Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité

Par Bernard Stirn, Président de la section du contentieux du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Bernard Stirn lors du Colloque "Le non renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité, unité ou diversité des pratiques de la Cour de cassation et du Conseil d'État" à l’université de Clermont-Ferrand les 26 et 27 octobre 2017

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Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité

Colloque à l’université de Clermont-Ferrand, 26 et 27 octobre 2017

Table ronde du vendredi 27 octobre 2017 après-midi

Ouverture par Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État

               

C’est avec un grand plaisir que je préside la dernière table ronde de ce riche colloque organisé par les universités de Clermont-Auvergne et de Bourgogne Franche-Comté sur la non-transmission des questions prioritaires de constitutionnalité. Le sujet est tout à fait intéressant. Si, par définition, les questions non-transmises ne donnent pas lieu à une décision du Conseil constitutionnel, elles ne doivent pas pour autant être les oubliées de la QPC. Elles méritent au contraire de retenir l’attention car elles sont l’un des éléments importants du dispositif. A travers elles, les juges du filtre jouent leur rôle de juge constitutionnel négatif. Grâce à elles, le Conseil constitutionnel n’est pas exagérément chargé. Par leur intermédiaire, la culture constitutionnelle s’affermit, conformément à l’objectif premier de la réforme, dans l’ensemble des juridictions.

A ce stade introductif de notre après-midi, je me bornerai à trois séries d’observations d’ordre statistique, procédural et typologique.

Sur le plan statistique, tout d’abord, la QPC a très vite connu le succès, attesté par le nombre important de questions posées. Contrairement à certaines prévisions, ce nombre n’a pas baissé de manière significative au fil des années. Plus exactement, après s’être stabilisé à un niveau élevé à partir de 2012, il est reparti à la hausse en 2016 et 2017, pour se retrouver presque à la hauteur des chiffres atteints en 2010 et 2011 -et peut-être même les dépasser en 2017.

Pour ce qui est du Conseil d’État, du 1er mars 2011 au 1er octobre 2017, 1591 QPC ont été enregistrées. Le Conseil d’État en a transmis 361 au Conseil constitutionnel, il a opposé 906 refus de transmission et clos le dossier pour un autre motif, comme l’irrecevabilité de la requête ou le défaut d’urgence en référé, dans 324 cas.

Plus de deux cents QPC avaient été enregistrées au Conseil d’État les deux premières années (256 en 2010, 212 en 2011). Une stabilisation autour de 180 QPC par an a ensuite été observée de 2012 à 2015. Puis le mouvement est reparti à la hausse, avec 210 QPC en 2016 et déjà 174 sur les neuf premiers mois de 2017, ce qui laisse à penser que l’année se terminera au-dessus des 200, sans doute même au-delà des chiffres des deux premières années.

Le taux de transmission est resté remarquablement stable, autour de 25% des questions recevables. Parme les motifs de refus de transmission, le caractère non sérieux de la question est retenu dans 82,6% des cas, loin devant les deux autres rubriques, non-applicabilité de la loi au litige (10,7%) et disposition déjà déclarée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel, sans modification des circonstances de droit ou de fait (6,7%).

Du point de vue procédural, le Conseil d’État a dès le départ fait le choix de traiter les QPC selon les voies de droit commun. Les questions sont réparties entre les différentes chambres de la section du contentieux en fonction des spécialités de chacune. L’habitude de la matière facilite grandement l’appréhension rapide du caractère sérieux de la question. Les formations de jugement sont elles aussi déterminées selon les critères usuels, qui tiennent à la difficulté de l’affaire. La plupart des décisions de non-transmission sont prises par les chambres réunies mais une non-transmission évidente peut faire l’objet d’une décision d’une chambre jugeant seule, voire d’une ordonnance d’un président ou d’un juge des référés.

En cas de doute sur la conformité de dispositions législatives aux droits et libertés garantis par la constitution, la QPC est transmise. La démarche n’est pas sans rappeler celle qui guide le renvoi des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Juge de droit commun du droit de l’Union, le juge national en assure l’application et l’interprétation. Mais en cas de doute sérieux, sur la validité d’un acte de droit dérivé ou sur la portée du droit de l’Union, il lui appartient de saisir la Cour de Luxembourg. Une attitude comparable a été adoptée d’emblée et sans difficulté par le Conseil d’État, qui n’hésite pas à renvoyer les questions sur lesquelles une hésitation est possible. Cela explique que les QPC n’ont pas vocation à être traitées par les formations supérieures de jugement. Aucune n’a ainsi été soumise à la section du contentieux. L’assemblée de son côté a été saisie à deux reprises non pour apprécier le sérieux d’une question mais pour préciser des articulations générales du dispositif, relatives aux effets des déclarations d’inconstitutionnalité (Assemblée, 13 mai 2011, Mme M’Rida) et à la combinaison de la QPC avec la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (Assemblée, 31 mai 2016, M. Jacob). On peut enfin noter la proportion des QPC transmises qui débouchent sur une déclaration totale ou partielle d’inconstitutionnalité varie fortement d’une année à l’autre, d’un minimum de 14% en 2013 à un maximum de 51% en 2016.  Ces pourcentages, dont la moyenne sur l’ensemble des années est d’environ 25%, montrent que le filtre n’est pas trop serré.

Un dernier point d’ordre procédural mérite d’être noté. Dans la rédaction de ses décisions, le Conseil d’État veille à une grande sobriété des décisions de transmission qui, au maximum, mentionnent les règles constitutionnelles au regard desquelles la question s’avère sérieuse, tandis que les décisions de non-transmission explicitent davantage les raisons pour lesquelles aucun problème sérieux de constitutionnalité n’est retenu.

Établir une typologie des décisions de non-transmission est l’objet même de notre après-midi. Mais deux groupes d’observations par matières peuvent d’ores et déjà être formulées.

Devant le Conseil d’État, si les questions posées sont d’ordre varié, trois rubriques se distinguent du point de vue quantitatif, la fiscalité, l’environnement, la libre administration des collectivités territoriales.

Le taux de transmission est enfin très différent d’une matière à l’autre. Un des paramètres importants tient à l’ampleur du contrôle a priori. Ainsi l’entrée et le séjour des étrangers ne donnent guère lieu à transmission car toutes les lois relatives à ce sujet ont été déférées au Conseil constitutionnel, qui s’est prononcé à leur sujet par des décisions longuement motivées. A l’inverse le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel toutes les QPC dont il a été saisi au titre de l’état d’urgence. Par définition, en effet, la loi du 3 avril 1955 n’avait pas fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité et aucune des lois qui, de novembre 2015 à novembre 2017, ont prorogé l’état d’urgence et modifié la loi de 1955 n’a été déférée au Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori.

Ces indications liminaires vont maintenant être précisées au travers des interventions qui, après celles de ce matin qui ont porté sur les collectivités territoriales, le droit électoral, les finances publiques, les fonctions publiques et les contrats publics, vont être successivement présentées sur le droit de l’environnement, le droit fiscal, le droit des étrangers et les droits sociaux. Nous disposerons ainsi d’un panorama très complet, dont je remercie tous les intervenants.