Les entretiens du Conseil d’Etat en droit social
Les entretiens du Conseil d’Etat en droit social
« Les professions de santé demain »
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Palais-Royal
Vendredi 7 février 2020
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Intervention de Bruno Lasserre,
vice-président du Conseil d’Etat1
Mesdames et Messieurs les présidents et les directeurs,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,
Je suis heureux d’être avec vous ce matin pour l’ouverture de la neuvième édition des Entretiens en droit social, co-organisés par la section du rapport et des études et la section sociale du Conseil d’Etat et consacrés, aujourd’hui, aux professions de santé. Ces entretiens sont des moments importants dans la vie du Conseil d’Etat car ils sont l’occasion de prendre le temps d’aborder des sujets qui sont au cœur des débats en matière de santé, de politique sociale ou de travail et ainsi de mieux appréhender les enjeux concrets et pratiques qui sous-tendent les questions dont nous pouvons être saisis comme juge, mais aussi comme conseiller du Gouvernement.
Le sujet d’aujourd’hui est, à n’en pas douter, vaste et complexe. Ceci d’abord car la notion de « professions de santé » reste à ce jour particulièrement difficile à cerner : des auteurs parmi les plus éminents ont récemment consacré un volume entier à tenter de la définir, en prévenant le lecteur qu’une définition unitaire demeure « introuvable dans l’état actuel du droit positif2 ». Et tout le monde s’accorde d’ailleurs à dire que les professions de santé sont depuis plusieurs années en voie de multiplication et de diversification, notamment du fait d’une spécialisation croissante des disciplines. Ce qu’on peut dire aussi, à défaut d’une définition unitaire, c’est que ces professions partagent une vocation commune, à savoir la protection de la santé, érigée au rang de principe particulièrement nécessaires à notre temps par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 19463 . Il s’agit là d’une vocation d’intérêt général s’il en est, qui explique que les pouvoirs publics attachent la plus grande importance au fonctionnement de ces professions, à leur organisation et à leur efficacité, d’autant plus que les enjeux sous-jacents en termes de finances publiques sont considérables. Il est impératif que les professions de santé « fassent système » et que la diversification à l’œuvre s’accompagne d’une répartition cohérente des tâches, afin de répondre de manière soutenable aux défis de santé.
Cette journée sera ainsi l’occasion d’examiner les tensions qui traversent ce système, de révéler ses failles et ses fissures, pour réfléchir ensuite à ce que peut être, demain, une « bonne régulation » des professions de santé. Etant entendu que les trois tables rondes focaliseront leur attention sur un pan seulement du système puisque l’hôpital ne sera abordé qu’incidemment, même s’il est évident que la frontière qui a traditionnellement séparé l’hôpital et la médecine de ville est poreuse, mouvante, et que les évolutions de l’une influent directement sur l’autre.
Dans le cadre de cette introduction, je tenterai pour ma part de mettre en lumière certaines lignes de force et d’identifier quelques grandes questions qui nourriront dès après les discussions des différents intervenants.
* * *
I. Je commencerai en premier lieu par un constat : les professions de santé, confrontées aux objectifs de santé publique et à des évolution sociales et technologiques majeures, sont en pleine évolution
A. En France, l’organisation des professions de santé est depuis longtemps caractérisée par un fort cloisonnement et la place prépondérante accordée aux médecins
1. Cette place centrale du médecin dans le système de santé français plonge ses racines dans l’histoire, ainsi que l’a brillamment montré à plusieurs reprises le président Tabuteau4 : les tentatives d’incursion de la puissance publique dans le domaine médical – en particulier l’institution, lors de la Révolution et au début de l’Empire, des « officiers de santé5 » et, plus tard, la mise en œuvre de différents dispositifs de protection sociale – ont en effet suscité de vives réactions de la part des médecins, qui ont progressivement pris conscience de ce qu’ils avaient en commun, de ce qui les caractérisait. C’est cet antagonisme avec l’Etat qui a façonné l’identité de la profession autour de grands principes demeurés en vigueur jusqu’à nos jours.
Le premier de ces principes, c’est peut-être le monopole de l’exercice de la médecine réservé aux seuls titulaires du doctorat de médecine. Durement acquis à la fin du 19e siècle, il explique que beaucoup d’actes aient été réservés aux médecins alors qu’ils sont aussi pratiqués, ailleurs qu’en France, par des professionnels moins qualifiés6 ; il explique également que le code de la santé publique continue de définir les « autres professions de santé » comme des dérogations au monopole des médecins7 , lui-même protégé par l’infraction d’exercice illégal de la médecine8 .
Un deuxième grand principe, c’est celui de l’exercice libéral de la médecine de ville, censé symboliser, contrairement au salariat, l’indépendance du médecin. De ce statut découle la liberté d’installation9 , consacrée par la loi du 3 juillet 197110 , qui postule que le médecin a le choix du lieu d’exercice de son activité et que l’ouverture de son cabinet médical n’est pas soumise à un régime d’autorisation ou de déclaration administrative. La liberté dans la fixation des honoraires, de son côté, bien qu’encadrée depuis longtemps, est toujours restée au cœur des négociations entre la profession, l’Etat et les caisses de sécurité sociale. Et cet encadrement n’a pas empêché que le principe du paiement direct des honoraires par le malade11 soit protégé avant d’être élevé, par la loi12 , au rang de « principe déontologique fondamental », faisant du tiers payant une procédure toujours spéciale.
Il est enfin certainement possible de voir dans l’affirmation du « colloque singulier » et du triptyque liberté du diagnostic, liberté de la thérapeutique, liberté de la prescription un principe d’exclusion des pouvoirs public du domaine médical.
2. La profession médicale s’est ainsi constituée comme le centre de gravité d’un système autour duquel évoluent les autres professions de santé. Ces autres professions, parmi lesquelles le code de la santé publique distingue, outre les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes rangées dans les « professions médicales », les professions de la pharmacie et de la physique médicale d’une part13 , les auxiliaires médicaux, aides-soignants et auxiliaires de puéricultures d’autre part14 , ont au moins ceci de commun 1) que leurs compétences sont beaucoup plus restreintes que dans de nombreux autres pays, et 2) que leur droit de prescription est longtemps demeuré très limité. La profession infirmière illustre particulièrement bien le rôle traditionnellement dévolu à ces « autres » professions de santé : l’infirmier a d’abord été l’assistant du médecin et le cadre juridique de la profession restera profondément marqué par ce caractère accessoire jusqu’à ce qu’un rôle propre, qui n’a cessé depuis lors de grandir15 , leur soit reconnu sous l’influence du droit européen16 .
Au-delà de ces traits communs qui reflètent parfaitement ce que le président Tabuteau a pu appeler le « glacis juridique et professionnel17 » protégeant les médecins, ces autres professions de santé apparaissent très disparates, tant du point de vue de la formation, des modalités d’exercice et de la place du salariat, de la structuration ou non en ordre professionnel que de la place qu’y occupe la déontologie18 . Et je ne me risquerai pas à tenter ici une systématisation sans doute vaine : car ce qui me semble aujourd’hui davantage importer, c’est plutôt d’interroger la pérennité du dualisme et du cloisonnement au sein des professions de santé, lesquels apparaissent déjà bien entamés.
B. Entamés car cette structuration des professions de santé s’est heurtée aux objectifs de santé publique fixés par l’Etat et doit s’adapter aux évolutions de la technique et de la société
1. Un premier problème qui a résulté de cette structure tout à la fois médico-centrée, cloisonnée et atomisée, c’est celui de l’accès aux soins, car la liberté d’installation des médecins de ville n’a pas conduit à un maillage territorial couvrant spontanément la demande, mais au contraire à des déséquilibres : pénuries de médecins – généralistes ou spécialistes – à certains endroits, surdensité ailleurs, avec pour conséquence des inégalités difficilement tolérables. Il est donc apparu indispensable de mieux concilier le principe de liberté qui structure la médecine libérale et le principe d’égalité auquel se réfèrent les politiques de santé publique. Et je me permets ici une petite parenthèse pour relever que le Conseil d’Etat avait eu à connaître de cette question dès 1901, dans une célèbre affaire où il jugea qu’un conseil municipal pouvait légalement embaucher un médecin communal en cas de carence de l’initiative privée19 . Je dis parenthèse mais cet arrêt n’est pas seulement folklorique, car au fond, la vraie question est aujourd’hui encore de déterminer dans quelle mesure et par quels moyens la puissance publique peut intervenir dans la régulation de la médecine libérale afin de garantir l’égal accès aux soins20 . Et la grille de lecture identifiée en 1901 n’est pas obsolète : l’objectif poursuivi est-il légitime ? L’atteinte à la liberté est-elle proportionnée ?
Un autre objectif de santé publique remet en cause la structure de nos professions de santé : c’est celui de la qualité ou de la pertinence21 des soins, qui implique de développer la prévention et d’organiser un meilleur suivi ou, pour reprendre le terme consacré, une « prise en charge globale » du patient. Mieux prévenir doit conduire à réorienter un système qui s’est construit – et, ne l’oublions pas, a excellé – sur le versant curatif des soins. A cet égard, en dépit d’indicateurs de santé globalement satisfaisants et en constante amélioration, on sait que la mortalité prématurée en France reste relativement élevée et que l’espérance de vie sans incapacité y est plus faible que dans d’autres pays européens22. Elaborer un parcours de soins plus complet et mieux adapté suppose pour sa part de continuer à ébrécher les cloisons qui séparent encore les professions de santé en favorisant la coopération, la coordination et l’institution d’une santé en réseau, ainsi que l’a appelée de ses vœux le Président de la République lors de la présentation de la stratégie « Ma Santé 202223 ».
2. J’aimerais par ailleurs évoquer deux évolutions importantes de la société qui ne pourront rester sans effet sur l’organisation de nos professions de santé. La première est celle du vieillissement de la population : à mesure que la population des personnes âgées en perte d’autonomie croitra, les professions de santé vont devoir s’adapter pour répondre aux nouvelles demandes, étant entendu que la prise en charge de ces personnes rend indispensable une articulation dans la durée entre soins cliniques et techniques d’une part, et un accompagnement du maintien de l’autonomie d’autre part. D’ici à 2040, les effectifs d’infirmiers pourraient ainsi augmenter de plus de 50 % afin, principalement, de répondre à ces besoins24 . Un tel rééquilibrage de la place des infirmiers emportera nécessairement des conséquences sur le partage des compétences entre les différents professionnels. Des professions nouvelles pourraient aussi voir le jour pour assurer la coordination de la prise en charge sanitaire et sociale de ces personnes, sur le modèle des case-managers anglo-saxons25.
La deuxième évolution à laquelle je pense, c’est le progrès technologique. Ses conséquences à moyen terme sur les professions de santé sont évidemment difficiles à prévoir, mais une chose est sûre : la technologie et le numérique sont appelés à jouer un rôle grandissant en matière de santé. Des filières de techniciens, d’informaticiens ou d’ingénieurs du vivant sont en cours de développement et en voie d’acquérir une place autonome, à côtés des médecins, dans les professions de santé. La télémédecine ou e-santé26 , qui n’est pas neuve, va massivement se développer et demander aux professionnels de santé d’exercer leurs métiers autrement27 . Et l’intelligence artificielle, de son côté, requerra de certains professionnels – je pense par exemple aux radiologues, aux dermatologues voire à certains chirurgiens – qu’ils se forment et adaptent leurs pratiques afin que naisse une véritable complémentarité homme-machine28 .
II. Ces tensions expliquent que la puissance publique n’ait cessé d’intervenir pour concilier l’organisation des professions de santé à ses objectifs de santé publique, et ceci interroge sur les modalités d’une bonne régulation de la santé
A. La puissance publique a expérimenté de nombreux dispositifs pour concilier l’organisation des professions de santé et les objectifs de santé publique
1. S’agissant des professions médicales, de très nombreux dispositifs ont été élaborés par les pouvoirs publics afin de réaliser ces objectifs. Je me bornerai à en mentionner quelques-uns pour illustrer la diversité de ces interventions.
Afin d’assurer à la fois un égal accès aux soins dans sa dimension tarifaire et de maîtriser les dépenses publiques de santé, l’encadrement des honoraires facturés par les médecins repose aujourd’hui sur l’existence de tarifs opposables et le conventionnement en secteurs 1 et 2, dont les modalités sont périodiquement négociées dans le cadre de la convention médicale. Dans un objectif de maîtrise des dépenses mais également d’amélioration de la qualité et de la pertinence des soins, la convention médicale de 201129 a par ailleurs institué la « rémunération sur objectifs de santé publique », qui prévoit l’attribution d’une prime versées en fonction de l’atteinte d’objectifs de santé publique et d’efficience des prescriptions. Ce dispositif est remarquable en ce qu’il a activé le levier de la rémunération, qui sera discuté lors de la deuxième table ronde de cette journée. Et je crois en effet essentiel de nous interroger sur la rémunération comme outil de régulation des pratiques médicales : car si la tarification à l’activité sur laquelle repose en majorité le financement de notre système de santé n’est pas dénuée de mérites30 , elle discrimine mal selon la qualité des soins et n’incite ni à la prévention, ni à une coordination efficace et à un partage suffisant de l’information entre les différents acteurs31 .
L’objectif de réduction des inégalités territoriales a quant à lui justifié depuis longtemps – sans succès évident – une kyrielle d’aides financières32 ou d’exonération fiscales destinées à favoriser l’installation ou le maintien des médecins déjà en exercice. La loi HPST de 200933 est allée plus loin en tentant d’agir dès le stade des études médicales, avec le « contrat d’engagement de service public », qui ouvre droit à une allocation mensuelle pour les étudiants qui s’engagent à s’installer dans des lieux insuffisamment couverts34 . Ce contrat est lui aussi intéressant car les expériences menées à l’étranger montrent que les dispositions les plus efficaces sont généralement celles intégrées à la formation initiale35 . Il reste que les inégalités n’ont pas été résorbées, et c’est pourquoi la restructuration de l’organisation territoriale des soins a été placée au cœur de la stratégie « Ma Santé 2022 ».
La recherche d’un meilleur accès aux soins et d’une prise en charge globale a enfin conduit les pouvoirs publics à promouvoir l’exercice groupé des professions de santé avec, par exemple, les « centres de santé36 », les « pôles de santé37 », les « maisons de santé38 » ou, plus récemment, les « communautés professionnelles territoriales de santé39 ». Ces structures ont ceci de commun qu’elles permettent une mutualisation des moyens – elles présentent donc, au-delà des aides associées, un intérêt économique pour leurs membres – et reposent en contrepartie sur un projet conforme à des objectifs de santé publique. Le développement de ces modes d’exercice collectif de la médecine libérale rompt clairement avec la construction historique de la profession et permet peut-être d’entrevoir ce que seront, demain, les professions de santé.
2. Les réformes entreprises ont également conduit à revaloriser d’autres professions de santé tout en élargissant leurs périmètres d’exercice, afin de favoriser la coopération avec le corps médical. Je pense une fois de plus aux infirmiers, qui ont poursuivi leur processus d’autonomisation : ceci est notamment passé par l’accroissement du nombre d’actes relevant en propre de la profession, par l’association des instituts de formation et de l’université, par la reconnaissance des « pratiques avancées40 » – qui ont vocation à s’ouvrir à d’autres secteurs – ou encore par la structuration de la profession dans un ordre autonome disposant d’un code de déontologie prévu par la loi41 . La création d’un espace institutionnalisé a d’ailleurs fait émerger une réflexion originale sur les pratiques infirmières et contribué à renouveler la place des infirmiers dans le réseau de soins42 .
Le développement des « protocoles de coopération43 » va également dans le sens d’une meilleure valorisation des auxiliaires médicaux : ces accords passés entre professionnels de santé opèrent entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins. Et si ces protocoles restent encore peu nombreux à ce jour, ils ont sans doute permis d’ouvrir le débat, devenu incontournable, sur la répartition des compétences, le partage des rôles et les conditions d’exercice des professions de santé demain44 .
B. Mais le temps passe et j’aimerais terminer en évoquant quelques pistes de réflexion relatives à la régulation des professions de santé
1. Une première piste de réflexion concerne l’adaptation de la liberté d’installation des médecins libéraux. On constate à cet égard que la portée conférée à cette liberté a toujours empêché aux pouvoirs publics de leur imposer des dispositions véritablement contraignantes. Et ceci ne découle nullement de la simple qualification de médecine « libérale », puisque précisément, les infirmiers libéraux et les pharmaciens45 sont soumis à de telles dispositions lors de leur installation46 . Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie47 et le Cour des comptes48 avaient ainsi tous deux préconisé de recourir à des mécanismes plus « directifs » que de simples incitations financières pour réguler l’installation des médecins. La question de la meilleure manière de réguler l’installation des médecins – quelle place pour la contrainte, pour la sanction, pour l’incitation ? – reste donc posée, étant entendu que les solutions clés en main n’existent pas et que sa réponse devra tenir compte non seulement du contexte, marqué par une forte désaffection pour l’exercice libéral de la médecine, mais aussi des véritables raisons de la désaffection des médecins pour les zones rurales et certains secteurs urbains délaissés.
2. Une deuxième piste de réflexion concerne la déontologie des professions de santé. A mesure que les professions de santé se diversifient, elles s’autonomisent et tendent à se structurer autour de règles déontologiques communes. On dénombre aujourd’hui sept codes de déontologie prévus par la loi49 , dont l’ensemble des règles sont inscrites dans la partie règlementaire du code de la santé publique. Mais beaucoup de professions de santé choisissent librement, hors de toute exigence légale, de se soumettre à des règles déontologiques communes. Un tel choix traduit la volonté d’informer et de rassurer les patients mais encore d’unifier les pratiques et de fédérer les professions afin, notamment, de faire valoir de manière plus efficace leurs intérêts auprès des pouvoirs publics50 . Ainsi que le relevait Didier Truchet dans sa préface au code de déontologie de l’ostéopathie, l’objet de ces codes est à la fois « prescriptif, didactique et programmatique ». Cette tendance n’est pas à négliger : elle illustre les mouvements qui traversent les professions de santé et interroge sur leur régulation : quelle valeur pour les règles déontologiques ainsi affirmées ? Quelle place pour la régulation interne en l’absence d’ordre professionnel à proprement parler ? Quel rôle, enfin, pour le juge ?
3. Et cette question de la déontologie m’amène enfin à évoquer les dernières évolutions juridiques concernant la publicité des professions de santé. Le Conseil d’Etat a récemment tiré les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne51 et ouvert la voie à certaines formes de publicité dans le domaine de la santé52 . Ce revirement intervient un an et demi après que le Conseil d’Etat avait proposé, dans une étude relative aux règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité53 , de poser un principe de libre communication pour les professionnels de santé et d’enrichir l’information délivrée au public. Il s’agissait ainsi de tirer les conséquences de la spécialisation croissante de l’offre de soins et de contribuer à un meilleur équilibre entre professionnels et patients. Après la réflexion, la période qui s’ouvre est donc celle des travaux pratiques, et le cadre de ces nouvelles formes de communication devra être finement calibré afin de concilier les différents intérêts en jeu, dans un contexte de mondialisation des prestations, de multiplication des acteurs et de la place de plus importante de la technologie dans le secteur de la santé.
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Mesdames et Messieurs, vous le voyez, le sujet qui occupera les trois tables rondes d’aujourd’hui est vaste et foisonnant. Une journée ne sera pas de trop pour aborder l’ensemble des questions qu’il recèle. Je m’empresse donc de céder ma place mais je souhaite avant cela remercier très chaleureusement l’ensemble des intervenants et, en particulier, les présidents des trois tables rondes qui nous font l’honneur de leur participation : Didier Truchet, professeur émérite à l’université Panthéon-Asses, Didier Tabuteau, président de la section sociale du Conseil d’Etat et Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé. Je remercie également Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’Etat ainsi que tous les agents qui ont participé à l’organisation de cette journée.
1 Texte écrit en collaboration avec Guillaume Halard, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat
2 EBook, Les professionnels de santé, tome 1, « La notion de profession de santé », dir. A. Laude et D. Tabuteau, p. 10
3 Alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
4 D. Tabuteau, « L’avenir de la médecine libérale et le spectre de Monsieur Bovary », Droit social 2009, p. 383 ; « Pouvoirs publics et professions de santé », Les Tribunes de la santé, 2010/1, n° 26, p. 103
5 Institué par le décret des 28 juin et 8 juillet 1793 relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards et aux indigents
6 D. Tabuteau, « L’avenir de la médecine libérale et le spectre de Monsieur Bovary », préc.
7 V° J. Moret-Bailly, « Les modes de définition des professions de santé : présent et avenir », Revue de droit sanitaire et social, 2008, p. 508
8 L. 4161-5 du code de la santé publique
9 Cette liberté est aujourd’hui inscrite à l’article L. 162-2 du code de la sécurité sociale
10 Article 1er de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 relative aux rapports entre les caisses d’assurance maladie et les praticiens et auxiliaires médicaux
11 Article L. 162-2 du code de la sécurité sociale
12 C’est encore l’article 1er de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 qui est à l’origine de cette consécration
13 Livre deuxième de la quatrième partie réglementaire du code de la santé publique (art. R. 4211-1 et s.)
14 Livre troisième de la quatrième partie réglementaire du code de la santé publique (art. R. 4301-1 et s.)
15 V° M. Guinganti, « La notion d’auxiliaire médical et la mutation de la profession infirmière », Revue de droit social et sanitaire 2017, p. 708
16 V° la loi n° 78-615 du 31 mai 1978 et le décret n° 81-539 du 12 mai 1981, intervenus pour transposer la directive 77/453/CEE du Conseil, du 27 juin 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités de l'infirmier responsable des soins généraux
17 D. Tabuteau, « Pouvoirs publics et professions de santé », préc.
18 Au sujet de la diversité des situations s’agissant de la place de la déontologie, voir F. Vialla, « La déontologie des professions de santé », Revue de droit sanitaire et social 2018, p. 37
19 CE 29 mars 1901, Casanova, Canazzi et autres, n° 94580
20 V° not. F. Mandin, « Politique d’accès aux soins et conditions d’exercice de la médecine libérale : le contrat d’engagement de service public », Revue de droit sanitaire et social 2013, p. 591
21 V° A.-S. Ginon, « La pertinence des soins, nouvelle valeur du système de santé ? », Revue de droit sanitaire et social 2018, p. 428
22 V° Drees, L’état de santé de la population en France. Rapport 2017, p. 13 et s.
23 Discours sur la transformation du système de santé "Prendre soin de chacun" du Président de la République, disponible en ligne : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/09/18/discours-sur-la-transformation-du-systeme-de-sante-prendre-soin-de-chacun-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron
24 Drees, Démographie des professionnels de santé, 2018, dossier de presse, disponible en ligne : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_presse_demographie.pdf
25 D. Tabuteau, « L’avenir de la médecine libérale et le spectre de Monsieur Bovary », préc.
26 La télémédecine est ainsi définie à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique : « La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d'autres professionnels apportant leurs soins au patient. / Elle permet d'établir un diagnostic, d'assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d'effectuer une surveillance de l'état des patients. / La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l'offre de soins dues à l'insularité et l'enclavement géographique. »
27 V° J. Damon, « Révolution numérique : sécurité sociale 2.0 et médecine 5P », Revue de droit sanitaire et social 2017, p. 925
28 V° le dossier thématique sur « Intelligence artificielle et santé » paru au Journal de droit de la santé et de l’assurance maladie, numéro 17, 2017 ; ou encore J.-D Zeitoun et P. Ravaud, « L’intelligence artificielle et le métier de médecin », Les Tribunes de la santé n° 60, printemps 2018
29 Arrêté du 22 septembre 2011 portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes
30 La tarification à l’acte assure en effet globalement la productivité de chaque acteur et la réactivité par rapport aux besoins immédiats des patients
31 Rapport de la Task Force « Réforme du financement du système de santé », Réformes des modes de financement et de régulation. Vers un paiement combiné, 2018
32 Par exemple pour les collectivités territoriales : L. 1511-8 du code général de collectivités territoriales ; ou les différentes options conventionnelles ouvrant droit à des aides à l’investissement ou à l’activité
33 Article 46 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
34 V° F. Mandin, « Politique d’accès aux soins et conditions d’exercice de la médecine : le contrat d’engagement de service public », préc.
35 Y. Bourgueil, J. Mousquès, A. Tajahmadi, « Comment améliorer la répartition géographique des professionnels de santé ? Les enseignements de la littérature internationale et des mesures adoptées en France », IRDES, 2006
36 Article L6323-1 du code de la santé publique
37 Article L6323-4 du code de la santé publique
38 Article L6323-3 du code de la santé publique
39 Articles L. 1434-12 et s. du code de la santé publique
40 Article L. 4301-1 du code de la santé publique
41 Loi n°2006-1668 du 21 décembre 2006 portant création d'un ordre national des infirmiers
42 M. Guinganti, « La notion d’auxiliaire médical et la mutation de la profession infirmière », préc.
43 Le dispositif des protocoles de coopération entre professionnels de santé initié par l’article 51 de la loi HPST de 2009, a été rénové et simplifié par l’article 66 de la loi Organisation et transformation du système de santé (OTSS) publiée le 24 juillet 2019.
44 R. Marié, « A la recherche d’une plus grande transversalité des formations et des métiers de santé », Revue de droit sanitaire et social 2019, p. 74
45 L. 5125-4 du code de la santé publique
46 V° F. Jornet, « Le droit applicable à l'installation des professionnels de santé libéraux sur un territoire », RDSS 2009
47 Rapport du Haut Conseil pour l'Avenir de l'assurance maladie, 2007, p. 83
48 Cour des comptes, Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, 2007, p. 202
49 Médecins (articles R. 4127-1 et s. du code de la santé publique), chirurgiens-dentistes (articles R. 4127-201 et s. du code de la santé publique), sages-femmes (articles R. 41-27-301 et s. du code de la santé publique), pharmaciens (articles R. 4235-1 et s. du code de la santé publique), infirmiers (article R. 4312-1 et s. du code de la santé publique), masseurs-kinésithérapeutes (article R. 4321-51 et s. du code de la santé publique) et pédicures-podologues (article R. 4322-31 et s. du code de la santé publique)
50 F. Vialla, « La déontologie des professions de santé », Revue de droit sanitaire et social 2018, p. 37
51 CJUE 4 mai 2017, Vanderborght, C-339/15
52 CE 6 novembre 2019, M. Bernard, n° 416948
53 Conseil d’Etat, Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité, étude adoptée par l’assemblée générale plénière le 3 mai 2018