Intervention de Jean-Marc Sauvé au Musée des Arts et Métiers, lundi 16 janvier 2017
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Vœux du vice-président aux membres et agents du Conseil d’État
Musée des Arts et Métiers, lundi 16 janvier 2017
Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État
Mesdames et Messieurs,
Mes chers collègues,
L’année écoulée n’a, une nouvelle fois, pas épargné notre pays. Confrontée à des attaques destructrices et meurtrières, notre société a encore fait face à la douleur et au deuil. Nos institutions et nos concitoyens ont cependant fait la preuve de leur résistance et de leur courage dans ces terribles moments. Le Conseil d’État s’est inscrit dans ce mouvement en continuant à défendre avec détermination l’État de droit et les principes de la République et en apportant sa pierre à la protection de l’ordre public et la prévention du terrorisme. Il l’a fait avec dignité, sans chercher à en tirer gloire ou profit. Nous ne regardons pas l’état d’urgence – c’est une évidence – comme une « chance » ou une « opportunité » pour affirmer une compétence, un « imperium » ou nous ériger en défenseurs, sinon exclusifs, du moins principaux des libertés. Bien au contraire, les circonstances qui l’ont provoqué sont une grave épreuve et un défi pour notre pays, l’ensemble des pouvoirs publics et, bien sûr, le Conseil d’État lui-même.
Ce début d’année nous invite aussi au recueillement. Notre communauté de travail a en effet été cruellement affectée l’an passé par la disparition prématurée de deux agents, Carine Faucher et Rémy Brabessa, et d’un membre, Rémy Pflimlin. En début d’année, je souhaite rappeler leur mémoire avec reconnaissance pour ce que chacun d’eux nous a apporté.
Le Conseil d’État a aussi perdu, le 23 juillet dernier, l’une de ses plus éminentes figures, en la personne de Marceau Long, vice-président de 1987 à 1995. Marceau Long a laissé une très profonde empreinte dans l’organisation, le fonctionnement et la jurisprudence de notre ordre de juridiction. Il a aussi assumé dans des circonstances difficiles de hautes responsabilités administratives et il a contribué à éclairer de nombreux débats publics par sa vision et sa sagesse. Le président Long aimait voir le Conseil d’État pleinement assumer son rôle et s’adapter. Il me l’a dit à plusieurs reprises. Je forme le vœu que nous continuions à faire vivre son héritage, pour mieux répondre aux besoins de notre pays.
En 2016, en dépit de cette lourde actualité, nous avons été, je le crois, à la hauteur des attentes placées en nous (I). Mais, face aux défis que nous avons encore à relever, il nous faut concrétiser et faire aboutir en 2017 les derniers chantiers lancés (II).
I. L’an passé, comme en 2015, nous avons pleinement assumé nos missions de conseiller et de juge.
A - Les formations administratives, très fortement sollicitées, ont veillé à la qualité et l’intelligibilité des textes soumis.
1. En 2016, elles ont examiné un nombre record de textes, plus de 1150, dont 111 projets de loi, 3 propositions de loi, 87 ordonnances et 911 décrets, en plus des 10 demandes d’avis reçues du Gouvernement. Ces données confirment la hausse tendancielle constatée ces dernières années : elle a été, en 2016, de 28 % pour les ordonnances et de 13% pour les décrets. L’aridité des chiffres ne doit pas dissimuler la complexité croissante du travail des sections, saisies de textes techniques et sensibles, souvent trop vite conçus et mal écrits, dont l’examen se révèle délicat et chronophage.
2. En dépit de cette hausse, les formations administratives ont continué à rendre leurs avis dans des délais très maîtrisés. La quasi-totalité des projets de loi et d’ordonnance ont ainsi été examinés dans un délai inférieur à deux mois, de même que la grande majorité des décrets. Un magnifique et considérable travail de sécurisation juridique, de remise d’aplomb et d’équerre et – tout simplement – d’amélioration de la qualité des textes a été accompli. Je tiens par conséquent à rendre hommage à l’engagement des présidents, membres, secrétaires et agents des sections administratives et du cabinet, qui ont permis, cette année encore, de faire face aux exigences accrues du Gouvernement.
B - Au contentieux, le Conseil d’État a su garder le cap dans un contexte d’augmentation marquée des entrées.
1. Alors que les entrées ont progressé de près de 13% en 2016, la section du contentieux, sous la houlette du président Stirn, a su maintenir un taux de couverture supérieur à 100 %. Le nombre des affaires pendantes depuis plus de 2 ans a de surcroît fortement diminué et ne représente plus que 1,6% du stock. Le délai prévisible moyen de jugement s’est maintenu à 6 mois et 24 jours, tandis que le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires a été ramené à 1 an et 14 jours - en baisse de 50 jours par rapport à 2015. C’est une performance sans précédent depuis qu’existent des statistiques au Conseil d’État.
Grâce à l’investissement et aux efforts consentis par ses membres et ses agents, la section du contentieux a su faire face avec sérénité à la forte augmentation des entrées et aux délicates affaires qui lui ont été soumises.
2. Cette section accueille aussi, en application de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, une formation spécialisée chargée de contrôler la légalité de la mise en œuvre des techniques de renseignement et des inscriptions dans les fichiers de ces services. Cette « 11ème chambre » a été installée dans une salle sécurisée, spécialement adaptée par la direction de l’équipement et la direction des systèmes d’information. Je salue l’implication de ses membres dont les premières décisions ont été rendues le 19 octobre dernier.
C - Par l’ensemble de ses fonctions, le Conseil d’État, l’an passé, a encore été un acteur très présent dans la vie de la Cité.
1. Les évènements, souvent tragiques, des dernières années ont à nouveau mis en lumière notre rôle et notre place dans la vie publique du pays et, notamment, dans la régulation de l’état d’urgence et des mesures prises dans ce cadre. Nous n’avons pas cessé d’adapter et d’approfondir notre contrôle en veillant toujours à concilier la garantie des libertés et la protection de l’ordre public. Par ailleurs, beaucoup de controverses qui traversent notre société trouvent un écho devant nous, parce que nous sommes en capacité de vite nous prononcer, que nos principaux avis sont publics, que nos décisions s’exécutent et que nos prises de position sont respectées, même si elles ne font pas forcément l’unanimité. Je pense notamment au port du burkini, à l’installation de crèches de Noël dans des services ou espaces publics, mais aussi à beaucoup de questions douloureuses touchant à la vie ou à la mort. Pas davantage, n’avons-nous été indifférents aux nouvelles formes de l’action publique auxquelles nous nous sommes adaptés. A titre d’exemples, nos études sur des enjeux essentiels, comme l’alerte éthique et surtout la simplification et la qualité du droit, ou nos décisions contentieuses sur le droit souple le montrent bien. Nous sommes moins que jamais « hors sol » ou « hors du monde », tout en nous gardant d’épouser certains emballements de l’opinion. Comme toujours, la force de notre intervention réside dans notre impartialité, notre sérénité, notre pleine inscription dans la séparation des pouvoirs et notre capacité à assumer les conséquences de nos avis et décisions.
2. Cette année, comme les précédentes, le Conseil d’État a aussi partagé son expertise et échangé avec la doctrine universitaire, des acteurs publics et des juges, français et étrangers, ou des représentants de la société civile. Je veux souligner en particulier l’importance des manifestations organisées par la section du rapport et des études, qui sont l’occasion de débattre avec nos partenaires sur les défis auxquels nous sommes confrontés. L’année 2016 a vu le lancement des Entretiens du contentieux, la fin du cycle sur le droit comparé et la territorialité du droit et la poursuite des Entretiens en droit social et en droit économique. Elle a aussi donné lieu à un premier colloque organisé avec la Cour des comptes. Le cycle des conférences sur l’Europe s’est, quant à lui, poursuivi et, en ces temps troublés qu’illustre le Brexit, il nous invite, en compagnie d’invités expérimentés et avisés, à réfléchir sur les défis auxquels elle est confrontée et les réponses qui peuvent y être apportées.
Le rayonnement de notre institution ne saurait s’arrêter aux frontières nationales et, avec l’appui de la délégation aux relations internationales, nous avons aussi activement poursuivi notre politique de coopération internationale.
II. En dépit du contexte, notre communauté de travail a su être à la hauteur de ses missions ; elle s’y maintiendra cette année encore. Telle est notre ambition.
A - Plusieurs projets majeurs se sont concrétisés en 2016.
1. L’année écoulée a marqué l’aboutissement de deux chantiers qui vont dans le sens d’un renforcement des garanties d’indépendance et des exigences déontologiques applicables aux membres du Conseil d’État. Le premier parachève l’évolution engagée avec la Charte de déontologie et la création du collège de déontologie, dont la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires est venue consacrer l’existence et le rôle. Conformément à cette loi et à un décret du 5 janvier de cette année, les membres du Conseil d’État devront déclarer leurs intérêts, pour mieux assurer leur impartialité. Des instructions seront prochainement diffusées sur ce sujet. Le second chantier concerne la modernisation de notre institution : dans la forme, avec la transformation des sous-sections du contentieux en chambres et des secrétariats en greffes et, sur le fond, avec le décret du 1er juillet et les deux ordonnances du 13 octobre 2016 sur l’organisation du Conseil d’État, le statut de ses membres et celui des magistrats administratifs. Des changements concrets se sont aussi produits dans la gestion des membres dans le sens de la transparence, de l’appui aux carrières et de la formation. Un premier plan de formation a vu le jour l’an passé. Il était temps !
2. En moins d’un an, nous avons aussi concrétisé les réformes proposées par les groupes de travail de 2015 visant à améliorer le traitement et dynamiser l’instruction des dossiers contentieux avec les deux décrets du 2 novembre 2016, notamment celui connu sous le nom de « décret JADE ». Il nous faut apprendre à nous servir des outils qu’il offre et à optimiser leur utilisation. Nous avons encore, l’an passé, préparé, aux plans technique et juridique, la généralisation des téléprocédures qui sont devenues obligatoires le 1er janvier de cette année pour les parties éligibles.
3. 2016 a aussi permis d’accroître la visibilité de notre institution, dont nos concitoyens connaissent de plus en plus l’existence, grâce à l’action dynamique de la direction de l’information et de la communication et de notre nouvelle porte-parole, nommée en septembre 2016. Notre compte Twitter compte ainsi 83 000 abonnés et ne cesse de gagner du terrain. Je souligne aussi le succès de l’ouverture du Palais-Royal lors des journées du patrimoine, avec le concours des directions de la communication, de la bibliothèque et des archives et de l’équipement.
4. Tous nos projets et tous nos progrès n’auraient, bien sûr, pas vu le jour sans le soutien de l’ensemble des directions et, notamment, de la direction des ressources humaines, qui en 2016 s’est acquittée de la lourde tâche de mettre en place le nouveau régime indemnitaire et la mise à plat du régime préexistant dans un souci de transparence et d’équité. Je souhaiterais également saluer l’action de la direction de la prospective et des finances qui défend, toujours avec rigueur et efficacité, la progression, certes plus lente, mais toujours nécessaire, du budget des juridictions administratives et veille au meilleur emploi de nos ressources.
B -En 2017, il nous faut concrétiser les projets engagés ces dernières années.
1. En premier lieu, nous allons poursuivre l’expérimentation de la nouvelle rédaction de nos décisions de justice, dans la lignée de la réforme adoptée par nos si proches voisins du Conseil constitutionnel. Un plus grand nombre de chambres sont engagées dans cette expérimentation et les juges des référés y sont parties prenantes. Des décisions de chambres réunies, section et assemblée du contentieux sont aussi rédigées en style direct. Il nous faut maintenant évaluer sous l’égide du président Vigouroux et approfondir cette expérimentation en lien avec le comité de pilotage des tribunaux et des cours.
2. Nous devons aussi évaluer l’exercice de notre fonction consultative en lien avec le secrétariat général du Gouvernement et les ministères.
3. Nous devons encore poursuivre la rénovation de nos locaux et engager de vastes travaux pour améliorer nos conditions de travail. Une première sécurisation des accès au Conseil d’État a été accomplie au début de 2016, aux dépens, il est vrai, de l’esthétique de la cour de l’horloge, mais vous en avez tous compris l’impérieuse nécessité. La seconde phase de la sécurisation des accès aux sites du Palais-Royal et de Richelieu devrait aboutir, je l’espère, à la fin de cette année ou en tout début d’année prochaine. La restauration des façades de l’aile Colette qui est en cours, nous ne le savons que trop avec le départ de feu de novembre, s’achèvera avant l’été. Enfin, démarreront cette année les travaux de l’aile Valois avec l’aménagement du sous-sol du hall d’honneur et la création, dans ce cadre, de trois salles de réunion modernes et fonctionnelles qui permettront de gagner des espaces au bénéfice de tous, agents et membres.
4. Nous poursuivrons aussi en 2017 le perfectionnement de nos outils informatiques, à l’instar de la nouvelle version d’Ariane dont le lancement a été réussi en juin dernier par la direction des systèmes d’information avec l’appui du Centre de recherches et de diffusion juridiques. Dans ce musée de la technique, où une exposition est d’ailleurs consacrée à Claude Shannon, pionnier de l’informatique, nul ne songerait, je crois, à désavouer notre démarche. Nous venons ainsi d’adopter, pour la première fois, un schéma directeur des systèmes d’information et de communication pour les années 2017 à 2019 qui a été délibéré collectivement. Des projets prioritaires ont été définis et de nouvelles méthodes de développement, arrêtées. Nous devrons, en 2017, lancer une réflexion sur l’utilisation du travail collaboratif, permettant de tirer tous les bénéfices de la dématérialisation des procédures. Nous procéderons aussi au lancement d’un portail « Citoyens » et à la refonte de notre site Internet pour en améliorer l’ergonomie et faciliter la navigation. Et nous nous engagerons résolument, pour toutes les décisions de notre ordre de juridiction, dans la politique d’Open Data voulue par le Gouvernement et le Parlement.
5. 2017 sera aussi, je ne vous apprends rien, une année électorale. Comme pour chaque élection présidentielle, nous accueillerons la commission de contrôle de cette élection que je préside ès qualités et qui, trois mois durant, mobilisera l’énergie de son rapporteur général et des équipes du secrétariat général, que je remercie par avance pour leur engagement. Nous devrons bien sûr faire la place nécessaire pour installer les services de cette commission.
Pour chacun de ces projets, je sais pouvoir compter sur le professionnalisme et l’engagement de tous. Sous l’autorité de la secrétaire générale et avec le concours des secrétaires généraux adjoints et de la secrétaire générale des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le cabinet, les six directions fonctionnelles du Conseil, ainsi que le Centre de formation de la juridiction administrative, œuvrent chaque jour à la réussite collective de nos projets. Je tiens à leur rendre un hommage appuyé et mérité.
Dans ce musée des Arts et Métiers, nous sommes invités à l’étonnement et l’émerveillement devant l’ampleur des progrès techniques accomplis depuis plus de deux siècles. L’Avion 3 de Clément Ader et le Blériot XI, que nous avons vu et voyons en ce moment-même, nous rappellent l’imagination, le courage et les efforts qui ont été nécessaires pour développer des techniques aéronautiques fiables. Le Conseil d’État doit, lui aussi, sans cesse poursuivre la modernisation de ses outils et de ses procédures pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. Les chantiers engagés ces dernières années vont dans ce sens et l’aboutissement en 2016 des premières mesures décidées ensemble constitue une source de satisfaction. Nous continuerons cette année et je compte sur l’investissement et l’énergie de chacun d’entre vous, aussi longtemps que j’assumerai ma mission à la tête du Conseil d’État. Je vous ai annoncé l’an passé, à la Conciergerie, pour mettre un terme à certaines rumeurs, que je resterais à mon poste. Je suis toujours parmi vous aujourd’hui et, vous le pressentez, je n’ai nullement l’intention de me mettre en cessation progressive d’activité ou de consommer un compte-épargne temps qui, au demeurant, n’existe pas. Mais, au-delà des destins individuels qui au fond importent peu, notre pays a, aujourd’hui plus que jamais, besoin d’un Conseil d’État sage et actif qui garde l’État de droit et soit un repère et une boussole pour nos compatriotes. Restons par conséquent, personnellement et surtout collectivement, à la hauteur de ce défi et de cette exigence.
Je renouvelle à chacune et chacun d’entre vous mes souhaits chaleureux de bonne année et je vous invite maintenant à partager ensemble un moment de convivialité.
[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.