Discours de conclusion du cycle de conférence sur la citoyenneté
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> Retrouvez en vidéo la septième conférence du cycle de conférences sur la citoyenneté
Monsieur l’académicien,
Monsieur le professeur,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Il est difficile de conclure aujourd’hui ce cycle de conférences, surtout au vu de la qualité des interventions de nos quatre intervenants ce soir. Monsieur le professeur, vous avez mis toute la science et la puissance de votre réflexion au service d’un propos très juste. Maxime Thory a mis toute sa conviction, celle d’une jeunesse engagée, dans un propos qui a beaucoup touché ceux qui ont choisi le service de l’Etat et qui nous a beaucoup rassurés aussi. Cher Dany Laferrière, vous avez quant à vous utilisé les mots de la poésie, celle que laisse le souvenir de l’enfance pour décrire vos premières années à Petit-Goâve, évoquer votre grand-mère et le « fluide » invisible qu’elle savait créer entre les personnes réunies autour d’elle. C’est finalement la même chose que ce disait Pierre Rosanvallon, lorsqu’il indiquait que la citoyenneté c’est un statut, c’est un pouvoir, mais c’est aussi un mode de relation entre les personnes et un apprentissage de la civilité. Et il n’y a pas plus belle image que toutes ces personnes rassemblées autour de votre grand-mère et de sa tasse de café. Comment mieux représenter le lien social qui nous réunit tous ?
Terminer aujourd’hui sur une idée aussi haute et exigeante que l’idéal de la citoyenneté rend la conclusion du cycle de conférences encore moins facile. Pourquoi ? Parce que l’idéal c’est par définition l’aspiration à la transcendance et la volonté de dépasser la contingence. Mais l’idéal, quelle que soit la valeur philosophique qu’on lui prête, ne peut pas non plus être entièrement déconnecté de la réalité. Les idéaux ne sont pas figés. Au contraire, sauf lorsqu’ils sont entièrement utopiques, ils s’inscrivent nécessairement dans une époque et dans des lieux et ils doivent donc se confronter au réel pour le cas échéant évoluer. La citoyenneté, à la fois comme concept et comme idéal, n’échappe pas à cette confrontation, car il ne saurait être question de prôner un renforcement, une modernisation ou un renouvellement de la citoyenneté sans se demander pour quoi et pour qui nous y aspirons.
Notre pays s’est construit sur l’idée d’une citoyenneté transcendante, qui réunit dans un même corps politique l’ensemble des individus qui forment la nation souveraine autour du triptyque de notre devise : « liberté, égalité, fraternité ». Et c’est précisément parce que c’est autour d’un idéal que la citoyenneté a été fondée dans notre histoire que certains ressentent aujourd’hui un sentiment de déception. Déception car notre citoyenneté politique se trouve affaiblie par des mouvements centrifuges qui interrogent la légitimité de la représentation du peuple par l’élection, tandis qu’une citoyenneté sociale peine à émerger. La citoyenneté apparaît ainsi pour beaucoup comme un concept galvaudé, lorsqu’il n’est pas vilipendé par ceux qui récusent l’idée même d’appartenance à une communauté citoyenne ou à un Etat comme le soulignent les propos de Michel Houellebecq rapportés par Pierre Rosanvallon[1].
Puisque j’ai la redoutable tâche de conclure ce cycle de conférences, je souhaiterais revenir rapidement sur ces éléments de diagnostic avant d’esquisser quelques pistes de réflexion que les débats qui se sont déroulés dans cette salle au cours des sept conférences de ce cycle ont permis de mettre en évidence.
I. La crise de la citoyenneté, diagnostiquée lors des premières conférences, fait émerger une nouvelle frontière pour le modèle citoyen.
A. Cette crise repose sur le constat d’une plus grande défiance des citoyens à l’égard des institutions de l’Etat et du fonctionnement démocratique qui est alimentée par un repli individualiste.
L’expression de deux séries de doutes me paraît caractériser cette crise : nous doutons de la capacité de nos représentants à exécuter et porter un projet commun et, plus grave peut-être, nous perdons confiance dans l’idée même d’un projet commun transcendant nos individualités.
En premier lieu, il y a indiscutablement une défiance croissante des citoyens à l’égard des institutions démocratiques chargées de faire vivre la citoyenneté. Cette défiance se nourrit d’abord de la perception d’un affaiblissement de l’Etat, confronté à des phénomènes qui le dépassent ou aboutissent à son contournement. La conception territoriale et nationale d’un droit capable de répondre à toutes les attentes de la société et des acteurs de l’économie est dépassée. La mondialisation de notre économie, l’internationalisation des réponses nécessaires à beaucoup de phénomènes auxquels nous sommes confrontés et la puissance de certaines entreprises transnationales comme les GAFA - Google, Apple, Facebook, Amazon – font en effet douter de la capacité de l’Etat à apporter les bonnes réponses. La lutte contre le changement climatique ou contre la corruption, la criminalité en bande organisée et le terrorisme sont quelques exemples de ces phénomènes transnationaux auxquels les Etats ne peuvent plus offrir des réponses unilatérales. Mais en donnant comme motif à leur absence de réponse l’origine extraterritoriale de ces difficultés, les Etats alimentent le sentiment d’impuissance dont ils sont taxés par certains citoyens et accroissent la défiance de ces derniers à l’égard de leur capacité à porter et faire exécuter un projet commun.
Plus encore, la crise de la citoyenneté se nourrit d’une perte de confiance dans l’idée même d’un projet commun capable de fédérer les individus et de transcender leurs différences. J’identifie en particulier deux causes à cette évolution. La première tient à l’essor d’une forme d’individualisme dans lequel les personnes veulent pouvoir revendiquer leurs spécificités et leurs différences, y compris dans la sphère publique. Les pouvoirs publics sont ainsi appelés à prendre en compte la diversité des parcours et des expériences et ne peuvent plus se contenter de reconnaître en une personne l’appartenance à un groupe économique, social ou politique déterminé. Et parce que le principe électoral, même atténué d’une dose de proportionnelle, ne peut pas assurer une représentation de la société dans toute sa diversité, la capacité de représentation s’affaiblit, tout comme sa légitimité et la confiance que lui témoignent les citoyens[2]. La seconde évolution qui alimente l’idée qu’un projet commun n’est plus réalisable, ni même souhaitable, vient de l’écart constaté entre les principes et les valeurs de la République qui sous-tendent la citoyenneté et leur traduction concrète. L’idée qu’en dessous d’un certain seuil économique, les personnes se trouvent dans l’incapacité réelle de jouir librement des droits formels que leur confère la citoyenneté n’est pas une idée neuve. Elle a néanmoins été réactivée ces dernières années à l’aune d’un creusement des inégalités dans les économies développées et de la perception de plus en plus vive d’une inégalité réelle, vécue comme injuste et parfois même insurmontable, entre différents groupes[3]. Quelques lois récentes tentent de prendre la mesure de ces fossés pour mieux les réduire[4], mais l’écart entre égalité juridique et égalité réelle est loin d’être comblé. Ces deux mouvements – essor de l’individualisme et « crise de l’égalité » selon l’expression de Pierre Rosanvallon[5] – conduisent à un affaiblissement de la fraternité et de la solidarité au sein de la société, les personnes préférant se replier sur des groupes plus réduits et en dehors desquels elles n’aspirent tout simplement pas à vivre.
Il en résulte une citoyenneté déphasée avec ce qui en constitue le cœur – l’idéal d’une société fédérée autour d’un projet commun – et une perte de confiance dans la capacité du modèle à produire ce qu’il dit incarner.
B. Le concept de citoyenneté doit par conséquent être redessiné pour lui redonner un sens concret et surtout adapté au réel.
Nous devons en premier lieu resituer la citoyenneté par rapport au concept, souvent vu comme voisin, de nationalité. Dans notre pays, on le sait, la nationalité a longtemps constitué la racine de la citoyenneté, si l’on exclut certains moments très particuliers et très brefs de l’histoire de la Révolution française[6]. C’est la possession de la nationalité qui confère les droits civils et politiques qui fondent traditionnellement la citoyenneté ; et c’est en contrepartie de ces droits que les citoyens doivent respecter un certain nombre d’obligations, quoique ces dernières soient assez peu clairement définies.Aujourd’hui, ce lien est remis en cause par deux mouvements concomitants. D’une part, l’on assiste – c’est un progrès – à l’émergence de droits liés non plus à l’appartenance à une communauté nationale, mais à la personne humaine dans son individualité, où qu’elle soit et qui qu’elle soit. L’essor des droits de l’homme en Europe a en effet permis de reconnaître au plus grand nombre la jouissance de droits fondamentaux indérogeables et la jouissance de droits politiques, économiques et sociaux indépendamment de leur lien juridique avec leur pays d’accueil. C’est le cas avec le « statut constitutionnel des étrangers » qui reconnaît aux personnes de nationalité étrangère régulièrement installées en France les mêmes droits sociaux ou individuels que les nationaux, à l’exception du droit de vote[7]. Les étrangers irrégulièrement présents sur le territoire bénéficient quant à eux de la protection de leurs droits les plus fondamentaux, notamment sous l’effet de la Convention européenne des droits de l’homme. Les droits civils et les libertés individuelles ne sont ainsi plus l’apanage des nationaux et la jouissance des droits politiques ne suffit plus à faire naître ou advenir un citoyen. D’autre part, l’essor d’appartenances locales ou régionales, voire d’une citoyenneté européenne, interroge également la pérennité d’une approche purement nationale de la citoyenneté. En réalité, cette dernière, en ce qu’elle est l’expression d’un projet commun, partagé par tous les membres qui forment une communauté, ne peut plus être réduite à la dimension juridique de la nationalité. Pour se réinventer, elle doit, par conséquent, retrouver une capacité fédératrice qui va bien au-delà des droits politiques que la nationalité confère.
En second lieu, refonder la citoyenneté passe impérativement par une clarification de son contenu, des droits qu’elle recouvre autant que des devoirs qu’elle impose. Il est vrai que pour les droits, la question est moins délicate : ils sont, dans notre pays, assez facilement identifiables dans les textes fondamentaux et, au premier chef, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La même chose vaut dans la plupart des autres pays européens et à l’échelon de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme. Les devoirs du citoyen sont en revanche bien plus difficilement identifiables comme nous l’évoquions déjà le 14 février dernier lors de la conférence sur les devoirs du citoyen. Je ne reviendrai pas sur les propos qui ont alors été tenus, mais j’insisterai sur le constat : la citoyenneté, pour être réelle, ne peut pas rester un concept théorique et éthéré, privé de tout ancrage tangible. Pour que la citoyenneté reste un idéal, nous devons accepter de mettre des mots concrets sur ce que cela signifie d’être citoyen aujourd’hui, sur les finalités poursuivies et, in fine, sur la nature et les grandes lignes du projet commun que nous poursuivons. Le premier volet de notre devise ne pose pas de réelles difficultés tant la liberté a été au cœur de l’histoire de la République et du mouvement des droits de l’homme. Mais l’égalité et la fraternité apparaissent soit, pour la première, une coquille vide, soit, pour la seconde, bien peu consistante dans sa signification. A cet égard, je crois qu’il ne s’agit pas seulement d’éduquer les membres de notre communauté aux grands principes de la citoyenneté, mais aussi d’en montrer les applications pratiques par une association plus proche des citoyens aux processus décisionnels et à l’action publique.
Nous devons par conséquent faire renaître l’idée d’une citoyenneté incarnée et vivante, pratique et réaliste, qui tienne compte des attentes concrètes des individus sans renier l’existence d’un intérêt général qui ne saurait se résumer, pas plus aujourd’hui qu’hier, à la somme des intérêts particuliers.
II. Pour être refondé, l’idéal de la citoyenneté doit s’incarner dans de nouvelles formes d’engagement individuel et l’émergence d’une citoyenneté sociale, inclusive et fédératrice.
A. Il est notamment impératif de passer d’une citoyenneté abstraite à une citoyenneté d’engagement réunissant les citoyens autour de valeurs communes et partagées.
Cela suppose, en premier lieu, d’associer plus étroitement les citoyens à la définition de ces valeurs et des caractéristiques de l’intérêt général. En particulier, il me paraît essentiel d’interroger la pratique actuelle de la démocratie, que Pierre Rosanvallon qualifie d’« intermittente »[8]. Il n’est plus admis que la souveraineté du peuple ne s’exerce qu’épisodiquement lors des élections : la vision d’un intérêt général transcendant, déterminé d’en haut, et de la soumission de l’individu à une volonté générale à la définition de laquelle il ne participe que lors des scrutins est un idéal dépassé, voire contesté dans un monde individualiste et mondialisé[9]. Répondre à ces critiques ne suppose certes pas de faire droit à l’ensemble des revendications individuelles qui émanent de notre corps social. Mais cela impose en revanche de renouveler les formes d’engagement des citoyens dans la sphère publique pour permettre à chacun de s’exprimer et de participer à la construction des caractéristiques de l’intérêt général dans une démarche individuelle, mais au service de la collectivité. A cet égard, je n’irai pas jusqu’à emprunter la première voie que vous nous avez ouverte Monsieur le professeur Rosanvallon, à savoir celle d’un citoyen décideur. Les questions sont aujourd’hui tellement complexes qu’inviter l’électeur à répondre par oui ou par non à toutes les questions qui se posent ne me paraît pas forcément être la solution la plus pertinente. Je crois davantage en revanche à la seconde voie que vous avez dessinée : celle d’un citoyen contrôleur dans une société de vigilance et de contrepoids démocratiques, conformément à l’esprit de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[10].
De nouvelles formes de participation et d’expression du public ont déjà permis de revitaliser certains aspects débat public. Maxime Thory nous a parlé d’Internet et de l’essor des plateformes numériques et réseaux sociaux, qui à certains égards sont de nature à affaiblir le lien social et à encourager le repli individualiste, mais en même temps concourent à de nouvelles modalités d’expression citoyenne, plus « agiles » et moins formelles que le vote. Les consultations numériques sur des sujets multiples, notamment sur des choix politiques[11], les pétitions en ligne ou la mobilisation sur différents sujets d’intérêt collectif sont autant d’exemples de ces nouvelles formes d’expression qui permettent de rénover les relations que les citoyens entretiennent avec les décideurs publics. Il a même été question d’une « citoyenneté numérique »[12]. Il existe également une « citoyenneté administrative », par laquelle les administrés sont plus étroitement associés au processus décisionnel, qui est également la preuve d’une nouvelle appréhension de la place des citoyens dans l’action publique[13].
En parallèle, nous assistons – et je m’en réjouis – à l’essor de nouvelles formes de participation « citoyenne ». Certains enjeux, parfois globaux, suscitent une réelle mobilisation qui doit être encouragée et soutenue. Les mouvements dit « grassroots », partis de la base et visant à créer un engagement national, voire international, en attestent. La lutte contre le réchauffement climatique et pour la protection de l’environnement ou la lutte contre la pauvreté sont un exemple de ces mouvements citoyens qui par leurs actions ont contribué à faire de ces questions un élément central de l’intérêt général. Le choc provoqué par la vague d’attentats en France en 2015 a aussi provoqué un renouveau de l’engagement associatif en faveur de la jeunesse et de la solidarité. La création du service civique, par la loi du 10 mars 2010[14], et d’une réserve civique, par la loi du 27 janvier 2017[15], vont également dans ce sens. Le service civique s’est d’ailleurs rapidement révélé un succès pour changer les esprits et mobiliser la jeunesse au bénéfice de la collectivité[16]. L’ensemble des forces qui s’expriment dans ces dispositifs doit être mobilisé et soutenu par l’Etat et les autres personnes publiques.
Ce n’est que dans ces conditions d’expression, de participation et de contrôle, que les membres du corps social pourront faire naître un projet commun auquel ils adhèrent et qu’ils acceptent de porter.
B. Le renouveau de la citoyenneté doit également être accompagné d’une réflexion sur l’existence d’une « citoyenneté sociale » et solidaire.
Sans remettre en question l’existence d’appartenances supranationales – principalement régionales – il apparaît de plus en plus urgent d’offrir des réponses à certaines difficultés qui se posent directement sur notre territoire national.
J’en reviens aux propos de Dany Laferrière et de Pierre Rosanvallon sur la citoyenneté comme mode de relation et d’apprentissage de la civilité : l’épanouissement individuel dans un engagement citoyen personnel ne saurait conduire à la disparition du lien social. Faire naître un projet commun et incarner la citoyenneté suppose une meilleure connaissance et surtout une meilleure compréhension des uns et des autres. Ce n’est qu’à ce compte que nous pourrons faire vivre la solidarité et la fraternité, ce dernier volet de notre devise étant incontestablement le moins concret alors qu’il est peut-être le plus important. Sur ce sujet, l’école doit jouer un rôle déterminant dans l’ouverture des personnes à l’ensemble de la société et de ses membres[17]. Mais cet enseignement ne peut être uniquement théorique et l’école ne pourra pas seule permettre d’accroître la connaissance et la tolérance à l’égard des autres. D’autres dispositifs doivent par conséquent être mis en œuvre pour favoriser la compréhension de l’autre et la solidarité entre les divers groupes économiques et sociaux qui forment notre société[18].
En outre, l’incarnation de l’idéal de citoyenneté ne peut plus se passer d’une réflexion sur l’émergence d’une véritable « citoyenneté sociale »[19]. Les dispositifs de protection sociale instaurés dans la seconde moitié du siècle dernier tendaient à faire naître une société inclusive pour tous. Mais les évènements économiques de la fin du 20ème siècle, le phénomène de mondialisation, le chômage de masse et la multiplication des crises financières ont mis à mal cette vision et nous invitent à repenser les conditions d’une citoyenneté sociale[20]. Ce n’est qu’à cette condition, qui ne saurait cependant être suffisante, que l’on pourra revitaliser la citoyenneté politique et restaurer la confiance dans la représentation nationale. A cet égard, les débats sur l’égalité des chances doivent être appréhendés avec prudence. Il y a certainement des éléments positifs dans ces dispositifs, mais outre qu’ils reposent sur la reconnaissance d’inégalités, jugées cette fois acceptables, ils ne suffisent pas toujours à faire émerger un sentiment citoyen ou d’appartenance collective. La réflexion d’Amartya Sen sur les « capabilités », qui tend à l’épanouissement personnel en mettant l’accent sur la liberté positive permettant à chacun de déployer son potentiel au service de la destinée qu’il a choisi[21], est également intéressante. De manière générale, les dispositifs qui, sans être fondés sur des mécanismes de discrimination positive, tendent à accroître les capacités individuelles des personnes à se projeter dans une vie plus conforme à leurs aspirations doivent être recherchés. En émancipant les individus, ils pourront permettre, dans le cadre défini par la collectivité et l’Etat, un engagement plus instruit et plus actif au service de la collectivité et de la citoyenneté.
Derrière la citoyenneté se cache certes un idéal, mais un idéal qui ne saurait être désincarné, ni déconnecté de son temps. Car ce que la citoyenneté porte, c’est surtout un idéal de cohésion sociale et de vie en société, un projet commun. Cet idéal demeure aujourd’hui, mais la manière de l’incarner doit être repensée à la lumière de la crise constatée. La société doit être capable de prendre la mesure des défis auxquels elle est confrontée et des divisions et fractures qui la traversent, pour les affronter et savoir y répondre avec détermination[22]. Pour paraphraser Saint-Exupéry, je forme à cet égard le vœu que nous sachions nouer ces diversités particulières pour les unifier, sans les effacer par un ordre qui serait vain[23]. Je crois que les volontés et les forces existent pour l’essentiel. Appuyons-nous sur elles pour continuer à avancer et faire naître des solutions. Ces sept conférences consacrées à la citoyenneté auront permis d’en esquisser quelques unes et de dresser les constats qui s’imposaient.
Avant de clore ce cycle de conférences, je souhaiterais par conséquent remercier la présidente de la section du rapport et des études, Martine de Boisdeffre, son rapporteur général, François Séners, et son rapporteur adjoint, Timothée Paris, ainsi que l’ensemble des membres et des agents de la section du rapport et des études pour l’organisation de ce cycle de conférences et leur engagement au service de ce projet et de sa réussite. Je voudrais également remercier tous les orateurs qui se sont succédé au cours de ces sept conférences. Ce fut un succès avec pour chaque conférence en moyenne 150 à 200 participants et la tenue de débats passionnants et fructueux. Je souhaite la même réussite à notre étude annuelle sur la citoyenneté, qui paraîtra en septembre prochain.
[1]Michel Houellebecq, en 2010, déclarait : « Je ne suis pas un citoyen et je n’ai pas envie de le devenir, on n’a pas de devoir par rapport à son pays, ça n’existe pas, on est des individus, pas des citoyens, ni des sujets. La France est un hôtel, pas plus », cité par P. Rosanvallon, « Refonder la démocratie pour le bien public ? », Rencontres de la laïcité organisées par le Conseil départemental de la Haute-Garonne en décembre 2017, publiées par les Editions Privat, 2018, pp. 39-40.
[2]P. Rosanvallon, « Refonder la démocratie pour le bien public ? », Rencontres de la laïcité organisées par le Conseil départemental de la Haute-Garonne en décembre 2017, publiées par les Editions Privat, 2018, pp. 21-22.
[3]Voir notamment la persistance de différences de salaire entre les femmes et les hommes en dépit d’une égalité des droits dans ce domaine.
[4]Voir, par exemple, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté ou la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
[5]P. Rosanvallon, La société des égaux, Le Seuil, 2011, p. 18.
[6]Lors de la Révolution française, la France a accordé la citoyenneté à tous les étrangers qui s’étaient engagés au service de la liberté et contre la tyrannie (voir le décret du 26 août 1792 qui accorde la nationalité française à Thomas Paine, Jeremy Bentham et Anacharsis Cloots notamment). Ce dispositif n’a toutefois pas été durable et le décret du 26 décembre 1793 a prévu que les « individus nés en pays étranger sont exclus du droit de représenter le peuple français ».
[7]Voir, notamment, la décision CC, 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, n° 93-325 DC, pts. 2 à 4). Voir également sur ce point l’article de B. Genevois, « Un statut constitutionnel pour les étrangers. A propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 93-325 DC du 13 août 1993 », RFDA, 1993, p. 871.
[8]P. Rosanvallon, La société des égaux, Le Seuil, 2011.
[9]A. Taillefait, « La loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté : "impression, soleil couchant" », AJFP, 2017, p. 195.
[10]« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».
[11]Voir, notamment, la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui a donné lieu à une vaste consultation du public. Voir également la consultation numérique sur le choix du nom de la nouvelle région issue de la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. La décision rendue par le Conseil d’Etat au sujet de cette procédure définit les principes directeurs qui doivent assurer la loyauté et la sincérité de telles consultations (CE Ass., 19 juillet 2017, Association citoyenne pour Occitanie Pays Catalan, n° 403928).
[12] Etude annuelle 2017 du Conseil d’Etat, Puissance publique et plateformes numériques : accompagner « l’ubérisation », La documentation française, p. 91.
[13]Voir sur ce sujet l’étude annuelle 2011 du Conseil d’Etat, Consulter autrement, participer effectivement, La documentation française.
[14]Loi n° 2010-241 du 10 mars 2010 relative au service civique.
[15]Titre 1er, chapitre 1er de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui fait suite aux propositions du rapport « Pour que vive la fraternité. Propositions pour une réserve citoyenne », remis au Président de la République par Claude Onesta et Jean-Marc Sauvé en juillet 2015.
[16]En 2016, le service civique a accueilli près de 92 000 volontaires. Voir sur ce point le rapport d’activité 2016 de l’Agence du service civique accessible à <https://www.service-civique.gouv.fr/uploads/content/files/2ef5e6fe8462a7343a96de10e77ebf22fc041b39.pdf> (08.06.2018).
[17]La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a ainsi prévu un enseignement moral et civique rénové qui tend à inculquer aux élèves « le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de la laïcité ».
[18]Voir, par exemple, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté qui a prévu des dispositions tendant à renforcer le « modèle citoyen » (Art. 170), et à lutter contre l’exclusion (Titre III) et la discrimination (Titre III, chapitre IV).
[19]P. Rosanvallon, La société des égaux, Le Seuil, 2011, p. 11.
[20]M. Miaille, « A propos de citoyenneté et laïcité : débat sur l’universel », in Frontières du droit, critique des droits : billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, LGDJ, 2007, pp. 79-80.
[21]M. Saint-Upéry, « Introduction », in A. Sen, L’économie est une science morale, La Découverte, 2003, p. 29.
[22]P. Rosanvallon, « Refonder la démocratie pour le bien public ? », Rencontres de la laïcité organisées par le Conseil départemental de la Haute-Garonne en décembre 2017, publiées par les Editions Privat, 2018, p. 37.
[23]A. de Saint-Exupéry, Citadelle, Gallimard, Folio : « Unifier c’est nouer mieux les diversités particulières, non les effacer par un ordre vain ».