certaines dispositions légales relatives à la reprise du travail après un arrêt, ce qui est possible même sans texte. Le Conseil d’Etat suggère de préciser qui peut prendre l’initiative d’un tel rendez-vous et, dans l’hypothèse où cette possibilité est reconnue à l’employeur, d’indiquer qu’aucune conséquence ne peut être tirée du refus du salarié de se rendre à un tel entretien qui ne peut intervenir que pendant une période pendant laquelle le contrat de travail est suspendu.
59. L’article 18 rehausse en outre au niveau législatif l’existence des visites de préreprise et de reprise. Il prévoit que la première, qui est facultative, doit être réalisée par un médecin du travail tandis que la seconde, qui est obligatoire, peut l’être par un professionnel de santé au travail. La visite de reprise ayant pour objet de s’assurer que l’état de santé du salarié lui permet de rejoindre son poste et pouvant, à ce titre, déboucher sur un avis d’inaptitude, le Conseil d'Etat estime qu'elle ne devrait pouvoir être effectuée que par des professionnels dont les missions les autorisent à réaliser une analyse clinique et à formuler un diagnostic.
Accès au dispositif de transition professionnelle
60. L’article 19 dispense de la condition d’ancienneté à laquelle est subordonné le bénéfice du dispositif de transition professionnelle les salariés ayant connu soit une absence de travail résultant d’une maladie professionnelle, soit une absence de travail supérieure à une durée fixée par décret résultant d’un accident du travail ou d’une maladie ou d’un accident non professionnels. Le Conseil d’Etat estime que la différence de traitement opérée entre la maladie professionnelle, qui ouvre droit immédiatement au bénéfice du dispositif de transition professionnelle, et les autres motifs d’arrêt de travail, notamment en cas d’accident de travail, pour lesquels une durée minimale d’absence est exigée, est sans rapport avec l’objet de ce dispositif.
Dispositions relatives aux missions des professionnels de santé (articles 21, 23 et 24)
61. Pour pallier le déficit structurel de médecins du travail et recentrer les missions de ces derniers sur les actions de prévention en milieu de travail, la proposition de loi comporte plusieurs dispositions qui tendent à confier à d’autres professionnels de santé une partie des missions qui leur sont normalement dévolues :
- le service de santé au travail pourra ponctuellement faire appel aux services d’un médecin de ville pour réaliser certaines visites médicales (article 21) ;
- l’infirmier de santé au travail, de même que les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire pourront se voir déléguer certaines missions du médecin du travail, au vu de leur qualification. La proposition de loi ouvre également la possibilité d’un exercice des infirmiers en pratique avancée dans le domaine de la prévention et de la santé au travail (articles 23 et 24).
62. Le Conseil d'Etat rappelle que, dans la définition des missions et des compétences des professionnels de santé, il appartient au législateur de ne pas priver des garanties légales les exigences constitutionnelles qui s’attachent au droit à la protection de la santé, protégé par le onzième alinéa du Préambule de 1946 (n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, cons. 8, 11, 29 ; décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011, cons. 3). Le Conseil constitutionnel reconnaît néanmoins au législateur, en matière de protection de la santé, un large pouvoir d’appréciation : il appartient au législateur de déterminer les modalités de la mise en œuvre de ce droit (décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, cons. 17).
Le Conseil d’Etat rappelle également que l’article 7 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 impose aux Etats membres que les personnes et les services extérieurs auxquels recourent les entreprises pour organiser la prévention « doivent avoir les aptitudes nécessaires et disposer des moyens personnels et professionnels requis » (art. 7, §5) et que « le(s) travailleur(s) et/ou le(s) service(s) doivent collaborer en tant que de besoin » (art. 7, §6).
63. Bien que cette mesure participe également à une meilleure protection des travailleurs en ce qu’elle permet de répondre, notamment dans les territoires les moins bien pourvus, à la pénurie de ressource médicale, le Conseil d’Etat considère que le fait de confier à un médecin de ville non spécialement formé ou à des infirmiers une partie des missions dévolues au médecin du travail n’est pas sans incidence sur le degré de protection des travailleurs, compte tenu, d’une part, des compétences particulières que confèrent au médecin du travail sa formation, son expérience et sa connaissance des effets des expositions aux risques professionnels, de l’organisation des entreprises et des postes de travail et, d’autre part, des garanties d’indépendance dont il bénéficie du fait de son statut de salarié protégé (art. L. 4623 5).
64. Le Conseil d’Etat relève que la proposition de loi apporte plusieurs encadrements substantiels de nature à répondre en partie à ce risque. En ce qui concerne le médecin praticien correspondant, le texte impose une formation en médecine du travail et limite son champ de compétence à la réalisation du suivi individuel de l’état de santé, à l’exclusion des salariés faisant l’objet d’un suivi individuel renforcé et donc particulièrement exposés à des risques professionnels. En outre, aucune des dispositions relatives au médecin praticien correspondant comme aux délégations de missions aux membres de l’équipe pluridisciplinaire n’ont pour objet ou pour effet de les habiliter à proposer des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail, ni à prononcer des avis d’inaptitude, ces prérogatives demeurant de la seule compétence du médecin du travail (art. L. 4624-3 et L. 4624-4).
65. Le Conseil d’Etat estime néanmoins qu’il serait opportun de compléter l’article 21 par les précisions suivantes. En premier lieu, le médecin du travail, qui n’est pas mentionné dans l’article 21, devrait être étroitement associé à la définition du périmètre des missions dévolues au médecin praticien correspondant, lesquelles devraient être exercées, si ce n’est sous son autorité, au moins « en lien » avec lui. En second lieu, la loi pourrait renvoyer à un décret en Conseil d’Etat la détermination des règles d’incompatibilité.
66. Le Conseil d’Etat s’est interrogé sur la portée de l’article 24 relatif aux délégations de missions du médecin du travail. Il considère que les missions déléguées aux membres de l’équipe pluridisciplinaire et, en particulier, à l’infirmier devraient demeurer, comme le prévoient les textes réglementaires actuels, exercées sous l’autorité du médecin du travail et dans la limite des compétences reconnues à chaque catégorie de professionnel de santé concerné par le code de la santé publique. Pour les mêmes motifs, une délégation de la mission « de coordination et d’animation » de l’équipe pluridisciplinaire (article 24, 1°, a) ne devrait être envisagée, comme l’autorise d’ailleurs déjà la rédaction actuelle de la loi, que de manière ponctuelle et partielle, et sous la responsabilité du médecin du travail. Les nouvelles missions dévolues au directeur du service de santé au travail interentreprises (article 24, 2°) devraient également s’entendre dans la limite de celles confiées au médecin du travail. Ces considérations conduisent le Conseil d’Etat à privilégier une suppression de l’article 24, au bénéfice de précisions à apporter par voie réglementaire.
67. Par ailleurs, le Conseil d'Etat considère que l’obligation faite, à l’article 23, aux infirmiers de disposer d’une formation qui sera définie par décret, selon un format sans doute renforcé, appellerait une mesure transitoire à l’article 29, dès lors que cette obligation n’aurait vocation qu’à s’appliquer qu’au flux des nouveaux recrutements, sauf à prévoir des règles d’équivalence tenant compte par exemple de l’expérience passée.
Dispositions relatives aux CNPST et au CRPST (articles 25 et 26)
68. La proposition de loi énonce les missions du comité national et des comités régionaux de prévention et de santé au travail institués, respectivement, au sein du conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) et des comités régionaux d’orientation des conditions de travail (CROCT). Le Conseil d’Etat suggère dès lors, par cohérence, de compléter les missions du COCT et des CROCT et de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser celles des missions qui seront exercées par les comités de prévention et de santé au travail.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 4 février 2021.