Les Entretiens du contentieux :Politique de l’urbanisme, droit à construire et juge administratif
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Discours d’introduction Didier-Roland Tabuteau1
Vice-président du Conseil d’Etat
Madame la sénatrice,
Monsieur le ministre,
Monsieur le président honoraire de la section du contentieux,
Monsieur le président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs les avocats et avocats aux Conseils,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers collègues,
Je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui, et d’ouvrir ces entretiens du contentieux. Ceux-ci sont un des moments forts des colloques qui prennent place au Palais-Royal. Ils permettent en effet la mise en discussion d’un thème au regard des évolutions de la jurisprudence, avec une pluralité de regards, qui mêlent des juges, des universitaires, mais aussi des avocats et des acteurs de la politique publique. Ils apportent une diversité de regards et d’expériences.
Après avoir porté ces trois dernières années sur les référés, les nouvelles frontières du droit administratif et sur l’efficacité du juge administratif, le thème retenu cette année est celui du droit de l’urbanisme. Ce droit comprend des enjeux politiques, juridiques et économiques. Cette multitude de questions, que le juge garde toujours à l’esprit, rendra la discussion particulièrement riche aujourd’hui, grâce bien sûr à la qualité des intervenants. Je les remercie chaleureusement d’avoir accepté l’invitation. Mes remerciements vont également à ceux qui ont organisé ce colloque, et singulièrement au président de la section du contentieux Christophe Chantepy, à la présidente et au président adjoint de la section du rapport et des études Martine de Boisdeffre, et Fabien Raynaud, et enfin bien sûr au président de l’ordre des avocats aux Conseils, François Molinié.
Le droit de l’urbanisme est avant tout, pour nos concitoyens, le droit du permis de construire, qui renvoie au logement, avec toute la charge d’affect que cela comprend. Les politiques publiques sont naturellement appelées à prendre en compte cet affect, en favorisant la construction de logements – comprise depuis 20 ans entre 340 000 et 500 000 par an2 – ou en promouvant des types d’habitation qui définissent la manière dont nous vivons ensemble – que l’on pense seulement à tout l’inconscient collectif charrié par le rêve pavillonnaire. L’effet de ce droit de l’utilisation des sols3 peut être constaté chaque jour, dans l’agencement des villes, mais aussi dans les règles qui s’imposent aux constructions – pensons à celles déclinées dans les plans locaux d’urbanisme qui encadrent la hauteur ou la couleur des immeubles. Le droit de l’urbanisme est d’abord, historiquement, une police administrative, qui régit l'espace dans lequel nous vivons et agissons au quotidien, qui détermine les projets individuels et collectifs de construction et d'aménagement, qui affecte les droits et le patrimoine des propriétaires.
Comme pour de nombreuses disciplines, le concept d’urbanisme n’a commencé à être énoncé en tant que tel que bien après sa pratique. On peut ainsi rappeler les premiers plans de ville en damier, qu’on attribue à Hippodamos de Milet au Vème siècle avant notre ère, ou la planification de la ville qu’énonce Platon au livre VI des Lois. Cette pratique avait en particulier, dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, des objectifs sanitaire et de sécurité, avec en premier lieu la lutte contre la propagation des épidémies et des incendies. Vous permettrez à l’ancien président de la section sociale d’évoquer la loi du 13 avril 1850 sur le logement insalubre, qui est une loi d’hygiène publique et qui a néanmoins préfiguré les législations d’organisation de la ville. Les mêmes réflexions avaient d’ailleurs, au XIXème siècle, conduit à installer les usines et les manufactures à l’est de Londres et de Paris pour éviter que les vents d’ouest charrient les fumées vers la ville. Comme discipline identifiée, le terme lui-même n’est apparu dans la langue française qu’au cours des années 1910 pour désigner une science nouvelle née de la société industrielle4. Cette discipline nouvelle devait pour les uns mêler le progrès social et la technique, l’efficacité et l’hygiène, pour les autres à l’inverse refléter la richesse des relations humaines et la permanence des traditions culturelles5. Héritier d’une réflexion critique et utopique qui appuyait ses projets sur l’organisation spatiale6, l’urbanisme visait déjà à répondre à l’ensemble des problèmes de la société. Le droit de l’urbanisme comprend naturellement cette ambition, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’efficacité, la multitude d’objectifs pouvant limiter leur réalisation.
La complexité de ce droit vient non seulement de ses enjeux, mais également du nombre d’acteurs impliqués et des multiples instruments de planification, d’encadrement et de décisions individuelles qu’ils manient. Pourtant, la sécurité juridique, la prévisibilité, et le respect du principe de légalité sont ici d’une particulière importance. D’une certaine manière, ce droit concentre toutes les difficultés et contradictions qui peuvent exister entre les passions humaines – du propriétaire, du riverain, de l’association – et les exigences du droit. Les aspirations contradictoires de notre société, comme l’opposition entre la volonté de densifier les villes et le souhait d’y développer des espaces verts ou entre le modèle pavillonnaire et le refus d’artificialiser encore les espaces naturels, se traduisent au contentieux. Le phénomène NIMBY : « not in my backyard », qui correspond au refus de résidents d’un projet local d’intérêt commun lorsque sa réalisation leur ferait subir des nuisances, en est la manifestation la plus symptomatique. Confronté à ces difficultés, le développement du contentieux a toutefois, en retour, permis la création de remèdes ingénieux. Ils doivent limiter les recours parfois malveillants ou abusifs, et donner des solutions effectives et pratiques aux litiges dont le juge a à connaitre. Qu’il s’agisse des questions de recours – compétence juridictionnelle, recevabilité et pouvoir d’instruction – ou de l’office du juge, le droit de l’urbanisme est à bien des égards un « laboratoire » du droit, pour reprendre l’idée de Daniel Labetoulle7.
Ces différents points, qui concernent les enjeux du droit de l’urbanisme (I), son organisation avec l’éclatement du pouvoir de décision (II) et enfin la question du droit au recours et l’office du juge (III) sont les questions centrales qui seront examinées aujourd’hui.
I. Le droit de l’urbanisme s’est construit par strates successives, avec une multiplication des objectifs qui lui sont assignés
1. Comme le mot d’urbanisme lui-même, le droit est en cette matière récent. Si l’évolution de l’urbanisme faisait déjà déplorer à Baudelaire que « la forme d'une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel »8, c’est seulement à compter de la Première Guerre mondiale que l’on prend véritablement conscience en France de la croissance urbaine. La planification s’impose alors, avec l’idée de zonage, qui remonte à la loi Cornudet du 14 mars 19199. C’était se détacher d’une organisation sans planification a priori, qui reposait seulement sur la détermination de pôles fonctionnels – comme à Rome où différents centres furent constitués notamment autour des travaux de Michel-Ange : le centre religieux de Saint-Pierre, le centre résidentiel du palais Farnèse, le centre municipal du Capitole ; et, à partir de ces pôles, un « tissu » urbain qui se développe de lui-même.10. Le zonage permet de sortir de la pure logique d’autorisation et d’interdiction sans projet préétabli, qui présidait durant le XIXème siècle, siècle de l’urbanisation, mais pas encore de l’urbanisme11 . Après que l’acte dit loi du 15 juin 194312 posa les bases de l’urbanisme contemporain, en instaurant le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme13 et surtout en créant le permis de construire, l’urbanisme opérationnel se développe dans les années 1960 pour répondre aux besoins nés du baby-boom. La décentralisation, facteur décisif de la pratique du droit de l’urbanisme, l’entrée de l’environnement dans le droit de l’urbanisme en 197614 , et la loi SRU du 13 décembre 200015, marquent l’urbanisme contemporain. Les grandes lois postérieures, comme la loi Grenelle II16, la loi ALUR17 ou la loi ELAN18, continuent le développement de ce droit avec des objectifs souvent disparates et créant une forme d’instabilité juridique.
2. Cette construction stratifiée, et l’ambition de traiter par l’urbanisme des problèmes plus larges, a mené le législateur à assigner une multitude d’objectifs à cette matière, avec les problèmes de lisibilité et de complexité induits. Il suffit de lire l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme pour s’en convaincre. Cet article fixe des objectifs classiques, comme « la sécurité et la salubrité publique19 », la « qualité urbaine, architecturale et paysagère20 », « la mixité sociale dans l'habitat21 », et des objectifs plus originaux comme, – je cite encore – « la promotion du principe de conception universelle pour une société inclusive22 ». La protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique23 sont également présentées comme une fin en matière d’urbanisme. A cet égard, l’objectif précis de lutte contre « l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme » 24 pose des questions particulières. Il est décliné dans un nouvel article créé par la loi dite Climat et résilience de 202125. L’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols est bien sûr une réponse au péril pour la biodiversité et l’environnement26 . Au-delà de la perte de lisibilité du droit de l’urbanisme, cet objectif met en exergue la contradiction pratique qui peut exister entre les différents objectifs en cause. Certains objectifs paraissent ainsi contradictoires, comme d’une part l’accroissement de constructions face à l’augmentation de la démographie et aux évolutions des modes de vie, et d’autre part ceux de qualité, d’inclusion, ou encore ceux liés aux préoccupations environnementales qui peuvent largement limiter les constructions. La rénovation des habitats, la densification d’espaces déjà urbanisés ou la conversion des friches, paraissent toutefois apporter certaines réponses27. Toutes ces questions, autour de la sorte de quadrature du cercle des enjeux de l’urbanisme, pourront être discutées ce matin.
II. A la multitude des acteurs s’ajoute une complexité du régime des décisions en matière d’urbanisme
1 . Si le premier article du code proclame une forme d’unité, en disposant que « le territoire français est le patrimoine commun de la nation »28, l’alinéa suivant rappelle que les collectivités publiques en sont les gestionnaires, chacune dans leur champ de compétence déterminé par la décentralisation.
Le premier décisionnaire, ou le dernier selon l’angle par lequel on étudie ce droit, est bien sûr la personne physique ou morale qui demande un permis de construire – ou fait une déclaration préalable –, l’autorisation d’aménager ou le permis de démolir. Ces demandes s’insèrent dans des strates de règles liées entre elles par un rapport de compatibilité, et qui sont le reflet de l’organisation politique territoriale de notre pays. Surtout, ces règles décidées par les collectivités publiques ont par nature un ancrage local, et il y a par exemple autant de plans locaux d’urbanisme qu’il y a d’intercommunalités en France.
A ces spécificités s’ajoute la diversité des outils juridiques spécifiques qui sont conçus pour l’action foncière, comme le droit de préemption ou la réserve foncière ; pour l’urbanisme opérationnel, comme les zones d’aménagement concerté ; ou encore pour l’urbanisme normatif, comme les emplacements réservés ou les servitudes assorties d’un droit de délaissement. Le droit de l’urbanisme se caractérise ainsi par une grande diversité de types de décisions administratives, adoptées par un nombre important de collectivités territoriales et variant d’un lieu à l’autre.
Le contrôle des actes et décisions en matière d’urbanisme est d’abord opéré par le juge administratif, autre acteur majeur du droit de l’urbanisme. Certains contentieux sont toutefois soumis au juge judiciaire29, qu’il s’agisse notamment des infractions prévues par le code de l’urbanisme, pour lesquelles l’élément intentionnel est présumé, ou de la possibilité d’engager la responsabilité générale ou spécifique de celui qui cause un dommage30.
2 . Sur le fond, les règles nationales disposent d’un poids particulier – au travers du règlement national d’urbanisme, et des règles spécifiques relatives à la montagne31 et au littoral32, et surtout de tout ce qui vise la protection de l’environnement. Cette place illustre l’hésitation profonde entre encadrement national et local, pour ce droit qui est avant tout un droit spatial. Dans notre pays à tradition centralisatrice, le premier mouvement pour atteindre des objectifs est celui de la centralisation. La multitude d’objectifs que j’énonçais peut dès lors inciter à toujours davantage de centralisation, heurtant le principe d’autonomie des collectivités mis en exergue dès le premier article du code de l’urbanisme33 . La tension entre centralisation et décentralisation, qui existe dans chaque texte de droit de l’urbanisme et singulièrement dans les textes liés à la transition énergétique à l’instar de la loi Climat et résilience34, est probablement un des éléments structurants du droit de l’urbanisme. Le caractère global de certains enjeux, comme l’érosion du littoral amplifiée par le réchauffement climatique, et qui mène à reculer le trait de côte , pourrait encore accroître cette tension.
Un autre élément structurant est la nécessité de concilier les différentes décisions. La multiplicité des règles et leur variation est une source potentielle d’insécurité juridique. Elle reçoit des réponses innovantes, comme le certificat d'urbanisme, qui a pour objet d'informer le demandeur sur les règles d'urbanisme applicables à un terrain et sur les opérations qui y sont réalisables, en assurant que ces règles seront appliquées aux demandes d’autorisation et aux déclarations préalables déposées dans les dix-huit mois36. Pour l’administration cette fois, la complexité des règles qu’elle doit appliquer a mené à la création du sursis à statuer qui permet à l'autorité compétente de reporter temporairement la réponse à apporter à une demande d'urbanisme pour éviter de compromettre soit l'exécution du futur document d'urbanisme, soit la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'équipement. Ces mécanismes sont des outils pratiques qui permettent de concilier la complexité qui découle de la multiplicité des enjeux, et les intérêts antagonistes rattachés à ces enjeux37.
Le troisième élément structurant, qui répond à la complexité engendrée par la pluralité des objectifs et à la diversité des acteurs impliqués, c’est la conception du contentieux de l’urbanisme.
III. Le contentieux de l’urbanisme a vocation à apporter des remèdes à une forme de complexité qui pourrait sinon entrainer un immobilisme stérile
A certains égards, le contentieux de l’urbanisme peut être un laboratoire du contentieux administratif. Il concentre en effet les difficultés principales qui existent, entre complexité du droit applicable, intérêts importants portés par les décisions examinées, utilisation parfois dilatoire et abusive des recours du fait de la charge passionnelle qui entoure le droit de propriété. En outre, il s’agit souvent d’un « contentieux triangulaire38 », pour employer l’expression systématisée par le président Labatoulle qui soulignait ainsi la spécificité d’un recours où le requérant est un tiers à la relation binaire qui existe d’ordinaire dans les contentieux administratifs classiques39 .
1 . Face à toutes ces complexités, le droit a d’une part évolué pour lutter contre les recours abusifs qui fragilisent la sécurité juridique des autorisations délivrées. Dès la loi du 9 février 199440, s’inspirant du rapport du Conseil d’Etat de 1992, L’urbanisme, pour un droit plus efficace, des dispositions particulières furent prévues pour le contentieux de l’urbanisme. C’était le début du développement des remèdes aux maux propres du droit de l’urbanisme, qui fut marqué par de nombreuses évolutions depuis 30 ans. On peut en particulier noter la rénovation de ce contentieux en 201341 à la suite d’un rapport établi par un groupe de travail présidé par le président Daniel Labetoulle42 , puis en 201843 grâce aux propositions du rapport de la présidente Maugüe44. Ces réformes avaient pour objectif, assumé par les pouvoirs publics, d’augmenter le nombre de logements construits, en faisant un lien, toutefois jamais établi, entre la faiblesse de la construction et le nombre de recours ou la durée pour les juger. Le droit de l’urbanisme encadre désormais mieux l’intérêt pour agir des requérants45, et limite les possibilités d'invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité des documents d'urbanisme46. De nombreux autres mécanismes ont été institués pour réguler l’accès au prétoire en luttant contre les recours vus comme abusifs, qui fragilisent la sécurité juridique des autorisations délivrées. C’est le cas de la cristallisation des moyens invoqués devant le juge saisi d’une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol47, qui limite en même temps la recevabilité des référés suspension48; ou de la diminution en 2018 du délai au terme duquel un recours en annulation ne peut plus être formé à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement49. La suppression de l’appel pour un certain nombre d’autorisations d’urbanisme est un autre exemple50. Les mécanismes spécifiques du droit de l’urbanisme ont pu inspirer le droit administratif général, à l’instar de la possibilité laissée au juge de fixer une date de cristallisation des moyens ouverte désormais pour tous les litiges51, ou de l’inopérance des moyens tirés des vices de forme et de procédure lors de la contestation d’un acte règlementaire par voie d’exception ou lors du recours contre le refus d’abroger un tel acte52.
2 . Les enjeux propres au droit de l’urbanisme, d’autre part, ont conduit à l’adaptation de l’office du juge. La possibilité de régularisation des actes, qui combine la protection de la sécurité juridique à la protection du principe de légalité, est un des points les plus saillants de cet office particulier. Particulièrement plastique53, la régularisation peut ainsi intervenir durant l’instance et avant le jugement définitif de l’affaire, à l’initiative de l’administration ou du juge54, ou encore a posteriori55, c’est-à-dire après l’annulation conditionnelle de l’acte, qui invite à sa réfection. Mécanisme nécessaire au regard des impératifs du droit de l’urbanisme, la pratique de la régularisation n’est pas toujours gage de simplification du droit56, et elle n’équivaut jamais à son immaculée conception57. L’office du juge se caractérise également par les délais de jugement contraints qui s’imposent à lui58, et par l'obligation qui lui est faite, lorsqu’il annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension en l'état du dossier59.
Ces règles importantes appellent toutefois une vigilance particulière. La limitation des recours en cette matière permet de tarir le flux de recours abusifs, et l’office du juge peut limiter l’effet de malfaçons régularisables par des modifications qui n’apportent pas au projet un « bouleversement tel qu’il en changerait la nature même60». Toutefois, la complexité engendrée par les règles spécifiques entraine également des difficultés particulières pour le juge administratif dont le travail est rendu plus épineux. Si le droit de l’urbanisme est un utile laboratoire, tous les produits qui y sont développés ne pourront sans doute par être étendus à l’ensemble du droit administratif sans complexifier outre mesure ce droit. Une telle complexification pourrait en retour avoir des effets négatifs sur l’équilibre que le droit doit toujours assurer entre sécurité juridique et protection du principe de légalité, entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.
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Voici esquissées les grandes questions qu’aborderont les entretiens d’aujourd’hui. Revenir sur les décisions rendues par la juridiction administrative au cours des dernières années sera particulièrement nécessaire et riche. Je tiens, avant de donner la parole aux premiers orateurs, à renouveler mes remerciements à l’ensemble des intervenants qui nous font l’honneur de leur présence. Je leur souhaite de passionnants et fructueux échanges à l’occasion des entretiens d’aujourd’hui.
Je vous remercie.
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1Texte écrit en collaboration avec Jean-Baptiste Desprez, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
2INSEE, Logements mis en chantier de 2000 à 2021, paru le 16 juin 2022. En 2002, étaient ainsi mis en chantier 131 logements collectifs et 211 000 logements individuels ; en 2006, 234 000 logements collectifs et 259 000 logements individuels ; en 2021, 228 000 logements collectifs et 163 000 logements individuels.
3Article L. 101-3 du code de l’urbanisme : « La réglementation de l'urbanisme régit l'utilisation qui est faite du sol, en dehors des productions agricoles, notamment la localisation, la desserte, l'implantation et l'architecture des constructions »
4Le mot d’urbanisme avait pu être employé à compter du XVIIIème siècle dans le sens de science de l’urbanité, définitie comme la « politesse que donne l’usage du monde » selon le Dictionnaire de l’académie française, 5ème édition, 1798
5Sur le développement de la notion, voir l’article Urbanisme, Encyclopédie universalis thématique, tome 10, 2004, Promotion Presse Mediasat ; et la Teoria general de la urbanizaction (1867) dans lequel l’ingénieur et architecte espagnol Ildefonso Cerdà entend « initier le lecteur à une matière complètement neuve, intacte et vierge ».
6A commencer par l’Utopia de Thomas More (1516)
7Daniel Labetoulle, « Droit du contentieux de l’urbanisme et droit du contentieux administratif », Mélanges Jean Waline, Dalloz, 2002, pp. 629-638 ; et « Bande à part ou éclaireur ? », AJDA n°33, 7 octobre 2013, pp. 1897-1900
8Baudelaire, Le Cygne, Les Fleurs du mal, 1857
9Loi du 14 mars 1919 Plans d'extension et d'aménagement des villes
10Voir l’article Urbanisme, « urbatecture », Encyclopédie universalis thématique, tome 10, 2004, Promotion Presse Mediasat
11Xavier de Lesquen, Dynamiques du droit de l’urbanisme, LGDJ, Lextension, Systèmes, 2018
12Loi du 15 juin 1943 d’urbanisme, parue au journal officiel le 24 juin suivant.
13Dont le principe, qui admet des exceptions, est aujourd’hui codifié à l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme
14Loi n°76-1285 du 31 décembre 1976 portant réforme de l'urbanisme
15Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
16Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II
17Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové
18Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
194° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
202° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
213° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
228° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
237° de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
24Article 6° bis de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme
25Article L. 101-2-1 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ».
26Péril qui provient de la préférence des ménages français pour l’habitat individuel, d’un cadre fiscal qui a pu mener à l’accroissement de l’habitat individuel, ou encore du développement du réseau de transport avec des infrastructures qui représentent plus de 25 % des surfaces totales artificialisées cf. Julien Fosse et al., Objectif « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ? Rapport France et Stratégie, juillet 2019
27Voir Rozen Noguellou, La loi Climat et résilience et le droit de l'urbanisme : le zéro artificialisation nette, AJDA 2022 p.160
28Article L. 101-1 du code de l’urbanisme
29Voit en particulier les articles L. 480-1, L. 480-4 et L. 610-1 du code de l’urbanise
30La réparation pourra ainsi être demandée sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil (ancien art. 1382) voire, dans certains cas, sur le fondement de la responsabilité spécifique pour troubles de voisinages par exemple pour l’exécution d’une opération d’urbanisme qui en causerait.
31Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ; voir : art. L. 122-1 à L. 122-27 du code de l’urbanisme.
32Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ; voir : art. L. 121-1 à L. 121-51 du code de l’urbanisme.
33Alinéa 3 de l’article L. 101-1 du code de l’urbanisme : « En vue de la réalisation des objectifs définis à l'article L. 101-2, elles harmonisent leurs prévisions et leurs décisions d'utilisation de l'espace dans le respect réciproque de leur autonomie. »
34Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ». Voir sur cette tension les présentations de la commission mixte paritaire par la banque des territoires, « Projet de loi Climat et Résilience : les apports du Sénat en commission, deuxième partie », 8 juin 2021, par Philie Marcangelo-Leos et Frédéric Fortin / MCM Presse avec Anne Lenormand pour Localtis
35Voir par exemple, Emmanuelle Maupin, De nouveaux outils pour s’adapter au recul du trait de côté, Dalloz actualité, 14 avril 2022
36Voir en particulier les articles L. 410-1 et suivants et R*410-1 et suivants du code de l’urbanisme.
37Julien Béal-Long, Le sursis à statuer en droit de l'urbanisme : conciliation entre intérêts antagonistes RFDA 2022 p.97
38Intervention de Daniel Labetoulle, retranscrite dans Questions pour le droit administratif, AJDA 1995, numéro spécial, p. 11
39Voir également Rozen Noguellou, les « contentieux triangulaires » –– AJDA 2019. 2577
40Loi n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction
41Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme.
42Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, rapport du groupe de travail créé le 11 février 2013 par Madame Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, avril 2013
43Notamment par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique et le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme
44Propositions pour un contentieux des autorisations d'urbanisme plus rapide et plus efficace, 11 janvier 2018
45Art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme ; voir sur ce point : CE 10 juin 2015, M. Brodelle et Mme Gino, n°386121.
46Article L. 600-1 du code de l’urbanisme : « L'illégalité pour vice de forme ou de procédure d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'une carte communale ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ne peut être invoquée par voie d'exception, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la prise d'effet du document en cause. »
47Article R. 600-5 du code de l’urbanisme
48CE 6 oct. 2021, Mme Maillard et a., no445733 B : il résulte du premier alinéa de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme que l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés dans le cadre du recours au fond dirigé contre un permis de construire a pour effet de rendre irrecevable l'introduction d'une demande en référé tendant à la suspension de l'exécution de ce permis
49Article R.*600-3 du code de l’urbanisme, le décret no 2018-617 du 17 juill. 2018, art. 7, faisant passer ce délai de 1 an à 6 mois
50Voir l’article R. 811-1-1 du code de l’urbanisme, modifié par le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme, et plus précisément l’article de Rozen Noguellou, Nouvelles évolutions réglementaires du contentieux de l'urbanisme, RDI 2022 p.361
51Article R. 611-7-1 du code de justice administrative – l’article R.*600-4 du code de l’urbanisme ayant été a été abrogé en ce qu'il ne présente plus d'utilité, son dispositif étant désormais précisé et généralisé à tout le contentieux administratif.
52CE, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n° 414583
53Voir Henri Bouillon, Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » (dir. Sourzat & Friedrich) ; Art. 241 La régularisation en droit de l’urbanisme
54Articles L. 600-5-1 et L.600-9 du code de l’urbanisme
55L. 600-5 du code de l’urbanisme
56Voir par exemple : Rozen Noguellou, Régularisation et droit de l'urbanisme –– RFDA 2018. 370 : « Il convient par ailleurs d'envisager l'hypothèse dans laquelle le document d'urbanisme aura été annulé par le tribunal administratif - ce qui conduira à un retour aux dispositions d'urbanisme directement antérieures - puis où le juge d'appel décidera d'annuler le jugement non pas sur le fond, mais sur l'absence de régularisation - ce qui est censé permettre au document annulé devant les premiers juges de « rester applicable ». Il y aura là une succession dans le temps de règles d'urbanisme applicables assez complexe (document illégal, norme d'urbanisme directement antérieure, retour au document illégal, document « régularisé »), qui démontre que la régularisation n'est pas nécessairement le gage d'une simplification du droit. »
57Henri Bouillon, Journal du Droit Administratif (JDA), 2019, Dossier 06 : « La régularisation en droit public » prec. cité.
58L’article R. 600-6 du code de l’urbanisme prévoit ainsi un délai de dix mois pour les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux, contre les permis d'aménager un lotissement ou contre les décisions refusant la délivrance de ces autorisations, délai qui s’impose également à la cour administrative d’appel s’agissant des jugements rendus sur ces requêtes.
59L. 600-4-1 du code de l’urbanisme
60Critère issu de l’avis CE sect. avis 2 octobre 2020 M. Barrieu, n° 438318, publié au Recueil, et repris pour le permis de construire modificatif par CE, 26 juillet 2022 n° 437765