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CONTENTIEUX
Principe de sécurité juridique et délai de recours
Le Conseil d’État consacre l’existence d’un délai de recours raisonnable pour contester la légalité d’une décision administrative.
CE Ass., 13 juillet 2016, M. A. B., n° 387763, A
Le Conseil d’État était saisi par M. A. B. ancien brigadier de police, d’un litige relatif à l’arrêté, pris le 24 juin 1991 lui concédant une pension de retraite. Il estimait en effet que cette décision était illégale car elle ne lui accordait pas le bénéfice de la bonification pour enfants. M. A. B. avait toutefois saisi le tribunal administratif plus de 22 ans après la notification de son arrêté, soit bien au-delà du délai de deux mois prévu par le code de justice administrative.
Toutefois, ce délai de deux mois ne peut être opposé que si la notification comporte les voies et délais de recours, ce qui n’était pas le cas en l’espèce : la notification qui avait été faite en 1991 précisait bien les délais de recours, mais avait omis de préciser quelle juridiction était compétente.
S’appuyant sur le principe de sécurité juridique qu’il avait reconnu dans sa décision KPMG (CE Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et a., n°288540, A), le Conseil d’État juge que ce principe implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps. Ainsi, ce principe fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il a eu connaissance de manière certaine.
Le Conseil D’État estime donc que, bien que les délais prévus par le code de justice administrative ne puissent être opposés en l’absence de preuve que les voies et délais de recours ont été notifiés, un recours juridictionnel ne peut être exercé par le destinataire de la décision au-delà d'un délai raisonnable.
Le Conseil d’État estime que ce délai est, en règle générale et sauf circonstances particulières, d’un an à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi que l’intéressé en a eu connaissance.
Régularisation d’une décision administrative
Le Conseil d’Etat consacre la faculté de l’administration de régulariser une décision d’octroi d’une subvention entachée d’un vice de forme ou de procédure.
CE Sect., 1er juillet 2016, Commune d’Emerainville et syndicat d’agglomération nouvelle de Marne-la-Vallée-Val-Maubuée, n°s 363047 363134, A
La commune d’Emerainville est membre, avec cinq autres communes, du syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) de Marne-la-Vallée-Val-Maubuée. Elle avait demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler, notamment, des délibérations de 2006 et 2007 par lesquelles ce syndicat d’agglomération nouvelle avait attribué des subventions à diverses associations. Le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel de Paris, avaient partiellement fait droit à ces demandes d’annulation, pour des motifs tenant à l’incompétence du syndicat ou à une irrégularité de forme.
Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation, a dû trancher la question de la possibilité de régulariser les délibérations octroyant des subventions illégales à raison d’un vice de forme ou de procédure. En l’espèce, les notes explicatives de synthèse, qui doivent obligatoirement être transmises aux membres de l’organe délibérant du SAN, ne comportaient pas toutes les indications leur permettant de disposer d’une information complète.
Le Conseil D’État juge alors que lorsque, après avoir pris une décision attribuant une subvention à une association, l'administration constate que sa décision est entachée d'une irrégularité de forme ou de procédure, elle dispose de la faculté de régulariser le versement de cette subvention.
Il en tire ensuite les conséquences sur l’office du juge de l’injonction : l’annulation par le juge d’une décision d’octroi d’une subvention à raison d’un vice de forme ou de procédure n’implique pas nécessairement la restitution de la subvention. L'administration peut ainsi, pour des motifs de sécurité juridique, régulariser le versement de la subvention annulée. La juridiction doit alors subordonner la restitution de la somme réclamée à l'absence d'adoption par l'administration, dans le délai déterminé par sa décision, d'une nouvelle décision attribuant la subventio
PUBLICATIONS
Collection « Droits et Débats » : nouvelles publications
Trois nouveaux ouvrages viennent de paraître dans la collection « Droits et débats » qui retrace l’activité des colloques et des conférences du Conseil d’État.
Le premier livre intitulé La France dans la transformation numérique : quelle protection des droits fondamentaux ? rassemble les actes du colloque organisé le 6 février 2015. Ce colloque prolonge les analyses de l’étude annuelle 2014 du Conseil d’État, Le numérique et les droits fondamentaux, pour mettre en débat les mesures proposées au service de l’intérêt général et d’une meilleure protection des droits individuels. La première table ronde aborde la question du statut des données personnelles face au droit de propriété et au principe nouveau d’autodétermination informationnelle. La deuxième table ronde questionne le concept de plateformes au regard du droit de la concurrence et de la consommation, et de l’exigence de loyauté. La troisième table ronde aborde le thème de la territorialité du droit face à l’effacement des frontières consubstantiel au développement de l’Internet. Des exemples concrets (utilisation des moteurs de recherche, données personnelles, réseaux sociaux, sites de partage de contenus) permettent de mesurer la portée des idées débattues et des solutions avancées pour affronter, dans le temps, les enjeux de la transformation numérique de nos sociétés.
Le deuxième ouvrage a pour titre La fiscalité sectorielle. Il est issu du colloque organisé le 5 juin 2015. L’actualité de la fiscalité sectorielle est abondante et les questions juridiques qu’elle pose sont souvent délicates : fondements et objectifs, respect du principe d’égalité, adaptation à l’évolution des normes, conformité avec le droit européen. L’ouvrage présente toutes ces questions, ainsi que celles concernant l’intervention publique sur les tarifs en tant qu’alternative ou interférence avec l’approche fiscale. La première table ronde traite du choix de l’outil fiscal, qui ne sert pas seulement à influer sur les comportements (fiscalité incitative) ou à procurer des recettes au budget de l’État (fiscalité de rendement). Il propose une typologie des fiscalités sectorielles. Les deuxième et troisième tables rondes analysent les quatre secteurs d’activité qui mobilisent le plus cet outil fiscal, du fait notamment de leurs poids dans l’économie française : le transport, l’énergie, la finance et la santé. Enfin, la quatrième table ronde dresse un bilan coûts/avantages de la fiscalité sectorielle, en s’interrogeant sur les conditions de son efficacité, notamment quant à son impact sur l’usager et son incidence sur la compétitivité économique de la France.
Le troisième ouvrage intitulé L’ordre juridique national en prise avec le droit européen et international : questions de souveraineté ? rassemble les actes du colloque organisé, le 10 avril 2015, par le Conseil d’État et la Cour de cassation, qui ont souhaité porter un regard croisé sur la manière d’aborder, aujourd’hui, le droit européen et les questions de droit international public. L’ouvrage met en lumière les conflits de souveraineté entre l’ordre juridique national et les normes européennes et internationales. Il analyse notamment la place prise par chacune des deux cours suprêmes françaises dans l’édification d’un « ordre juridique international » ; ainsi que les solutions apportées pour résoudre ou dépasser les situations de tension juridique entre la norme européenne et internationale et la norme interne. La première table ronde interroge la place et le rôle des deux cours nationales dans un contexte de mondialisation du droit et de l’économie, où les normes d’origine non nationales font irruption dans les ordres juridiques internes. La deuxième table ronde présente les problématiques récentes de l’application et de la force juridique de la norme internationale. La troisième table ronde traite du rôle des juridictions dans la détermination des sujets de droit international et de leurs attributs. Elle aborde la question du statut international de l’Union européenne et la place à accorder aux immunités de juridiction et d’exécution.
BRÈVES
La déconcentration de la procédure de demande d’éclaircissement devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel : premier bilan
Créée par le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963, la procédure d’éclaircissement était initialement réservée aux ministres, qui pouvaient demander à la commission du rapport des éclaircissements sur les modalités d’exécution des décisions rendues par le Conseil D’État. Progressivement, ces demandes ont pu concerner également les décisions rendues par les autres juridictions administratives et être présentées par toute « autorité intéressée ».
Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative, le président de chaque juridiction administrative doit éclairer l’administration, à la demande de celle-ci, sur les modalités d’exécution du jugement ou de l’arrêt qu’elle a rendu. Le président de la juridiction peut toutefois, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, renvoyer la demande à la section du rapport et des études du Conseil d’Etat. Le Conseil d’État ne demeure compétent que pour éclairer les autorités administratives sur les modalités d’exécution de ses propres décisions et des décisions des juridictions administratives spéciales.
Cette réforme a eu pour objet de parachever la « déconcentration » du contentieux de l’exécution, puisque les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel ont été dotés dès 1995 de pouvoirs d’injonction et d’astreinte pour assurer, à la demande des requérants, l’exécution de leurs jugements et arrêts. Il en était également attendu une augmentation du nombre de demandes d’éclaircissement posées par les autorités déconcentrées de L’État et les collectivités territoriales, susceptible de prévenir certains contentieux.
Un an après l’entrée en vigueur du décret, un bilan provisoire peut être dressé sur la base d’une enquête menée par le biais du « réseau de l’exécution » interne à la juridiction administrative.
Trois constats principaux semblent se dégager :
- une nette augmentation des demandes d’éclaircissement (19 demandes au cours des douze derniers mois ; en comparaison, le nombre total des demandes s’élevait à 5 en 2014 et à 2 en 2013). 70 % de ces demandes concernent l’exécution de jugements, 25 % celle d’arrêts et 5% celle des décisions du Conseil D’État.
- les autorités déconcentrées de L’État sont à l’origine d’une part significative de ces demandes (37 % des demandes au cours des douze derniers mois émanent des préfets), même si la majorité d’entre elles (53%) continue d’émaner des collectivités territoriales et des établissements publics. Les administrations semblent donc avoir accueilli favorablement le transfert de compétences vers les tribunaux et les cours.
- un élargissement des contentieux concernés. Le contentieux des étrangers a ainsi représenté 26% des demandes d’éclaircissement au cours des douze derniers mois, ce qui est inédit
Ainsi, globalement, la réforme de 2015 paraît avoir donné un nouveau souffle à la procédure des demandes d’éclaircissement. Cette première évaluation de la réforme sera suivie d’une réflexion sur la question de la communicabilité à l’ensemble des parties de la réponse donnée à l’administration, certaines juridictions s’étant déjà engagées dans cette voie.
Annonce du sujet de la prochaine étude annuelle
Le Conseil d’Etat a choisi de faire porter son étude annuelle 2017 sur le phénomène usuellement qualifié d’ « uberisation » de la société. Les services innovants proposés (ou qui le seront bientôt…) par les plateformes numériques génèrent des transformations fulgurantes de secteurs économiques de plus en plus nombreux : désintermédiation des échanges entre consommateurs et producteurs, transfert massif des centres de profit vers les plateformes, évolution de la relation au travail des prestataires de service… Ces bouleversements, qui sont le fruit d’une révolution technologique, comme peut-être le reflet d’évolutions sociétales et culturelles, traduisent l’émergence d’un nouveau modèle économique potentiellement pourvoyeur de croissance et d’emplois. Mais ils troublent également, dans le même temps, de nombreux équilibres sur lesquels notre société s'est construite depuis de nombreuses années. Comment la puissance publique peut-elle mesurer et anticiper ces bouleversements ? Comment peut-elle accompagner l’émergence de cette nouvelle économie, voire adopter certaines des évolutions dont elle est pourvoyeuse, en ce qu’elles ont de positif ? Comment peut-elle la réguler pour en contrer ou limiter les effets négatifs, voire destructeurs ? C’est à ces questions, notamment, que l’étude s’efforcera d’apporter des éléments de réponse.
(pour toute suggestion, s'adresser à Timothée Paris, rapporteur général adjoint de la SRE)
INTERNATIONAL
À l’ère du pluralisme juridique, les droits des citoyens au cœur du dialogue des juges
La progression de l’intégration européenne, qui innerve des pans de plus en plus larges des législations nationales, confronte les États membres à un enchevêtrement de normes d’origines diverses, dont la mise en œuvre varie selon les pratiques et les interprétations de chacun.
Face à ce constat, la nécessité du dialogue des juges appelle à des formes innovantes de coopération. C’est dans ce but qu’a été créée en 1998 l’ACA-Europe, qui réunit les juridictions administratives suprêmes de chaque État membre ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne en leur proposant un cadre d’échanges réguliers.
L’un des outils développés par l’association est la diffusion, à tous les États membres, de questionnaires élaborés par des groupes de pilotage composés de représentants de plusieurs juridictions suprêmes. Leur exploitation mène à la publication d’études transversales, disponibles sur le site de l’ACA-Europe [http://www.aca-europe.eu/index.php/fr/], dont les résultats sont exposés lors de séminaires dédiés ou en assemblée générale.
Les thèmes récents reflètent la préoccupation centrale des juridictions suprêmes européennes : chaque citoyen doit bénéficier de façon équivalente des garanties consacrées par l’Union européenne, que ce soit en matière d’accès à la justice [« Accès aux juridictions administratives suprêmes et à leurs décisions » http://www.aca-europe.eu/images/media_kit/aca_surveys/Analyse-transversale.pdf] ou de sécurité juridique [questionnaire « Uniformisation de la jurisprudence administrative » en cours d’élaboration].
Récemment, l’association a conduit une large réflexion sur la protection des données personnelles à l'aune de l'ouverture des données publiques, à travers deux études : « Les cours administratives suprêmes et l’évolution du droit à la publicité, à la vie privée et à l’information » [http://www.aca-europe.eu/index.php/fr/seminaires/472-seminaire-du-18-mai-2015-a-brno] ; « Communiquer ou protéger ? Cours administratives : naviguer entre Scylla (droit d’accès) et Charybde (protection de la vie privée) » [http://www.aca-europe.eu/index.php/fr/colloques-fr].
Un autre intérêt de cette approche comparative est de faire connaître les spécificités nationales diverses dans l’application de principes juridiques communs, tels celui de confiance légitime, objet du questionnaire préalable au séminaire d’avril 2016 à Vilnius [http://www.aca-europe.eu/index.php/fr/seminaires]. C’est donc un dialogue favorisant l’écoute et le respect des différentes cultures juridiques qui se développe dans l’intérêt des citoyens.
Semaine juridique de la Banque Mondiale
La semaine juridique de la Banque mondiale, qui réunit plus d’un millier de professionnels du développement – fonctionnaires internationaux comme ONG, a pour objet de sensibiliser les participants aux aspects juridiques des problématiques de développement. Cette conférence, qui se tient chaque année à Washington aux Etats-Unis, propose pendant quatre jours un large choix de séminaires d’une heure et demi sur des thématiques diverses telles que les sanctions des banques multilatérales de développement, la notion d’immunité dans les organisations internationales ou encore les développements du microcrédit. Ces séminaires sont organisés par des institutions partenaires de la Banque mondiale qui peuvent être des juridictions, des cabinets d’avocats, des universités ou encore de think tanks.
Cette année et dans le sillage de la COP21 et des accords de Paris, la semaine juridique s’est donnée pour thématique générale les rapports entre droit, développement et changement climatique. Le Conseil d’État, partenaire historique de la Banque mondiale, y organise un séminaire consacré à la participation du public dans la prise de décision en matière environnementale. L’objectif de cette session est d’identifier, à travers des études de cas en France, en Argentine et en Suède, les outils juridiques les plus adaptés pour permettre une telle participation ainsi que les bonnes pratiques accompagnant la mise en place de ces outils. Trois interventions sont prévues : celle de Yann Aguila, membre du Conseil D’État honoraire et auteur du rapport « Renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement – Devoirs des Etats, droits des individus » pour le Club des juristes, celle de Jonas Ebbesson, professeur de droit de l’environnement à l’université de Stockhlom et président du Comité d'examen du respect des dispositions de la Convention d'Aarhus et celle de Leila Devia, professeure de droit de l’environnement à l’université Austral en Argentine. Après un état des lieux de la législation existante dans leur pays respectif et une illustration par la présentation de l’étude de cas, les intervenants seront invités à établir des comparaisons sur le sujet, le stade et le degré de consultation du public dans la prise de décision en matière environnementale.