Y a-t-il trop de droits fondamentaux ?

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Conférence prononcée par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État lors de la Rentrée solennelle de la Faculté de droit de Montpellier, le 18 septembre 2012

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Y a-t-il trop de droits fondamentaux ?

Rentrée solennelle de la Faculté de droit de Montpellier

Montpellier, le 18 septembre 2012

Conférence prononcée par Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat

 

Madame le doyen,

Monsieur le recteur,

Messieurs les présidents des Universités de Montpellier I et II,

Mesdames et Messieurs les membres du Parlement et les représentants des autorités civiles, judiciaires et militaires,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi avant tout, Madame le Doyen, de vous remercier d’avoir bien voulu me convier à la rentrée solennelle de votre faculté et des propos bienveillants que vous avez tenus à mon endroit. En votre personne, je félicite la Faculté de droit de Montpellier pour ses nombreux succès et pour ses initiatives qui poursuivent la grande tradition juridique de cette ville et l’inscrivent résolument dans l’avenir. Permettez-moi également de remercier plus particulièrement le professeur Frédéric Sudre, à l’initiative de cette invitation. Le sujet de la conférence ayant été laissé à ma discrétion, j’ai choisi de le formuler sous forme de question – ce qu’en général les étudiants préfèrent, car cela évite, comme vous le savez, de concevoir soi-même une problématique.

Y a-t-il trop de droits fondamentaux ?

Cette question, qui recèle déjà en soi plus d’une once de provocation, tient dans les murs de cette faculté de la bravade. D’abord, parce que je prends ainsi le risque d’une joute, verbale bien entendu, avec les enseignants-chercheurs spécialistes de ce domaine et l’on sait qu’ils sont nombreux au sein de cette faculté. Ensuite parce que, d’un point de vue historique, la ville de Montpellier manifeste un attachement particulier aux droits et libertés. La Grande Charte de la ville, présentée en 1204 à la suite du mariage entre Marie de Montpellier et Pierre II d’Aragon, a ainsi posé « les coutumes et libertés de la ville de Montpellier ». Ce texte, que je dois avouer n’avoir découvert qu’en préparant cette conférence, est, sous certains aspects, étonnamment moderne. Je ne parle  pas ici de la disposition selon laquelle les personnes prises en flagrant délit d’adultère « sont condamnées à courir nues par la ville, avec leur complice, la femme devant, et à être fouettées ». Ce mode de punition de l’adultère, qui existait au Moyen-âge dans beaucoup de localités, donne au texte une couleur sans doute pittoresque, mais n’apporte rien aux droits et aux libertés. En revanche, on y trouve, dès 1204 donc, des dispositions relatives à ce que l’on nommerait aujourd’hui la liberté individuelle, la liberté du commerce et de l’industrie ou encore le droit du procès équitable[2]. C’est ainsi avec une extrême précaution que je consens à traiter, ici plus qu’ailleurs, du sujet des droits fondamentaux qui, de surcroît, n’ont souvent été acquis, génération après génération, qu’au prix de hautes luttes.

Je prendrai deux autres précautions avant d’entrer dans le vif du sujet.

D’abord, s’exprimer sur les droits fondamentaux comporte un risque terminologique. La « floraison de la fondamentalité », pour reprendre une expression du professeur Burgorgue-Larsen[3], a conduit à ce que les termes de « libertés publiques » ou de « droits de l’homme », qui recouvrent des réalités proches sans être identiques, cèdent souvent le pas devant celui de « droits fondamentaux ». Il n’est pas dans mon propos d’aujourd’hui d’élucider les termes de ce débat, qui outre qu’il implique diverses écoles de pensée, pose encore de réels problèmes théoriques[4]. Contentons-nous de constater que l’adjectif fondamental fleurit ou forcit, selon la métaphore choisie, notamment au niveau européen et constitutionnel.

Ensuite, en matière de droits fondamentaux, il est difficile de penser la dimension juridique en dehors d’une perspective axiologique ; à propos du droit international des droits de l’homme, le professeur Sudre n’hésite d’ailleurs pas à qualifier ce droit de « droit idéologique »[5]. Les droits fondamentaux expriment en effet un ensemble de valeurs et constituent des sortes de métaconcept qui sont attachés à l’homme, à son être même. Cette perspective nous vient du droit naturel : ces lois ne peuvent être pensées comme hétéronomes, mais bien plutôt comme la droite raison de ce que sont l’homme et la nature humaine[6]. N’est homme que celui qui est digne et libre, affirme Antigone à Créon qui refuse d’inhumer son frère. Et elle préfère encourir la mort plutôt que de renoncer à ce qui fait son humanité. André Malraux, s’exprimant en 1946 à la Sorbonne, transformait, sous l’ombre si récemment portée du mal absolu, cette affirmation en question : « Il y a eu sur le monde une souffrance d’une telle nature qu’elle demeure en face de nous, non seulement avec son caractère dramatique, mais encore avec son caractère métaphysique ; et que l’homme est aujourd’hui contraint à répondre non seulement de ce qu’il a voulu faire, non seulement sur ce qu’il voudra faire, mais encore de ce qu’il croit qu’il est » [7]. Les droits fondamentaux expriment un peu de cette nature de l’homme ; ils sont ce que l’homme « croit qu’il est » et, par conséquent, ce qu’il convient de protéger (la liberté, la dignité…) pour qu’il reste homme. Ainsi pensés, les droits fondamentaux s’inscrivent comme l’assise même de nos sociétés, en tant que principes essentiels qui fondent la civilisation. Si la doctrine du droit naturel a perdu de son éclat, ils se sont inscrits comme des éléments structurants de nos Etats de droit et ils sont garantis par des juges de mieux en mieux armés pour les faire respecter.

Mais la dynamique de protection des droits fondamentaux s’est aussi construite, durant le dernier demi-siècle, sur la multiplication des déclarations de droits et sur la pluralité des ordres juridiques et des juges. Cette situation peut certes faire naître des interrogations, voire nourrir un certain scepticisme, sur la stabilité et la cohérence de la garantie des droits. Toujours plus de droits fondamentaux, au contenu et au champ d’application proches mais pas nécessairement identiques, affirmés et protégés dans des systèmes juridiques distincts mais imbriqués, conduisent-ils à une meilleure protection des titulaires de ces droits ?

Il existe une dynamique des droits fondamentaux, qui se traduit par leur essor et leur meilleure garantie, qui est une chance pour nos Etats de droit (I). Cette dynamique ne doit toutefois pas cacher les résistances, contradictions et oppositions qui déstabilisent ces droits et en affaiblissent la portée (II). Les moyens de résolution des conflits liés au pluralisme des systèmes juridiques existent cependant et doivent permettre de relever les défis encore à venir (III).

 

I. L’essor des droits fondamentaux, qui s’accompagne d’une pluralité des juges chargés de les garantir, a favorisé le dynamisme de leur protection.

1. L’essor des droits fondamentaux constitue l’un des phénomènes les plus visibles de la révolution humaniste entamée par nos sociétés à l’ère moderne. Il existe bien entendu dès avant le XVIIIème siècle des déclarations de droits : parmi les plus anciennes, celle du roi de Perse Cyrus II, consécutif à la prise de Babylone en 539 avant Jésus-Christ ; parmi les plus fameuses, la Magna Carta de 1215, arrachée par les barons anglais au roi Jean Sans Terre. Pourtant, c’est à partir de l’Habeas Corpus et du Bill of Rights de 1679 et 1689 et, plus encore, des déclarations d’indépendance des colonies britanniques d’Amérique du Nord à compter de 1776 que se multiplient les déclarations de droits avec, en droit français, le point d’orgue, longtemps sous-estimé ou méconnu, que constitue la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen votée par l’Assemblée constituante le 27 août 1789. Ces premières déclarations, procédant d’inspirations diverses mais convergentes (droit naturel, libéralisme anglais, philosophie des Lumières…) poursuivent un but de conciliation entre l’exercice du pouvoir politique et le respect des droits et libertés des personnes. Pour ce faire, elles constatent des droits plus qu’elles ne les créent, ce qui est dans la logique du droit naturel. Ces premières déclarations, répliques de la raison à des régimes oppresseurs, étaient, sont et resteront éminentes, tant symboliquement qu’en droit positif. Elles ont été l’acte fondateur d’une nouvelle société. Désormais inscrites au frontispice des Constitutions des Etats qui les ont proclamées, elles demeurent la boussole d’une humanité aspirant, dans les tâtonnements, au respect de ses droits inaliénables.

A ces premiers instruments, d’autres se sont ajoutés ; les droits et les libertés, ainsi que leur protection, ont été affinés. Les sources constitutionnelles des droits fondamentaux se sont développées. La Constitution du 4 octobre 1958 donne ainsi une place particulière à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l’environnement de 2004. Le législateur a aussi œuvré à la protection des libertés publiques. Au cours de la IIIème République, de grandes lois ont fixé le régime des principales libertés (liberté de réunion, liberté de la presse, liberté syndicale ou encore liberté d’association…[8]), qui constituent aujourd’hui le principal corpus des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, intégrés au bloc de constitutionnalité[9].

Mais l’évolution la plus remarquable réside dans le développement des sources internationales des droits fondamentaux. Celui-ci a débuté après-guerre avec l’adoption, dans le cadre des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme le 10 décembre 1948, et s’est poursuivi avec, par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ou encore la convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989. C’est toutefois le système de protection de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui illustre le mieux la montée en puissance d’une protection supranationale des droits fondamentaux. Soixante années ont en effet suffi pour installer la convention, qu’on ne peut dissocier de son juge, la Cour européenne des droits de l’homme, comme le système de référence pour la protection des droits fondamentaux.

Outre la diversification des sources des droits fondamentaux, leur contenu a également évolué. Les libertés et les droits d’abord consacrés, civils et politiques, ont été progressivement complétés par des droits économiques et sociaux. Plus récemment, d’autres droits fondamentaux s’affirment en lien avec des préoccupations contemporaines : protection de l’environnement ou développement des technologies de l’information et de la communication, par exemple. Aux libertés de la première génération de ces droits, supposant que la puissance publique n’intervienne pas pour les entraver, se sont ainsi ajoutés des droits supposant une intervention active de l’Etat, des droits dits créances. Aujourd’hui, l’éventail des droits fondamentaux garantis par un texte normatif est donc très vaste.

Comme le disait toutefois mon illustre prédécesseur René Cassin, « une démocratie ne mérite son nom que si les droits de l’homme bénéficient […] d’une protection effectivement sanctionnée, grâce au contrôle d’une juridiction »[10]. Il ne serait en effet que de peu d’utilité d’énoncer des droits fondamentaux, si ceux-ci n’étaient pas effectivement garantis. Certains régimes autoritaires disposent ainsi de chartes de droits ; ils n’en demeurent pas moins des régimes qui bafouent les droits fondamentaux.

2. Plusieurs acteurs œuvrent à cette garantie. Le constituant et, particulièrement sous la 5ème République, le législateur, sont chargés de définir les libertés publiques et le régime qui leur est applicable. C’est le sens de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». L’administration participe, bien entendu, aussi à la protection des droits fondamentaux. Elle a parfois eu mauvaise presse. Un auteur aussi éminent que Marcel Waline soulignait ainsi que le préfet est moins préoccupé de défense des libertés que d’ordre public, parce que, disait-il, « le désordre, c’est ce que le préfet appelle dans son langage une histoire, et qu’il ne veut pas d’histoires »[11]. Cette affirmation a sans doute perdu de sa pertinence : je peux témoigner, au regard de mon expérience préfectorale, plus récente d’un demi-siècle que les propos de Marcel Waline, du fait que la violation d’une liberté publique constitue aussi une histoire dont les préfets ne veulent pas plus que le désordre. Des acteurs non nationaux sont également impliqués dans la protection des droits fondamentaux, comme la Commission européenne, voire le Conseil de l’Union européenne ou le Parlement européen.

La place particulière des juges dans la garantie des droits doit toutefois être soulignée. Mon propos ne peut certes tendre à faire un bilan de l’apport des différents juges à la protection des droits de l’homme – ces comptes sont fort bien tenus par d’éminents spécialistes. Je soulignerai simplement, et brièvement, les évolutions successives de la place des différents juges dans la protection des droits fondamentaux.

Les juges judiciaire et administratif ont très tôt contribué à la protection des droits fondamentaux. Le juge administratif, particulièrement, intervient de manière étendue et efficace[12], alors même que, comme le souligne le président Stirn, « ni la place du juge administratif, ni l’efficacité de ses procédures » n’allaient, en la matière, de soi[13]. Le professeur Rivero, dans son cours de libertés publiques donné à la Faculté de droit de Paris, soulignait toutefois qu’il « en est du juge comme de la loi : ce n’est pas son titre qui suffit à garantir la valeur libérale de son intervention »[14]. Les juges judiciaire et administratif sont particulièrement jaloux, à juste titre, de leur indépendance et de leur impartialité, garanties par la Constitution, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la force de la coutume. A cet égard, leur légitimité a été renforcée par les réponses apportées à certaines questions, comme l’articulation des fonctions consultatives et juridictionnelles au sein du Conseil d’Etat. Et elle n’est pas remise en cause, malgré des questionnements aussi pertinents que récurrents, comme celui qui procède de la relation du parquet à l’autorité politique, au regard de l’étendue de ses pouvoirs.

  Ce duo – le juge administratif et le juge judiciaire - a été, dans le dernier demi-siècle, élargi pour faire place à un quintet. Tout d’abord, dès la fin de la seconde guerre mondiale, la création de cours constitutionnelles – au Japon en 1947, en Italie en 1948 et en Allemagne en 1949 – a été envisagée comme l’un des moyens d’empêcher le retour à des régimes autoritaires ou totalitaires, niant la dignité de la personne humaine. Ces cours, qui ont essaimé un peu partout en Europe, surtout après l’effondrement du système soviétique en 1989, ont progressivement érigé le contrôle de constitutionnalité en garantie essentielle des libertés. Il en est allé de même en France depuis la décision Liberté d’association du 16 juillet 1971[15] qui a au sens littéral « découvert » l’ancrage constitutionnel de notre Déclaration des droits de l’Homme et en a tiré toutes les conséquences. Les juridictions européennes ont aussi progressivement acquis droit de cité et conquis leur place jusqu’à constituer aujourd’hui des acteurs primordiaux de la garantie des droits, qu’il s’agisse de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne.

3. La multiplication des sources des droits fondamentaux comme la multiplication des juges pose toutefois question. Vaut-il mieux, pour assurer la protection de ces droits, un juge souverain mais corseté, en dépit de sa créativité jurisprudentielle, par l’assujettissement aux normes internes, un juge en quelque sorte « assigné à résidence » sur le territoire du droit national, ou un juge confronté à une pluralité de normes, permettant un dialogue réel et fécond entre leurs interprètes ? Poser la question ainsi, c’est déjà y répondre. C’est souligner l’existence d’une dynamique, voire d’une dialectique des droits fondamentaux, résultant des influences croisées des jurisprudences, du surgissement, parfois de manière presque synchronisée, de principes protecteurs reflétant un même état de la conscience sociale en Europe.

Le droit des étrangers constitue à cet égard un exemple éclairant. Faisant traditionnellement preuve d’une grande réserve dans son contrôle, le juge administratif s’est engagé, à partir du milieu des années 1970, dans un contrôle limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, par exemple sur les motifs d’ordre public conduisant à l’expulsion d’un étranger[16]. Il s’est ensuite engagé dans la voie d’un entier contrôle des motifs des décisions prises à l’égard des étrangers, en vérifiant par exemple, pour donner son plein effet aux stipulations de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, la proportionnalité entre l’atteinte portée par des mesures de police à la vie familiale de l’étranger et les intérêts publics motivant ces mesures[17]. Cette jurisprudence a été prolongée, sans répondre à une exigence européenne, par la généralisation du contrôle normal en matière de police des étrangers[18].

Bien d’autres domaines peuvent être mentionnés, dans lesquels un dialogue constructif a permis au juge administratif de faire évoluer son approche de la protection des droits fondamentaux : renforcement du contrôle des mesures prises à l’égard des détenus ; prise en compte des exigences découlant de la protection des biens au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme ou encore vigilance accrue dans le contrôle exercé sur les mesures relatives aux traitements nominatifs de données. Mais le juge administratif n’est pas le seul à avoir évolué. Le juge de l’Union, par exemple, a progressivement étoffé l’arsenal des droits fondamentaux à sa disposition en recourant aux principes généraux du droit de l’Union, bien avant l’adoption de la Charte des droits fondamentaux. Celle-ci prévoit en outre, en ses articles 52 et 53, un niveau de protection minimum de ces droits au regard des instruments déjà existants et la possibilité pour le droit de l’Union d’accorder une protection plus étendue.

Si le fond du droit a évolué, les règles de procédure et la définition de l’office du juge ont également été influencées par le droit européen et, plus largement, par la confrontation de nos pratiques avec celles d’autres Etats. Le standard du procès équitable, qui concerne notamment l’indépendance et l’impartialité du juge, mais aussi l’accès à la justice, le délai raisonnable ou l’exécution des décisions juridictionnelles a ainsi fait évoluer notre organisation juridictionnelle, nos règles de procédure et notre jurisprudence. Parmi les sources des réformes telles que celle de l’injonction et de l’astreinte pour assurer l’exécution des décisions de justice, par la loi du 8 février 1995, ou des procédures d’urgence, par la loi du 30 juin 2000[19], le droit européen a joué un rôle non négligeable.

Le dynamisme de la protection des droits fondamentaux se nourrit donc d’un dialogue entre les juges chargés de la protection de ces droits. Leurs influences sont certes directes, lorsque la position d’une juridiction contrevient fondamentalement à l’interprétation donnée par d’autres cours, en particulier européennes. Mais ces influences existent aussi de manière indirecte, la diffusion des principes et des valeurs se faisant alors par capillarité entre les différents niveaux de protection. Un peu comme Zénon constate, dans L’Œuvre au Noir, que « peu à peu, comme un homme qui absorbe chaque jour une certaine nourriture finit par en être modifié dans sa substance […], des changements presque imperceptibles se faisaient en lui, fruit d’habitudes nouvellement acquises »[20], les juges nationaux, confrontés de manière quotidienne à des logiques, des modes de raisonnement, des sensibilités, en bref des logos différents, modifient peu à peu, pas à pas, leur jurisprudence pour l’enrichir et l’infléchir vers une plus grande garantie des droits fondamentaux. La multiplication des droits fondamentaux et des juges chargés de les garantir est donc, avant toute chose, une chance pour nos Etats de droit de nos démocraties.

Mais ces changements sont d’une ampleur telle qu’ils génèrent et s’accompagnent inévitablement de questions et de controverses, de résistances et de tensions, de contradictions et d’oppositions.

 

II. Résistances et tensions, contradictions et oppositions subsistent pourtant, qui affaiblissent la garantie des droits fondamentaux.

1. Les raisons des tensions et contradictions dans la sphère des droits fondamentaux sont principalement de deux ordres.

a. Elles tiennent tout d’abord à la nature même de ces droits. Comme cela a été souligné, ceux-ci ne sont pas en effet que des droits ; ils portent et incarnent des valeurs. Or, si les droits fondamentaux ne signifient pas partout la même chose, s’ils varient et sont culturellement contingents, leur articulation au sein de systèmes juridiques imbriqués ne peut en être que plus complexe, créant inévitablement des tensions.

Les faiblesses de la thèse de l’universalisme des droits sont connues. La belle idée d’une propagation et d’une réception unanime des droits fondamentaux de l’être humain dans toutes les cultures, surmontant les différences, est une manifestation de volonté ou une espérance fondée sur nos valeurs et notre conception de la personne humaine plus qu’une réalité en droit positif[21]. En outre, cette idée repose peut-être sur une vision anthropologique erronée, considérant les cultures « comme des touts homogènes, harmonieux, consensuels et essentiellement stables »[22]. A l’inverse, on mesure tout le danger qu’il y aurait à penser les droits fondamentaux comme culturellement contingents. Le relativisme en cette matière s’accorde en effet mal avec l’idée selon laquelle ces droits sont inhérents à la nature humaine. En outre, les spécificités d’une culture nationale ne devraient en aucun cas pouvoir justifier la limitation d’un certain nombre de ces droits, notamment le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des traitements dégradants ou encore le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. En ce sens, dans une perspective ontologique, le relativisme n’est pas une voie qui puisse être empruntée.

Faiblesses de l’universalisme et limites du relativisme[23] : pour sortir de la contradiction entre ces deux pôles antagonistes, une synthèse est nécessaire. A cette fin il faut, en premier lieu, s’appuyer sur le constat de la place prise par les droits de l’homme, devenus, pour reprendre une expression du philosophe américain Richard Rorty, « un fait du monde » (a fact of the world)[24], pour comprendre la portée du discours global sur les droits fondamentaux. En deuxième lieu, une approche axiologique ne peut manquer de nourrir la réflexion : les droits fondamentaux constituent un idéal précieux, guidant nombre de ceux qui luttent pour la liberté à travers le monde. Mais, troisième point, affirmer l’aspiration à l’universalité, ce ne peut conduire à ignorer les différences, car les droits de l’homme ne sont pas un « énoncé de vérité qu’on pourrait étendre à toutes les cultures du monde »[25]. La voie est donc étroite : elle revient à tendre à l’affirmation de valeurs communes, sans toutefois nier le substrat culturel et historique de ces valeurs. Pour opérer la synthèse nécessaire, sans doute faut-il délaisser des termes trop connotés et parler, non d’universalisme et de relativisme, mais de globalisation respectueuse de certaines différences. En d’autres termes, les droits fondamentaux ne sont pas tous affirmés au même endroit ni au même moment, ne sont pas nécessairement compris de la même façon selon le substrat culturel, juridique ou social et ne sont pas conciliés, ni limités de la même manière.

b. A ce premier facteur de tension s’ajoute un second. Le temps de la stabilité de systèmes juridiques clos et fonctionnant en autarcie est révolu ; l’ouverture, les interrelations, les influences directes ou indirectes, la perméabilité d’ordres juridiques interdépendants mais non hiérarchisés permettent seuls de décrire le monde juridique dans lequel nous vivons. Dans le champ du droit, nous sommes définitivement sortis des mondes stables repliés sur eux-mêmes, ceux des ordres juridiques nationaux coiffés par leurs juridictions suprêmes, pour entrer dans les espaces ouverts et interdépendants, les réseaux de la globalisation, ce qui est à peu près aussi stimulant, mais aussi inquiétant que les espaces infinis ou presque que découvraient, s’agissant de physique, philosophie et anthropologie, les humanistes de la Renaissance au contact de la philosophie grecque et cela, contre les enseignements de la philosophie thomiste. Si cette globalisation exerce une pression dans le sens de l’harmonisation d’un certain nombre de règles juridiques, constat qui vaut aussi pour les droits fondamentaux, elle s’accompagne nécessairement de résistances des droits nationaux.

Le Conseil d’Etat lui-même a parfois été critiqué par la doctrine pour l’accueil trop circonspect qu’il réservait à certaines solutions de droit européen. L’orientation de sa jurisprudence en la matière avait été, je crois, très bien exprimée par le président Labetoulle dans ses conclusions prononcées sur les décisions de section Debout (27 octobre 1978)[26] et d’assemblée Association Les Verts (23 novembre 1984)[27]. Dans ses conclusions sur cette dernière décision, le président Labetoulle précise : « Sans doute n’avons-nous jamais considéré que la solution adoptée sur un point donné par une autre juridiction souveraine fût par principe meilleure que celle que vous aviez vous-mêmes pu donner précédemment au même problème, ni que cette divergence fût pour vous une raison décisive de changer de position. Il reste cependant qu’il faut de bonnes raisons pour admettre de telles contradictions ». Les droits nationaux, selon le génie qui leur est propre, vont accueillir ces évolutions, mais également y poser des limites, voire parfois s’y opposer.

Il est vrai aussi que, parfois, les juridictions de l’ordre européen sont elles-mêmes critiquées pour pousser trop avant certaines positions, voire paraître sortir de leur office. A ainsi été critiqué[28] l’arrêt Mangold, par lequel la Cour de justice de l’Union européenne a consacré un principe de non-discrimination en fonction de l’âge, donnant par conséquent à cette norme un effet horizontal, alors même que la même norme, contenue dans la directive 2000/78 qui était au cœur du litige, n’avait qu’un effet vertical. La Cour, on le sait, a confirmé sa position dans l’arrêt Kücükdeveci [29], qui s’est référé, non seulement aux fondements contenus dans sa décision Mangold, mais aussi à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il ne s’agit pas ici bien entendu de critiquer telle ou telle solution adoptée par une juridiction nationale, réputée trop frileuse, ou une juridiction européenne, suspecte d’activisme. La matière des droits fondamentaux est toutefois propice à ce que s’y cristallisent des tensions ou résistances pouvant marquer les rapports entre des ordres juridiques complexes et incomplètement hiérarchisés. Il s’agit là, fort heureusement, de questions réduites en nombre, car l’articulation entre les ordres juridiques fait le plus souvent l’objet de réglages fins.

2. Les tensions et contradictions concernent tout d’abord la reconnaissance des droits fondamentaux, leur substance et leur conciliation avec d’autres droits et libertés. Une typologie en quatre points semble pouvoir être dressée.

a. Des droits peuvent ainsi faire l’objet d’une reconnaissance dans un ordre juridique ou dans un instrument, mais non dans un autre. Lorsque ces instruments sont juridiquement indépendants, de telles différences révèlent qu’ils s’enracinent dans des cultures substantiellement différentes : c’est le cas, par exemple, lorsque l’on compare les instruments régionaux de protection des droits de l’homme dans les pays arabes[30] et en Europe. Ainsi que le souligne le professeur Sudre à propos de la Charte arabe des droits de l’homme du 15 septembre 1994, la référence faite « "aux principes éternels définis par le droit musulman" et à la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam […] invite à une lecture singulière du texte »[31]. Mais de telles divergences entre les droits reconnus existent aussi dans des systèmes juridiques imbriqués. Un exemple éclairant concerne, dans l’espace européen, la question de la peine de mort. En deux étapes successives[32], celle-ci a été abolie dans l’ordre européen en toutes circonstances mais deux pays refusent toujours de s’y rallier, l’Azerbaïdjan et la Fédération de Russie. La question de la protection des minorités dans l’espace européen fournit un autre exemple de droits reconnus dans certains ordres juridiques, sans l’être dans d’autres[33]. La position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande en 1974 dans l’arrêt Solange I[34] , a également été dictée par la reconnaissance, à cette époque encore timide et presque balbutiante, des droits fondamentaux par la Cour de justice de l’Union européenne, au travers des principes généraux du droit de l’Union[35].

b. Deuxième cas de figure, il peut y avoir des contradictions frontales entre les ordres juridiques au regard du contenu des droits consacrés. L’incrimination des relations homosexuelles[36], l’obligation d’adhérer à un syndicat[37], la possibilité de pratiquer des écoutes téléphoniques hors de toute procédure judiciaire ou administrative comportant des garanties fixées par la loi[38] sont autant de législations qui entrent en collision avec des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans ces deux premiers cas de figure, les droits garantis au sein de l’espace européen tendent à s’homogénéiser parfois avec des heurts, mais de manière toutefois assez rapide. Mais deux autres cas doivent encore être signalés.

c. Dans le troisième cas de figure, les mêmes droits sont proclamés dans des ordres juridiques ou des instruments différents mais, pour autant, ne font pas l’objet de la même interprétation. Cette situation se produit en particulier lorsqu’il n’existe pas de consensus européen sur la question et que les Etats disposent d’une marge d’appréciation étendue. Tel est le cas, par exemple, en matière de laïcité et de respect des croyances religieuses. Si certains Etats, tels que la France ou la Turquie, ont développé en la matière une conception stricte en prohibant les signes religieux distinctifs à l’école ou à l’université, cela n’empêche pas d’autres Etats, comme l’Italie, de permettre que des crucifix soient fixés dans les salles de classe[39]. A cette situation se rattache celle où cohabitent des droits proches, mais pourtant différents. On sait par exemple que la conception française du principe d’égalité ne rejoint pas exactement la conception, promue notamment par la Cour de justice de l’Union européenne, du principe de non-discrimination. Des conceptions différentes, sans être antagonistes, sont ainsi véhiculées au sein d’ordres juridiques distincts.

d. Enfin, le dernier cas de figure concerne les différences dans la conciliation entre les droits fondamentaux. Il peut être illustré par les affaires Von Hannover, relatives à la conciliation entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression. Alors qu’en un premier temps, les juridictions nationales allemandes, y compris la Cour constitutionnelle fédérale, avaient privilégié la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une position différente en se référant au critère suivant : ce que les photos et articles incriminés apportent ou non à un débat d’intérêt général. Ultérieurement, les juridictions allemandes ont sanctionné, dans une autre affaire, la publication de photos, en suivant les jalons posés par la Cour de Strasbourg[40].

3. Outre les contradictions et tensions portant sur la substance des droits fondamentaux et leur articulation, il se produit également des résistances intimement liées à l’idée même de souveraineté des Etats. Sans chercher une approche exhaustive, je mettrai en lumière trois exemples.

a. Le premier illustre la volonté des Etats de ne pas se dépouiller de leur arsenal national de protection des droits au profit d’un ordre européen qui n’offrirait pas les mêmes garanties. C’est la position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande dans l’arrêt Solange I déjà cité, cette cour s’étant réservé le droit d’écarter une norme européenne contraire aux droits fondamentaux, aussi longtemps qu’une protection équivalente à celle offerte par la Loi fondamentale ne serait pas assurée en droit communautaire. La Cour avait inauguré par cette décision une position de vigilance vis-à-vis du droit de l’Union européenne, qui s’atténua avec les décisions postérieures sans toutefois complètement disparaître[41]. Cette idée se retrouve actuellement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, d’une manière que je qualifierai de plus euro-compatible, en ce que celui-ci ne contrôle la constitutionnalité des lois de transposition des directives que si ces lois sont susceptibles d’aller à l’encontre d’une « règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », et sauf à ce que le constituant y ait consenti[42].

b. C’est dire si la profusion des droits et de leurs juges pose la question de la compatibilité réciproque des systèmes de protection, en particulier entre l’ordre constitutionnel national et l’un ou l’autre des ordres juridiques européens. Les développements jurisprudentiels, bien connus, qui ont porté en France sur la compatibilité de la question prioritaire de constitutionnalité avec le droit de l’Union[43], soulignent également toutes les tensions – et même les risques de contradiction – que génère la problématique de l’articulation des systèmes juridiques en matière de droits fondamentaux.

c. Enfin, c’est jusqu’à la légitimité des ordres juridiques européens à prendre des décisions qui peut être mise en cause, lorsque le principe de la souveraineté nationale se trouve au centre du raisonnement des juges nationaux. Beaucoup de citoyens, de juristes et d’institutions, sans compter les marchés, ont retenu leur souffle jusqu’à ce que, le 12 septembre dernier, la Cour constitutionnelle fédérale qui avait admis avec des réserves croissantes le traité de Lisbonne, le Fonds européen de stabilité financière et les mécanismes de solidarité entre Etats de l’Union européenne, reconnaisse à tire provisoire une voie de compatibilité avec la Loi fondamentale du Mécanisme européen de stabilité et du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (« le traité budgétaire européen »). Etaient en cause la souveraineté nationale et, en particulier, la compétence irréductible du Parlement allemand – le Bundestag – pour engager les finances publiques du pays. Mais des contestations de nature politique peuvent aussi surgir. Le gouvernement britannique n’aurait ainsi pas dédaigné, lorsqu’il présidait le Comité des ministres du Conseil de l’Europe au cours du premier semestre de 2012, d’infléchir, par diverses réformes d’organisation et de procédure, l’activisme jugé par lui excessif de la Cour européenne des droits de l’homme sur un certain nombre de sujets relevant à ses yeux du droit national.

De telles critiques sont évidemment équivoques, en ce qu’elles mettent directement en cause la légitimité même d’un juge dont l’œuvre de promotion des droits de l’homme au niveau du continent européen n’est pas contestable[44].

Résistances et tensions, contradictions et oppositions accompagnent ainsi la diffusion toujours plus large des droits fondamentaux et la superposition des ordres juridiques. Ces difficultés restent cependant des « grains de sable » dans une horlogerie qui fonctionne malgré tout plutôt correctement et, de surcroît, des voies de résolution de ces conflits existent.

 

III. Les moyens de résolution des conflits liés au pluralisme des systèmes juridiques existent et permettront également de relever les défis encore à venir.

Pour que le pluralisme des systèmes juridiques reste un atout pour la garantie des droits, il ne doit pas ou, en tout cas, il doit le moins souvent possible dégénérer en désordre, voire en contradictions et donc en insécurité juridique. Pour résoudre ces conflits, des instruments juridiques existent (1), dont les juges doivent faire usage en ayant une conscience aigüe de la responsabilité qui est la leur dans la dynamique européenne des droits fondamentaux (2). Toutefois, de nombreux défis restent encore à relever à l’avenir (3).

1. Le dialogue que nouent les juges, en particulier en matière de droits fondamentaux, est à la fois direct et indirect, formel et informel. Le dialogue direct résulte du renvoi à un autre juge de questions de droit relevant de l’office de ce juge : c’est le cas de la question prioritaire de constitutionnalité en France, ou encore de la question préjudicielle qui peut être transmise par les juridictions nationales à la Cour de justice de l’Union européenne. Les juges nationaux peuvent également être amenés à prendre en compte les effets d’une décision définitive prise par les juges européens dans le même litige, auquel cas elle s’impose à eux, ou dans des litiges semblables, et il est alors conforme à l’exigence de coopération entre juges que cette décision ne soit pas méconnue par eux. Le Conseil d’Etat a en outre admis que s’imposait aussi à lui[45] l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne saisie à titre préjudiciel, lorsque ayant élargi d’office le champ de sa saisine, elle statuait ultra petita.

Mais il est également très courant que la jurisprudence européenne soit prise en compte de manière moins formelle : par exemple, le juge constitutionnel français[46] a intégré dans son raisonnement sur les droits d’une personne gardée à vue les conséquences des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme au sujet d’autres pays, sans toutefois que la France ait été complètement indemne de toute condamnation en cette matière, comme le montre l’arrêt Brusco c. France [47].

Il existe également entre juges appartenant à des ordres juridiques différents un dialogue informel et indirect, une écoute réciproque, un suivi minutieux de la jurisprudence, une anticipation des solutions, une attention particulière aux tendances qui traversent les solutions adoptées par les autres juridictions. Pour prendre un exemple récent, lorsque le Conseil d’Etat a examiné la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance du 2 mars 2012 et le projet de loi organique sur les lois de programmation des finances publiques qui met en œuvre ce traité, ont été prises en compte, non seulement la décision du Conseil constitutionnel du 9 août 2012, qui en vertu de l’article 62 de la Constitution s’imposait bien sûr à lui, mais également la question préjudicielle posée par la Cour suprême d’Irlande à la Cour de justice de l’Union européenne relative au Mécanisme européen de stabilité ainsi que la décision de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne du 12 septembre[48].

Au-delà des multiples formes de dialogue entre juges, certaines notions sont au cœur de l’articulation entre les systèmes juridiques. Est à cet égard particulièrement éclairant l’exemple des notions de « marge nationale d’appréciation » et de « consensus européen », qui soulignent la reconnaissance de la diversité des systèmes de droit, mais aussi la possibilité d’un droit commun. La marge nationale d’appréciation que retient la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’enracine dans la volonté de cette Cour de ne pas se substituer aux autorités nationales compétentes afin de respecter le caractère subsidiaire du mécanisme international de garantie collective. De manière plus positive, elle signifie aussi que ces autorités apparaissent dans certains cas mieux placées pour apprécier la manière dont il convient de répondre aux exigences de la convention, notamment lorsque sont en cause des conceptions morales ou culturelles ou des traditions propres à un Etat[49]. Cette marge est donc « l’expression jurisprudentielle du principe de subsidiarité » et elle « marque a priori le contrôle européen du sceau de la retenue judiciaire »[50]. A l’autre extrémité du spectre, se trouve la notion de « consensus européen », qui est une idée complémentaire nécessaire à la reconnaissance d’un droit commun mais pluraliste. Cette seconde notion, qui exprime une communauté de vues, et non une unanimité de pratiques au sein des Etats parties, permet d’interpréter et, le cas échéant, de faire évoluer la signification des normes de la Convention au travers de la jurisprudence de la Cour. Elle constitue un déterminant de la première notion, en ce que l’existence d’un consensus peut condamner celle d’une marge d’appréciation des Etats.

La Cour de justice de l’Union européenne se sert d’une idée proche, celle de « droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux Etats membres », pour dégager les principes généraux du droit de l’Union européenne.

D’autres instruments sont également pertinents pour assurer la cohérence entre les systèmes juridiques : la technique de l’« interprétation conforme »[51] ou l’utilisation de la notion de « protection équivalente »[52], tendent par exemple à se développer, car elles favorisent l’unité ou la cohérence dans l’interprétation des droits fondamentaux. Les instruments s’inscrivant dans une logique de conciliation et de mise en cohérence des normes relevant d’ordres juridiques différents sont donc nombreux et ils reposent pour l’essentiel entre les mains des juges : ce sont des instruments qui se mettent en œuvre au plan jurisprudentiel.

2. De là découle une responsabilité particulière pour l’ensemble des juges, qu’ils soient européens, constitutionnels ou juges nationaux de droit commun. Moins que jamais, les juges ne peuvent exercer leur mission de manière solitaire dans l’indifférence à ce qui se pense et se passe hors de leur prétoire. L’heure n’est plus pour eux à l’isolement, fût-il splendide. Car c’est dans l’ouverture attentive aux missions et aux solutions des autres juges qu’ils doivent se déterminer souverainement.

La responsabilité des juges repose sur un double devoir qui participe d’une exigence de bon usage de la subsidiarité. Le premier est la nécessité d’exercer pleinement les compétences qui leur sont reconnues. Le second, de ne pas outrepasser les limites de leurs compétences et de leur légitimité. Un tel équilibre est complexe et difficile à atteindre. Les discussions intenses, y compris par le jeu des opinions dissidentes, qui surgissent de l’utilisation par la Cour européenne des droits de l’homme du consensus européen dans la détermination de la marge nationale d’appréciation le confirment[53], le président Martens ayant évoqué les « désarrois du juge national face aux caprices du consensus européen »[54]. Il faut d’autant plus saluer les solutions qui permettent, notamment, la coexistence des ordres juridiques constitutionnel et européens –avec les arrêts Melki et Abdeli précités de la Cour de Luxembourg et la décision du Conseil d’Etat Arcelor- et des ordres juridiques de l’Union européenne et de la convention européenne des droits de l’homme – avec la décision du Conseil d’Etat Conseil national des barreaux[55] . Ces efforts ne pourront néanmoins empêcher que des juridictions ne soient critiquées pour leur activisme ou leur trop grande retenue dans leur quête de conciliation entre ordres juridiques.

Dans un monde de pluralisme juridique, il n’est donc de salut que dans le dialogue et la coopération. La responsabilité des juges implique qu’ils soient ouverts et à l’écoute, y compris des dissidences qui peuvent se manifester au sein de leur juridiction, car les dissidences d’aujourd’hui sont parfois les solutions de demain. La juridiction administrative offre des illustrations de cette analyse avec les conclusions des rapporteurs publics qui, sans être suivies dans l’immédiat, peuvent inspirer à terme des changements de jurisprudence. Les juges doivent également s’astreindre à ne pas s’écarter, sans nécessité avérée, sauf dans l’ordre européen, des solutions retenues par d’autres juridictions et à tenir compte de l’interprétation qu’elles ont donnée, même lorsque celle-ci n’est pas encore revêtue de l’autorité de la chose jugée. A l’inverse, les juges qui statuent en dernier ressort sur les atteintes aux droits fondamentaux qui résulteraient de l’interprétation donnée par les juridictions ordinaires, doivent également veiller à ne s’immiscer dans cette interprétation que dans les limites de leurs compétences légitimes. En d’autres termes, nul juge ne devrait plus s’affranchir, sans motif sérieux, des réponses données à des questions semblables par les juges appartenant aux mêmes réseaux qu’eux, ni ne saurait être indifférent aux solutions apportées par leurs pairs dans les autres Etats de l’Union.

3. Il est d’autant plus nécessaire que ce dialogue des juges soit le plus fluide possible et se déroule au mieux que de nombreux défis subsistent encore. Car en matière de droits fondamentaux, chaque pas en avant soulève de nouvelles interrogations. L’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales permettra d’approfondir les relations entre les deux ordres juridiques et de promouvoir une réelle convergence des solutions. Elle ne manquera toutefois pas de susciter de nouvelles questions, notamment en ce qui concerne l’articulation entre la convention et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’application de la Charte posera aussi des questions ardues : quelles conséquences tirer de la distinction entre droits et principes au sens de ce texte ? Les droits fondamentaux reconnus par la Charte pourront-ils avoir un effet horizontal, c’est-à-dire entre personnes privées ? Autant d’interrogations aussi complexes que passionnantes qui susciteront de nouveaux débats et de nouvelles controverses entre les acteurs des différents ordres juridiques.

Plus généralement, le caractère vivant des droits fondamentaux conduira à de nouvelles évolutions, car ils sont intimement liés aux transformations sociales. Le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Jean-Paul Costa, décrivait ainsi le 27 janvier 2011 un prétoire assailli de manière croissante par les «  questions de société et de bioéthique qui touchent à la vie, à la mort, à la famille  »[56]. Le développement d’internet, les questions environnementales, le progrès des sciences et techniques sont autant de champs qui provoqueront à coup sûr de nouvelles interrogations. Le dialogue et l’ouverture seront alors les garants véritables de la cohérence des solutions adoptées au niveau européen, et donc de droits fondamentaux renforcés.

 

 

On ne peut que revenir, en conclusion, au discours prononcé par André Malraux à la Sorbonne en 1946. Celui-ci débutait ainsi son propos : « A travers les dialogues qui se sont établis d’un bout à l’autre de l’Europe, passe, à l’heure actuelle, la question obsédante, permanente, qui se pose à l’Europe entière si fortement […] Le problème qui se pose pour nous, aujourd’hui, c’est de savoir si, sur cette vieille terre d’Europe, l’homme est mort » [57]. L’affirmation, dans toutes les démocraties d’Europe, de droits fondamentaux garantis par des juges, la protection octroyée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des droits fondamentaux, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, celle enfin de la Cour de justice de l’Union européenne, l’adoption de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : tout a concouru à affirmer l’humanité de l’homme, cette irréductibilité qui le fait homme, la liberté et la dignité sans lesquelles il n’est rien, l’égalité qui le situe parmi les autres hommes. Au regard de cet impératif ontologique, redisons-le, la question de savoir s’il y a trop de droits fondamentaux n’est que rhétorique. Du point de vue de la technique juridique et de l’articulation des systèmes de droit, quelques difficultés subsistent certes. Elles ne trouveront de solution qu’à « travers les dialogues qui se sont établis d’un bout à l’autre de l’Europe ». Elles ne doivent, en tout état de cause, pas faire oublier l’accomplissement remarquable que constituent, dans nos démocraties, l’avènement et la consécration, chaque jour plus grande, des droits fondamentaux.

[1] Texte écrit en collaboration avec Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2] L’article 22 de la Grande Charte traite de l’adultère. On retrouve dans l’article 19 des références à la liberté individuelle et à la liberté du commerce (« Il est permis à toute personne [de faire dans la ville de Montpellier] ses affaires et d’y exercer sa profession, quelle qu’elle soit, sans interdiction ». Les articles 1 à 4 de la Charte, notamment, traitent du caractère équitable et impartial de la décision administrative et du procès.

[3] L. Burgorgue-Larsen, « Les concepts de liberté publique et de droit fondamental », in J.-B. Auby, (dir.), L’influence du droit européen sur les catégories du droit public, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2010, p. 395.

[4] Sur ce point, voir notamment O. Beaud, « Remarques introductives sur l’absence d’une théorie des libertés publiques dans la doctrine publiciste », Jus Politicum, n°5, 2011 ; V. Champeil-Desplats, « Des ‘libertés publiques’ aux ‘droits fondamentaux’ : effets et enjeux d’un changement de dénomination », Jus Politicum, n°5, 2011.

[5] F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 10e éd., 2011, p. 38.

[6] Par-delà cette vision schématique et donc réductrice, voir M. Villey, « Abrégé du droit naturel classique », Archives de philosophie du droit, 1961, n°6, pp. 25-72.

[7] A. Malraux, « L’homme et la culture », conférence donnée à la Sorbonne le 4 novembre 1946 sous l’égide de l’Unesco, in A. Malraux, La politique et la culture, Folio Essais, 1996, p. 152.

[8] Respectivement loi du 30 juin 1881, loi du 29 juillet 1881, loi du 21 mars 1884 et loi du 1er juillet 1901.

[9] Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.

[10] R. Cassin, Préface in M. Letourneur, J. Méric, Conseil d’Etat et juridictions administratives, Armand Colin, 1955.

[11] M. Waline, L’individualisme et le droit, Domat, 1945, p. 382.

[12] J.-M. Sauvé, « Le juge administratif et la protection des droits et libertés fondamentaux », in Mélanges Serge Guinchard, Paris, Dalloz, 2010, p. 544.

[13] B. Stirn, Les libertés en questions, Paris, Montchrestien, Clefs, 7e éd., 2010.

[14] J. Rivero, Cours de libertés publiques, Paris, Les cours de droit, 1972, p. 137.

[15] Précité.

[16] CE, 3 février 1975, Ministre de l’intérieur c. Pardov, n°94108, Rec. p. 83.

[17] CE, 19 avril 1991, Mme Babas, Rec. p. 162 et CE, Ass., 19 avril 1991, Belgacem, Rec. p. 152.

[18] CE, sect., 17 octobre 2003, Bouhsane, Rec. p. 413.

[19] Loi n°95-125 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative et loi n°2000-597 relative au référé devant les juridictions administratives.

[20] M. Yourcenar, L’Œuvre au Noir, Folio, éd. 2011, p. 209.

[21] Il existe une prétention à l’universalisme : la Déclaration de 1948 s’affirme par exemple elle-même comme universelle dans son titre et Kofi Annan, lors du cinquantenaire de celle-ci, soulignait l’importance d’une « norme commune d’humanité pour l’ensemble de l’humanité » (discours prononcé lors de l’ouverture de la 54e session de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, le 16 mars 1998 à Genève). Pourtant, ne serait-ce que l’examen du processus de rédaction de l’article 1er de cette déclaration permet de faire apparaître les difficultés d’une approche universelle (voir l’analyse de M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, Paris, Seuil, 2004, p. 56-64). C’est en effet au terme d’un débat éthique et culturel, puisant profondément dans les racines de nos civilisations, qu’une position commune a pu être trouvée, faisant fi des particularismes pour s’accorder sur un dénominateur commun : l’universalisme apparaît ainsi plus comme une manifestation de volonté des rédacteurs, comme un rêve poursuivi que comme une réalité du droit positif.

[22] F. Hoffmann, J. Ringelheim, « Par delà l’universalisme et le relativisme. La Cour européenne des droits de l’homme et les dilemmes de la diversité culturelle », disponible sur http://www.dhdi.free.fr/recherches/droithomme/articles/ringelheimhoffman.htm, p. 3 ; Revue interdisciplinaire des études juridiques, 2004, n°52, p. 109.

[23] Voir par exemple M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, Seuil, 2004 ; D. Lochak, Le droit et les paradoxes de l’universalité, PUF, 2010.

[24] R. Rorty, cité par F. Hoffmann, J. Ringelheim, op. cit., p. 4.

[25] F. Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008, p. 186.

[26] « Vous disposez donc d’un pouvoir d’interprétation autonome et souverain, tout à fait comparable à celui qui vaut à l’égard des normes de droit interne, dans lesquelles d’ailleurs les stipulations de la convention s’incorporent. Il reste, cependant, que des considérations de convenance et de réalisme politique rendraient inopportune une opposition radicale entre votre interprétation, sur un point donné, de la Convention, et celle qu’aurait antérieurement dégagée la Cour. Il convient donc, croyons-nous, de manier ce pouvoir autonome d’interprétation avec précaution et avec le souci de concilier, dans la mesure du possible, deux préoccupations : d’une part éviter toute solution qui serait radicalement incompatible avec la jurisprudence de la Cour ; d’autre part éviter aussi toute solution qui sur un point marquerait une rupture avec le droit national antérieur » (n°07103, Rec. p. 395).

[27] CE, Ass., 23 novembre 1984, Association Les Verts Parti écologiste et autre, Rec. p. 382.

[28] Voir par exemple O. Dubos, « La Cour de justice, le renvoi préjudiciel, l’invocabilité des directives : de l’apostasie à l’hérésie ? », JCP G, 2006.II.10107, p. 1295 ou les conclusions de l’avocat général Mazák sous CJCE, 16 octobre 2007, Félix Palacios de la Villa, C-411/05.

[29] CJUE, 19 janvier 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07.

[30] Voir en particulier la nouvelle Charte arabe des droits fondamentaux, signée à Tunis en mai 2004 et entrée en vigueur le 15 mars 2008.

[31] F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 10e éd., 2011, p. 176.

[32] Par le protocole n°6 puis le protocole n°13.

[33] La convention européenne des sauvegardes des droits et des libertés fondamentales ne comporte ainsi aucune stipulation directe relative à la protection des minorités, contrairement à certains, mais non à tous, droits nationaux d’Etats parties. Le recours à d’autres droits et notions (respect du pluralisme politique et religieux, non-discrimination…) permet toutefois à la Cour d’assurer une protection indirecte du respect des droits de ces minorités, mais ce tour de passe-passe juridique n’est pas sans conséquence sur la substance même des décisions rendues. Voir F. Benoît-Rohmer, « La Cour européenne des droits de l’homme et la défense des droits des minorités nationales », RTDH, 2002, p. 564.

[34] BVefG, 29 mars 1974, p. 271.

[35] Voir en particulier CJCE, 12 novembre 1969, Stauder, aff. 29/69 ;  CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft aff. 11/70 ; CJCE, 14 mars 1974, Nold, aff. 4/73.

[36] CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c. Royaume-Uni ; CEDH, 26 octobre 1988, Norris c. Irlande.

[37] CEDH, 13 août 1981, James et Webster c. Royaume-Uni.

[38] CEDH, 23 novembre 1993, A. c. France.

[39] Voir en particulier CEDH, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie et CEDH, 18 mars 2011, Lautsi c. Italie.

[40] Voir CEDH, 24 juin 2004, Von Hannover et CEDH, 7 février 2012, Von Hannover.

[41] D. Hanf, « Vers une précision de la Europarechtsfreunlichkeit de la Loi fondamentale », Cahiers de droit européen, 2010, n°3, p. 515.

[42] Voir en particulier les décisions n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique et n°2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie.

[43] En particulier CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. jointes C-188/10 et C-189/10.

[44] Les exemples de son influence bénéfique sont nombreux : la Cour européenne des droits de l’homme a imposé l’égalité des droits pour les enfants adultérins, la dépénalisation de l’homosexualité, l’admission des femmes dans l’armée, l’abolition des châtiments corporels à l’école, l’encadrement des écoutes téléphoniques ou des perquisitions douanières ou fiscales. Cette dynamique n’a pas d’équivalent dans le monde. Sur tous ces points, voir F. Sudre, op. cit.

[45] CE, Ass., 11 décembre 2006, Société De Groot En Slot Allium B.V. et autre, n°234560.

[46] En particulier par sa décision n°2010-14/22 du 30 juillet 2010.

[47] En particulier CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c. Turquie, CEDH, 13 octobre 2009, Danayan c. Turquie, CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c. France.

[48] Respectivement CC, décision n°2012-653 DC ; question préjudicielle du 3 août 2012 relative à la décision du Conseil européen du 25 mars 2011 (2011/199/UE) ; BVefG, 12 septembre 2012.

[49] Notamment CEDH, 23 juillet 1968, affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » et CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaune-Uni. Voir également M. Delmas-Marty, M.-L. Izorche, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit. Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, 2000, n°4, p. 753.

[50] F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, op. cit., p. 228.

[51] M. Luciani, « L’interprétation conforme et le dialogue des juges », in Mélanges Bruno Genevois, Dalloz, 2009, p. 695. Voir aussi, notamment, les arrêts Melki et Abdeli (précités) de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette obligation peut également être explicitement inscrite en droit interne : la section 3 du Human Rights Act indique ainsi que les juges doivent essayer, autant qu’ils le peuvent et en tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, d’interpréter la loi en conformité avec les droits établis par la Convention (voir B. Stirn, D. Fairgrieve et M. Guyomar, Droits et libertés en France et au Royaume-Uni, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 246).

[52] F.-X. Millet, « Réflexions sur la notion de protection équivalente des droits fondamentaux », RFDA, 2012, p. 307. Voir aussi les arrêts décisions Solange I (29 mai 1974), Solange II (22 octobre 1986) et Solange III (7 juin 2000) de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Bosphorus de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, Gr.ch., 30 juin 2005, Bosphorus c. Irlande, n° 45036/98), ou Arcelor (CE, Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres, Lebon p. 55) et Conseil national des barreaux (CE, Ass., 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres, Rec. p. 129) du Conseil d’Etat.

[53] M. Levinet (dir.), Pluralisme et juges européens des droits de l’homme, Bruylant, 2010 ; L. Burgorgue-Larsen, « Le jeu ambigu du consensus européen dans la détermination de la marge nationale d’appréciation. La vision critique de Françoise Tulkens », The Strasbourg Observer, 6 septembre 2012.

[54] P. Martens, « Les désarrois du juge national face aux caprices du consensus européen », in CEDH, Dialogue entre les juges, Strasbourg, 2008, p. 52.

[55] Décisions précitées.

[56] Conférence de presse annuelle de la Cour européenne des droits de l’homme, Bilan de l’année 2010, perspectives de l’année 2011, 27 janvier 2011.

[57] A. Malraux, ibid., p. 151.