Inauguration des nouveaux locaux du tribunal administratif de Nice

Par Bruno Lasserre, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Inauguration des nouveaux locaux

du tribunal administratif de Nice

Nice

Lundi 29 octobre 2018

Intervention de Bruno Lasserre,

vice-président du Conseil d’Etat

 

Madame le garde des sceaux, ministre de la justice,

Mesdames et Messieurs les parlementaires

Monsieur le préfet des Alpes-Maritimes,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

           

C’est pour moi une grande joie de participer, sous l’égide de Madame la garde des sceaux, à l’inauguration du nouveau siège du tribunal administratif de Nice. Notre justice administrative s’est construite progressivement et sans coup d’éclats, par une jurisprudence solide qui est le fruit d’un subtil équilibre entre la poursuite de l’intérêt général et la garantie des droits individuels. Et lorsque notre ordre juridictionnel s’est enrichi de la création des tribunaux administratifs puis des cours administratives d’appel, nous avons dû trouver des locaux adaptés à l’exercice de ses missions. Mais aujourd’hui, certains des locaux que nous avions alors investis ne sont plus conformes aux attentes auxquelles la juridiction administrative doit répondre. Les conditions d’exercice de nos missions ont en effet changé et le nombre de recours a très fortement augmenté. C’est pourquoi nous engageons, lorsque c’est nécessaire, des opérations immobilières d’envergure destinées à garantir que notre ordre de juridiction puisse continuer à bénéficier de locaux modernes et sécurisés conformes à l’ampleur de ses missions. Et c’est que nous avons fait ici à Nice.

 

I.              Le relogement du tribunal administratif de Nice s’imposait en effet pour le bon accomplissement de ses missions.

 

Ce déménagement n’est certes pas encore effectif, mais il est prévu dans le courant du mois de novembre, dès que les dernières opérations de réception auront été faites. Déménager est toujours – je l’apprécie encore aujourd’hui – à la fois un déracinement et une promesse. En quittant les locaux actuels de la Villa La Côte, je mesure que certains d’entre vous laissent derrière eux des souvenirs professionnels et humains qui leurs sont chers ainsi qu’un cadre de travail que d’aucuns qualifieraient d’exceptionnel. Mais la relocalisation du siège du tribunal administratif de Nice est aussi la promesse de locaux plus fonctionnels et mieux sécurisés, ainsi que de relations professionnelles simplifiées et plus fluides au profit du projet qui nous unit tous aujourd’hui : rendre une justice administrative de qualité pour les justiciables et nos concitoyens.

En effet, les bâtiments de la Villa La Côte ne sont plus adaptés au bon fonctionnement d’une juridiction. Ils posaient même de réelles difficultés d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Et y remédier en procédant à des travaux de rénovation des bâtiments existants auraient été trop coûteux compte tenu de l’ampleur des défaillances. Les questions de sécurité, qui nous avaient jusqu’à il y a peu épargnés, à la différence de nos collègues de l’ordre judiciaire, justifient également la relocalisation du tribunal administratif de Nice. Le déménagement à venir permettra ainsi d’installer la juridiction niçoise en cœur de ville, pour le plus grand bénéfice des parties et des avocats tout en assurant la sécurité et la sûreté de tous les magistrats et agents de greffe qui y travaillent. Cet impératif ne pouvait être éludé plus longtemps.

Enfin, ce déménagement était devenu indispensable pour permettre la réunion en un même lieu, au lieu de deux, et dans une même collégialité de travail de l’ensemble des magistrats et des agents du tribunal de Nice. Une juridiction ne peut en effet bien fonctionner dans un espace fragmenté et cloisonné. Dans les nouveaux locaux du tribunal, le dialogue pourra enfin s’exercer avec toute la liberté qui doit être la sienne dans une juridiction attachée, comme la nôtre, à la qualité du débat collégial et au travail collaboratif.

Le chantier du déménagement de la juridiction niçoise a nécessité beaucoup d’efforts de la part de tous les services concernés et je tiens par conséquent à remercier ceux qui y ont contribué et ont permis de le mener à bien. Je forme surtout le vœu que ces nouveaux locaux permettent aux membres et agents de la juridiction niçoise de trouver de bonnes conditions de travail pour l’exercice de leurs missions.

 

II.          Mais en modernisant ses installations immobilières, la juridiction administrative ne se borne pas à un ravalement de façade ; elle s’inscrit dans la modernisation continue de ses outils et de ses procédures.

Nous ne pouvons en effet nous endormir sur nos lauriers. L’existence de notre ordre juridictionnel, même si elle est constitutionnellement consacrée, est encore parfois, vous le savez, mise en cause. Et notre légitimité se construit et se reconstruit chaque jour par notre manière d’être : être un juge ouvert sur le monde ; un juge qui sait se mobiliser dans l’urgence ; un juge qui sait rester ferme sur les principes et, notamment, la défense des libertés, mais qui sait aussi se préoccuper des effets de ses décisions sur l’action administrative et se saisir des enjeux économiques et sociaux qui sous-tendent les questions qui nous sont posées ; enfin, un juge qui contribue à la cohésion et à la paix sociales.

C’est pourquoi la juridiction administrative poursuit inlassablement la modernisation de ses outils et de ses procédures.

Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, la juridiction administrative s’est notamment attachée à développer la médiation dans le champ administratif. Par rapport à un règlement juridictionnel, la médiation présente en effet l’avantage d’être plus rapide, moins onéreuse et plus consensuelle. Certains litiges peuvent ainsi être réglés de manière plus complète et équitable sans l’intervention du juge, même si ce dernier peut toujours bien sûr être saisi en cas d’échec de la médiation. Les premières conventions avec nos partenaires et, en particulier, les barreaux ont été signées en 2017 et le mouvement se poursuit cette année. Une procédure de médiation préalable obligatoire est également en cours d’expérimentation s’agissant de certains litiges relatifs à la situation individuelle des agents des collectivités territoriales ou de certains recours relatifs aux prestations et aides sociales. Nous serons attentifs aux résultats qui en découlent.

En parallèle, la juridiction administrative s’est saisie des opportunités offertes par le numérique. La dématérialisation des procédures, via l’application Télérecours, a ainsi permis d’accroître l’accessibilité de la juridiction administrative et de fluidifier et sécuriser les relations entre les parties et avec la juridiction. L’application Télérecours citoyens, lancée au printemps dernier, ouvre désormais cette possibilité à tous les justiciables, même non représentés par un avocat. L’expérimentation menée dans trois juridictions pilotes depuis le 7 mai dernier a été concluante et le dispositif va donc être généralisé à compter du 30 novembre de cette année. Les prochains mois permettront aussi de repousser encore notre frontière technologique avec le lancement de nouveaux outils numériques de travail.
            Le projet de loi de programmation pour la justice en cours d’examen au Parlement contient lui aussi plusieurs dispositions visant à donner à la juridiction administrative les moyens de faire face à ses missions. Il est en particulier prévu d’accroître le recours aux magistrats honoraires et à l’aide à la décision avec la création de juristes assistants. Ces différents dispositifs doivent notamment permettre au juge administratif de se recentrer sur les affaires pour lesquelles son intervention est utile et pertinente et pour lesquelles il apporte une réelle valeur ajoutée dans le règlement des litiges.

Madame la garde des sceaux, par ses réformes, par son action continue et volontaire, la juridiction administrative œuvre inlassablement au service de nos concitoyens et de l’Etat de droit. Ce n’est pas un exercice facile auquel se livrent les juges administratifs : concilier les impératifs de l’action administrative et la garantie des droits requiert de trouver un réglage fin entre des intérêts parfois divergents. Ce n’est pas une mission aisée, mais elle est nécessaire dans un pays qui, comme le nôtre, a fait de l’intérêt général la clé de voûte de nos institutions et le fondement de notre pacte social. L’équilibre peut évoluer dans le temps lorsque les circonstances l’exigent, mais il reste toujours assis sur des principes fondamentaux et intangibles dont nous sommes, nous aussi, les gardiens. Nous n’avons jamais cessé de l’affirmer et nous continuerons à le faire, y compris dans les circonstances les plus difficiles. Nous avons amplement montré que nous en étions capables au cours de la grave crise terroriste que nous traversons et qui a tragiquement endeuillé notre pays et ici-même à Nice. Tous les membres de la juridiction administrative et, en particulier, les juges des référés des tribunaux administratifs ont su montrer, avec dignité et détermination, leur capacité à se saisir dans des délais très brefs d’affaires hautement sensibles, voire douloureuses.

Chers collègues, vous avez œuvré à préserver un équilibre durable et pérenne entre la garantie des libertés fondamentales et la toute aussi nécessaire sauvegarde de l’ordre public. Et je souhaite profiter de ma présence aujourd’hui pour le dire avec la plus grande solennité : le défi était de taille, mais grâce à vous nous avons su le relever. Je tiens à vous en remercier très sincèrement. Collectivement, je crois que nous pouvons être fiers, comme membres de la juridiction administrative, de la place que notre ordre de juridiction occupe dans les institutions de notre pays.

Aujourd’hui de nouveaux défis nous attendent ; je viens d’en énumérer certains. Mais pour les relever je sais pouvoir compter sur toutes les femmes et tous les hommes qui forment la juridiction administrative, ainsi que sur votre soutien, Madame la garde des sceaux. Et je sais qu’ensemble nous pourrons continuer à faire progresser notre justice au service de l’Etat de droit.

Madame la garde des sceaux, Mesdames et Messieurs, dans cette ville de Nice qui a donné à notre République tant d’illustres républicains, Romain Gary et Simone Veil, pour ne citer qu’eux, mais aussi tant d’artistes et d’écrivains, y compris parmi les membres de la juridiction administrative, je ne peux m’empêcher de conclure ce propos en ayant une pensée pour un autre enfant du pays, qui réunit à la fois l’esprit de la République et celui de la juridiction administrative : René Cassin. En cette année anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, de la Constitution du 4 octobre 1958, à la rédaction de laquelle il a participé, et du prix Nobel qui lui a été octroyé en 1968, nous trouvons en René Cassin une inspiration réconfortante alors que nous nous tournons avec détermination vers les défis du futur ; des défis qu’il n’aurait pu prédire, mais qu’il aurait su regarder en face pour continuer à accomplir, comme il le résumait si bien, « tout ce qu’exigeront de nous (…) les nécessités du service public et le respect des droits de la personne humaine » [2]

[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2] Dernière phrase du discours d’installation de René Cassin, prononcé le 23 décembre 1944 (P. Gonod, La présidence du Conseil d’Etat républicain, Dalloz, 2005 p. 124).