Présentation du Conseil d'État

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé au Séminaire des membres d’honneur de l’Académie des sciences et techniques comptables et financières le 25 janvier 2017

Séminaire des membres d’honneur de l’Académie des sciences et techniques comptables et financières

Académie des sciences et techniques comptables et financières, Mercredi 25 janvier 2017

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

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Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs,

Monsieur le président de l’Académie des sciences et techniques comptables et financières, je vous remercie de m’avoir invité à venir m’exprimer à l’occasion de votre séminaire annuel. Je suis heureux de pouvoir aujourd’hui présenter devant vous l’institution que je préside, le Conseil d’État.

I - Je souhaiterais débuter cette intervention par une présentation du Conseil d’État – auquel est dévolue une double fonction : celle de conseiller le Gouvernement et celle de juger l’administration.

A. La fonction consultative du Conseil d’État, qui est  l’héritière des missions confiées au Conseil du Roi, a historiquement été la première de ses attributions.

1. Le Conseil d’État est le conseiller du Gouvernement pour l’élaboration des normes juridiques et des principaux actes administratifs. Après avoir presque disparu en matière législative sous la IIIème République[2], la fonction consultative a été rétablie par l’ordonnance du 31 juillet 1945[3] qui a rendu obligatoire la consultation du Conseil d’État sur les projets de loi. La Constitution du 4 octobre 1958 a consacré cette fonction au niveau constitutionnel. Le Conseil d’État doit ainsi être saisi, avant leur délibération en Conseil des ministres, sur tous les projets de texte relevant du domaine de la loi qui sont élaborés à l’initiative du Gouvernement, c’est-à-dire les projets de loi[4], mais aussi les projets d’ordonnance[5]. Il est également saisi des principaux décrets, les « décrets en Conseil d’État » qui sont pris sur habilitation expresse du législateur pour l’application des lois. En 2016, le Conseil d’État a examiné 1 151 projets de texte, dont 111 projets de loi, 87 projets d’ordonnance et 911 décrets réglementaires. Le nombre de dossiers examinés est en hausse ces dernières années : de 28% pour les ordonnances et de 13% pour les décrets en 2016 par rapport à 2015. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la saisine du Conseil d’État a été élargie aux propositions de loi émanant des membres des assemblées parlementaires[6]. Sauf si son auteur s’y oppose, le président d’une assemblée peut désormais soumettre pour avis au Conseil d’État une proposition de loi[7]. Depuis 2009, 22 propositions de loi ont ainsi été examinées, dont 4 en 2015 et 3 en 2016[8].

Ce rôle est un élément important du processus d’élaboration des textes législatifs que le terme de « consultation » ne doit pas conduire à minorer. En effet, le Conseil d’État veille par ses avis à la qualité rédactionnelle et à la régularité juridique de la norme, ainsi qu’à son « opportunité administrative »[9].

En premier lieu, il appartient au Conseil d’État de vérifier que le texte qui lui est soumis n’est entaché d’aucune ambiguïté sérieuse et ne méconnaît ni le principe de « clarté de la loi », ni les objectifs à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité » de la loi[10]. Il veille ainsi à la clarté et à la précision des termes employés et il s’attache à déceler les sources d’ambigüité qui pourraient faire naître ensuite des problèmes d’interprétation susceptibles de nourrir des difficultés d’application ou des contentieux. Ce n’est pas un mince enjeu que de travailler à la rédaction de textes brefs, généraux et prescriptifs, plutôt que de normes bavardes, techniques ou floues.

Mais le contrôle de qualité ne se limite pas à celui de la correction formelle des projets de texte. Le Conseil d’État veille aussi, et de plus en plus, à la régularité juridique des projets qui lui sont soumis. La tâche incombant au Gouvernement et au législateur s’est en effet complexifiée, à mesure que les exigences inhérentes à la hiérarchie des normes devenaient plus contraignantes. Alors que dans la tradition française issue de la Révolution, la loi, expression de la volonté générale, est incontestable et que, par conséquent, rien ne peut contraindre le législateur, le récent et spectaculaire essor du contrôle juridictionnel de la loi a compliqué et fragilisé son travail. Depuis la décision du Conseil constitutionnel Liberté d’association de 1971[11], qui a intégré dans le bloc de constitutionnalité le préambule de la Constitution et, donc, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, les lois peuvent en effet faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Ce contrôle s’est amplifié avec les révisions constitutionnelles de 1974[12] et 2008[13] qui, sous certaines conditions, ont ouvert le prétoire du Conseil constitutionnel aux parlementaires, puis à tout justiciable. Les lois peuvent aussi être contestées devant les juridictions ordinaires au regard des traités internationaux[14] et du droit dérivé de l’Union européenne[15]. Ce double contrôle a renforcé la fonction consultative du Conseil d’État qui offre une expertise utile afin de s’assurer de la régularité juridique des projets de texte et de les sécuriser au regard des normes supra-législatives. Cette expertise est particulièrement nécessaire, car dans notre pays le contrôle de constitutionnalité est très rigoureux au regard de ce qui s’observe dans de nombreux pays comparables. De même, l’interprétation que les juges français donnent de l’article 55 de la Constitution, qui prévoit que les stipulations d’effet direct des traités internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont une valeur supérieure à celle des lois, est très contraignante, notamment en termes de droit comparé, les juridictions administratives et judiciaires écartant avec rigueur l’application de toute loi – ou décret – incompatible avec un engagement européen ou international, y compris lorsqu’elle est postérieure à ces engagements[16].

Le contrôle en amont de la régularité juridique des textes et, en particulier, des projets de loi, qui était, au début de la Vème République, essentiellement cantonné à la vérification du respect de la loi et du partage des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire, a par conséquent pris une importance majeure. Le Conseil d’État se garde cependant de sacrifier à une sorte de principe de précaution juridique et il ne donne un avis défavorable à un projet que s’il existe un doute véritablement sérieux sur la constitutionnalité ou la conventionalité d’un projet de loi et d’ordonnance ou la légalité d’un projet de décret, compte tenu notamment de la jurisprudence, existante ou normalement prévisible. S’il s’impose de motiver ses désaccords avec le projet qui lui est soumis, il s’attache aussi à exposer les raisons d’un avis favorable, lorsqu’il apparaît clair que la disposition en cause fera l’objet d’une contestation devant les juridictions nationales, en particulier le Conseil constitutionnel, ou devant les juridictions européennes.

Enfin, si le Conseil d’État s’abstient de se prononcer sur les choix politiques qui ont présidé à l’élaboration d’un projet de texte, il en vérifie néanmoins « l’opportunité administrative »[17]. A ce titre, il s’assure, d’une part, que le texte proposé et, spécialement, d’un projet de loi est utile et nécessaire[18] au regard des objectifs poursuivis et il contrôle son insertion dans l’environnement juridique existant[19]. Le cas échéant, il demande au Gouvernement de compléter son texte ou procède lui-même aux ajustements nécessaires. D’autre part, le Conseil d’État examine les conditions de mise en œuvre des textes et il s’interroge sur l’économie, la pertinence et l’efficience des moyens juridiques proposés au regard des buts poursuivis, sur l’applicabilité des projets de texte et sur la capacité des services administratifs à les mettre en œuvre. Il attache une importance croissante à ces questions et, en particulier, aux enjeux de qualité et de simplification du droit ; j’y reviendrai.

Le Conseil d’État fournit ainsi aux pouvoirs publics chargés de l’élaboration des textes normatifs, une information précise, sincère et complète pour leur permettre de mener à bien leurs missions. Bien plus qu’un simple organisme consultatif, il participe à la « fabrication » de la norme, dès lors que ses avis sont le plus souvent suivis, en dépit de leur caractère non contraignant[20], et que le Gouvernement ne peut proposer une nouvelle rédaction des projets de loi qu’à la condition que les questions soulevées par son texte aient toutes été soumises au Conseil d’État lors de sa consultation[21]. S’agissant des textes réglementaires, le Gouvernement ne peut choisir, pour chaque ensemble de dispositions indivisibles[22], que le texte résultant de l’avis du Conseil d’État ou son texte initial, à l’exclusion de tout « tiers texte »[23].

2. Animé de cette même volonté d’informer et d’éclairer le débat public, le Conseil d’État agit aussi comme une sorte de « bureau d’études juridiques »[24]. Il peut être saisi par le Gouvernement de demandes d’avis au sujet de « difficultés qui s’élèvent en matière administrative »[25], par exemple si certaines questions soulèvent des débats dans l’opinion publique[26] ou suscitent, en amont de l’élaboration d’une réforme, des questions de principe qui doivent préalablement être tranchées. A la demande du Gouvernement, le Conseil peut aussi rédiger des études sur des sujets d’intérêt public. La dernière étude commandée au Conseil d’État, et adoptée le 25 février 2016, a concerné l’alerte éthique, son étendue et ses limites, tout comme la protection des lanceurs d’alerte[27]. Mais il a aussi traité de nombreux autres sujets, comme la transposition des directives de l’Union européenne[28], le rescrit et son intérêt dans la sécurisation des projets et des initiatives des opérateurs économiques[29] ou la possibilité de prohiber le voile intégral dans l’espace public[30]. Le Conseil d’État rédige aussi chaque année, à son initiative, une étude sur un thème général et formule, à cette occasion, des recommandations souvent remarquées. Cette étude a porté en 2014 sur « Le numérique et la protection des droits fondamentaux » et en 2015 sur « L’action économique des personnes publiques ». En 2016, elle a concerné « La simplification et la qualité du droit ». Enfin, le Conseil d’État peut « appeler l’attention des pouvoirs publics sur les réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif, qui lui paraissent conformes à l’intérêt général »[31].

B. En second lieu, le Conseil d’État a pour mission de trancher les litiges s’élevant en matière administrative.

1.Le Conseil d’État est en effet placé à la tête d’un ordre de juridiction, la juridiction administrative. Il est, par conséquent, le juge suprême des litiges entre les citoyens, les entreprises ou les associations et l’ensemble des administrations publiques, des actes du Président de la République à ceux des établissements publics ou de la plus modeste collectivité territoriale.

La justice administrative est née d’une longue période de méfiance entre le pouvoir exécutif, celui du Roi, et le pouvoir judiciaire, alors incarné par les Parlements d’Ancien régime. Sous la Révolution, le pouvoir, qui souhaitait éviter les intrusions du juge dans son activité, a formellement interdit aux juridictions de « troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction »[32] et « de connaître des actes d’administration »[33]. Cette séparation radicale des pouvoirs exécutif et judiciaire ne résolvait toutefois pas la question du nécessaire contrôle de l’administration et de sa soumission au droit. Dans un premier temps, l’administration a choisi de répondre à cette question par un mécanisme de recours hiérarchique, dit du « ministre-juge » : elle a décidé qu’elle se jugerait elle-même et connaîtrait directement des plaintes dirigées à son encontre. A partir de ce système, s’est construite, par étapes successives, et parfois radicales, la justice administrative. La création du Conseil d’État par la Constitution de l’an VIII[34], le passage à la justice déléguée en 1872[35], le Conseil d’État cessant de donner de simples avis sur le règlement des litiges et jugeant « Au nom du peuple français », et enfin l’abandon définitif de la théorie du ministre-juge en 1889[36] ont marqué l’affirmation progressive du Conseil d’État en tant que juridiction pleinement compétente et indépendante. Il existe ainsi en France deux ordres de juridiction, et deux seulement[37], l’ordre judiciaire et l’ordre administratif, celui-ci étant chargé de contrôler l’administration et d’assurer une véritable « tutelle contentieuse »[38] sur ses activités.

2. Il revient donc à la juridiction administrative de trancher les litiges nés de l’action de l’administration, entendue comme l’ensemble des activités ou fonctions qui mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique en vue de satisfaire des besoins d’intérêt général ou qui visent à accomplir des missions de service public. Elle est en particulier le juge de la légalité des actes administratifs et de la responsabilité des personnes et des services publics. Deux critères sont en théorie mobilisés pour déterminer la compétence du juge administratif : d’une part, un critère matériel – l’existence de prérogatives de puissance publique ou d’un service public – et, d’autre part, un critère organique – la présence et l’action d’une personne publique, c'est-à-dire l’État, les collectivités territoriales, les autorités publiques indépendantes, les établissements publics…

En vertu d’un principe constitutionnel, seul le juge administratif peut connaître des litiges tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions prises par les autorités publiques dans l’exercice de prérogatives de puissance publique[39], comme, par exemple, les mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière[40]. Le critère du service public détermine aussi la compétence de la juridiction administrative lorsqu’il s’agit d’un service public administratif, mais il n’exclut pas, dans l’hypothèse d’un service public industriel et commercial, la compétence du juge judiciaire[41]. Ainsi, la surveillance et la gestion des forêts par l’Office national des forêts[42], de même que le transport des élèves de l’enseignement public[43] sont des services publics administratifs relevant de la compétence du juge administratif, au même titre que la collecte des impôts, la planification urbaine et les autorisations de construire. En revanche, la gestion et l’équipement des forêts et, notamment, la collecte et la vente du bois par l’Office national des forêts constitue un service public industriel et commercial[44].

Le critère organique connaît, quant à lui, quelques atténuations, car l’action d’une personne privée est aussi susceptible de relever de la compétence du juge administratif, si cette personne fait usage de prérogatives de puissance publique[45] ou si elle est chargée de l’exécution d’un service public[46]. Ainsi, les fédérations sportives, qui sont des personnes privées, mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique lorsqu’elles sélectionnent un sportif dans l’équipe nationale[47]. De la même manière, les ordres professionnels concourent au service public de l’organisation et du contrôle de leur profession[48].

En cas de difficulté dans la détermination de l’ordre juridictionnel compétent, le Tribunal des conflits, créé par la loi du 24 mai 1872 et composé paritairement de membres du Conseil d’État et de la Cour de cassation, tranche le conflit de compétence. Il n’y a que 40 à 50 cas de conflits ou d’incertitudes de compétence par an, ce qui est infime au regard du nombre total des litiges civils et administratifs et témoigne de la lisibilité de notre organisation juridictionnelle.

3. Depuis la création des tribunaux administratifs, par le décret du 30 septembre 1953[49], et des cours administratives d’appel, par la loi du 31 décembre 1987[50], la juridiction administrative constitue un ordre juridictionnel complet qui est composé de 42 tribunaux administratifs en première instance et de 8 cours administratives d’appel. A ces cours et ces tribunaux s’ajoutent des juridictions administratives spécialisées, telles que la Cour nationale du droit d’asile, la Cour de discipline budgétaire et financière et les juridictions des ordres professionnels, comme, par exemple, de l’ordre des architectes ou de l’ordre des experts-comptables et des comptables agréés, qui dépendent du Conseil d’État par la voie du recours en cassation.

Le Conseil d’État est donc, comme je l’ai dit, la cour suprême de cet ordre de juridiction. Aujourd’hui, l’essentiel de son activité juridictionnelle est celle de juge de cassation des décisions rendues en dernier ressort par les juridictions de première instance (tribunaux administratifs) et d’appel (cours administratives d’appel) et les juridictions administratives spécialisées (85% des saisines en 2015). Dans ce cadre, le Conseil d’État est, par exemple, amené à statuer sur la régularité des jugements rendus par la Cour de discipline budgétaire et financière et par la Cour des comptes sur l’activité des ordonnateurs ou des comptables publics. Il a toutefois conservé quelques attributions contentieuses en premier ressort[51] et en appel (respectivement 12% et 3% des saisines)[52]. Ainsi, il demeure compétent en premier ressort pour connaître des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets. La compétence d’appel du Conseil d’État est, quant à elle, résiduelle. Elle concerne principalement les litiges relatifs aux élections municipales et départementales et les ordonnances rendues en référé, lorsqu’est en cause une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Le Conseil d’État est, par conséquent, une institution duale que ses fonctions inscrivent au cœur du fonctionnement de l’État et des pouvoirs publics. Il accomplit sa double mission dans le respect du principe d’impartialité, les membres du Conseil d’État ne pouvant juger des textes sur lesquels ils ont rendu des avis[53], ni consulter, dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles, les avis du Conseil d’État qui n’ont pas été rendus publics et les dossiers de ces avis[54]. Par ailleurs, un justiciable qui attaque un acte pris après avis du Conseil d’État peut obtenir la communication du nom des membres du Conseil ayant pris part à la délibération de cet avis[55], de telle sorte qu’il puisse par lui-même vérifier le respect de l’impartialité de ses juges. Enfin, les formations de jugement du Conseil d’État ne comportent plus de représentation organique des sections administratives, tandis que la plus haute formation de jugement – l’Assemblée du contentieux – a aussi été profondément réformée pour garantir l’impartialité de ses délibérations[56].

II. Je souhaiterais maintenant développer trois séries d’exemples qui permettront, je l’espère, d’illustrer l’action du Conseil d’État : la simplification du droit, l’action économique des personnes publiques et la sauvegarde de l’État de droit sous l’état d’urgence

A. Au titre de sa mission de conseiller du Gouvernement, le Conseil d’État a mis l’accent, depuis 1991, sur la nécessité de simplifier le droit et d’en améliorer la qualité.

1. En 2016, l’étude annuelle du Conseil d’État était, comme je l’ai dit, consacrée à la simplification et à la qualité du droit. Avant cela, ce sujet avait déjà été traité à deux reprises par notre institution : dans l’étude annuelle de 1991, consacrée à la sécurité juridique[57], et dans celle de 2006, intitulée « Sécurité juridique et complexité du droit »[58]. L’approfondissement de la crise du droit a justifié que nous nous saisissions une nouvelle fois de ce sujet.

Dans cette étude, le Conseil d’État rappelle, en premier lieu, les risques que la mauvaise qualité et la complexité du droit font peser sur la vie économique et sociale et sa régulation. Le manque de lisibilité et la complexité du système juridique portent d’abord atteinte à l’efficacité de l’action publique et à la cohésion sociale. Les citoyens sont en effet embarrassés, voire inhibés, par la lourdeur des procédures et le nombre des normes, qu’ils peinent à connaître, comprendre et appliquer[59]. L’instabilité et l’inflation normatives sont des sources de désarroi[60]. Les usagers éprouvent aussi des difficultés à faire valoir leurs droits. Par exemple, la diversité des dispositifs de prestations sociales et la complexité des formalités administratives font obstacle à ce que certaines personnes, qui pourraient y prétendre, sollicitent ces prestations[61]. Par ailleurs, l’enchevêtrement normatif et l’instabilité des règles applicables pèsent sur la compétitivité des entreprises, qui entendent fonder leurs stratégies sur la confiance des autorités publiques et la stabilité des règles et des perspectives à moyen et long termes[62] et, par conséquent, redoutent les incertitudes et changements à répétition, voire inopinés.

Le Conseil d’État a ensuite relevé que des efforts avaient été accomplis avec, notamment, l’obligation, posée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008[63] et la loi organique du 15 avril 2009[64], d’assortir les projets de loi d’une étude d’impact. Cette évolution était d’ailleurs la concrétisation d’une proposition de l’étude annuelle de 2006. Ces études d’impact ou, ainsi qu’elles sont appelées pour certaines catégories de textes, les évaluations préalables, doivent exposer les objectifs poursuivis par le projet de loi, recenser les options possibles en-dehors de l’adoption de règles de droit nouvelles et indiquer les motifs du recours à une nouvelle législation[65]. Elles doivent préciser l’articulation du projet avec le droit européen et son impact sur l’ordre juridique interne, ses modalités d’application dans le temps, ses effets économiques, financiers, sociaux et environnementaux et ses conséquences éventuelles sur l’emploi ainsi que la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires[66]. Elles se prononcent enfin sur les conséquences du projet de loi en termes de procédures et de démarches administratives. Ces documents constituent, par conséquent, un enjeu majeur en termes de qualité de la loi et de maîtrise de l’inflation normative.

Néanmoins, les maux qui affectent la production normative n’ont pas été véritablement traités. Ils se sont au contraire aggravés, faute de moyens efficaces et suffisants, mais aussi faute d’une volonté constante, claire et déterminée d’y remédier. Pour améliorer et simplifier le droit, l’étude annuelle a fixé trois objectifs, articulés autour de 27 propositions : responsabiliser les décideurs publics, maîtriser l’emballement de la production normative et faciliter l’application concrète de la norme. Ces propositions visent d’abord à changer radicalement l’état d’esprit sur la production de la norme : sa maîtrise quantitative et sa qualité doivent être prises en compte à tous les stades de l’élaboration des politiques publiques. La définition d’un référentiel précis et d’une méthode d’évaluation claire doit ensuite permettre de mesurer l’inflation normative ainsi que ses effets : car ce référentiel et cette méthode, aussi surprenant que cela paraisse, n’existent pas. Le recours à une étude d’option permettant d’évaluer la nécessité d’une nouvelle norme et l’élargissement du recours à l’étude d’impact à tous les textes d’importance, y compris les ordonnances, les propositions de loi et les amendements les plus significatifs, doivent conduire à une véritable évaluation ex ante de la qualité et des effets des projets de texte. La certification par un organisme expert favoriserait un contrôle plus effectif de ces évaluations qui ne constituent, trop souvent, pour le moment, que des plaidoyers « pro-domo » ou de simples documents descriptifs. Le Conseil d’État propose encore de développer les expérimentations et, par conséquent, des évaluations « grandeur nature », ex post. Il s’investit aussi, à travers six engagements, dans la simplification et l’amélioration de la qualité de la norme. Car ses recommandations ne sauraient concerner que les autres à qui reviendrait le monopole de la complexité. Il s’engage ainsi à être plus sévère sur le contenu des études d’impact. Il s’engage à signaler aux autorités compétentes les difficultés identifiées dans son activité juridictionnelle, qui appellent une modification législative ou réglementaire propre à clarifier ou simplifier le droit. Il s’engage surtout à concourir activement et directement à ce chantier de simplification.

2. Les études rédigées depuis 1991 sur la simplification du droit, s’inscrivent dans une réflexion plus large menée par le Conseil d’État sur l’efficacité de l’action publique et la sécurisation du droit et des initiatives. Il s’est ainsi attaché à concrétiser le principe de sécurité juridique, qui sous-tendait déjà les rapports de 1991 et 2006 que je mentionnais à l’instant, et qui a été consacré comme principe général du droit en 2006[67]. Le Conseil d’État et ses membres ont, en particulier, nourri la réflexion sur les procédures destinées à accroître la sécurité juridique, comme l’efficacité et l’intelligibilité de la norme. Par exemple, en 2008, le ministre du budget a confié à Olivier Fouquet, ancien président de la section des finances, la rédaction d’un rapport sur l’amélioration de la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables[68]. Ce rapport met en évidence, parmi les sources d’insécurité en matière fiscale, l’instabilité et la complexité de la norme fiscale et de son interprétation. En réponse à ces maux, il a notamment préconisé un recours accru au rescrit[69]. En permettant aux personnes privées de s’assurer de manière anticipée de la conformité de leurs projets à la réglementation en vigueur, le rescrit favorise en effet les initiatives, limite les risques de sanction[70] et accroît la sécurité juridique[71]. Dans une étude de 2013, qui a fait suite à une demande du Premier ministre[72], le Conseil d’État a une nouvelle fois souligné l’importance du dispositif de rescrit et recommandé le développement de dispositifs complémentaires, comme les pré-décisions et les certificats de projet qui permettent de cristalliser la réglementation applicable à un projet pour le prémunir de toute évolution négative et stabiliser les conditions juridiques de sa réalisation. Une ordonnance du 10 décembre 2015[73] a mis en œuvre certaines des pistes proposées par le Conseil d’État en 2013. Le recours au rescrit pourrait encore être étendu et articulé avec les autres mécanismes de simplification pour éviter la multiplication de procédures conduites en parallèle dans un contexte juridique de plus en plus instable et mouvant[74].

La mise en place de guichets et d’autorisations uniques est également une piste à approfondir[75]. L’expérimentation d’une autorisation environnementale unique par laquelle un exploitant peut obtenir, en une seule procédure, l’autorisation d’installation classée, le permis de construire et les autorisations prévues par le code de l’environnement, notamment celle de défrichement et la dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées, constitue un exemple pertinent de simplification[76]. Une ordonnance, qui doit être examinée par le conseil des ministres de ce matin, tire les conséquences de cette expérimentation et pérennise cette autorisation. Dans son étude de 2016, le Conseil d’État propose l’extension de dispositifs de cette nature au bénéfice des opérateurs économiques et des administrés[77].

Le Conseil d’État s’est aussi prononcé sur les modalités de mise en œuvre du principe, arrêté par le Gouvernement en 2013, selon lequel le silence de l’administration ne vaudrait plus rejet, mais acceptation. Ce principe vise à fluidifier l’action administrative et à accélérer les délais de réponse afin d’accroître son efficacité[78]. En délimitant son périmètre d’application et les critères de dérogation, l’étude du Conseil d’État a permis de préparer la mise en œuvre de cette réforme.

Si le Conseil d’État n’a pas consacré, en droit interne, le pendant subjectif du principe de sécurité juridique[79], à savoir le principe de confiance légitime, reconnu par le droit de l’Union européenne[80], il a nettement mis l’accent sur la sécurisation et la stabilisation du droit. Cette évolution est identifiable dans sa jurisprudence qui, sans s’aligner strictement sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne, a admis qu’en matière fiscale un contribuable puisse se prévaloir d’une « espérance légitime » créée par un mécanisme de crédit d’impôt rétroactivement supprimé par le législateur[81]. S’inspirant notamment de cette jurisprudence[82], le Conseil constitutionnel a ensuite reconnu, en décembre 2013, l’impossibilité de remettre en cause « les effets qui peuvent légitimement être attendus » de situations légalement acquises[83].

Ces exemples montrent la volonté du Conseil d’État de s’investir activement dans la simplification de l’action administrative, qui représente un enjeu majeur pour notre pays et nécessite une intervention forte, efficace et rapide.

B. En tant que conseiller du Gouvernement et juge administratif, le Conseil d’État participe aussi à la définition du cadre de l’action économique des personnes publiques.

L’essor du droit de l’Union européenne et la consécration des principes de libre concurrence dans le champ économique ont très largement contribué à renouveler les modalités de l’action économique des personnes publiques.

1. Il existe, en France, une tradition d’interventionnisme étatique dans de nombreux secteurs économiques en vue de satisfaire l’intérêt général, qui a été bousculée par l’essor du droit de l’Union européenne et, notamment, du principe de libre concurrence qu’il consacre. Désormais, les missions d’intérêt général accomplies dans le cadre d’un service public ne peuvent plus être entièrement déconnectées du droit de la concurrence, comme elles tendaient dans une certaine mesure[84] à l’être auparavant[85]. Les articles 101 à 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prohibent, en effet, toute restriction au libre fonctionnement du marché et, notamment, les ententes, les abus de position dominante et les aides d’État. Tous les acteurs économiques, quels qu’ils soient, sont, par principe, soumis à ces règles dès lors que leurs activités ont un impact économique, le droit de l’Union européenne ne faisant aucune distinction entre les entreprises publiques et les entreprises privées[86]. En outre, l’article 106 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit expressément que les règles de la concurrence s’appliquent, y compris aux opérateurs chargés de la fourniture d’un service d’intérêt économique général. La suite de ce paragraphe nuance toutefois la rigueur du principe en prévoyant une dérogation à l’application de ces règles, dès lors qu’elles feraient échec à l’accomplissement de la mission particulière impartie aux entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général. La notion de service d’intérêt économique général doit par conséquent être appréhendée comme la clé d’une dérogation à l’application du droit de la concurrence lorsqu’est envisagé l’exercice de missions d’intérêt général. La portée de ces dispositions a été précisée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union. Celle-ci a ainsi jugé que des contraintes de service public particulières peuvent justifier des dérogations aux règles de la concurrence et, par suite, l’instauration de droits exclusifs au profit de certaines entreprises afin de leur permettre d’assurer leurs missions d’intérêt général – il s’agissait en l’espèce de la régie des postes belge et d’une entreprise néerlandaise de production d’électricité[87]. La Cour de justice a également précisé le régime des aides d’État, qui sont en principe prohibées, en jugeant que ne sont pas considérées comme telles les subventions qui visent à compenser exactement les coûts résultant d’obligations de service public[88].

Progressivement, l’approche pragmatique qui avait présidé à la définition du régime des services d’intérêt économique général a été incorporée dans une vision plus globale et systématique des services d’intérêt général dans l’Union européenne. D’une part, la place particulière de ces services a été consacrée par le Traité d’Amsterdam[89], puis par le protocole n° 26 du Traité de Lisbonne sur les services d’intérêt général. Ces services englobent autant les services d’intérêt économique général, dont le rôle dans la « cohésion sociale et territoriale de l’Union » a par ailleurs été reconnu par la Charte des droits fondamentaux[90] et l’article 14 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, que les services non économiques. D’autre part, la Cour de justice a défini les caractéristiques des activités économiques auxquelles s’applique le droit de la concurrence, et celles des  activités non-économiques, telles que les services de sécurité sociale financés par un système par répartition[91] ou les activités régaliennes des États[92]. Enfin, dans les secteurs de services en réseau, s’est développée la notion de service universel, qui impose que soit assurée à tous la fourniture d’un certain nombre de services essentiels avec une garantie d’approvisionnement selon une qualité définie et à un prix abordable. De telles obligations ont notamment été imposées dans le secteur postal[93], en contrepartie de son ouverture à la concurrence, et aux entreprises de distribution d’électricité, qui doivent assurer un approvisionnement de qualité à tous les usagers potentiels à un prix raisonnable[94].

La définition de ces nouvelles catégories juridiques a eu des conséquences importantes sur les services publics français en imposant, dans bien des cas, non pas leur privatisation, mais la transformation des opérateurs[95] et la séparation entre leurs activités soumises au droit de la concurrence et leurs missions de régulation ou de service universel qui bénéficient d’un régime dérogatoire eu égard à leur spécificité. Le droit de l’Union a en outre banalisé la catégorie des entreprises publiques, dès lors que la Cour de justice fonde l’application du droit de la concurrence sur l’intervention d’opérateurs sur les marchés et sur leur impact économique et non sur leur forme juridique ou la détention publique de leur capital[96]. Même lorsqu’elles interviennent sous la forme d’un établissement public, les personnes publiques doivent respecter le droit de la concurrence et ne pas s’exposer au grief de bénéficier d’aides d’État[97]. En vertu du principe de subsidiarité, les États-membres ont toutefois conservé une large marge d’appréciation « quant à la définition de ce [qu’ils] considèrent comme des services d’intérêt économique général »[98], ainsi que sur les modalités d’organisation de ces services[99], la Cour de justice de l’Union européenne se limitant sur ces points à un contrôle de l’erreur manifeste.

2. Si le droit de l’Union a conduit à remodeler, sans la faire disparaître, la tradition française des services publics, l’essor de la politique de la concurrence de l’Union européenne et l’ouverture des économies ont profondément renouvelé les conditions d’intervention des personnes publiques dans la sphère économique. Dans ses attributions juridictionnelles et consultatives, le Conseil d’État accompagne ces évolutions.

En 2006, il a ainsi précisé les conditions dans lesquelles des personnes publiques peuvent se livrer à des interventions économiques. Il a jugé que si ces personnes entendent prendre en charge une activité économique, indépendamment de leurs missions de service public, elles ne peuvent le faire qu’à la double condition de justifier d’un intérêt public et de respecter les principes de la liberté du commerce et de l’industrie et de la libre concurrence[100]. Initialement limitée à la carence ou l’insuffisance de l’initiative privée, la notion d’intérêt public peut recouvrir des réalités plus diverses et plus larges[101]. Peut ainsi être considérée comme d’intérêt public la prestation de téléassistance aux personnes âgées et handicapées par un département dans le cadre de sa compétence en matière d’aide sociale, alors même que des acteurs privés proposent des prestations comparables[102]. La nécessité d’assurer l’équilibre financier d’un service public peut également justifier l’intervention de la personne publique sur un marché[103]. Le Conseil d’État a aussi défini les hypothèses dans lesquelles les personnes publiques sont soumises aux mêmes règles que les personnes privées, à savoir celles du droit de la concurrence, que ce soit dans le cadre de la commande publique[104] ou en tant qu’autorité de police[105]. En outre, alors qu’il est, sauf dérogation du législateur, le juge des décisions des autorités de régulation, en particulier économiques, le Conseil d’État a décidé, en mars 2016, de connaître de certains actes de droit souple de ces autorités, tels que les avis, recommandations, mises en garde ou prises de position qu’elles émettent. Bien que dépourvus d’effet juridique, ces actes peuvent désormais être contestés devant le juge administratif, dès lors qu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont les autorités de régulation pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ou qu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou qu’ils ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent[106].

Au titre de sa fonction consultative, le Conseil d’État s’emploie aussi, depuis plusieurs années, à préciser les conditions de l’action économique des personnes publiques confrontées aux défis de l’imbrication croissante des économies aux niveaux mondial et européen et de l’intégration du droit de la concurrence dans le droit public[107]. Dans son étude annuelle de 2015, consacrée à l’action économique des personnes publiques, le Conseil d’État s’est ainsi attaché à répondre à trois séries de questions, sur le rôle des personnes publiques dans l’activité économique, sur les fondements juridiques de cette action et sur les conditions de son efficacité. Sur ce dernier point, il a notamment recommandé de développer l’action économique des personnes publiques selon trois axes. D’une part, en ayant recours à un nombre limité d’acteurs pour éviter une trop grande dispersion de l’action économique des personnes publiques, qui nuit à sa cohérence aux niveaux local et national. D’autre part, en assurant une meilleure préparation des décisions par un recours accru aux procédures d’évaluation ex-ante et ex-post et un approfondissement du dialogue avec les entreprises. L’étude souligne en effet les anticipations insuffisantes dans la préparation des décisions économiques, alors même que le contexte international et européen et les conditions budgétaires et financières se sont complexifiés et durcis. Enfin, en choisissant les outils les plus adaptés à l’objectif poursuivi et, notamment, en repensant la politique des participations de l’État et en adaptant le régime des entreprises publiques, plus particulièrement leur financement et leur gouvernance. Le Conseil d’État a aussi élaboré un guide des outils d’action économique destiné aux administrations afin de les informer et de les accompagner dans la mise en œuvre des procédures et mécanismes à leur disposition en matière économique. Ce guide, organisé en huit chapitres, comporte 24 fiches correspondant à autant d’outils à la disposition des administrations en matière, notamment, de concours financiers à des opérateurs du secteur concurrentiel, de domanialité ou de marchés publics.

De nouveaux défis nous attendent aujourd’hui en matière économique. Le développement des grandes entreprises du secteur numérique – les fameux GAFTA :  Google, Apple, Facebook, Twitter et Amazon – et leur soumission aux principes du droit de l’Union et, notamment, du droit de la concurrence est aujourd’hui d’une actualité brûlante, comme en témoignent les procédures engagées par la Commission européenne à l’encontre de Google[108] et d’Apple[109] en raison de manquements allégués aux règles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prohibant les abus de position dominante[110] et les aides d’État[111]. Pour les autorités nationales de régulation, comme pour les juges qui en contrôlent les décisions, le développement de l’économie numérique représente un défi majeur qui doit conduire à adapter la politique de la concurrence ainsi que la nature du contrôle exercé[112]. Le Conseil d’État en est pleinement conscient. En 2014, déjà, son étude annuelle a porté sur les conséquences de l’ère numérique pour les droits fondamentaux. L’étude de 2017, actuellement en cours de préparation, portera sur un autre phénomène marquant de la révolution numérique, à savoir la rupture introduite par les plateformes numériques et « l’ubérisation » de l’économie. Cette étude examinera les formes et les conséquences de l’essor du numérique sur les acteurs économiques et les professions réglementées qui sont concernés. Car le développement de plateformes numériques chargées de la prestation de services aussi divers que l’hébergement touristique ou le transport automobile de personnes est un défi pour les structures économiques existantes. Le Conseil d’État se prononcera sur le rôle que les pouvoirs publics peuvent jouer pour accompagner et réguler ce phénomène. Il formulera des recommandations tendant à adapter plusieurs politiques publiques.

Par son action consultative et juridictionnelle, le Conseil d’État  participe ainsi, aux côtés des juges constitutionnel et européen, à la détermination des règles du jeu économique en contribuant à la définition de principes et en fixant les modalités de l’intervention économique des personnes publiques[113]. Ce faisant, il accompagne les acteurs publics dans la gestion des nouveaux défis que crée pour eux la conduite de politiques économiques dans un contexte européen et international de plus en plus ouvert.

C. Dans un troisième et dernier exemple de l’activité du Conseil d’État, je souhaiterais souligner le rôle qu’il joue au service de l’État de droit, notamment dans le contexte de l’état d’urgence.

1. Comme conseiller du Gouvernement, le Conseil d’État s’est attaché à définir un équilibre entre la préservation d’une action efficace de l’administration et la garantie des libertés et des droits fondamentaux protégés, notamment, par la Constitution et les traités internationaux auxquels la France est partie. Chaque fois qu’il a été saisi d’un texte relatif à l’état d’urgence – et, en particulier, de ses cinq prorogations – ou, de manière plus générale, à la lutte contre le terrorisme, le Conseil d’État a procédé à un examen attentif avec toujours la même volonté de trouver l’équilibre le plus fin et le plus adéquat entre la protection de l’ordre public et la garantie des libertés fondamentales. Il a ainsi vérifié, pour chaque projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, que cette prorogation et l’extension des pouvoirs de l’administration permise dans ce cadre n’étaient pas excessives au regard des objectifs poursuivis et que les dispositions proposées étaient assorties de garanties suffisantes pour les personnes concernées[114]. S’agissant des assignations à résidence, il a ainsi estimé que le dispositif proposé était proportionné à l’objectif poursuivi, dès lors que les mesures d’assignation à résidence devaient faire l’objet d’un réexamen à chaque nouvelle prorogation de l’état d’urgence[115] et que la rigueur de ces mesures était tempérée par des garanties pour les personnes assignées à résidence[116] – notamment par la limitation de la durée de l’astreinte à domicile, du nombre de présentations aux services de police et de l’interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes. En 2015, le Gouvernement a aussi demandé l’avis du Conseil d’État sur la possibilité d’imposer des mesures privatives ou restrictives de liberté à certaines personnes connues des services de police pour leur radicalisation et, plus précisément, aux personnes faisant l’objet d’une fiche « S » qui est le signalement le plus minime du fichier des personnes recherchées. A cette occasion, le Conseil d’État n’a pas hésité à rappeler, dans son avis du 17 décembre 2015, qu’une telle mesure, pour des personnes uniquement suspectées de liens avec la mouvance terroriste et n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation pénale, serait contraire à la Constitution et aux engagements internationaux de la France. Il a aussi émis des réserves quant à la possibilité d’instaurer une rétention de sûreté, c'est-à-dire une privation de liberté pour des personnes déjà condamnées pour des actes de terrorisme et ayant purgé leur peine. Il a demandé, en pareille hypothèse, de prévoir des garanties et un encadrement suffisant du dispositif[117], par analogie avec ce qui existe déjà pour les auteurs de crimes particulièrement graves[118].

Si le 8 décembre 2016, le Conseil d’État a donné un avis favorable à la cinquième prorogation de l’état d’urgence compte tenu, notamment, de l’importance des risques d’attentat au regard du nombre de ceux déjoués depuis juillet 2016 (une douzaine), du prochain retour de Syrie vers l’Europe de plusieurs milliers de djihadistes et de la perspective des campagnes électorales présidentielle et législatives, il a demandé que soit plafonnée à un an la durée maximale des assignations à résidence en l’absence d’élément nouveau justifiant une prolongation. Cette recommandation a été partiellement suivie par le Gouvernement, puis concrétisée dans la loi du 19 décembre dernier qui prévoit qu’une personne ne peut être assignée à résidence pendant plus de douze mois qu’après autorisation donnée, sur demande du ministre de l’intérieur, par le juge des référés du Conseil d’État, et ce dans la limite de trois mois[119].

2. Dans sa fonction juridictionnelle, maintenant, le Conseil d’État a précisé le régime juridique des nombreuses mesures susceptibles d’être prises par l’administration sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 modifiée. En raison de l’objet et des effets des assignations à résidence, il a ainsi jugé que l’urgence du recours des personnes concernées devait être présumée et que celles-ci pouvaient saisir le juge du référé-liberté à qui il appartient, le cas échéant, de prononcer une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde dans un délai qui ne dépasse le plus souvent pas les 48 heures[120]. A l’issue d’une audience au cours de laquelle les parties débattent contradictoirement de l’ensemble des pièces du dossier, y compris des notes des services de renseignement, le juge administratif se prononce sur l’existence ou non d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et il opère, à cette occasion, la nécessaire conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés mises en cause. Par ailleurs, le Conseil d’État a précisé que, dans le cadre de son contrôle de légalité comme en urgence, le juge administratif exerce sur ces mesures d’assignation le triple contrôle de leur caractère nécessaire, adapté et proportionné[121], comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 décembre 2015[122].

Plus récemment, le Conseil d’État a aussi défini le régime des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence, sur lesquelles il exerce, là aussi, un contrôle approfondi et, en particulier, le triple contrôle de proportionnalité[123]. Il a également jugé que la responsabilité de l’État pouvait être engagée pour faute simple, à raison des illégalités affectant la décision de perquisition, mais aussi des conditions matérielles de son exécution, notamment en cas d’usage excessif et non nécessaire de la force ou lorsque des enfants mineurs sont présents.

Depuis la déclaration de l’état d’urgence le 14 novembre 2015, le Conseil d’État n’a jamais hésité à transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité qui lui paraissaient nouvelles et sérieuses. En 2015 et 2016, quatre renvois ont ainsi été effectués, portant sur la conformité à la Constitution des dispositions relatives aux assignations à résidence[124], aux fermetures provisoires de salles de spectacle, débits de boisson et lieux de réunion[125], aux perquisitions administratives[126] et aux conditions d’utilisation des données informatiques saisies[127]. Une cinquième question prioritaire de constitutionnalité vient d’être transmise au Conseil constitutionnel le 16 janvier dernier sur la conformité à la Constitution des très récentes dispositions de la loi du 19 décembre dernier permettant, sous conditions, la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de douze mois[128]. La circonstance que, comme conseiller du Gouvernement, le Conseil d’État ait pu approuver les projets de loi de prorogation n’a jamais été un obstacle à l’exercice entier, indépendant et impartial de ses fonctions juridictionnelles sur ces mêmes lois.

 

Depuis sa création, en 1799 par la Constitution de l’an VIII, le Conseil d’État s’est employé à exercer avec rigueur et engagement ses fonctions, consultative et juridictionnelle, celles-ci s’épaulant et se renforçant mutuellement dans le respect du principe d’impartialité. Car le Conseil d’État conseille les pouvoirs publics avec l’autorité d’un juge. Et il juge en connaissance de cause, dans la mesure où il a acquis une culture et une connaissance approfondies des politiques publiques, à l’élaboration desquelles il est associé. Plus que jamais dans le contexte économique et social actuel et dans la crise persistante que traverse la société française, il est conscient du rôle qu’il doit jouer comme conseiller du Gouvernement et comme juge administratif. Il est plus conscient de ses devoirs et de ses obligations que des quelques droits qu’il pourrait faire valoir. Par ses études, ses avis et ses décisions juridictionnelles, mais aussi par les colloques et les conférences qu’il organise et la participation de ses membres à de nombreuses missions d’intérêt public, le Conseil d’État est un acteur éminent de la vie de la Cité. Il est de sa responsabilité, comme de celle des autres acteurs publics, de contribuer à garantir et renforcer l’État de droit et à assurer l’efficacité de l’action publique et, plus largement, le redressement de notre pays au service de nos concitoyens et de l’intérêt général.

[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2] G. Braibant, « Le rôle du Conseil d’État dans l’élaboration du droit », Mélanges René Chapus, éd. Montchrestien, 1992, p. 93.

[3] Ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945 portant sur le Conseil d’État.

[4] Article 39, alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 et article L. 112-1, alinéa 1er du code de justice administrative.

[5] Article 38, alinéa 2, et article 74-1, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958.

[6] Article 39, alinéa 5 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Voir pour les modalités de mise en œuvre, la loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.

[7] Article 39, alinéa 5 de la Constitution.

[8] Rapport public 2016, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2015, La Documentation française, 2016,p. 207. Pour les trois propositions de loi examinées en 2016 le Conseil d’État avait été saisi en décembre 2015.

[9] M. Long, « Le Conseil d’État et la fonction consultative : de la consultation à la décision », RFDA, 1992, p. 787.

[10] CC, 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnances à l’adoption de la partie législative de certains codes, n° 99-421, pt. 13.

[11] CC, 16 juillet 1971, Loi complétant les articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, n° 71-44 DC.

[12] Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution.

[13] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

[14] Article 55 de la Constitution. CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, n° 108243 ; Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes et Société des cafés Jacques Vabre ; Cons. Constitutionnel, 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, n° 74-54 DC.

[15] CJCE, 15 juillet 1964, Costa c. ENEL, aff. 6/64 ; CE, 24 septembre 1990, Boisdet, n° 58657 ; CE Ass., 28 février 1992, S.A. Rothmans International France et S.A. Philip Morris France, n° 56776 et 56777.

[16] Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Administration des douanes et Société des cafés Jacques Vabre et CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, n° 108243.

[17] M. Long, op.cit. note 9, p. 787.

[18] Par exemple, saisi du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE dans le domaine de la prévention des risques, le Conseil d’État a proposé l’abrogation de plusieurs dispositions qui étaient redondantes avec les dispositions générales du code de l’environnement (Rapport public 2016, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2015, La Documentation française, 2016, p. 214).

[19] M. Long, « Mon expérience de la fonction consultative du Conseil d’État », RDP, n° 5/6, 1998, p. 1427.

[20] H. Hoepffner, « Les avis du Conseil d’État », RFDA 2009, p. 895.

[21] CC, 3 avril 2003, « Loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants du Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques », n° 2003-468 DC.

[22] CE Ass., 16 avril 1986, Roujansky et autres, n° 74993 ; CE Ass., 17 décembre 1993, Chevallier et autres, n° 132744 ;CE Sect., 20 décembre 2013, Fédération française des artisans coopérateurs du bâtiment, n° 357198.

[23] CE, 10 janvier 2007, Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles, n° 283175.

[24] D. Chabanol, Code de justice administrative, 7ème édition, commentaire de l’article L.112-2, p. 36.

[25] Article L. 112-2 du code de justice administrative.

[26] Par exemple, en 2015, le Conseil d’État a été consulté par le Gouvernement sur la conformité à la Constitution du dispositif prévoyant la création d’un fichier judiciaire des auteurs d’infractions en matière de terrorisme.

[27]Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger, étude adoptée le 25 février 2016.

[28]Pour une meilleure insertion des normes communautaires dans le droit national, La Documentation française, 2006 ; Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, La Documentation française, 2015.

[29] Etude du Conseil d’État, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La Documentation française, 2013.

[30]Etude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, étude adoptée par l’Assemblée générale plénière du Conseil d’État le 25 mars 2010.

[31] Article L. 112-3 du code de justice administrative.

[32] Article 13 de la loi des 16-24 août 1790.

[33] Décret du 16 fructidor an III.

[34] Article 52 de la Constitution de l’an VIII

[35] Loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’État.

[36] CE, 13 décembre 1889, Cadot, Rec. 1148.

[37] CC,  3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, n° 2009-595 DC, pt. 3.

[38] Selon l’expression du président J. Romieu dans ses conclusions sur l’affaire Jacquin (CE, 30 novembre 1906).

[39] CC, 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, n° 86-224 DC, pt. 15.

[40] CC, 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, n° 89-261 DC, pt. 21.

[41] TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain, Rec. 91 : les services publics industriels et commerciaux relèvent en principe de la compétence du juge judiciaire, à la différence des services publics administratifs qui relèvent de la compétence du juge administratif.

[42] TC, 9 juin 1986, Commune de Kintzheim c. ONF, n° 02428.

[43] TC, 5 juillet 1982, Dris, n° 02231.

[44] TC, 9 juin 1986, Commune de Kintzheim c. ONF, n° 02428.

[45] CE Ass., 31 juillet 1942, Monpeurt, Rec. 239.

[46] CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », Rec. 417.

[47] CE, 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735.

[48] CE Ass., 2 avril 1943, Bouguen, Rec. 86.

[49] Les tribunaux administratifs ont été créés, en remplacement des conseils de préfecture, par le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 portant réforme du contentieux administratif.

[50] Loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif.

[51] Article R. 311-1 du code de justice administrative.

[52] Les 19% restants des saisines se répartissent entre les renvois des TA et des CAA (2%), les recours contre les décisions de rejet de l’aide juridictionnelle (12%), et les QPC transmises par les TA, les CAA et les juridictions administratives spécialisées, les demandes d’avis, les questions préjudicielles et les recours en révision, rectification d’erreur matérielle, demande de sursis à exécution, …

[53] Article R. 122-21-1 du code de justice administrative.

[54] Article R. 122-21-3 du code de justice administrative.

[55] Article R. 122-21-2 du code de justice administrative.

[56] Article R. 122-20 du code de justice administrative. La composition de l’Assemblée du contentieux a été modifiée par l’article 8 du décret n° 2008-225 du 6 mars 2008 pour désormais comprendre les quatre présidents de chambre les plus anciens dans leurs fonctions (5° de l’article R. 122-20).

[57]De la sécurité juridique, Rapport public annuel 1991, La Documentation française.

[58]curité juridique et complexité du droit, EDCE n° 57, La Documentation française, 2006.

[59] M-A. Lévêque et C. Vérot, « Comment réussir à simplifier ? Un témoignage à propos du code », RFDA, 2016, p. 12.

[60] Rapport du Médiateur de la République pour l’année 2001, cité dans Sécurité juridique et complexité du droit, EDCE, 2006.

[61] M-A. Lévêque et C. Vérot, op. cit. note 59, p. 12. Les auteurs font état d’un taux de non-recours de 40%.

[62]Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, op.cit. note 29, p. 35. Cette étude du Conseil d’État fait suite à une demande du Premier ministre en date du 31 mai 2013.

[63] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

[64] Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

[65] Comme en dispose l’article 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, le régime « général » des études d’impact, prévu à l’article 8 de la même loi, ne s’applique ni aux projets de loi de finances, ni aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, ni aux projets de loi ayant pour objet la ratification ou l’approbation des traités ou accords internationaux. Toutefois, s’agissant des projets de loi ayant pour objet la ratification ou l’approbation de certains traités ou accords internationaux, le 3e alinéa de l’article 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 prévoit un régime « spécial » d’étude d’impact et énumère les éléments devant y figurer. Certains projets de loi sont soumis à l’obligation d’étude d’impact en vertu de dispositions particulières. Ainsi, les projets de loi de finances doivent faire l’objet d’une évaluation préalable conformément aux articles 51 et 53 de la loi organique relative aux lois de finances mais seulement pour une partie des dispositions de ces textes (les articles fiscaux, les dispositions relatives aux autres ressources de l’État inscrites en première partie de la loi, dès lors qu’elles affectent l’équilibre budgétaire, et les dispositions de la seconde partie énumérées à l’article 34, II, 7° de la LOLF). Les projets de lois de financement de la sécurité sociale doivent aussi, pour certaines dispositions, faire l’objet d’une évaluation préalable en vertu de l’article LO. 111-4 du code de la sécurité sociale, ces dispositions étant énumérées au V de l’article LO. 111-3 du même code.

[66] Article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

[67] CE Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et Société Ernst & Young et autres, n° 288460 et autres, Rec. 154. Cet arrêt est novateur en ce qu’il consacre expressément le principe de sécurité juridique, mais ce dernier sous-tendait déjà de très nombreuses solutions du droit administratif (CE Ass., 25 juin 1948, Société du journal « l’Aurore », Rec. 289, qui pose le principe de non-rétroactivité des actes administratifs). Il a été confirmé par CE Sect., 27 octobre 2006, Société Techna et autres, n° 260767, Rec. 451.

[68]Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche. Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, présenté par M. Olivier Fouquet, juin 2008.

[69]Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche. Rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, présenté par M. Olivier Fouquet, juin 2008. pp. 20-28.

[70] P-O. Rigaudeau, « La généralisation du rescrit en droit administratif ? Pas pour tout de suite », Droit administratif, 2016, n°4.

[71]Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, op. cit. note 29, p. 7.

[72]Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, op. cit. note 29.

[73] Ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur.

[74]Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets op. cit. note 29. Voir aussi P-O. Rigaudeau, op.cit. note 70.

[75] M-A. Lévêque et C. Vérot, op.cit. note 59, p. 12.

[76] Ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement et décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 relatif à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement. Ces dispositions ont été pérennisées par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale et les décrets n° 2017-81 et 2017-82 du même jour.

[77] Voir les propositions n° 21, 22 et 24 de l’étude annuelle du Conseil d’État, Simplification et qualité du droit (2016). p. 113-117.

[78] Etude du Conseil d’État, L’application du nouveau principe « silence de l’administration vaut acceptation », La Documentation française, 2014 (étude adoptée le 30 janvier 2014).

[79] D. Simon, « La confiance légitime en droit communautaire : vers un principe général de limitation de la volonté de l’auteur de l’acte ? », in Etudes à la mémoire du professeur Alfred Rieg, Bruylant, 2000.

[80] CJCE, 5 juin 1973, Commission c. Conseil, aff. 81/72 ; CJCE, 5 mai 1981, Dürbeck, aff. 112/80.

[81] CE, plén.fisc., 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c. Société EPI, n° 308996, Rec. 200. Voir aussi CE, 19 novembre 2008, Société GETECOM, n° 292948.

[82] Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, n° 2013-682.

[83] CC, 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, n° 2013-682, pt. 14.

[84]Le droit administratif français n’a jamais entièrement ignoré le principe de libre concurrence. En l’absence d’un intérêt public local le justifiant, le Conseil d’État a ainsi annulé la délibération d’un conseil municipal créant un poste de médecin rémunéré par la commune dans une commune où il en existait déjà deux (CE, 29 mars 1901, Casanova, Rec. 333). Il a également précisé les conditions dans lesquelles une personne publique est susceptible de prendre directement en charge des activités industrielles ou commerciales en présence d’un intérêt public local justifié, notamment, par la carence de l’initiative privée (CE Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, Rec. 583).

[85] Cette observation ne concerne que les services publics industriels et commerciaux. Les services publics administratifs continuent pour leur part d’échapper à l’application du droit de la concurrence.

[86] CJCE, 23 avril 1991, Höfner, C-41/90.

[87] CJCE, 19 mai 1993, Corbeau, aff. C-320/91 : la CJCE juge que des compensations entre des activités rentables et non rentables sont envisageables si elles permettent d’assurer la couverture de l’ensemble du territoire ; CJCE, 27 avril 1994, Commune d’Almelo et autres c. NV Energiebedrijf Ijsselmij, aff. C-393/92 : la CJUE juge que les États-membres peuvent autoriser des restrictions à la libre concurrence, telles que des approvisionnements garantis, si elles sont nécessaires pour permettre à une entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci.

[88] CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, aff. C-280/00. Pour qu’une compensation liée à des services d’intérêt économique général ne soit pas regardée comme une aide d’État, elle doit remplir les conditions suivantes : (i) les obligations de service public de l’entreprise bénéficiaire doivent être clairement définies ; (ii) les paramètres sur la base desquels sera calculée la compensation doivent être préalablement définis de façon objective et transparente ; (iii) la compensation ne peut dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par les missions d’intérêt général ; (iv) lorsque le choix de l’entreprise chargée d’une mission de service public n’est pas effectué dans le cadre d’un appel d’offre concurrentiel, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée pour satisfaire aux exigences de service public requises.

[89] Article 7 D du Traité d’Amsterdam : « eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la cohésion sociale et territoriale de l’Union, la Communauté et ses États-membres (…) veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leur mission. »

[90] Article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément au traité instituant la Communauté européenne, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union. »

[91] CJCE, 17 février 1993, Poucet et Pistre, aff. C-159/91 et C-160/91.

[92] CJCE, 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaf mbh c. Eurocontrol, aff. C-364/92, s’agissant de l’organisme Eurocontrol chargé du contrôle et de la police de l’espace aérien.

[93] Directive n° 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service ; Directive n° 2002/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 juin 2002 en ce qui concerne la poursuite de l’ouverture de la concurrence des services postaux de la Communauté ; Directive n° 2008/6/CE du 20 février 2008 en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté.

[94] Article 3 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

[95] Par exemple, la loi du 9 février 2010 a transformé La Poste, qui était un établissement public industriel et commercial, en une société commerciale (Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales).

[96] CJUE, 23 avril 1991, Höfner, aff. C-41/90 ; CJUE, 17 mai 2001, TNT Traco, aff. C-340-99.

[97] Article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[98] TPICE, 15 juin 2005, Fred Olsen c. Commission, aff. T-17/02. Voir sur ce point l’affaire CJUE, 8 septembre 2009, Liga portuguesa de futebol profissional c. Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericordia de Lisboa : la Cour souligne dans cet arrêt les divergences qui existent entre les États-membres en matière de jeux de hasard et elle juge qu’en « l’absence d’une harmonisation communautaire en la matière, il appartient à chaque État-membre d’apprécier les exigences que comporte la protection des intérêts concernés ». En l’espèce, la Cour a donc jugé que l’octroi de droits exclusifs était justifié compte tenu de l’organisation du secteur des jeux de hasard au Portugal et du fait que les recettes sont ensuite reversées à des organismes de lutte contre la criminalité et pour la protection des consommateurs.

[99] Article 14 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[100] CE Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 275531.

[101] CE, 5 juillet 2010, Syndicat national des agences de voyage, n° 308564, Rec. 240.

[102] CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, n° 306911.

[103] CE Sect., 10 février 1988, Mézy, n° 67019, Rec. 53 : prestation d’un service de thanatopraxie en complément du monopole des pompes funèbres ; CE, 23 mai 2003, Communauté de communes Artois-Lys, n° 249995 : création d’un service facultatif de réhabilitation des installations d’assainissement autonome pour assurer l’équilibre financier du service d’assainissement non collectif assuré par la collectivité.

[104] CE Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, n° 169907, Rec. 406.

[105] CE Sect., avis, 22 novembre 2000, Société L & P Publicité SARL, n° 223645, Rec. 406.

[106] CE Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International Gmbh, n° 368082 etCE Ass., 21 mars 2016, Société NC Numéricable, n° 390023.

[107] TC, 6 juin 1989, Préfet de la région Ile-de-France, n° 02578 (Ville de Pamiers) ; CE Sect., 3 novembre 1997, Société Million et Marais, Rec. 406.

[108] En avril 2015, la Commission européenne a adressé à Google une communication des griefs au sujet de son service de comparaison des prix et elle a ouvert une procédure distincte s’agissant du système d’exploitation et des applications Android qui a donné lieu à une communication des griefs en avril 2016.

[109] A l’issue d’une enquête ouverte en juin 2014, la Commission européenne a estimé que deux rulings fiscaux émis par l’Irlande en faveur d’Apple étaient assimilables à des aides d’État dès lors qu’ils ont permis de réduire à 1% puis 0,005 % le taux d’imposition sur les sociétés appliqué à Apple, lui conférant ainsi un avantage significatif par rapport aux autres sociétés implantées en Irlande.

[110] Article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. / Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : / a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables, / b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, / c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, / d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

[111] Article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »

[112] G. Decocq, « L’économie digitale saisie par les autorités de concurrence », AJ Contrats d’affaires – Concurrence – Distribution, 2016, p. 172.

[113] C. Touboul, « Juger l’action économique, c’est encore agir sur l’économie », RFDA, 2016, p. 83.

[114] Avis CE n° 390786 du 17 novembre 2015.

[115] Article 14 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Voir avis CE n° 391124 du 2 février 2016.

[116] Avis CE n° 390786 du 17 novembre 2015.

[117] Avis CE n° 390867 du 17 décembre 2015.

[118] Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

[119] Loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

[120] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.

[121] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.

[122] CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC, pt. 12.

[123] CE Ass. Avis, 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135.

[124] CE ord., 11 décembre 2015, M. Domenjoud,n° 395009 ; CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC.

[125] CE ord., 15 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme,n° 395091 ; CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, n° 2016-535 QPC.

[126] CE ord., 15 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme,n° 395092 ; CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, n° 2016-536 QPC.

[127] CE ord., 16 septembre 2016, M. Ariiveheataiteraipori, n° 402941 ; CC, 2 décembre 2016, M. Raïme A., n° 2016-600 QPC.

[128] CE ord., 16 janvier 2017, n° 406614.