Intervention de Jean-Marc Sauvé le 27 juin 2017 à l'occasion de fin de la formation initiale des nouveaux conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d’appel de la promotion "Marceau Long"
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Petit-déjeuner de fin de la formation initiale des nouveaux conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d’appel
Promotion « Marceau Long »
Conseil d’État, Mardi 27 juin 2017
Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat
Madame la directrice du Centre de formation de la juridiction administrative,
Mesdames et Messieurs les conseillers et premiers conseillers,
Chers collègues,
Je suis heureux de vous retrouver aujourd’hui, vous les 66 magistrats administratifs de la promotion 2017[2]. Vous achevez en ce moment votre formation initiale au Centre de formation de la juridiction administrative et vous vous apprêtez à rejoindre vos juridictions d’affectation pour y prendre vos fonctions. Ces fonctions ? vous les exercerez dans des contextes locaux variés : certains d’entre vous rejoignent de grands tribunaux aux chambres relativement spécialisées, tandis que d’autres sont affectés dans des juridictions de plus petite taille, dont les chambres sont à la fois plus polyvalentes et moins exposées aux contentieux de masse, mais traitent aussi de fortes particularités locales. Quelles que soient les caractéristiques des tribunaux que vous allez rejoindre, votre formation vous a donné les outils nécessaires pour vous y adapter et vous permettre de rendre une justice de qualité, grâce aux nombreux modules de présentation de l’environnement juridictionnel, d’initiation aux outils informatiques, de recherche documentaire, de méthodologie et de préparation de dossiers « vivants » que vous avez suivis. Au-delà des spécificités des juridictions et de la diversité de vos parcours antérieurs, nous avons en partage la volonté de juger dans les meilleurs délais, avec rigueur et toujours le souci d’être compris et de vider au mieux les litiges portés devant nous.
Avant que vous ne rejoigniez vos juridictions d’affectation, permettez-moi donc de vous présenter quelques-unes des perspectives sur la juridiction administrative.
I - Les juridictions administratives sont parvenues, en 2016, à consolider le redressement construit les années précédentes.
Dans un contexte marqué par une hausse globale des entrées, quoiqu’en décélération - +2,2% dans les cours administratives d’appel et +0,6% dans les tribunaux administratifs en 2016 -, nos juridictions n’ont pas baissé la garde. Par rapport à l’année 2015, les sorties ont progressé dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Si, en dépit des efforts accomplis, le délai prévisible moyen de jugement a augmenté de 9 jours dans les cours et est resté stable en première instance, le délai effectivement constaté a, quant à lui, été réduit de 5 jours dans les tribunaux et de 6 jours dans les cours. En parallèle, la mobilisation des magistrats et des agents de greffe, ainsi qu’une gestion active des stocks ont permis de poursuivre le règlement des affaires les plus anciennes. Leur nombre a nettement diminué à tous les niveaux de la juridiction : il est inférieur à 1,9 % du stock dans les cours et à 8,6 % dans les tribunaux. L’an passé, ce stock a baissé de 5,5 % dans les tribunaux administratifs, où, pour la deuxième fois depuis des décennies, il est inférieur à 10 %.
II - Pour faire face à ces flux et répondre aux exigences de qualité qui pèsent sur la justice administrative, nous devrons relever ensemble de nouveaux défis.
A. Le premier défi réside dans la prise en charge de la croissance du contentieux.
Plusieurs réformes ont abouti en 2016 afin de nous permettre de faire face à l’augmentation continue du nombre de nouvelles requêtes, sans alourdir à l’excès la charge de travail des magistrats et des agents de greffe.
De nouveaux outils procéduraux – dont je vous parlais déjà en janvier – ont été créés par le décret du 2 novembre 2016, dit « JADE », pour améliorer le traitement des requêtes et dynamiser l’instruction des dossiers avec, notamment, la possibilité de faire produire un mémoire récapitulatif, de demander confirmation de la requête sous peine de désistement d’office en l’absence de réponse ou de procéder d’office à la cristallisation des moyens.
Nous disposons aussi de moyens nouveaux pour régler les séries contentieuses : c’est la possibilité qu’ouvre la loi du 18 novembre 2016 qui institue devant la juridiction administrative l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droits dont nous proposions depuis longtemps la création. Le décret du 6 mai 2017 en précise le régime devant le juge administratif.
Enfin, nous devons encourager, en amont comme au cours des procédures juridictionnelles, le recours à la médiation, à l’initiative des parties ou du juge. Un décret a été signé le 18 avril sur ce sujet et des actions de formation et d’accompagnement – avec un guide de la médiation, la désignation de référents médiation dans les juridictions, le « repérage » de médiateurs …- sont en cours à destination des magistrats et des agents de greffe.
Il vous appartiendra, sous l’égide de vos présidents respectifs, de vous approprier ces outils et de les mettre en œuvre dans l’instruction des dossiers qui vous seront affectés.
B. Au-delà de ces nouveaux outils, nous devons aussi garantir la qualité des conditions de travail de l’ensemble des membres de la juridiction administrative.
Avec l’appui de la présidente Odile Piérart et de la Mission d’inspection des juridictions administratives, nous menons actuellement une réflexion approfondie sur la charge de travail des magistrats administratifs, son évaluation, sa répartition et son évolution dans le temps. Plusieurs pistes sont à l’étude, notamment - et sans les hiérarchiser -, sur le calendrier des audiences, l’organisation de la juridiction, les méthodes de travail des magistrats et les outils informatiques à leur disposition, ainsi que sur la définition d’indicateurs de mesure de la « productivité » intégrant des facteurs, tels que le poids des contentieux de masse, des urgences et des stocks de plus de deux ans, qui contribuent à la charge de travail.
Cette réflexion s’appuie sur de nombreux échanges menés avec l’ensemble des magistrats et des agents. Cette année, deux questionnaires importants vont nous apporter des enseignements précieux. Un premier questionnaire a été adressé aux magistrats en mai dernier sur le travail dématérialisé. 64% de ses destinataires y ont répondu et ses résultats ont été présentés en CHSCT le 16 juin dernier. Le second questionnaire est plus ambitieux : par son public, puisqu’il s’adresse à la fois aux magistrats et aux agents des greffes, et par son objectif, qui est d’établir le premier baromètre social de la juridiction administrative. Il s’est achevé il y a peu et il n’est pas encore exploité, mais 71% des magistrats et 64% des agents de greffe y ont répondu.
Il est essentiel de connaître l’opinion et le ressenti des magistrats et des agents de greffe : cela doit nous permettre de prendre les meilleures décisions pour gérer la charge de travail de chacun, assurer une bonne administration de la justice, mais aussi garantir à tous de bonnes conditions de travail.
C - Un autre défi réside dans la garantie de notre déontologie et, notamment, des principes d’impartialité et de prévention des conflits d’intérêts.
La loi du 20 avril 2016 a donné une base législative à notre charte de déontologie qui a été refondue par un arrêté du 14 mars de cette année à la suite de l’avis du collège de déontologie et de nombreuses autres consultations. Le nouveau texte de la charte, assorti de la trentaine d’avis et de recommandations rendus, classés par ordre thématique vient d’être imprimé et sera distribué à tous les magistrats. Il vous sera remis à la fin de cette réunion. La loi du 20 avril a aussi donné une existence législative au collège de déontologie dont la composition a été élargie à une personne qualifiée nommée par le Président de la République sur la proposition du vice-président. C’est le professeur Martine Lombard qui a été ainsi désignée, le collège restant présidé par Daniel Labetoulle, président honoraire de la section du contentieux du Conseil d’Etat.
III - Pour relever ces nombreux défis et embrasser votre nouvelle carrière, vous vous êtes placés sous le patronage du président Marceau Long
Je suis sensible à ce choix et je crois que vous ne pouviez choisir parrain plus emblématique de ce que la juridiction administrative a déjà accompli, mais aussi de l’esprit de réforme qui doit l’animer pour qu’elle continue à servir nos concitoyens avec rigueur, efficacité et célérité.
Le président Marceau Long a laissé une profonde empreinte dans l’organisation, le fonctionnement et la jurisprudence de notre ordre de juridiction. Par son sens du débat collégial et de la réforme, il a permis à la justice administrative de se moderniser, dans le respect de ses équilibres fondateurs, et il a restauré sa crédibilité alors mise à mal par l’accumulation des stocks et des délais de jugement excédant nettement trois ans. L’élaboration puis la mise en œuvre, en un temps record, de la loi du 31 décembre 1987 furent le fruit de l’engagement personnel de Marceau Long : d’elle sortirent un rôle nouveau pour le Conseil d’Etat, la création des cours administratives d’appel et une gestion autonome des juridictions. Il inspira encore la loi du 8 février 1995 sur l’exécution des décisions juridictionnelles. Ces accomplissements majeurs ont posé les fondements solides et toujours actuels de notre ordre de juridiction. Ces réformes nous les devons à la détermination, l’autorité naturelle et au sens du rassemblement du président Long, autant qu’à sa vision de long terme et sa capacité à percevoir les besoins d’adaptation de l’institution, au service de notre société. C’est dans ce cadre rénové que la jurisprudence administrative a ensuite connu un aggiornamento nécessaire et salutaire. Les arrêts Alitalia, Nicolo, Boisdet, Rothmans international, Arizona Tobacco, Epoux V ou Hardouin et Marie, pour ne citer qu’eux, sont des exemples de cette transformation opérée sans crise grâce, notamment, à l’implication personnelle du président Long.
Vous avez choisi un patronage aussi prestigieux qu’exigeant. Je forme le vœu que vous fassiez vivre l’héritage de Marceau Long, dans lequel vous vous êtes volontairement inscrits, pour répondre aux attentes de nos concitoyens et continuer à rendre une justice administrative de qualité.
Pour terminer, je vous lirai des extraits de la lettre que Madame Josette Long m’a adressée, après que j’ai porté à sa connaissance le choix du nom de votre promotion :
« Mon mari aurait été fier de l’honneur que lui font ces jeunes magistrats en plaçant leur confiance dans ses pas.
Il attachait de l’importance à ces choses qui, selon lui, indiquent des objectifs profonds. Celui du nom de sa promotion à l’ENA, « Europe », était lourd de sens et d’ambition positive.
Je souhaite que son souvenir porte chance et guide les premiers pas professionnels de ces magistrats, qui … ont choisi la voie de la justice et du service de l’État. »
Vous allez donc bientôt rejoindre vos juridictions et vous engager dans la carrière de magistrat administratif. Celle-ci sera, je l’espère, féconde et vous procurera de multiples et profondes satisfactions. Vous avez été préparés avec soin et compétence à vos fonctions par l’équipe du Centre de formation de la juridiction administrative, que je remercie pour son engagement. Permettez-moi de finir comme j’avais commencé mon intervention en janvier : en vous souhaitant la bienvenue dans la juridiction administrative et en vous présentant mes meilleurs vœux de réussite au service de la justice et du droit.
[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
[2]66 magistrats administratifs, dont 15 issus du détachement, 10 issus du recrutement par la voie du tour extérieur, 24 issus du concours externe, 10 issus du concours interne, 6 issus du recrutement par la voie de l’Ecole nationale d’administration (ENA) et 1 officier.