Table ronde 2 - L'émergence d'un ordre public européen
Propos liminaire de Bernard Stirn, président de la section du contentieux
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Notion fondamentale, l’ordre public est volontiers polysémique.
En droit public français, l’ordre public est une référence pour la procédure contentieuse comme pour la définition des pouvoirs de police. D’un point de vue procédural, le moyen d’ordre public est, comme l’explique le président Odent, « un moyen relatif à une question d’importance telle que le juge méconnaîtrait lui-même la règle de droit qu’il a mission de faire respecter si la décision juridictionnelle rendue n’en tenait pas compte ». Son étendue est sans doute plus grande que dans la procédure judiciaire. Il y aussi un ordre public matériel, traditionnellement exprimé au travers des pouvoirs de police du maire. Reprenant les dispositions venues de la loi municipale du 4 avril 1884, l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que : « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». L’ordre public, dont il revient à l’autorité de police d’assurer le maintien, comporte également des éléments immatériels. Il s’étend au respect de la dignité de la personne humaine, comme le Conseil d’État l’a jugé, dans l’affaire dite du lancer de nain, par ses décisions du 27 octobre 1995, commune de Morsang-sur-l’Orge et ville d’Aix-en-Provence.
Dans un sens plus large, l’ordre public recouvre les valeurs essentielles du consensus social et du système juridique. Le Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ont à cet égard des jurisprudences très concordantes. Ils jugent que l’excision, la polygamie, la répudiation sont contraires à l’ordre public français. Ils appliquent la même condamnation d’ordre public à l’organisation de la gestation pour autrui (CE, 22 janvier 1988, association le Cigognes ; Cass, 13 décembre 1989 Alma Mater et 31 mai 1991, Mme L.). Le Conseil constitutionnel ajoute que la prohibition de l’inceste fait partie des « règles d’ordre public régissant le droit des personnes » (CC, décision du 9 novembre 1999). Des lois nouvelles peuvent étendre le champ de l’ordre public. Après l’abolition de la peine de mort, le Conseil d’Etat juge que l’ordre public interdit désormais d’extrader un étranger vers un pays où il risque d’être exécuté (CE, 27 février 1987, Fidan et 15 octobre 1993, Mme Aylor). Après l’adoption de la loi sur le mariage entre personnes de même sexe, la Cour de cassation décide, avec une inspiration comparable, qu’une convention internationale qui ferait obstacle au mariage en France d’un Français et d’un étranger du même sexe serait contraire à l’ordre public (Cass, 28 janvier 2015).
Comme l’ensemble de notre droit, l’ordre public s’inscrit aujourd’hui dans l’espace européen.
Nul doute, en effet, qu’un droit public européen est en cours de construction. Il découle des interactions croisées entre le droit de l’Union européenne, le droit de la convention européenne des droits de l’homme, et les différents droits nationaux. Les deux cours européennes, de Strasbourg et de Luxembourg, les cours constitutionnelles et les cours suprêmes nationales s’écoutent et s’influencent mutuellement. De ces échanges réguliers et de plus en plus nourris découle un véritable système juridique, avec sa hiérarchie des normes, ses standards de procédure, ses principes directeurs partagés. Certes les difficultés ne manquent pas dans la période actuelle, marquée par le Brexit, l’euroscepticisme, la réaffirmation des souverainetés, parfois même la mise en cause de l’autorité des décisions de justice, voire de l’indépendance des juges. Mais les pas qui ont été franchis sont, au-delà des incertitudes du moment, le garant de la solidité de l’œuvre commune et le gage de sa pérennité.
Dans ce contexte, notre table ronde cherche à éclairer l’émergence d’un ordre public européen. L’ordre public est présent en droit de l’Union et la Cour de justice en fait application. La Cour européenne des droits de l’homme s’y réfère, en particulier lorsqu’elle s’interroge sur les mesures qui touchent à l’intimité de la personne et sur celles qui visent à garantir les règles de la vie commune. Avec certainement des acceptions variées, la notion a des échos dans les différents droits nationaux. L’approche de droit comparé n’en demeure pas moins délicate. A ce stade, je ne connais d’ailleurs pas encore la bonne traduction en anglais des mots « ordre public ».
Pour apporter les différents éléments nécessaires à la réflexion, notre table ronde réunit les meilleures expériences :
Dominic Grieve, ancien attorney général d’Angleterre et du pays de Galles, aujourd’hui député à la Chambre des communes nous apportera le point de vue britannique.
Roger Grass, conseiller à la Cour de cassation, qui a exercé de nombreuses années les importantes fonctions de greffier de la Cour de justice de Luxembourg, traitera des rapports entre ordre public national et droit de l’Union.
Patrick Wachsmann, professeur à l’université de Strasbourg, expliquera les liens entre ordre public et marge nationale d’appréciation dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Chacun d’eux s’exprimera durant dix minutes puis réagira en quelques minutes aux exposés des deux autres. Un dialogue s’ouvrira ensuite avec l’ensemble de la salle.