Lettre de la justice administrative n° 60

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N°60 - JUILLET 2020 - ÉDITION SPÉCIALE « LA JUSTICE ADMINISTRATIVE PENDANT LA CRISE SANITAIRE »

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À la Une

Éditorial de Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État

Rarement la juridiction administrative aura été autant sollicitée que durant cette crise sanitaire dont nous commençons tout juste à sortir. Au Conseil d’État, les sections consultatives ont examiné presque 300 projets de lois, d’ordonnances et de décrets, quand la section du contentieux a été saisie de plus de 200 requêtes en référé.

Ces requêtes, déposées par des associations, des partis politiques, des syndicats ou encore des particuliers ont amené les juges des référés à trancher des questions particulièrement délicates relatives à la stratégie mise en place par le gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus et protéger la santé de la population. Nos avis et ordonnances ont été rendus dans des délais extrêmement restreints, et tout ce travail a été rendu possible par la mobilisation exemplaire des membres et agents, auquel je tiens à rendre hommage, ainsi que par les outils numériques dans lesquels nous avions investis et qui nous ont permis de concilier le maintien de nos activités essentielles avec les consignes sanitaires édictées par le gouvernement. Et je n’oublie pas les juges et agents qui, dans les tribunaux et les cours, se sont remarquablement adaptés et ont montré qu’au niveau local comme au niveau national, la juridiction administrative ne se met pas à l’arrêt.

Un groupe de travail vient d’être constitué au Conseil d’État pour réaliser une évaluation approfondie de la manière dont nous avons surmonté la crise. Ses conclusions devront nous permettre d’améliorer encore nos pratiques, notre organisation, nos moyens matériels et de nous projeter dans l’avenir avec confiance. Mais plusieurs enseignements peuvent d’ores et déjà être tirés de la période récente. Le premier, c’est qu’il est indispensable que la juridiction administrative tienne debout quelles que soient les circonstances. Garante de l’État de droit, elle est une boussole pour l’administration et l’interlocuteur privilégié de tous ceux qui souhaitent contester, en droit, son action. Nul n’aurait compris que nous répondions absent dans un tel moment, et c’est précisément ce que nous n’avons pas fait. Le deuxième, c’est que le législateur du 30 juin 2000 avait vu juste en instituant le référé-liberté. Les citoyens et les entreprises disposent aujourd’hui d’une voie de droit pertinente et efficace pour obtenir en urgence un remède aux atteintes les plus graves à leurs droits et libertés fondamentaux. Le juge administratif, en retour, a retrouvé sa place au cœur de la Cité et l’on peine à vrai dire aujourd’hui à imaginer un État de droit sans référés administratifs. Le troisième, c’est que la juridiction administrative doit redoubler d’efforts pour communiquer sur ses décisions de manière pédagogique et expliquer clairement son action. Le sens d’une décision n’est pas tout, loin s’en faut : le cheminement qui y mène compte souvent tout autant. C’est ce cheminement que nous devons rendre compréhensible à tous. Ceci est d’autant plus vrai que dans beaucoup des affaires examinées pendant le crise, l’audience a revêtu une importance capitale : c’est en effet souvent durant l’audience qu’une solution a été trouvée, que le juge et les parties se sont accordés sur les mesures à prendre et que l’administration a pris ou s’est engagée à prendre sans délais ces mesures. Dans ces conditions, le rejet d’une requête ne signifie pas forcément ce qu’on est tenté d’y voir, à savoir que les demandes formulées par les requérants ne sont pas pertinentes. Le dernier, c’est enfin qu’il est apparu très clairement que la transition numérique dans laquelle s’est engagée la juridiction administrative depuis plusieurs années doit être poursuivie. Nos bases de données, nos réseaux partagés, nos outils de visioconférence ont à la fois permis à la juridiction administrative de continuer son travail et de maintenir les liens humains qui font la force de notre communauté. Sans ces liens, nous ne sommes plus rien, et nous devons en rester concsients.

A l’heure où ces lignes sont écrites, les activités du Conseil d’État ont repris leur rythme normal depuis presqu’un mois. Toutes les audiences sur les affaires de fond mises en suspens pendant le confinement ont repris leur cours. Les juges des référés accompagnent quant à eux la sortie de crise : les curseurs sont repositionnés, les restrictions de libertés précédemment admises sont réévaluées à l’aune du risque sanitaire qui décroit, comme en attestent les ordonnances rendues le 18 mai dernier au sujet de la fermeture des lieux de culte ou de l’utilisation de drones. Car le relâchement n’est une option pour personne et la vigilance est un impératif de tous les jours pour que vive l’État droit auquel nous tenons tant.




3 questions à Jean-Denis Combrexelle, président de la section du contentieux du Conseil d'État

Au cours du confinement, le juge des référés a été sollicité plus qu'à l'habitude. Comment vous êtes-vous adaptés à cette situation ?
Le juge des référés a rendu 150 ordonnances de jugement sur des recours liés à la lutte contre le covid-19. Par rapport à l’an passé sur la même période, les recours en urgence en premier ressort ont été multipliés par 5.
Une « task force » d’une quinzaine de juges a été mobilisée et les audiences se sont déroulées en respectant des mesures sanitaires strictes, parfois le week-end ou les jours fériés. Pour la première fois, nous avons proposé la visioconférence aux parties qui le souhaitaient.
La section du contentieux a pu compter sur l’investissement sans faille de ses personnels et s’appuyer sur la dématérialisation des procédures adoptée par la justice administrative depuis plusieurs années.

Quelles sont les ordonnances marquantes sur cette période ?
Le covid-19 a touché tous les champs de la vie des Français et les recours que nous avons reçus en ont été le reflet. Le juge des référés a rendu des ordonnances très différentes les unes des autres, en tenant compte de l’évolution de la situation sanitaire. Il a par exemple ordonné la réouverture des guichets d’enregistrement des demandes d’asile en Ile-de-France, la reprise des rassemblements dans les lieux de culte, la distribution de masques aux détenus lors de leurs contacts avec l’extérieur ou l’arrêt de la surveillance par drone des Parisiens. Le juge a aussi rejeté des requêtes tout en permettant de trouver des solutions pour les requérants : qu’il s’agisse de la demande de masques des avocats, pour laquelle le juge a demandé à l’État d’appuyer les organisations de la profession pour s’en procurer, ou encore du recours des personnels pénitentiaires qui ont obtenu, durant l’audience, la livraison de gants et de gel hydro-alcoolique. Le juge des référés a également estimé que son intervention n’était pas justifiée, par exemple concernant la prescription d’hydroxychloroquine par les médecins de ville ou la demande de nationaliser toutes les entreprises produisant des masques.

Et aujourd’hui ?
Nous continuons à recevoir et traiter en urgence des requêtes pour contester des décisions liées au déconfinement, mais nous avons aussi repris l’intégralité de nos audiences de « fond » qui avaient été suspendues. Dès le 13 mai, nous nous sommes mobilisés pour pouvoir reprendre notre rythme hebdomadaire habituel et ne retarder ainsi aucun recours.




Parutions

Le rapport d’activité se présente cette année en édition exclusivement dématérialisée. Il s’enrichit de renvois vers les ressources numériques du Conseil d’État et des juridictions administratives : dossiers documentaires, références, vidéos ou podcasts et communiqués de presse. Comme de tradition, le rapport présente les principaux indicateurs d’activité (dates et chiffres clés) de la juridiction administrative. L'activité juridictionnelle retrace une année de contentieux en chiffres et analyses des principales décisions rendues, sous l’égide d’une note du président de la section du contentieux qui met en perspective les lignes de force de la jurisprudence. L'activité consultative du Conseil d’État propose en résumés une sélection d’avis rendus au Gouvernement et au Parlement sur les principaux projets et propositions de loi, d’ordonnance et de décret, qui marquent l’implication de l’institution dans le champ comme des modalités de mise en œuvre de l’action publique. La partie consacrée aux études, débats, partenariats européens et internationaux présente les contributions des juridictions administratives dans les grands enjeux nationaux et internationaux auxquels sont confrontées les politiques publiques. Enfin, la dernière et nouvelle partie du rapport présente les moyens humains, budgétaires, informatiques, immobiliers dévolus à la juridiction administrative ainsi que ses réalisations dans ses domaines d’action prioritaires.

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Le Bilan d’activité du Conseil d’État et des juridictions administratives vient de paraître, une édition plus accessible avec, cette année, une pagination étoffée. Pensé à la fois pour montrer la diversité des thématiques que la justice administrative gère au quotidien, pour aller plus en profondeur dans les sujets qui intéressent les citoyens et pour mieux comprendre le sens de l’action de la justice administrative, il permet de rendre compte de la volonté d’ouverture et de dialogue de la juridiction administrative. Il souligne, en particulier, la complémentarité des trois grandes missions du Conseil d’État, juridictionnelle, consultative et études. Il propose également une synthèse des grandes décisions de justice, des avis sur les projets de textes et des études réalisées en 2019 autour de 14 thématiques qui touchent au quotidien des Français : environnement, villes et mobilités, numérique, santé, sport, bioéthique, éducation, etc.

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Contentieux

Conseil d'État

Confinement total de la population

Saisi par le syndicat Jeunes Médecins, le juge des référés du Conseil d’État refuse d’ordonner le confinement total de la population. Il enjoint néanmoins au Gouvernement de préciser la portée ou de réexaminer certaines des dérogations au confinement en vigueur.

CE, ord. réf., 22 mars 2020, Syndicat Jeunes médecins, n° 439674, B
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Port d'un masque de protection à Sceaux

L'obligation du port d'un masque dans la ville de Sceaux était contestée par la Ligue des droits de l’Homme. Le juge des référés du Conseil d’État confirme que le maire de Sceaux ne peut prendre une telle décision, en l’absence de circonstances locales particulières. L’arrêté du maire nuit également à la cohérence des mesures nationales et des messages de prévention.
 
CE, ord. Réf., 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057, B
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Enregistrement des demandes d'asile en Ile de France

Le juge des référés a ordonné au ministre de l’intérieur et à l’OFII de rétablir dans un délai de cinq jours et dans les conditions sanitaires imposées par le covid-19, l’enregistrement des demandes d’asile, en priorité de celles émanant des personnes présentant une vulnérabilité particulière, et de rouvrir la plateforme téléphonique de prise de rendez-vous.

 CE, ord. réf., 30 avril 2020, Ministre de l’Intérieur et Office français de l’immigration et de l’intégration, n°s 440250 et 440253, B
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Rassemblement dans les lieux de culte

Le juge des référés du Conseil d’État ordonne au Gouvernement de lever l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte et d’édicter à sa place des mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires et appropriées au début du « déconfinement ».

CE, ord. réf., 18 mai 2020, Association Civitas, n°s 440361, 440511, inédite
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Ligue 1 de football

Le juge des référés du Conseil d’État valide la fin de la saison et le classement mais suspend les relégations. Il ordonne à la Ligue de football professionnel de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021, au vu de l’ensemble des éléments relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et d’en tirer les conséquences quant au principe des relégations avant le 30 juin.

CE, ord. réf., 9 juin 2020, Olympique lyonnais groupe et autres, n°s 440809, 440813, 440824
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Tribunaux administratifs et cours administratives d'appel

Arrêté préfectoral instaurant un couvre-feu

Le juge du référé-liberté du tribunal administratif d’Amiens suspend l’exécution des arrêtés du 10 mai 2020 par lesquels le préfet de l’Oise a interdit les déplacements nocturnes sur l’ensemble des territoires des communes Compiègne, Creil et Nogent-sur-Oise entre le 11 mai et le 2 juin 2020.

TA Amiens, ord. réf., 16 mai 2020, Ligue des droits de l’Homme, n° 2001452, C
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Accès aux plages et aux activités nautiques

Saisi en urgence, le tribunal administratif de la Martinique statuant en référé a refusé d’ordonner la réouverture des plages et de prononcer la levée de l’interdiction de la navigation de plaisance et des activités nautiques en Martinique, décidée par arrêté préfectoral du 11 mai 2020.

TA de la Martinique, ord. réf., 18 mai 2019, Baz’notik et M. B, n° 2000236, C
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Modalité d'accueil dans les écoles maternelles

Le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a donné jusqu’au 3 juin 2020 à la commune de Bobigny pour définir les modalités d’accueil dans les grandes sections de ses écoles maternelles.

TA Montreuil, ord. réf., 20 mai 2020, Mme Aline C., n° 2004683, D
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Mesures de quarantaine

Saisi par un couple de résidents ayant été mis en quarantaine dès leur arrivée sur le territoire dans un lieu d’hébergement adapté par sans avoir de possibilité d’effectuer la quarantaine à leur domicile, le juge des référés a enjoint aux autorités de la Polynésie française d’organiser le transfert des requérant à leur domicile afin qu’ils y poursuivent leur quarantaine, sous la surveillance des autorités sanitaires compétentes.

TA de Polynésie française, ord. réf., 15 mai 2020, M. Mme L., n° 2000310, C
Lire l'ordonnance >Lire le communiqué de presse >

Droits de la défense et état d'urgence sanitaire

Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse juge que l’exercice des droits de la défense au sein d’un établissement pénitentiaire ne saurait être subordonné à l’obligation, pour un avocat, d’attester sur l’honneur qu’il ne présente pas l’un des symptômes du covid-19 et qu’il n’a pas été en contact avec une personne symptomatique.

TA de Toulouse, 29 avril 2020, Mme X., n° 2001989, C
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Avis

Lettre rectificative au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (ECOX2013990L), conseil des ministres du 17 juin 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (INTD2010325L), conseil des ministres du 17 juin 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire (PRMX2013758L), conseil des ministres du 10 juin 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (SSAX2011914L) et projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie (SSAX2011921L), conseil des ministres du 27 mai 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi portant annulation du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris, et des conseillers de la métropole de Lyon de 2020, organisation d’un nouveau scrutin dans les communes concernées, fonctionnement transitoire des établissements publics de coopération intercommunale et report des élections consulaires (INTA2012112L), conseil des ministres du 27 mai 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi organique portant report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles (INTA2012115L), conseil des ministres du 27 mai 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (PRMX2009367L), conseil des ministres du 7 mai 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (PRMX2010645L), conseil des ministres du 2 mai 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (PRMX2007883L), conseil des ministres du 18 mars 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (JUSX2007921L), conseil des ministres du 18 mars 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-1335 du 11 décembre 2019 portant dispositions relatives à l’outre-mer du code de la défense et l’ordonnance n° 2020-7 du 6 janvier 2020 relative à la prise en compte des besoins de la défense nationale en matière de participation et de consultation du public, d'accès à l'information et d'urbanisme (ARMD2003385L), conseil des ministres du 26 février 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (ECOM1935457L), conseil des ministres du 12 février 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ECOX1935404L), conseil des ministres du 5 février 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (JUSX1933222L), conseil des ministres du 29 janvier 2020 >> Lire l'avis
Projet de loi organique relatif au système universel de retraite (SSAX1936435L) et projet de loi instituant un système universel de retraite (SSAX1936438L), conseil des ministres du 24 janvier 2020 >> Lire l'avis

 




Colloques

L'Évaluation des politiques publiques : résultats et mise en œuvre   

La 4e et dernière conférence du cycle évaluation des politiques publiques, thème de l’étude annuelle en cours, s’est tenue le 17 juin 2020. Consacrée aux résultats et à la mise en œuvre de l’évaluation, elle a été organisée pour la première fois en direct et en vidéo. Pour évoquer l’usage qui est fait des résultats des évaluations, ont été réunies des personnalités particulièrement qualifiées, aux expériences, aux responsabilités et aux parcours très divers. Anne Revillard, professeure de sociologie et nouvelle responsable du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, est intervenue notamment, sur la problématique de l'appropriation des évaluations par les milieux de la recherche et de la réception de leurs résultats par les commanditaires et par le grand public. Dominique Seux, journaliste économique et éditorialiste au quotidien Les Echos, a évoqué le rôle des médias dans la diffusion des résultats des évaluations pour alimenter le débat public, et leur éventuelle contribution à l'émergence et à la consolidation d'une culture de l'évaluation dans le pays. Enrico Letta, ancien président du Conseil des ministres italien et doyen de l'école des affaires internationales de Sciences Po, s'est exprimé à partir de son expérience de responsable politique et de sa mission dans le domaine de la formation des futurs acteurs de la vie internationale. Il s'est attaché notamment à replacer la problématique de l'évaluation dans le cadre de l'Europe.

Cette conférence a également été l’occasion de parler de l’évaluation des politiques publiques dans le contexte actuel marqué par la pandémie de Covid-19. Jean Gaeremynck, président de la section des finances du Conseil d’État, a animé cette conférence. Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, a prononcé le discours de clôture du cycle.

Cette conférence a fait l’objet de 3 929 connexions entre 17h30 et 20h et a donc rencontré un large public. Elle est toujours visible sur le site du Conseil d’État. L’Étude Annuelle sur l’évaluation des politiques publiques sera rendue publique le 3 septembre prochain. Elle fera l’objet d’une journée de valorisation organisée avec Acteurs Publics le 12 octobre 2020. >




La vie de la JA

Chiffres clés

Chiffres clés des activités consultative et contentieuse du Conseil d’État pendant la crise sanitaire
Du 12 mars au 21 juin 2020, 256 projets de textes législatifs et réglementaires ont été examinés. 232 sont en lien avec la crise sanitaire dont :

  • 31 projets de lois ;

  • 1 projet de loi du Pays ;

  • 69 projets d’ordonnances ;

  • 115 projets de décrets réglementaires.

L’an dernier à la même période, le Conseil d’État avait examiné un total de 206 projets de textes législatifs et réglementaires.

Concernant l’activité contentieuse, au 25 juin 2020, le Conseil d’État a enregistré un total de 382 requêtes touchant à des mesures covid parmi lesquelles 230 ont été adressées au juge des référés en premier ressort ou en appel. L’an dernier à la même période, le Conseil d’État avait enregistré 141 requêtes.

Parmi ces référés, on distingue :

  • 162 référés injonction dont 32 prononcés en appel d’un tribunal administratif – 91 sur la même période en 2019 – et 130 en premier ressort – 15 sur la même période en 2019 ;

  • 3 demandes en référé mesures utiles – 1 seule a été prononcée l’an dernier sur la même période ;

  • 65 demandes en référé suspension, contre 34 sur la même période en 2019.




La JA à l'international

Synthèse de droit comparé

La crise sanitaire en cours a eu pour effet, à l’échelle mondiale, mais plus particulièrement chez nos voisins les plus proches, la mise en place de mesures de confinement qui sont progressivement assouplies en fonction de l’évolution de la situation.

Dans ces pays, comme en France, les juges ont été saisis de nombreux contentieux liés à ces mesures. Les quelques exemples suivants permettent d’illustrer la proximité des questions qui se sont posées devant ces juridictions et le juge administratif français.

Ainsi, en Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale s’est prononcée sur la limitation de la liberté de culte du fait de l’interdiction des rassemblements au sein des communautés religieuses. Elle a estimé qu’il n’était pas possible de prévoir une interdiction générale sans possibilité d’autorisation exceptionnelle des rassemblements, après évaluation des circonstances particulières1.

En Espagne, le Tribunal suprême a notamment été saisi de la question de la fourniture de matériels de protection appropriés aux personnels soignants. La juridiction, tenant compte de l’ensemble de la situation, a refusé de faire droit à cette demande mais a enjoint au ministère de la Santé de prendre toutes les mesures à sa portée pour assurer la meilleure distribution possible de ces moyens de protection2.

En Italie, le Conseil d’Etat a rendu un avis favorable à l’annulation par le Gouvernement d’un arrêté municipal restreignant les possibilités de se rendre en Sicile. Le Conseil d’Etat a considéré qu’en présence d'urgences nationales, tout en respectant les autonomies protégées par la Constitution, il devait y avoir une gestion uniforme de la crise pour éviter que les interventions régionales ou locales ne viennent entraver la stratégie globale de gestion des urgences, en particulier dans les cas de limitation des libertés constitutionnelles3.

Au Royaume-Uni, la section administrative de la Haute cour britannique a été saisie de la question de la protection des personnes placées en rétention administrative. La Cour a constaté que les mesures mises en place au sein des centres de rétention permettaient de réduire le nombre de personnes placées en rétention et imposaient la mise à l’isolement de toute personne présentant des symptômes du Covid-19 ainsi que la distribution de masque. Elle a jugé que cela permettait de limiter les risques de contamination à grande échelle au sein des centres de rétention4.

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1 Cour Constitutionnelle fédérale allemande, décision du 29 avril 2020, n° 1 BvQ 44/20

2 Tribunal suprême, chambre du contentieux administratif, décision n° 91/2020 du 20 avril 2020

3 Conseil d’Etat, avis n. 735 du 7 avril 2020

4 Haute cour du Royaume-Uni, Detention Action v Secretary of State for the Home Department, [2020] EWHC 732, 22 avril 2020

Regards croisés - Le Conseil d'Etat belge pendant la crise sanitaire

3 questions à Roger Stevens, premier président du Conseil d'État belge

1. Comment le Conseil d'Etat de Belgique a-t-il adapté ses procédures à la crise sanitaire ?

Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, le Gouvernement fédéral a pris des mesures urgentes et exceptionnelles. Il encourage ainsi le recours au télétravail. Cette mesure a impliqué pour le Conseil d’État – bien qu’il s’agisse d’un service essentiel – une réorganisation temporaire de ses services, afin de réduire le plus possible les contacts physiques et les déplacements, tant des usagers de ses deux sections que de ses propres collaborateurs.

1. Depuis le 16 mars dernier et jusqu’à nouvel ordre, les audiences de la section du contentieux administratif sont limitées au strict nécessaire. Les audiences qui étaient initialement fixées entre le 16 mars et début mai 2020 ont été annulées.
Dans un premier temps, le Conseil d’État a concentré ses efforts sur le traitement des affaires introduites en extrême urgence. Le greffe a mis en place un service minimum et seules les affaires expressément introduites en extrême urgence ont été enrôlées.

Le greffe redémarre actuellement le traitement d’autres affaires que celles introduites en extrême urgence.

2. Soucieuse d’assurer au mieux ses missions malgré le contexte actuel difficile, la section du contentieux administratif a pris différentes initiatives en interne afin de permettre, notamment, le prononcé des arrêts dans des affaires qui étaient déjà passées à l’audience et qui étaient délibérées ou sur le point de l’être.

3. Au Moniteur belge du 22 avril 2020 (2e éd.), a été publié l’arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 ‘concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite’. Cet arrêté royal est entré en vigueur le 9 avril 2020. Il permet à la section du contentieux administratif de traiter plus d’affaires.

Cet AR contient les mesures suivantes :

  • Les délais pour l'introduction et le traitement des procédures devant la section du contentieux administratif, qui expirent pendant la période s’étendant du 9 avril 2020 au 3 mai 2020 inclus (date ultime que le Roi peut encore adapter), sont automatiquement prolongés de trente jours à l'issue de cette période (article 1er).

  • Demandes de suspension d’extrême urgence : ces affaires sont traitées au moyen d’une procédure écrite (article 2) ou, exceptionnellement, au moyen d’une vidéo-conférence/audience via Skype (voir le commentaire de l’article 2 dans le rapport au Roi).

  • Toutes les autres demandes et tous les autres recours (autres que les extrêmes urgents) peuvent être traités sans audience publique, si toutes les parties en font la demande ou marquent leur accord (article 3). Il va de soi que cette disposition ne concerne que les affaires pour lesquelles toutes les pièces de procédure ont déjà été échangées et qui sont prêtes à être fixées à l'audience.

  • Le Conseil d'État examine également de quelle façon le greffe pourrait, aussi rapidement que possible et dans le respect des mesures prescrites par le gouvernement dans le cadre de la crise du coronavirus, procéder dans d'autres affaires à des notifications et significations qui permettraient de mener encore plus d'affaires à leur terme.

  • Dans les cas mentionnés ci-dessus où la procédure écrite est d’application, les parties peuvent envoyer leurs actes de procédure à l’adresse e-mail urgent@raadvst-consetat.be ou à toute autre adresse e-mail qui leur serait communiquée par la chambre compétente (article 4).

  • Le Conseil d'État peut, en outre, envoyer toutes les notifications et communications par la voie électronique, sauf en ce qui concerne les particuliers qui ne peuvent pas utiliser internet (article 5).

4. Au Moniteur belge du 4 mai 2020 (4e éd.), a été publié l’arrêté royal du 4 mai 2020 ‘prorogeant certaines mesures prises par l'arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d'Etat et la procédure écrite’. Cet arrêté royal a prolongé la période visée aux articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêté royal n° 12 jusqu'au 18 mai 2020 inclus.

L’arrêté royal du 4 mai 2020 n’a pas prévu une telle prolongation de la période « corona » – visée à l’article 1er de l’AR n° 12 – pour les délais liés à l’introduction et au traitement des procédures devant la section du contentieux administratif.

5. Au Moniteur belge du 18 mai 2020 (2e éd.), est publié l’arrêté royal du 18 mai 2020 ‘prorogeant certaines mesures prises par l'arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d'Etat et la procédure écrite’. Cet arrêté royal entre en vigueur le 19 mai 2020. Il prolonge la période visée aux articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêté royal n° 12 jusqu'au 30 juin inclus.

6. Il a toutefois été décidé de fixer un nombre minimum d’audiences à partir du 8 juin prochain. Dès lors que l’organisation de ces audiences se fera bien entendu dans le respect le plus strict des règles de sécurité et d’hygiène, notamment en termes de distanciation sociale, le nombre des affaires fixées est limité. Les parties ou leurs avocats seront informés, lors de la convocation à l’audience, des mesures à respecter en matière d’hygiène.

Le Conseil d'État s’efforce, dans ces circonstances exceptionnelles, de continuer à accomplir ses missions de la manière la plus optimale qui soit.

Les différentes mesures adoptées ont déjà permis de prononcer 246 arrêts et 15 ordonnances en procédure de cassation.

2. Le Conseil d'Etat de Belgique dispose comme son homologue français de compétences consultatives. Les a-t-il exercées pendant la crise ?

La section de législation du Conseil d’Etat de Belgique a, en effet, poursuivi son activité consultative durant la période dite “corona”.

Le fonctionnement de la section de législation a été adapté à la situation. Les mesures concrètes qui ont été prises à cet égard ont été communiquées aux autorités susceptibles d’introduire des demandes d’avis. Il est notamment prévu que les demandes d’avis peuvent être introduites par e-mail.

Les membres de la section de législation ont également dû modifier leurs méthodes de travail. Ici aussi, le télétravail est devenu la norme : tant les magistrats et greffiers que le personnel administratif travaillent exclusivement à domicile. Les délibérés se font soit par échange d’e-mails soit par vidéo-conférence.

La section de législation est actuellement fort sollicitée dans le cadre de l’adoption, par les différents niveaux de pouvoirs, de mesures visant à lutter contre le coronavirus.

Entre le 16 mars et le 20 mai 2020, elle a été saisie de 351 demandes d’avis. Sur ce total, 145 demandes d'avis ont été introduites avec un délai de “5 jours” ouvrables pour rendre l’avis, ce qui représente plus de 41% des demandes d'avis. Durant la même période, environ 130 demandes d’avis étaient directement liées aux mesures prises dans le cadre de la lutte contre le coronavirus au sens large.

3. A-t-il été saisi de requêtes dirigées contre des mesures réglementaires et individuelles prises à l'occasion de la crise ? Quel a été le sens des jugements qu'il a rendus ?

Oui.
- Par l'arrêt n° 247.452 (http://www.raadvanstate.be/?page=news&lang=fr&newsitem=588) du 27 avril 2020, le Conseil d'État a rejeté la demande de suspension en extrême urgence déposée le 21 avril 2020 par la NVAndreas Stihl et autres. Il a estimé qu'il n'y avait pas eu de violation du principe d'égalité de traitement. En effet, il n'a pas été établi que la distinction faite par la partie adverse afin d'ouvrir uniquement les magasins de bricolage ayant une gamme générale qui vendent principalement des matériaux/outils de construction et les jardineries qui vendent principalement des plantes et des arbres, et donc pas le commerce spécialisé, serait déraisonnable. En prenant cette décision, la partie adverse a tenu compte de plusieurs éléments, comme le montrent le préambule de la décision et le dossier administratif, à savoir qu'un assouplissement de l'interdiction des déplacements non essentiels - destiné à favoriser l'acceptation sociale de l'obligation de "rester chez soi" - ne peut être que "très progressif" et "par étapes".

La critique des requérants selon laquelle les catégories d'exemption utilisées, en particulier les "magasins de bricolage avec une gamme générale vendant principalement des outils de construction et/ou des matériaux de construction" et les "jardineries et pépinières vendant principalement des plantes et/ou des arbres", ne sont pas claires et conduisent à une insécurité juridique n'est pas fondée. Après avoir établi que les exceptions doivent être interprétées de manière restrictive, le Conseil d'État estime qu'il n’est pas prouvé qu'un commerçant spécialisé ne pourrait pas raisonnablement évaluer concrètement si son commerce appartient ou non à l'une des catégories mentionnées. Le fait qu'une confusion ait pu survenir le premier jour de l'ouverture n'enlève rien à ce fait. Une simple référence aux médias ne suffit pas pour en déduire que des problèmes importants sont apparus dans l'interprétation et l'application du droit en la matière par les autorités de contrôle.

- Par un arrêt n° 247.472 (http://www.raadvanstate.be/Arrets/247000/400/247472.pdf#xml=http://www.raadvanstate.be/apps/dtsearch/getpdf.asp?DocId=37340&Index=c%3a%5csoftware%5cdtsearch%5cindex%5carrets%5ffr%5c&HitCount=2&hits=1e+1f+&05471520202911) du 29 avril 2020, le Conseil d’Etat a rejeté une demande de suspension d’extrême urgence dirigée contre une disposition de l’arrêté royal du 9 avril 2020 n° 3 ‘portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19’, estimant que la condition de recevabilité de la demande de suspension d’extrême urgence tenant à la diligence requise dans le chef de la partie requérante n’était pas remplie.
- Le Conseil d’État a rendu un arrêt n° 247.585 le 19 mai 2020 sur un recours dirigé contre "l’article 2 de l’arrêté royal n° 2 du 9 avril 2020 “concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux” ou, à titre subsidiaire, de l’article 2 de l’arrêté royal du 28 avril 2020 prolongeant certaines mesures prises par l’arrêté royal n° 2 du 9 avril 2020 “concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux”. C'est un arrêt de rejet. La procédure d'extrême urgence a été entièrement écrite, en ce compris l'avis de l'auditeur donné "habituellement" de manière orale.

- Par un arrêt n° 247.620 (http://www.raadvanstate.be/?page=news&lang=fr&newsitem=594), le Conseil d’Etat a rejeté un recours dirigé contre l’interdiction de se rendre dans sa seconde résidence. Ce rejet est toutefois dû au fait que l’acte attaqué a été retiré en cours d’instance, l’interdiction ayant été entre-temps levée.

- Par un arrêt n° 247.674 (http://www.raadvanstate.be/?page=news&lang=fr&newsitem=595), le Conseil d’Etat a rejeté un recours dirigé contre l'arrêté ministériel interdisant les activités des cérémonies religieuses. Il a estimé que la condition de suspension requérant l'existence d'une extrême urgence n'a pas été remplie. Concernant plus spécifiquement le préjudice subi par les croyants, qui n'ont aucune perspective quant à la question de savoir quand ils pourront vivre effectivement leur foi, le Conseil d'État a renvoyé à l'engagement exprès de la partie adverse assurant que le Conseil national de sécurité belge examinera le 3 juin 2020 dans quelle mesure et à quelles conditions des cérémonies religieuses pourront à nouveau avoir lieu.

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Au-delà de ces arrêts, d’autres recours ont été introduits et sont actuellement encore pendants. Ils sont notamment dirigés contre :

  • l'arrêté royal du 17 mars 2020 interdisant la mise à disposition, la mise en service et l'utilisation des tests rapides de mesure ou de détection des anticorps liés au virus SARS-CoV-2;

  • la décision d’attribution d’un marché public relatif à la fourniture de masques buccaux réutilisables en étoffe;

  • l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19;

  • les arrêtés ministériels des 3 avril, 17 avril, 30 avril, 8 mai, 15 mai et 20 mai 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19;

L’arrêté ministériel du 15 mai 2020 précité fait l’objet de plusieurs recours ayant trait notamment à l’interdiction de rouvrir les bureaux de paris et de jeux de hasard.