Douai
Douai, le 7 juin 2019,
Intervention de Bruno Lasserre[1], vice-président du Conseil d’État
Monsieur le président de la cour administrative d’appel de Douai,
Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les présidents et les magistrats,
Mesdames et Messieurs les professeurs et les avocats,
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,
Je suis très heureux d’être avec vous aujourd’hui pour célébrer le vingtième anniversaire de la cour administrative d’appel de Douai. Célébrer un anniversaire est un exercice plus délicat qu’il n’y paraît : car il s’agit à la fois de rendre hommage à ce qui a été fait tout en regardant vers l’avenir et ce qui reste à faire. C’est d’ailleurs bien ce que dit le titre du colloque d’aujourd’hui : « La cour a 20 ans, la cour dans 20 ans ». A cet égard, avoir 20 ans est bien plus une promesse qu’un exercice nostalgique. Car avoir 20 ans c’est beaucoup et pourtant si peu. Si peu car à l’aune de l’histoire de la juridiction administrative, 20 ans c’est résolument l’âge de la jeunesse, voire de l’enfance : le Conseil d’État célèbre cette année ses 220 ans ! C’est aussi relativement peu au regard de l’histoire des cours administratives d’appel elles-mêmes puisque les premières fêtent cette année leur trentième anniversaire. Mais 20 ans c’est aussi beaucoup : 20 ans c’est le temps de mûrir pour faire aboutir des réflexions plus riches, plus complètes et plus pertinentes encore, comme en témoigne la publication de la suite des Trois Mousquetaires, Vingt ans après. 20 ans, c’est l’âge d’une institution encore jeune, mais qui a déjà su faire la preuve de son utilité au service de nos concitoyens. Et c’est à ces deux aspects de la vie de la cour administrative d’appel de Douai que je souhaite aujourd’hui rendre hommage.
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I. 20 ans après sa création en 1999, la Cour administrative d’appel de Douai a en effet su faire la preuve de son dynamisme et de son utilité au service des justiciables et de la juridiction administrative.
1. Ce succès doit beaucoup à l’implication des présidents successifs de la cour et, en particulier, au premier d’entre eux, le président Serge Daël[2], qui a accompagné la création de la Cour. Les défis de l’installation étaient en effet nombreux : il fallait réussir la restauration de l’hôtel d’Aoust et y aménager une juridiction fonctionnelle sans nuire à l’esprit et au caractère historique du bâtiment. Il fallait également constituer une équipe de greffe à partir d’un vivier de personnes qui pour la plupart n’appartenaient pas déjà à la juridiction administrative. Le président Daël, appuyé par la mission de préfiguration, a su relever ce défi et donner à la cour les fondations solides dont elle continue de jouir aujourd’hui. Il a également su inscrire cette cour dans son territoire en ouvrant au public les portes de ce bâtiment profondément marqué par l’histoire de la région. Plus encore que la dimension patrimoniale, cette ouverture a permis de faire connaître notre ordre de juridiction et la nature de nos missions. Les présidents qui ont pris la relève – André Schilte[3], Bernard Foucher[4], Lucienne Erstein[5] et aujourd’hui Etienne Quencez[6] – ont ensuite su faire vivre cet héritage, l’adaptant sans cesse aux besoins du présent. Ses cinq présidents ont fait grandir la cour administrative d’appel de Douai, ils l’ont fait murir pour lui donner aujourd’hui sa dimension contemporaine : celle d’une juridiction ouverte et dynamique, où il fait bon travailler, qui sait œuvrer sans relâche à rendre une justice administrative pertinente, efficace et de qualité. Je souhaite ainsi rendre hommage à l’engagement de l’ensemble des magistrats et agents de greffe de cette cour. Au fil des années, plusieurs générations de magistrats sont venues ici se former aux techniques de l’appel. Certains sont restés, beaucoup d’autres sont repartis dans leurs régions d’origine ; mais tous gardent de leur passage à la cour administrative d’appel de Douai un souvenir heureux. C’est le témoignage le plus frappant du succès de cette cour qui, pour bâtir cette réussite, a en outre pu compter sur un greffe stable, composé d’agents de très grande qualité, dont la conscience professionnelle doit être louée. C’est en particulier grâce à eux et à leur professionnalisme, que le lien se maintient avec des magistrats qui, pour beaucoup, vivent en dehors du ressort de la Cour. Le café de 9 heures est le témoin de cette convivialité que le professionnalisme de chacun ne fait que renforcer. Je tiens aussi à rendre un hommage particulier au président Quencez, qui quittera la cour dans quelques mois pour une nouvelle étape de vie. L’exemplarité de votre carrière au service de l’État et de notre ordre de juridiction vous honore et méritait bien quelques mots. Car ce sont avec des présidents comme vous, dont les capacités juridiques sont unanimement saluées autant que votre sens de l’encadrement managérial et de la gestion, qu’une cour comme la cour administrative d’appel de Douai a pu se développer pour prendre toute sa place dans le paysage juridictionnel. Comme vos prédécesseurs, vous avez su promouvoir le changement et l’adaptation chaque fois qu’ils étaient nécessaires, n’hésitant pas à dialoguer avec les magistrats et les agents pour entendre leurs objections mais aussi faire valoir vos arguments. Votre sens des relations humaines et votre capacité d’écoute et d’attention vous ont gagné le respect et l’estime de vos collègues permettant à toutes les juridictions dans lesquelles vous êtes passé de progresser et d’avancer au service de la justice administrative.
Se fondant sur la qualité de ses équipes, la cour administrative d’appel de Douai a également su construire une jurisprudence éclairée, équilibrée et dont la qualité est reconnue. Certains contentieux ont particulièrement nourri cette cour : je pense, par exemple, au contentieux éolien sur lequel la cour de Douai a été à la pointe de la jurisprudence, mais aussi au contentieux environnemental au sens large. La préservation de l’intérêt de la célèbre course d’enduro et la sauvegarde des dunes dans lesquelles elle se déroulait ont ainsi conduit la cour à admettre un léger déplacement de la course des dunes vers la plage assurant une conciliation équilibrée des intérêts en présence. Les arrêts rendus par cette cour ont aussi permis de faire progresser la jurisprudence dans bien d’autres domaines : je pense à l’arrêt Mme Burbaud qui a ouvert aux ressortissants européens la possibilité d’occuper des postes dans la fonction publique française ou à l’arrêt Ville de Rouen sur la restitution à la Nouvelle-Zélande d’une tête maori incluse dans les collections d’un musée de France. La Cour de Douai s’est également illustrée par la qualité de son analyse dans un sujet que je connais bien – la sanction des ententes anticoncurrentielles – avec son arrêt Société signalisation France du 22 février 2018. A l’aune de ces quelques exemples et de ceux évoqués précédemment, je salue la qualité du travail accompli par la cour administrative d’appel de Douai au service des justiciables.
2. Ce succès est bien sûr celui de la cour administrative d’appel de Douai, mais il s’inscrit dans le succès plus large des cours administratives d’appel. Car cette année, la cour administrative d’appel de Douai n’est pas la seule à passer le cap d’une décennie. Les cours administratives d’appel dans leur ensemble ont trente ans. Créées par la loi du 31 décembre 1987, les cinq premières – Bordeaux, Lyon, Nancy, Nantes et Paris – ont été installées le 1er janvier 1989. Par leur existence, voulue et défendue par Marceau Long, elles ont permis de soulager un Conseil d’État engorgé par les recours au profit d’une organisation juridictionnelle plus efficace et plus pérenne. Après une période difficile au cours de laquelle les cours ont été noyées par les recours, elles sont parvenues à un équilibre dont nous devons toutefois prendre soin car il reste précaire en raison des flux contentieux toujours croissants auxquels la juridiction administrative est exposée. Notre organisation juridictionnelle a toutefois fait la preuve de sa résilience et de son efficacité et, à travers l’exemple de la cour de Douai, je souhaite souligner le rôle déterminant joué par toutes les juridictions d’appel dans le bon fonctionnement de notre ordre de juridiction et la qualité de notre justice.
II. Mais comme le disait le président Daël « Continuer d’être ne saurait suffire : il faut imaginer ce qu’on devra devenir. L’Histoire est notre matrice, mais elle est exclusive de l’arrêt sur image. Demain est presque là, il faut le construire ».
1. Ce futur à dessiner est d’abord celui de la juridiction administrative dans son ensemble. Notre pays est en effet confronté à des défis économiques, sociaux et technologiques qu’il faudra relever pour continuer à répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens. Cet engagement ne doit pas être seulement celui de l’administration, il est aussi celui de la juridiction administrative. Parce que nous sommes habitués à équilibrer des aspirations contradictoires, à concilier les droits fondamentaux et la sauvegarde de l’ordre public et à garantir la poursuite de l’intérêt général, nous avons un rôle déterminant à jouer dans la détermination des équilibres futurs. Certains défis nous concernent même directement : l’essor du numérique transforme la nature du procès devant le juge administratif, pour le meilleur avec les téléprocédures qui facilitent l’accès au juge, mais aussi avec des risques pour la tenue du procès administratif. Les algorithmes prédictifs sont en effet porteurs d’opportunités qui sont à la hauteur des menaces qu’ils sont susceptibles de faire peser sur l’administration de la justice. L’augmentation continue du nombre de nouveaux recours aura également une influence sur le futur qui se dessine. Plusieurs dispositions récemment adoptées visent à permettre à notre ordre de juridiction de faire face à ce défi sans renoncer à la qualité de ses décisions.
Dans cet avenir, les cours administratives d’appel auront collectivement et chacune dans leur ressort un rôle déterminant à jouer. Ce futur se dessine déjà avec la décision, quinze ans après la création de la 8ème cour administrative d’appel à Versailles, de créer une nouvelle cour administrative d’appel en région Occitanie. La réflexion quant au rôle pivot des cours administratives d’appel dans notre ordre de juridiction a aussi été engagée à l’initiative du président de la section du contentieux, Jean-Denis Combrexelle. Interface naturelle entre les tribunaux administratifs et le Conseil d’État, les cours administratives d’appel doivent devenir le relais privilégié des communications au sein de la juridiction administrative et je forme le vœu que les présidents des cours administratives d’appel appuient cette démarche.
2. La cour administrative d’appel de Douai aura bien sûr son rôle à jouer dans ce mouvement. Il lui faudra aussi faire face à certains défis qui lui sont propres : continuer de faire vivre une communauté juridictionnelle unie en dépit de l’éloignement de certains magistrats et de l’important mouvement de ces derniers au cours des années ; répondre aux attentes spécifiques d’un territoire en perte de vitesse d’un point de vue démographique et économique. Il s’agira également de garantir que ce très bel hôtel d’Aoust, qui a traversé les âges depuis sa construction au début du 18ème siècle, reste à la hauteur de son occupante. Plusieurs études sont actuellement programmées pour sa restauration, notamment de sa façade que le passage du temps a abîmée et le Conseil d’État sera attentif à ce que la cour de Douai puisse continuer à travailler dans les meilleures conditions possibles.
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Mesdames et Messieurs, avoir 20 ans c’est avoir pour soi la fraîcheur et la candeur de la jeunesse en même temps que la maturité de l’âge adulte. C’est aussi être résolument inscrit dans un présent qui bouge et qui se transforme et auquel il faudra prendre toute sa part.
Sous la houlette de ses présidents successifs, la cour administrative d’appel de Douai a fait ses preuves et a dessiné une trajectoire qui lui permet de regarder l’avenir avec sérénité, en particulier grâce à l’engagement quotidien de l’ensemble de ses magistrats et agents de greffe. Il y aura encore une cour administrative d’appel à Douai en 2039. Elle n’aura peut-être plus exactement les mêmes missions, ni la même organisation ou les mêmes méthodes de travail. Mais elle continuera à faire respecter les droits fondamentaux de la personne face à la puissance publique, à assurer la soumission de celle-ci au droit et à se référer aux principes du procès équitable au service de l’intérêt général. Au cœur de la capitale judiciaire des Flandres, la cour administrative d’appel a su trouver sa place avec la même réussite qu’elle est entrée dans l’organisation de la juridiction administrative. Je lui souhaite donc longue vie ; que les vingt prochaines années soient aussi fructueuses que les vingt premières.
[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
[2]Serge Daël fut président de la CAA de Douai de 1999 à 2007.
[3]Du 15 octobre 2007 au 30 janvier 2010. En attendant la désignation de Bernard Foucher, c’est M. Gérard Gayet qui a assuré l’intérim.
[4]Du 4 mars 2010 au 16 mars 2013.
[5]Du 17 mars 2013 au 31 décembre 2015.
[6]Depuis le 1er janvier 2016.