Le rôle du Conseil d’Etat dans la mise en oeuvre des études d’impact

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé le 29 novembre 2010 lors de la conférence "L’impact du droit : l’évaluation économique comparée de la norme juridique". Cette conférence a été organisée par l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense au Cercle France Amériques.

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L’impact du droit :

l’évaluation économique comparée de la norme juridique

 

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Conférence organisée par l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

 

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Lundi 29 novembre 2010

Cercle France Amériques

 

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Intervention de Jean-Marc Sauvé[i]

Vice-président du Conseil d’Etat

 

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Le rôle du Conseil d’Etat dans la mise en œuvre des études d’impact

 

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            Je souhaite tout d’abord remercier l’université Paris-Ouest Nanterre La Défense pour l’organisation de cette conférence et le cercle France-Amérique qui nous accueille cet après-midi.

 

            Réfléchir aux enjeux, aux fondements et aux modalités de l’évaluation économique de la norme juridique, mais aussi, plus largement, de l’évaluation des effets sociaux de cette norme et de l’impact de celle-ci sur l’exercice des droits et des libertés de chacun, est une démarche essentielle qui participe à l’amélioration de la qualité de la législation.

 

            Cette réflexion s’inscrit en outre directement dans le processus d’évaluation du dispositif des études d’impact instauré par la loi organique du 15 avril 2009[ii].

            Près d’un an et demi après l’entrée en vigueur de cette loi organique, il est essentiel que les différents acteurs qui concourent à son application et pour qui les études d’impact ont vocation à être un outil utile, puissent échanger sur leur pratique respective de ce dispositif et les attentes qu’ils ont de son évolution. Cette conférence a vocation à contribuer à de tels échanges et je suis heureux d’y participer.

 

 

            Le Conseil d’Etat, chacun le sait, s’est résolument attaché, depuis de nombreuses années, à promouvoir la mise en place d’un dispositif contraignant de réalisation d’études d’impact dès la phase d’élaboration de la norme.

 

            Son rapport public de 2006 sur la sécurité juridique et la complexité du droit, qui a fait écho, quinze ans après, à un premier rapport consacré à la sécurité juridique[iii], proposait ainsi l’adoption d’une loi organique qui fixerait les règles de l’évaluation préalable de la loi et en ferait un élément de la régularité de la procédure législative.

 

            La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a donné l’assise constitutionnelle nécessaire à cette suggestion qui avait été reprise par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République présidé par M. Edouard Balladur et qui a finalement été introduite dans le projet de révision de la Constitution par un amendement du président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, le président Warsmann.

 

            La loi organique du 15 avril 2009, prise pour l’application des dispositions de l’article 39 de la Constitution dans leur rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, s’inscrit directement dans cette logique[iv]. L’article 8 de cette loi organique, d’une part, prévoit que les projets de loi « font l’objet d’une étude d’impact », et il précise le contenu de ces études. Le quatrième alinéa de l’article 39 de la Constitution, d’autre part, prévoit que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». Ce même article dispose en outre qu’« en cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ».     

 

            Le Conseil d’Etat, qui a appelé de ses vœux l’instauration de ce dispositif, veille aujourd’hui scrupuleusement, en particulier dans l’exercice de sa mission consultative, au respect des dispositions de la loi organique du 15 avril 2009.

 

            J’évoquerai ainsi dans un premier temps le contrôle qu’exerce le Conseil d’Etat sur le respect, par les projets de loi et d’ordonnance, des dispositions de la loi organique.

 

            J’esquisserai, en second lieu, des éléments d’appréciation du bilan que l’on peut tirer de l’application de ce dispositif.

 

 

I. Le Conseil d’Etat exerce un contrôle approfondi sur le respect, par les projets de loi et d’ordonnance, des dispositions de la loi organique du 15 avril 2009.

 

            A.- Le Conseil d’Etat s’efforce tout d’abord de donner toute sa portée au champ d’application du dispositif d’études d’impact.

 

            Il interprète ainsi de manière restrictive les exceptions et dérogations à l’obligation d’étude d’impact prévues par la loi organique. Il peut même être conduit, dans certaines hypothèses, à les neutraliser.

 

            1.- Ainsi, les dispositions de l’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 dispensent en principe les lois de finances et les lois de finances rectificatives de l’obligation d’étude d’impact. Celle-ci est remplacée par une « évaluation préalable »[v].  

 

            Le Conseil d’Etat estime néanmoins que cette appellation d’ « évaluation préalable » est sans conséquence aucune sur le contenu des documents à présenter et sur leur degré d’exigence (pour la partie des dispositions des lois de finances qui entrent dans le champ d’application des études d’impact).

 

            Ainsi, lors de l’examen de l’article du projet de loi de finances pour 2010 relatif à la réforme de la taxe professionnelle, le Conseil d’État a estimé qu’en l’absence de tout élément présentant, notamment, les conséquences financières pour les collectivités territoriales de la réforme de la taxe professionnelle, l’évaluation préalable produite par le Gouvernement ne satisfaisait pas aux exigences de la loi organique.

            Compte tenu des conditions de sa saisine, il a demandé au Gouvernement qu’en tout état de cause, le Parlement puisse disposer d’une étude d’impact répondant aux exigences de la loi organique, au plus tard le jour du dépôt du projet sur le bureau de l’Assemblée nationale[vi].

 

            2.- S’agissant des projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation des traités, l’article 11 de la loi organique du 15 avril 2009 fixe les règles touchant « au dépôt du projet », sans préciser que les documents requis doivent être présentés dès la saisine du Conseil d’Etat.

 

Selon une logique similaire qui consiste à donner au dispositif d’études d’impact toute sa portée, le Conseil d’Etat estime néanmoins qu’il lui appartient, dès ce stade, de s’assurer du caractère complet et suffisant de ces documents.

 

Il a également relevé que l’analyse des effets sur l’ordre juridique français de l’engagement international dont le projet a pour objet d’autoriser la ratification doit porter, s’il y a lieu, sur sa compatibilité avec d’autres engagements internationaux de la France.

 

3.- S’agissant des projets de loi de ratification des ordonnances, enfin, le Conseil d’Etat considère que la dispense d’étude d’impact ne s’applique qu’aux seules dispositions de la loi qui ratifient l’ordonnance. Si cette loi contient des dispositions ayant un autre objet et qu’elles n’ont pas été prises en compte dans l’étude d’impact élaborée à l’occasion du projet de loi d’habilitation, le Conseil d’Etat estime que ces dispositions doivent être accompagnées des documents requis par l’article 8 de la LO[vii].

A propos du projet de loi portant ratification de l’ordonnance du 11 juin 2009 relative à l’enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l’environnement, le Conseil d’Etat a donné un avis favorable aux dispositions de ratification, mais il a disjoint les dispositions législatives nouvelles, le Gouvernement n’ayant pas présenté d’étude d’impact relative à ces dispositions.

 

B.- Le Conseil d’Etat veille également à la sincérité et au caractère complet des études d’impact :

 

      1.- S’agissant de la sincérité, le Conseil d’Etat estime que le respect des obligations constitutionnelles s’apprécie  non pas globalement mais pour chaque ensemble inséparable de dispositions.

 

Le Conseil d’Etat estime en outre que l’étude d’impact doit être vérifiable  et il considère que, dès lors qu’elle vise à assurer la bonne information du Parlement (CC, décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009, §25), il en résulte une obligation de loyauté, de sincérité et de sérieux.

 

Ainsi, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris, le Conseil d’État a constaté que l’étude d’impact de ce projet présentait des insuffisances sur plusieurs points, relatifs aux consultations menées préalablement et concomitamment à son élaboration, aux motifs de certains des choix opérés (notamment sur la forme de l’établissement public industriel et commercial avec conseil de surveillance et directoire et sur le recours à la loi pour la création d’une zone de protection naturelle et agricole sur le plateau de Saclay), aux ressources envisagées pour la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris et aux textes d’application qui seront nécessaires.

 

Il a pris acte des assurances fournies par le Gouvernement quant à la mise à niveau imminente de l’étude d’impact sur tous ces points, comme de son engagement d’adapter la structure et le contenu du document afin qu’ils correspondent à ceux du projet.

 

2.- S’agissant du caractère complet des études d’impact, le Conseil d’Etat veille à ce que le document présentant les objectifs, options et motifs soit plus précis que le simple exposé des motifs et ne se confonde pas avec celui-ci.

 

Il veille ainsi de manière générale à l’obligation de précision et à ce que le document prenne parti sur l’articulation avec le droit national et communautaire (en recommandant par exemple, pour les lois de transposition, qu’un tableau permette de contrôler le caractère fidèle et complet de la transposition).

 

En cas de saisine rectificative apportant des modifications significatives, l’étude d’impact doit être amendée dans son contenu et, éventuellement, dans sa structure afin que ceux-ci correspondent au projet définitivement arrêté par le Gouvernement.

 

Le Conseil d’Etat estime par ailleurs que l’étude d’impact doit rendre compte des consultations menées préalablement et concomitamment à son élaboration.

 

C.- Le Conseil d’Etat, enfin, pour donner toute sa portée au dispositif des études d’impact, peut être amené à sanctionner le non-respect par le Gouvernement de ses obligations.

1.- En cas d’insuffisance sur des points non déterminants, le Conseil d’Etat peut ainsi adresser au Gouvernement une note d’observation conseillant de rectifier l’étude avant le dépôt du projet.

 

            2.- En cas d’insuffisance avérée sur un point significatif, il peut être conduit à surseoir à l’examen au fond en retenant l’avis dans l’attente d’une régularisation.

 

            3.- En cas d’absence ou de carence grave, le Conseil d’Etat peut rejeter purement et simplement le projet de loi.

 

            Tel a été le cas, par exemple, de l’ensemble des dispositions législatives nouvelles du projet de loi de ratification de l’ordonnance relative à certaines installations classées pour la protection de l’environnement que j’évoquais précédemment[viii].

 

 

II. L’évaluation de l’application de la loi organique : un bilan positif qui doit encore être consolidé

 

            A.- Un bilan positif.

 

En l’état, bien que le dispositif soit en phase de « rodage », les premiers éléments permettent de constater que l’obligation d’accompagner les projets de loi d’une étude d’impact permet d’améliorer la sécurité juridique du travail d’élaboration des lois et de justifier la nécessité de légiférer.

 

Le Conseil d’Etat s’efforce de faire en sorte que l’étude d’impact soit conforme aux termes de la loi organique, en appréciant de manière pragmatique les obligations imposées au Gouvernement, mais avec une finalité : que cette étude soit complète et utile pour le débat parlementaire. 

 

Il estime ainsi que l’étude d’impact n’est pas figée : elle doit être modifiée et complétée après le passage au Conseil d’Etat pour tenir compte des observations qu’il a formulées ou des changements apportés avant le Conseil des ministres.

 

            L’efficacité de l’étude d’impact sur le travail législatif tient surtout à trois éléments :

 

-         elle permet au Gouvernement de réfléchir en amont à l’ensemble des conséquences et implications d’une législation nouvelle ou d’un changement de législation ;

-         elle rend plus aisé le travail juridique – notamment du Conseil d’Etat- sur la loi ;

-         elle permet une information plus complète et plus sincère du Parlement.

 

En ce sens, l’application du dispositif semble être conforme aux objectifs qui avaient présidé à sa création, à savoir « vérifier la pertinence du recours à la législation » et « accroître la cohérence et la simplicité de notre ordonnancement juridique », selon les termes du Président Hyest[ix].

 

      B.- Un dispositif qui doit encore être consolidé.

 

Il est vrai, néanmoins, que le dispositif des études d’impact n’a sans doute pas encore donné tous les résultats que l’on pouvait escompter, en particulier en termes de réduction des flux de textes législatifs nouveaux.

 

            A cette fin, il importe sans doute que chacun des acteurs qui participent à ce dispositif, en particulier le secrétariat général du Gouvernement, le Conseil d’Etat, mais aussi le Parlement, continuent de donner leur pleine portée aux exigences qui pèsent sur le Gouvernement quant au contenu de l’étude d’impact, le cas échéant en mettant en œuvre tous les pouvoirs dont ils disposent pour refuser un projet de loi qui ne serait pas conforme à ces exigences.

 

             Je l’ai indiqué, le Conseil d’Etat a déjà procédé à un tel rejet. Il n’hésitera pas à le faire à chaque fois que l’étude d’impact accompagnant le projet de loi sera jugée insuffisante.

            Améliorer le dispositif d’évaluation préalable de la norme passe également, sans doute, par une meilleure insertion des études d’impact dans le processus général d’élaboration des politiques publiques, notamment en lien avec les phases préalables de concertation et de consultation. Les réflexions entreprises par le Conseil d’Etat en préparation de son prochain rapport public, qui aura pour thème « consulter autrement, participer effectivement », vont en ce sens.

 

Les études d’impact ne sont certes pas faites pour servir de support à des consultations- concertations.

Mais la démarche qui sous-tend leur réalisation ne trouve sa pleine utilité que si elle est engagée sérieusement dès le commencement de la réflexion et de la réforme souhaitée, lorsque les différentes options sont encore ouvertes et qu’elle ne constitue pas une sorte d’alibi ou de validation ex post de choix déjà effectués par le gouvernement.  

 

A cette fin, il serait sans aucun doute particulièrement opportun que les études d’impact rendent compte de manière plus effective des concertations et consultations préalables, et aillent plus loin qu’une simple liste ou un simple résumé de ces dernières.

Une telle démarche contribuerait sans aucun doute à donner aux études d’impact toute l’utilité que l’article 8 de la loi organique leur confère et en particulier celle de recenser « les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles ».

 

[i] Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat.

[ii] Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

[iii] Conseil d’Etat, rapport public 1991, De la sécurité juridique.

[iv] 3ème et 4ème alinéa de l’article 39 de la Constitution, issus de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. / Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ».

[v] Cf 8° de l’article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi organique du 15 avril 2009.

[vi] Rapport public 2010, p. 99.

[vii] Conseil d’Etat, rapport public 2010, p. 98.

[viii] Ordonnance n°2009-663 du 11 juin 2009. Rapport public 2010, p. 98.

[ix] J.-J. Hyest, Sénat, rapport fait au nom de la commission des lois sur  le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, Annexe au procès-verbal de la séance du 4 février 2009, p. 16.