Lorsqu’un projet de texte est examiné au Conseil d’État, le rapporteur veille à ce qu’il soit solide sur le plan juridique et applicables dans la vie réelle. Rencontre avec Delphine Hedary, rapporteure à la section des travaux publics.
Qu’est-ce qui est le plus complexe dans le métier de rapporteur ?
La première difficulté à laquelle on est confronté, lorsqu’on est saisi d’un projet de texte, c’est de comprendre l’environnement juridique dans lequel il va s’insérer. Les règles de droit qui régissent notre société sont nombreuses, foisonnantes : réglementation et lois françaises, Constitution, droit européen… Et à cette complexité juridique s’ajoute la technicité des sujets. Il n’est pas rare que le rapporteur doive décrypter des enjeux opérationnels pointus, éloignés de sa formation de juriste : comment fonctionne notre système de distribution de gaz ou d’électricité, par exemple.
Une autre difficulté tient aux délais dans lesquels il faut travailler. Le Gouvernement nous demande souvent de rendre un avis dans des délais très contraints, par exemple pour pouvoir inscrire un projet de loi à une date précise en Conseil des ministres. Parfois, il évolue aussi dans sa position après avoir saisi le Conseil d’État pour avis ; il nous adresse alors une version rectificative du texte qui peut comporter des modifications substantielles. Tout cela demande beaucoup de réactivité.
Chaque projet de texte reflète une volonté politique. Comment vous positionnez-vous face à cela ?
Le Conseil d’État ne se prononce pas sur l’opportunité politique des textes qui lui sont soumis. Il a un rôle de conseiller juridique neutre, impartial, « technique » dirais-je, au bon sens du terme. Cela inclut de vérifier la capacité du projet de texte à répondre aux objectifs de ses auteurs.
L’échange est ainsi essentiel. Lorsqu’il examine un projet de loi ou de décret, le rapporteur auditionne les représentants des administrations qui ont élaboré le texte – les « commissaires du Gouvernement » – et dialogue avec eux. L’objectif est de cerner au mieux les intentions du Gouvernement pour pouvoir, dans un second temps, voir si le texte y répond de la meilleure manière et si des améliorations peuvent être apportées. Le travail dans les sections consultatives se fait ainsi en dialogue étroit avec les ministères afin de proposer des solutions juridiques les plus adaptées à leurs objectifs.
Quels critères vous guident lors de l’examen d’un texte ?
Plusieurs points d’attention guident le travail du rapporteur. Le premier est de vérifier que le texte respecte les règles de droit qui lui sont supérieures, en particulier la Constitution ou les traités européens. Il faut aussi s’assurer que le projet s’articule bien avec les règles de même niveau, déjà existantes et qui vont perdurer, ou qu’il ne crée pas de vide juridique en en supprimant certaines de façon inappropriée.
Le rapporteur se pose aussi des questions d’ordre pratique. Quand de nouvelles procédures sont mises en place, il faut s’assurer qu’elles ne sont pas inutilement complexes ou difficiles à mettre en œuvre.
Le rapporteur a enfin pour responsabilité de garantir la clarté et l’intelligibilité du texte dans sa rédaction même. Pris dans la technicité de la matière, les auteurs du texte peinent parfois à écrire avec simplicité. D’autant que, les sources du droit étant aujourd’hui très diverses, notre environnement juridique est complexe par nature. On est loin de l’époque du Code Napoléon où chaque article comportait un sujet, un verbe et un complément. Or, une loi, un décret, une ordonnance doivent pouvoir être compris par toute personne qui maîtrise la langue française. « Nul n’est censé ignorer la loi », cela veut aussi dire que la loi doit pouvoir être saisie par tout un chacun, sans avoir nécessairement fait des études juridiques poussées.
En quoi cette clarté de la loi est-elle importante dans un État de droit ?
Une loi claire, un droit clair, c’est une garantie de sécurité juridique, d’efficacité de l’action publique et d’égalité de traitement. Si un texte de loi ou de décret est imprécis, les administrations, les élus locaux, qui vont avoir à l’appliquer risquent de traiter les citoyens de manière inégalitaire. Or, la loi est censée être la même pour tous. De leur côté, les citoyens risquent de ne pas savoir exactement quels sont leurs droits et comment les faire valoir face à l’administration.
D’un point de vue pragmatique, un texte mal rédigé a également cet inconvénient de faire perdre du temps une fois entré en vigueur. Il en fait perdre à ceux qui doivent l’appliquer en ne leur indiquant pas clairement ce qu’ils doivent faire, mais aussi aux citoyens. Imaginez un marché public pour la construction d’une école qui aurait été passé sans respecter les règles parce qu’elles ne seraient pas assez claires : en cas de contentieux, la mise en œuvre du marché serait retardée de manière considérable. Il y a un intérêt général à ce que les règles de droit soient claires. En recherchant cette clarté, le rapporteur, et plus globalement le Conseil d’État œuvrent à une plus grande efficacité de l’action publique, à un meilleur respect des garanties démocratiques et à ce que notre vie quotidienne soit la plus simple possible.
« Nul n’est censé ignorer la loi », cela veut aussi dire que la loi doit pouvoir être saisie par tout un chacun, sans avoir nécessairement fait des études juridiques poussées.