Le droit d’asile saisi par le droit européen

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, le 9 novembre 2012 lors d'un séminaire organisé par l'Association internationale des juges de l’asile à la Cour européenne des droits de l'homme.

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Les affaires de principe en matière de droit d’asile

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International association of refugee law judges

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Cour européenne des droits de l’homme

Strasbourg, 9 novembre 2012

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Introduction de la table ronde conclusive,

par Jean-Marc Sauvé[1],

vice-président du Conseil d’Etat de France

 

 

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux d’avoir participé à cette journée, en ce lieu symbolique qu’est la Cour européenne des droits de l’homme. Je remercie plus particulièrement le juge Bostjan Zalar de m’avoir convié à ce séminaire, ainsi que l’Association internationale des juges de l’asile d’avoir pris l’initiative de cette réunion, qui est une première, mais qui a tenu selon moi toutes ses promesses : elle a été extrêmement riche en informations, questionnements et interpellations croisées, suggestions et propositions. Elle a considérablement enrichi et renouvelé mon regard sur le droit d’asile ; elle était utile et nécessaire. Elle devra avoir des prolongements.

La dernière table ronde porte, tel est son titre, sur les tendances futures en matière de droit d’asile. Rude programme : s’il est complexe de faire la synthèse du présent, il est surtout périlleux de se projeter dans l’avenir. L’objectif affiché est d’y discuter des voies possibles d’amélioration de la coopération entre les juges nationaux, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme et aussi le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés[2]. Avant d’ouvrir les échanges sur ce point, puisque la présidence d’une table ronde implique surtout de faire vivre le débat, je souhaiterais évoquer, de manière assez brève, quelques points en guise de propos à la fois conclusifs et prospectifs. Je le fais avec gravité, dès lors qu’il est question de protection des droits fondamentaux, de la cohérence et de l’unité de cette protection sur le continent européen et, également, de mise en œuvre du principe de subsidiarité et de respect des compétences des cours nationales. Je le fais également avec humilité. J’ai certes été, il y a quatre décennies, rapporteur à la Cour nationale du droit d’asile, qui s’appelait alors la Commission de recours des réfugiés ; j’ai également proposé, sous présidence française des Communautés européennes, le projet de convention qui est devenu la convention de Dublin et j’ai activement participé, en 1989 et 1990, à la négociation de cet instrument ; je préside aujourd’hui une juridiction suprême qui, si elle n’est pas souvent confrontée aux questions d’asile, mesure lorsqu’ils se présentent l’importance de ces enjeux en particulier dans le contexte de la montée en puissance dans ce domaine du droit européen des droits de l’homme ainsi que du droit de l’Union européenne.

Des débats d’aujourd’hui, il convient de tirer un premier constat : le rôle des cours européennes est primordial dans l’émergence d’une approche commune du droit d’asile en Europe (I). Le dialogue entre juridictions s’impose, dès lors, comme une évidence, ce qui ne veut pas dire qu’il aille toujours sans frottements ni tensions, voire contradictions : il est donc nécessaire de lui apporter des améliorations (II).

I. Les cours européennes jouent un rôle central en matière de droit d’asile et font émerger une approche commune de ces questions.

1. Les juridictions nationales ont été les premières à faire application des instruments internationaux en matière d’asile. Elles ont développé une jurisprudence convergente, mais aussi dynamique de la convention de Genève, parce que les questions soulevées étaient nombreuses et que la convention, instrument juridique historiquement situé, devait être interprétée pour progressivement prendre en compte de nouvelles situations. Il va sans dire, à cet égard, que le profil des demandeurs d’asile a considérablement évolué depuis l’adoption de cet instrument[3]. L’interprétation par les Etats parties et leurs juridictions de la convention de Genève a par ailleurs pleinement bénéficié de la contribution du HCR sur ces questions, notamment par le biais de ses lignes directrices.

L’intervention des juridictions européennes pourrait dans ce cadre être regardée comme perturbatrice d’équilibres nationaux construits de longue date. Il faut se garder d’une telle analyse. D’abord, parce que l’empreinte européenne sur les questions d’asile permet de remettre à plat certaines pratiques nationales, de sortir d’évidences parfois périmées ou trop peu questionnées et de redynamiser une jurisprudence qui, sur certains points, avait sans doute tendance à « faire du surplace » ou à « tourner en rond ». Ensuite, parce que c’est volontairement que les Etats parties ont adhéré à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; c’est volontairement qu’ils se sont inscrits dans le processus de construction de l’Union européenne et c’est volontairement qu’ils ont mis en place des cours européennes qui jouissent d’une autorité reconnue par tous. Ces actes de volonté emportent une unification et une élévation des standards applicables aux demandeurs d’asile à partir, notamment, de la notion de normes minimales.

2. La situation des deux cours européennes est toutefois contrastée.

La Cour européenne des droits de l’homme, qui s’est la première saisie de ces sujets, le fait principalement, mais pas uniquement, au travers des articles 3 et 13 de la convention. Ainsi qu’elle le souligne de façon constante, les Etats parties ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux et ni la convention, ni ses protocoles, ne consacrent le droit à l’asile politique. De façon tout aussi constante, la Cour juge toutefois que toute mesure d’éloignement d’un étranger, de « refoulement », peut soulever un problème au regard de l’article 3 de la convention et engager la responsabilité de l’Etat qui, procédant à l’éloignement, exposerait une personne à un risque de mauvais traitement, que ce soit de manière directe, dans le pays de destination finale, ou indirecte, par la remise ultérieure de l’intéressé par un Etat de transit à un Etat de destination[4]. La Cour sanctionne également la méconnaissance du droit à un recours effectif en tant qu’il permet de garantir le droit consacré par l’article 3. Par ses méthodes d’interprétation, elle contribue à appliquer la convention, comme un « instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des conditions actuelles » ou encore qui doit être « interprété et appliqué d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives et non pas théoriques et illusoires »[5]. Dans l’affaire Hirsi Jamaa, cette méthode d’interprétation a débouché sur un raisonnement, retracé de manière très pédagogique par la Cour[6], qui lui a permis de considérer que l’article 4 du protocole n° 4, prohibant les expulsions collectives, est applicable aux interceptions d’embarcations de migrants réalisées en haute mer.

La Cour européenne des droits de l’Homme influence dès maintenant profondément les jurisprudences et les droits nationaux et même les pratiques en « indiquant » des « mesures provisoires », comme le permet l’article 39 du règlement intérieur de la Cour, qu’elle met en œuvre de manière désormais plus restrictive, même si elle reste jugée excessive par certains Etats.

La Cour de justice de l’Union européenne œuvre pour sa part dans un contexte différent, l’Union européenne développant, aux termes des traités, « une politique commune en matière d’asile »[7]. De nombreux instruments ont ainsi été adoptés par l’Union, à la fois en ce qui concerne le système de détermination de l’Etat responsable de la demande d’asile et les normes minimales de traitement des demandeurs d’asile, en particulier avec les directives adoptées en cette matière, les directives dites « Accueil »[8], « Qualification »[9] et « Procédure »[10]. La Cour de justice a déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion de s’exprimer sur ces instruments. L’interprétation qu’elle donne de la directive « Qualification » me semble d’un intérêt particulier, dans la mesure où, ainsi qu’elle le rappelle régulièrement, les dispositions de cette directive « ont été adoptées pour aider les autorités compétentes des Etats Membres à appliquer la convention de Genève en se fondant sur des notions et critères communs »[11]. L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux  précise en outre que le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés. Quels que soient les instruments du droit de l’Union, les positions prises par la Cour de justice sont bien entendu précieuses et elles ont, en outre, des conséquences importantes sur les droits des Etats membres.

Le mouvement historique de l’interprétation des dispositions du droit d’asile est par conséquent celui de la fin d’une exclusivité nationale et du développement d’un droit européen de l’asile, qui tend vers un renforcement des garanties octroyées aux demandeurs d’asile. Dans ces conditions,  un dialogue approfondi et constructif entre les juridictions est nécessaire.

II. Le dialogue entre juridictions, qui s’impose comme une évidence, peut connaître encore des améliorations.

1.  La lecture des arrêts des cours européennes fait nettement ressortir le dialogue que les juridictions européennes entretiennent entre elles. Alors que dans l’arrêt M.S.S., la Cour européenne des droits de l’homme a cité la question préjudicielle dont était saisie la Cour de justice de l’Union européenne[12], onze mois plus tard, dans son arrêt N.S., la Cour de justice a pour sa part explicitement fait référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle a détaillé dans les motifs de son jugement, pour se rallier à la solution retenue[13]. De façon un peu moins harmonieuse, en ce qui concerne l’appréciation de la notion de « violence aveugle », la Cour de justice de l’Union européenne s’est démarquée, dans son arrêt Elgafaji, de la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt N.A, en ce qui concerne le lien entre l’article 15 (c) de la directive Qualification et l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg, dans son arrêt Sufi et Elmi, a en effet clairement pris position dans le débat par une réponse en trois temps, d’une grande finesse, utilisant d’abord l’a-contrario, puis l’euphémisme et enfin l’affirmation de sa propre position[14].

Une nouvelle dimension sera bien entendu donnée à ce dialogue, lorsque l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme sera devenue effective. Il s’agit là de l’une des principales pistes d’approfondissement des relations entre les cours européennes, qui peut contribuer à lisser les quelques aspérités pouvant encore subsister. L’introduction éventuelle d’un mécanisme de co-défendeur lorsqu’est mis en cause le droit de l’Union ou encore la possibilité laissée à la Cour de justice de procéder à l’examen de la compatibilité d’une disposition au droit de l’Union avant que la Cour européenne des droits de l’homme ne statue[15], sont autant de garanties d’un dialogue équilibré et confiant entre les deux juridictions. C’est un approfondissement de la jurisprudence Bosphorus [16] qui doit être recherché et l’on peut penser, voire espérer, que la présomption d’une protection équivalente deviendra progressivement irréfragable, sinon en droit, du moins en fait.

2. Le dialogue entre les cours européennes et les juridictions nationales est également une réalité. Il doit être approfondi, car c’est un enjeu absolument essentiel pour assurer une interprétation, sinon unifiée, du moins cohérente des solutions européennes, mais aussi pour respecter le principe de subsidiarité et éviter que les cours européennes ne deviennent un quatrième degré de juridiction. La plupart des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne qui ont été cités aujourd’hui répondent à des questions préjudicielles posées par des juridictions nationales : encore très récemment, la Cour de justice a précisé, sur un renvoi du Conseil d’Etat de France, l’applicabilité des normes de la directive « Accueil » aux demandeurs d’asile qui font l’objet d’une réadmission dans l’Etat responsable du traitement de leur demande[17]. L’autorité, non seulement de la chose jugée, mais des interprétations des cours européennes est réelle et elle doit être soulignée, car elle constitue un puissant facteur d’unité du droit applicable en Europe. Pour n’en donner que quelques exemples, le Conseil d’Etat de France a mis en œuvre l’interprétation donnée par la Cour de justice dans son arrêt Elgafaji, de l’article 15 (c) de la directive Qualification[18]. De même, a été modifiée la procédure d’examen des demandes d’asile présentées dans les zones d’attente des ports et des aéroports, au moment de l’arrivée sur le territoire national, afin que les demandeurs disposent d’un recours suspensif de plein droit à la suite de l’arrêt Gebremedhin [19]. La méthode employée, plus particulièrement par la Cour européenne des droits de l’homme, pour analyser la situation politique et sociale des pays d’accueil, par l’usage de rapports et d’enquêtes internationales qui sont confrontés entre eux[20], rencontre en outre un certain succès et tend à se diffuser. Attentif aux critiques qui peuvent lui être adressées[21], le juge français de l’asile s’est engagé dans la voie d’une meilleure motivation de ses décisions, tant au regard des éléments de fait que des sources d’information géopolitique[22]. Il est conscient de cet enjeu, qui me semble étroitement corrélé à l’existence, au sein des juridictions de l’asile, d’un organe de recherche et de documentation à même de produire des analyses directement utiles aux formations de jugement – c’est ce qui a été mis en place au sein de la Cour nationale du droit d’asile.

La question des arrêts de principe est, dans ce dialogue, d’une extrême importance. Les juges nationaux sont en effet demandeurs de solutions aussi claires que possible, qui interprètent des points de droit ou donnent des lignes directrices en ce qui concerne l’analyse de la situation géopolitique d’un pays ou d’une région. Il faut donc qu’il soit aisé aux juges mais aussi aux Gouvernements et aux Parlements nationaux, d’identifier ces arrêts, tout d’abord, et de les comprendre, ensuite, afin de pouvoir en tirer les conséquences qui s’imposent dans le respect du principe de subsidiarité. Certains arrêts, à cet égard, ne remplissent peut-être pas complètement la fonction que l’on pourrait en attendre. L’arrêt I.M. c. France, par exemple, a été et reste débattu par la communauté française des juristes quant à son apport réel, alors qu’était en cause une situation concrète très exceptionnelle : celle d’un requérant qui a été appréhendé à son entrée en France, placé en détention et frappé d’une mesure d’éloignement, sans avoir pu demander l’asile en se présentant en personne à la préfecture, puis placé automatiquement en procédure prioritaire compte tenu de l’existence d’une mesure d’éloignement, alors même qu’il s’agissait dans les faits d’une première demande, qui ne pouvait en l’espèce être qualifiée d’abusive au sens commun du terme. Le juge national, comme le législateur, peuvent légitimement s’interroger sur l’exacte portée de la remise en cause, dans un seul paragraphe, à titre presque surabondant et d’une manière assez codée[23], d’une procédure – la procédure prioritaire – qui concerne chaque année des milliers de demandeurs d’asile. Loin de moi l’idée de remettre en cause cette jurisprudence, à laquelle j’adhère dans le cas d’espèce, mais dont la portée exacte, au-delà de ce cas, paraît incertaine. Mon propos est seulement destiné à montrer le relatif trouble que connaissent parfois les juges nationaux, alors même qu’ils sont attentifs à ce que disent les juges européens. Eux-mêmes, les juges nationaux, ne sont bien entendu pas davantage exempts de critique lorsqu’ils appliquent le droit européen.

Les évolutions prochaines permettront peut-être de progresser sur ces points. Si je constate qu’en matière d’asile, les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne sont très souvent rendues en grande chambre, ce qui facilite leur identification par les Etats et renforce leur autorité, cela est moins systématique devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les conclusions de la conférence de Brighton doivent permettre à cet égard une avancée en demandant que les Etats ne puissent plus s’opposer au renvoi en grande chambre. Une seconde avancée permettrait d’asseoir encore davantage la pratique des lead cases par la Cour européenne des droits de l’homme : la possibilité pour les juridictions nationales de saisir cette Cour de questions préjudicielles. Je sais que cette perspective est très controversée. Je la crois néanmoins utile pour fixer solennellement l’interprétation à donner au droit européen des droits de l’Homme. Une telle possibilité donnerait une plus grande force et une plus grande autorité à la jurisprudence de la Cour. Elle garantirait l’unité d’interprétation du droit et favoriserait aussi, ce qui n’est pas contradictoire, la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Bien éclairées, les juridictions nationales pourraient en effet trancher les cas qui leur sont soumis en conformité avec la jurisprudence de la Cour et, par suite, prévenir la multiplication des recours individuels.

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Nous sommes depuis deux décennies embarqués dans une mutation majeure : les juridictions européennes, d’abord la CEDH, puis la CJUE, comptent désormais parmi les juges de l’asile. C’est une évolution positive dont il faut se réjouir, même si elle accroît les exigences pesant sur les juges nationaux et si elle suscite inévitablement des incertitudes, et parfois des dissentiments, sur l’interprétation du droit applicable. C’est une évolution positive, car elle ne peut que conduire à élever et unifier le niveau de protection des demandeurs d’asile. Nous avons des principes et des valeurs communs. Il est heureux qu’ils puissent s’appliquer de manière unifiée et cohérente dans l’espace européen. L’efficacité de la protection des demandeurs d’asile en Europe repose donc aujourd’hui sur un dialogue approfondi et fluide entre les juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice de l’Union européenne et le HCR. Ce dialogue est jurisprudentiel, bien entendu, par le biais des questions préjudicielles, de l’autorité de la chose jugée à cette occasion, mais aussi de l’autorité persuasive de la jurisprudence des cours européennes et de l’attention portée à l’interprétation donnée par d’autres cours. Mais ce dialogue est également informel. Il peut reposer, par exemple, sur la constitution de bases de données jurisprudentielles et d’échanges de données géopolitiques. C’est également tout l’intérêt que présentent ces séminaires de travail, permettant aux juges nationaux et aux cours européennes d’exprimer leurs attentes respectives et de discuter informellement de sujets communs. De nombreuses questions nous ont retenus aujourd’hui : quelle évaluation géopolitique de la situation des pays d’origine ? Comment traiter les sources d’information anonymes ? Quelles sont les exigences en matière de preuve ? Quelle est la signification et la portée de telle ou telle jurisprudence ? Le fait de devoir s’abstenir de pratiquer publiquement sa religion est-il une persécution ? Quelles sont les attentes ou les exigences des juges européens en matière de motivation des décisions des cours nationales ? Comment éviter que les cours européennes ne deviennent un quatrième degré de juridiction ? Fondamentalement, comment, dans le même temps, assurer l’unité d’interprétation du droit applicable et le respect du principe de subsidiarité ? Quel est, dans ce cadre, l’office des juges européens et nationaux ?

Le plus probable est que la cohérence dans l’interprétation et l’application des concepts essentiels en relation avec le droit d’asile se renforce progressivement, en particulier relativement aux principes et notions qui se retrouvent dans plusieurs instruments internationaux. Mais il ne faut pas non plus exclure la persistance de certaines difficultés : je ne doute pas que celles-ci puissent être surmontées dans un échange respectueux et attentif entre tous les juges du droit d’asile. On ne peut, dans cette perspective, que souhaiter la poursuite et l’approfondissement du dialogue engagé aujourd’hui sous les auspices conjoints de l’IARLJ et de la cour européenne des droits de l’homme. C’est notre responsabilité de juge de l’asile de faire en sorte que nous progressions dans la compréhension du droit que nous avons en partage et que nous convergions dans son application dans le respect des compétences légitimes de chacun.

[1]Texte écrit en collaboration avec Olivier Fuchs, juge administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]Avec lequel les Etats contractants s’engagent à coopérer (article 35 de la convention de Genève du 28 juillet 1951).

[3]Le cas classique des réfugiés fuyant l’oppression de régimes dictatoriaux est devenu moins fréquent. La multiplication des situations de guerre civile, de lutte entre groupes ethniques et d’instabilité chronique de nombreux pays, la progression de l’intolérance religieuse et sociale, les menaces particulières pesant sur les femmes ainsi que le flux de migrants poussés par la simple recherche d’un monde meilleur, tout cela confronte le juge de l’asile à une grande diversité de situations et a d’ailleurs conduit à la consécration, en droit national puis en droit européen, du concept nouveau de protection subsidiaire.

[4]Voir par exemple CEDH, 26 juillet 2005, Müslim c. Turquie, n° 53566/99 ; CEDH, gd chb, 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, n° 27765/09.

[5]Ces positions, constantes, sont rappelées dans CEDH, gd chb, 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, n° 27765/09, § 175.

[6]La Cour souligne ainsi qu’une « longue période s’est écoulée depuis la rédaction du Protocole n° 4. Depuis cette époque, les flux migratoires en Europe n’ont cessé de s’intensifier, empruntant de plus en plus la voie maritime, si bien que l’interception de migrants en haute mer et leur renvoi vers les pays de transit ou d’origine font désormais partie du phénomène migratoire, dans la mesure où ils constituent pour les Etats des moyens de lutte contre l’immigration irrégulière. (…) Si donc l’article 4 du Protocole n° 4 devait s’appliquer seulement aux expulsions collectives effectuées à partir du territoire national des Etats parties à la Convention, c’est une partie importante des phénomènes migratoires contemporains qui se trouverait soustraite à l’empire de cette disposition, nonobstant le fait que les agissements qu’elle entend interdire peuvent se produire en dehors du territoire national et notamment, comme en l’espèce, en haute mer. L’article 4 se verrait ainsi privé d’effet utile à l’égard de ces phénomènes, qui tendent pourtant à se multiplier. Cela aurait pour conséquence que des migrants ayant emprunté la voie maritime, souvent au péril leur vie, et qui ne sont pas parvenus à atteindre les frontières d’un Etat, n’auraient pas droit à un examen de leur situation personnelle avant d’être expulsés, contrairement à ceux qui ont emprunté la voie terrestre » (§ 176-177).

[7]Articles 67 et 78 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[8]Directive 2003/9 du 27 février 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres.

[9]Directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relative au contenu de ces statuts.

[10]Directive 2005/85 du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.

[11]Par exemple CJUE, gd chb, 2 mars 2010, Abdulla et al., C-175/08, point 52 ou CJUE, gd chb, 9 novembre 2010, B et D, C-57/09.

[12]CEDH, gd chb, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique, n° 30696/09, § 82.

[13]CJUE, gd chb, 21 décembre 2011, N.S. et autres, aff. C-411/10, § 88-91.

[14]CEDH, 28 juin 2011, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, n° 8319/07, § 226.

1) A contrario : La compétence de la Cour étant limitée à l’interprétation de la Convention, elle ne pourrait donc exprimer d’opinion sur le champ de l’article 15 (c) de la directive Qualification.

2) Euphémisme : Toutefois, en se basant sur l’interprétation que fait la Cour de justice dans Elgafaji, elle n’est pas persuadée que l’article 3 de la Convention, tel qu’interprété dans l’arrêt NA, n’offre pas de protection comparable à celle de la directive.

3) Affirmation : Le seuil fixé par les deux dispositions peut, dans des circonstances exceptionnelles, être atteint du fait d’une situation de violence aveugle d’une telle intensité qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concerné courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir lesdites menaces.

[15]Groupe de travail du CDDH sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme avec la Commission européenne, Projets d’instruments juridiques pour l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, CDDH-UE(2011)16.

[16]CEDH, gd chb, 30 juin 2005, Bosphorus c. Irlande, n° 45036/98.

[17]CJUE, 27 septembre 2012, CIMADE, aff. C-179/11.

[18]CE, 3 juillet 2009, OFPRA c. M. Baskarathas, n° 320295.

[19]CEDH, 26 juillet 2007, Gebremedhin c. France, n° 25398/05. Les conséquences de cet arrêt ont été tirées avec l’adoption de l’article 24 de la loi du 20 novembre 2007, devenu article L.213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

[20]« Compte tenu de l’autorité et de la réputation des auteurs des rapports précités, de la multiplicité et de la concordance des informations rapportées par les différentes sources, du caractère sérieux et récent des enquêtes et des données sur lesquelles elles se fondent, la Cour ne doute pas de la fiabilité des éléments ainsi collectés » (CEDH, 3 décembre 2009, Daoudi c. France, n° 19576/08 ; §68).

[21]Celle formulée par la Cour dans l’arrêt YP et LP c. France par exemple (2 septembre 2010, n° 32476/06).

[22]Voir l’intervention de F. Malvasio, « Le juge français de l’asile et les problématiques des droits européens », Journée d’études Un droit d’asile européen pour 2012 ?, Université de Strasbourg, 21 juin 2012. La décision d’irrecevabilité V.F. c. France (29 novembre 2011, n° 7196/10) accrédite cette thèse.

[23]La Cour « constate que les insuffisances relevées quant à l’effectivité des recours n’ont pu être compensées en appel. Sa demande ayant été traitée en procédure prioritaire, le requérant ne disposait en effet d’aucun recours en appel ou en cassation suspensifs. (…) La Cour relève en particulier à cet égard l’absence de caractère suspensif du recours formé devant la CNDA de la décision de refus de l’OFPRA de la demande d’asile, lorsque l’examen de celle-ci s’inscrit dans le cadre de la procédure prioritaire » (CEDH, 2 février 2012, I.M. c. France, n° 9152/09, §156.