Visite du tribunal administratif de Montreuil

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé le 23 mai 2016

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Visite du tribunal administratif de Montreuil

Montreuil, lundi 23 mai 2016

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le secrétaire général de la préfecture de la Seine-Saint-Denis,

Monsieur le président du tribunal de grande instance de Bobigny,

Madame la procureure de la République près ce tribunal,

Monsieur le président de la chambre régionale des comptes,

Mesdames et Messieurs les directeurs,

Monsieur le bâtonnier, Mesdames et Messieurs les avocats,

Monsieur le Doyen de la Faculté  de droit de Villetaneuse

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les présidents des ordres professionnels et des compagnies d’experts et de commissaires-enquêteurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires,

Je suis heureux de rendre aujourd’hui visite pour la troisième fois - après l’inauguration de novembre 2009 et ma visite du 21 mai 2012 - aux magistrats et aux agents du tribunal administratif de Montreuil. Je me réjouis de rencontrer aussi leurs partenaires et interlocuteurs des administrations et des barreaux, dont je salue chaleureusement la présence.

Cette visite est pour moi l’occasion de voir concrètement comment fonctionnent nos juridictions, de comprendre ce que sont leurs problèmes et leurs attentes, mais aussi de réfléchir collectivement aux moyens de mieux atteindre leurs objectifs. Parce que la justice administrative est la gardienne de principes essentiels de notre pacte républicain, elle doit en effet s’interroger sans relâche, y compris en temps d’état d’urgence, sur les moyens de mieux exercer sa mission d’application de la loi, de protection des droits fondamentaux des personnes et, plus largement, de régulation du corps social. Elle ne peut assumer correctement le rôle qui lui est assigné que si elle répond à d’exigeants critères de qualité.

Cette rencontre me permet de rappeler publiquement quels sont aujourd’hui les « marqueurs » d’une justice de qualité (I) et quels sont les défis que nous avons aujourd’hui à relever (II) ?

I. Ces marqueurs, ce sont la célérité, l’accessibilité et la sécurité juridique.

A. La célérité offre aux justiciables la garantie que leur demande sera traitée dans un délai raisonnable.

1. Le temps de la justice, celui du débat contradictoire, de l’analyse distanciée du dossier et des éventuelles expertises ne peut se prolonger au risque de paralyser les initiatives privées ou publiques.

Il est dès lors impératif d’aiguiller le plus en amont possible chaque requête vers le « circuit juridictionnel » le mieux adapté à la nature, au degré d’urgence, aux enjeux sociaux et économiques et à la complexité des litiges soulevés. C’est pourquoi nous avons développé des procédures d’urgence en référé, instauré des formations à « juge unique » et recentré le rapporteur public sur son cœur de métier. Il y a, pour l’accueil de chaque justiciable, plusieurs portes d’entrée dans nos juridictions et, pour tout justiciable, la même exigence de rigueur et de sérieux dans le traitement de sa requête. A coup sûr, bien juger, ce n’est pas toujours juger dans l’urgence, mais c’est en tout cas garantir un « délai raisonnable » de procédure. Nous y sommes particulièrement attachés. En moyenne, devant les juridictions administratives, en première instance, en appel comme devant le Conseil d’Etat, le délai prévisible de jugement est en moyenne, à chacun des ces niveaux, inférieur à un an. En outre, nous traitons chaque année en quelques jours 15 500 référés urgents, dont 850 à 1 000 par an à Montreuil.

2. Le tribunal administratif de Montreuil contribue d’une manière remarquable aux résultats qui sont enregistrés au plan national.

Son délai prévisible moyen de jugement s’élevait en effet fin 2015 à 5 mois et 3 jours, soit une durée inférieure de plus de 5 mois à la moyenne des tribunaux administratifs métropolitains (10 mois et 12 jours). C’est aussi le cas du délai moyen constaté pour les affaires ordinaires – c’est-à-dire compte non tenu des procédures d’urgence et des ordonnances. Fin 2015, ce délai était à Montreuil de 11 mois et 2 jours en 2015, contre 1 an, 9 mois et 18 jours en moyenne métropolitaine. Dans ces conditions, l’ancienneté du « stock » des affaires pendantes est parfaitement maîtrisée. Les affaires enregistrées depuis plus de deux ans représentent moins de 1% de ce « stock », soit une quantité très minime (33 dossiers). Ces résultats montrent la résilience et les facultés de mobilisation du tribunal de Montreuil, qui parvient toujours, même en 2016 à juger plus d’affaires qu’il n’en reçoit. Je tiens par conséquent à saluer le travail accompli par l’ensemble des membres et agents du tribunal sous l’impulsion du président Couzinet à qui je veux rendre un hommage particulier quelques jours avant son départ à la retraite.

B. L’accessibilité est le deuxième de nos principes cardinaux. Elle est un gage de confiance dans notre relation avec les justiciables.

Elle implique que les parties puissent échanger rapidement, simplement et sûrement avec les juridictions. C’est ce que nous faisons avec l’application Télérecours. Depuis décembre 2013, toutes les juridictions métropolitaines offrent ce service d’échange des requêtes, des mémoires et des pièces par voie dématérialisée. L’année dernière, l’application a été introduite en juin dans les tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte, puis en décembre dans les tribunaux de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique. Elle le sera cette année dans les tribunaux du Pacifique. Grâce aux efforts déployés par les équipes de greffe, les administrations et les barreaux s’approprient de plus en plus cette application. A la fin du mois dernier, étaient enregistrées via Télérecours 73% des requêtes éligibles dans les tribunaux et 74% d’entre elles dans les cours. A Montreuil, ce taux s’élevait au niveau de 65% : des marges de progrès existent donc sur ce point.

C. Nous avons enfin un impérieux devoir de sécurité juridique, tel est notre troisième marqueur.

1. La première qualité d’une décision de justice réside dans sa prévisibilité. Ce qui implique, pour le juge, d’user de critères d’appréciation clairs, transparents et stables, de trancher les litiges d’une manière cohérente avec la jurisprudence établie et de ne s’engager qu’après mûre réflexion dans des revirements de position. Les décisions rendues par le juge administratif sont raisonnablement sûres, puisque, dans 96 % des cas, les litiges sont définitivement réglés selon la solution adoptée en premier ressort.

2. La qualité des décisions de justice se mesure aussi à leur capacité à s’inscrire dans le réel et à régler utilement les litiges.C’est pourquoi, depuis vingt ans, les pouvoirs du juge administratif ont été profondément renouvelés par la loi ou la jurisprudence. Le juge a les moyens de mieux répondre aux problèmes dont il est saisi, en usant de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte, en modulant les effets rétroactifs de ses décisions, en faisant adopter des mesures transitoires ou en veillant à ne pas porter inutilement atteinte à la stabilité des relations contractuelles ou aux espérances légitimes des citoyens et des acteurs économiques. Le juge doit en effet faire respecter la loi, mais en même temps régler de manière équilibrée et réaliste les problèmes portés devant lui.

II. Pour répondre aux exigences de qualité que j’ai rappelées, la juridiction administrative doit relever de nouveaux défis.

A. Le premier défi réside dans la prise en charge de la croissance du contentieux.

1. Il s’agit d’une tendance structurelle :depuis vingt ans, le nombre d’affaires nouvelles augmente en moyenne de 6% par an dans les tribunaux administratifs et de 10% dans les cours administratives d’appel. L’année dernière a représenté une accalmie, après les fortes hausses de 2014. Le nombre des entrées n’a augmenté en 2015 que de 2,5% dans les cours et il a augmenté de 1,5% dans les tribunaux, compte non  tenu de l’impact du contentieux des élections municipales de 2014.

2. Dans ce contexte, notre objectif prioritaire est de maîtriser nos délais de jugement- sans moyens supplémentaires et sans alourdir à l’excès la charge de travail des magistrats et des agents de greffe. Des propositions m’ont été faites en ce sens par le groupe de travail dirigé par la présidente de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives, Mme Odile Piérart. Nous travaillons à les mettre en œuvre concrètement, par la voie réglementaire ou dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIème siècle.

- En amont des procédures juridictionnelles, notre objectif est de développer le règlement préalable des litiges par des recours administratifs ou des médiations obligatoires et de réorienter les demandes pour lesquelles la saisine du juge ne présente pas de caractère utile, tout en absorbant des ressources qui seraient mieux employées ailleurs. Il faut par exemple s’interroger sur la pertinence des demandes d’injonction tendant à l’attribution d’un logement à des personnes reconnues prioritaires (le contentieux du « DALO-injonction »).

- Par ailleurs, nous devons être en capacité de répondre rapidement aux demandes dont l’issue est certaine et, à ce titre, nous voulons simplifier et renforcer les outils dont dispose le juge pour rejeter rapidement des requêtes manifestement mal fondées.

- En cours de procédure juridictionnelle, nous entendons promouvoir une instruction dynamique et individualisée des requêtes, notamment en développant les hypothèses de désistement d’office.

- Enfin, en amont comme au cours des procédures juridictionnelles, une place plus importante doit être faite aux modes alternatifs de règlement des litiges, grâce à l’intervention de médiateurs extérieurs ou en développant la conciliation des parties par le juge. Les règles de prescription et de recevabilité doivent être revues en conséquence.

L’ensemble de ces mesures doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale consistant à réguler la demande de justice et à y répondre avec pertinence et efficacité, dans un contexte budgétaire qui sera très contraint à l’avenir.

B. Notre second défi, c’est de renforcer notre accessibilité.

1. En premier lieu, nous avons à tirer pleinement profit de la dématérialisation de nos procédures. Après trois ans de montée en puissance, Télérecours est entrée dans une phase de consolidation. Nous devons encore faire deux choses : optimiser et généraliser son usage. Optimiser son emploi dans les juridictions : à cette fin, des orientations ont été fixées en décembre dernier par la secrétaire générale du Conseil d’État. Chaque chef de juridiction dispose désormais de principes directeurs et de références de bonnes pratiques pour rationaliser et harmoniser dans sa juridiction le fonctionnement de l’application. Nous devons aussi généraliser Télérecours en rendant son usage obligatoire pour l’ensemble des parties éligibles au début de l’année prochaine.

2. En second lieu, nous continuerons d’expérimenter, dans un périmètre adapté, de nouvelles manières de rédiger nos décisions de justice. Nous avons déjà rendu plus lisibles leurs visas et commencé à enrichir leurs motivations. Nous devons concentrer nos efforts sur la rédaction des motifs, afin de les améliorer et de les densifier en fait comme en droit. Sans renoncer à la rigueur de l’analyse juridique, il est possible de rédiger nos décisions dans un style plus simple et plus transparent. Le but de cette démarche est de mieux nous faire comprendre par les parties et le public, ainsi que par la communauté juridique. C’est aussi de contribuer au meilleur rayonnement de notre droit, qui souffre de modes de rédaction jugés trop laconiques. Des expérimentations sont conduites au Conseil d’État, mais aussi dans sept chambres expérimentatrices des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Elles se poursuivent cette année.

C. Notre troisième défi est de maintenir un haut niveau d’exigence déontologique.

Nous avons en 2011 mis au point une charte et créé un collège de déontologie, qui a pleinement répondu aux attentes et aux espoirs placés en lui. Ce collège a rendu 35 avis et recommandations[2] et apporté des éclairages utiles sur beaucoup de questions concrètes que se posaient des membres, comme des cadres, de la juridiction administrative. Ces avis sont en outre publics et accessibles sur notre site internet.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Nous clarifierons et actualiserons dans les meilleurs délais, selon les recommandations d’un groupe de travail que j’ai mis en place, les principes et les bonnes pratiques de notre charte. Nous nous attachons aussi à mettre en œuvre pratiquement les règles nouvelles contenues dans la loi du 20 avril dernier relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

 

J’ai évoqué les progrès, mais aussi les chantiers de la juridiction administrative. Ces chantiers de modernisation impliquent beaucoup d’efforts pour maintenir et renouveler le pacte de confiance noué entre les juridictions et nos concitoyens. Mais ces ambitions sont à notre portée. Elles pourront être atteintes grâce à la mobilisation résolue des femmes et des hommes qui composent notre ordre de juridiction, partout en France et, ici même, à Montreuil. Je remercie par conséquent les magistrats et les agents de greffe pour leur engagement passé et présent, tout en leur disant combien je compte sur eux pour relever les défis qui restent à surmonter.

[1] Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]Depuis 2012 : 2 recommandations (en 2012 et 2014), 10 avis en 2012, 8 en 2013, 9 en 2014 et 6 en 2015.