Extension du Tribunal administratif d’Orléans

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Interventions de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'Etat et de Claire Jeangirard-Dufal, président du tribunal administratif d'Orléans, lors de l'inauguration de l'extension du tribunal administratif d'Orléans, le 12 octobre 2011.

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Inauguration de l’extension

du tribunal administratif d’Orléans

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Intervention de Jean-Marc Sauvé[1],

vice-président du Conseil d’Etat

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Mercredi 12 octobre 2011

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Monsieur le préfet de la région Centre, préfet du Loiret,

Monsieur le président de la chambre régionale des comptes,

Monsieur le président du tribunal de grande instance d’Orléans,

Monsieur le procureur de la République près ce tribunal,

Mesdames et Messieurs les représentants de la région Centre, du département du Loiret et de la ville d’Orléans,

Monsieur le directeur général de l’Agence régionale de santé,

Mesdames et Messieurs les chefs de service de l’Etat et les représentants des autorités civiles et militaires,

Monsieur le bâtonnier,

Mesdames et Messieurs les professeurs et les avocats,

Mesdames, Messieurs,

Le langage de la justice ne se limite pas à celui des lois et de la jurisprudence. Il s’exprime également, « dans des formes plus immédiatement accessibles au justiciable et plus visibles dans la cité »[2], par l’architecture : par l’inscription dans la ville des palais, des cités ou des maisons de justice ; par leur dessin et leurs volumes, leurs façades et leurs frontons ; par leurs espaces intérieurs aussi : salles des pas perdus et salles d’audience. A cet égard, la justice administrative a ceci de singulier qu’elle ne dispose pas, contrairement à la juridiction judiciaire, de « temples » qui lui soient dédiés[3]. Les juridictions administratives qui sont, somme toute, de création récente ont en effet trouvé refuge dans des havres qui leur ont été confiés, qu’elles entretiennent, restaurent, restructurent et adaptent à leur activité : demeures aristocratiques, patriciennes ou bourgeoises ; mais aussi couvents ; sièges d’assemblées consulaires ou d’institutions financières ; cités administratives ; immeubles de bureau et même bourse du travail... Cette situation, trop constante pour s’expliquer par le hasard, est le fruit d’une nécessité, pour l’essentiel budgétaire, habilement maquillée en stratégie. Elle donne en tout cas aux juridictions administratives une responsabilité toute particulière : celle de conserver et mettre en valeur l’héritage reçu tout en l’améliorant et en l’adaptant à sa destination nouvelle. La restauration dans les années 80 de l’hôtel de la Vieille Intendance pour y installer le Tribunal administratif d’Orléans et maintenant son extension sont une vivante illustration de mon propos. Mais, plus généralement, c’est l’ensemble des opérations immobilières menées par notre ordre de juridiction qui illustre cette volonté de sauvegarder le passé, tout en assumant notre condition et nos ambitions présentes et en nous projetant résolument dans l’avenir.

De nombreux tribunaux administratifs et cours administratives d’appel bénéficient du privilège d’être accueillis dans des monuments historiques ou des édifices classés. Le souci de préserver et de restaurer le patrimoine dont la justice administrative a hérité est donc, par la force des choses, une dimension prioritaire de notre politique immobilière. L’installation de la cour administrative d’appel de Paris a ainsi été l’occasion d’une rénovation de l’Hôtel de Beauvais, achevée fin 2003, sauvant de l’abandon ce superbe immeuble du Marais pour le restituer à un service public. C’est une même volonté d’entretien et de valorisation du patrimoine historique qui a guidé la rénovation des édifices accueillant les cours administratives d’appel de Bordeaux, à l’hôtel Nairac, de Douai, à l’hôtel d’Aoust, et les tribunaux administratifs de Rouen, à l’Hôtel de Crosne, de Nîmes, à l’Hôtel Silhol, ou encore de Nantes, à l’Hôtel Deurbroucq. Mais aucun de ces monuments n’est aussi ancien que celui qui nous accueille aujourd’hui – même si celui qui abrite le tribunal administratif de Melun, dont la rénovation complète vient justement de s’achever, est l’héritier d’un couvent des Carmes né en 1404.

Vous avez souligné avec raison, Madame la présidente, que nous ne savons que peu de choses de l’histoire du magnifique et intriguant bâtiment dans lequel nous nous trouvons qui n’a d’ailleurs été que très tardivement – le 16 juillet 2007 ! - inscrit à l’inventaire des monuments historiques. Si l’on en croit l’un de vos lointains prédécesseurs, François Le Maire, juge au « siège présidial » d'Orléans au XVIIème siècle et auteur d’une somme intitulée Histoire et antiquités de la ville et du duché d’Orléans[4] , le commanditaire de la construction est un certain François Brachet, intendant de la Reine d’Aragon, sous le règne de Louis XII, à la fin du XVème siècle. Il est en outre attesté que le blason de la famille Brachet, qui a donné à l’Etat d’habiles administrateurs, à l’Eglise des évêques et à Orléans son premier maire[5], représente un chien braque, que l’on découvre en plusieurs points du bâtiment, ce qui tend à confirmer l’origine de celui-ci. En tout cas, ces conjectures ne font qu’aviver l’intérêt porté à ce splendide édifice de la Renaissance qui reste inscrit dans l’écrin d’un parc majestueux, légèrement rétréci, il est vrai, depuis ses origines. Le temps a toutefois fait son œuvre et l’hôtel de la Vieille Intendance a été divisé  au fil des siècles en habitations particulières plus ou moins bien entretenues et il s’en est trouvé, si l’on en croit un témoignage de 1880, « douloureusement mutilé »[6]. La justice administrative peut donc aujourd’hui s’enorgueillir d’avoir contribué non seulement à la réparation des outrages du temps, mais également au rétablissement de l’unité originelle du bâtiment.

Restaurer un bâtiment, lui rendre sa beauté et son âme, est une tâche ardue et, subsidiairement, onéreuse. Mais c’est aussi une chance, celle de rendre au public et aux usagers de ce bâtiment la possibilité de découvrir et d’apprécier le legs du passé que l’on a pu mettre à jour. A cet égard, j’ai été impressionné, lors de la visite de ce matin, par la magnifique charpente à chevrons formant fermes, ce « vaisseau » renversé, symbolique du port florissant que fut Orléans. Cette charpente a été habilement rendue à la vue du public sur le chemin de la bibliothèque.

Dans notre politique immobilière, la préservation et le respect du patrimoine se concilient bien sûr avec la prise en compte des aspirations contemporaines.

La première de ces priorités est d’adapter les locaux des juridictions à l’évolution de l’activité qui s’y déroule et aux défis multiples qui se posent à la justice administrative au XXIème siècle. La sollicitation soutenue que connaît cette justice s’est ainsi traduite par la création de plusieurs juridictions : pour s’en tenir aux années les plus récentes, ont été ainsi installés les tribunaux administratifs de Nîmes en 2006, de Toulon en 2008 et de Montreuil en 2009. Ont aussi été intégralement relogées certaines juridictions, comme le tribunal administratif de Rouen en 2008. L’évolution de notre activité a aussi exigé d’importantes extensions à Rennes, Strasbourg, Marseille ou Grenoble et, très bientôt, à Versailles. Elle conduira demain au relogement complet du tribunal de Basse-Terre et de celui de Lille. Enfin, et c’est une première pour notre ordre de juridiction, un palais de justice entièrement conçu pour abriter une juridiction administrative sera construit à Fort-de-France. Nous savons restaurer, agrandir et transformer ; nous savons également, quand cela est nécessaire, bâtir ex nihilo.

Les évolutions auxquelles il faut répondre sont aussi celles des conditions de travail, et c’est également une priorité de notre politique : adapter au mieux les bâtiments et l’équipement de nos juridictions à l’exercice d’un travail juridictionnel moderne, convivial et efficace.

C’est ainsi qu’ici à Orléans a été créée une nouvelle salle d’audience, qu’ont été aménagés des bureaux pour répondre aux besoins des magistrats et agents de greffe des cinq chambres du tribunal, que les sous-sols ont été affectés aux archives et que les deux bâtiments, artificiellement séparés par l’histoire, ont été réunifiés. Ces travaux ont été conçus et réalisés en étroite coordination avec la présidente du tribunal et le greffier en chef. Pour étendre et rénover ce cadre de travail, la concertation a de surcroît prévalu. Ainsi que vous l’avez souligné, Madame la présidente, l’investissement par votre tribunal de la partie Est de l’hôtel de la Vieille Intendance a été précédé d’une intense réflexion collective au sein de votre juridiction sur les moyens de faire en sorte que les locaux que nous inaugurons aujourd’hui soient accueillants et fonctionnels.

Les aspirations contemporaines que j’évoquais, ce sont aussi celles d’un Etat exemplaire en matière de développement durable et d’ouverture à tous les publics.

Les contraintes qui pesaient sur la restauration de ce bâtiment historique ont conduit à des choix écologiques innovants. Comme cet hôtel conçu sans chauffage au XVème siècle ne pouvait qu’être énergivore au XXIème, le choix a été fait de recourir à une énergie à la fois non fossile et renouvelable. La géothermie permettra de chauffer la partie Est du tribunal et, à terme, la salle d’audience de la partie Ouest. L’extension que nous inaugurons aujourd’hui fait ainsi du tribunal administratif d’Orléans une juridiction pilote en France en matière de développement durable.

La justice doit également être ouverte à tous. L’accessibilité aux personnes à mobilité réduite est ainsi systématiquement recherchée. Cette obligation est juridique : le Conseil d’Etat a récemment jugé que l’Etat est, notamment, tenu de prendre des mesures appropriées pour permettre aux avocats handicapés d'exercer leur profession dans les lieux affectés au service public de la justice[7]. Il ne peut bien sûr, comme administrateur, et pour lui, méconnaître ce qu’il a jugé au contentieux pour les autres. Mais cette obligation est avant tout morale, à l’égard aussi bien des justiciables que des magistrats et des agents de nos juridictions. Compte tenu des caractéristiques des immeubles qui abritent celles-ci, cette accessibilité n’est pas encore toujours et partout assurée. Mais à la suite de l’audit exhaustif mené l’an dernier, un volet important de notre programmation immobilière est destiné à y remédier d’ici l’échéance de 2015. Et bien sûr, toutes les opérations de rénovation que nous avons menées ces dernières années ont été l’occasion de l’améliorer : c’est ainsi qu’à Orléans les personnes à mobilité réduite peuvent désormais se déplacer dans l’ensemble des locaux.

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« L’argent qu’on dépense en bâtiments est un argent perdu ». En suivant le cours de la visite de ce magnifique tribunal, je n’ai pu m’empêcher de penser à cet aphorisme que l’on doit, de manière assez inattendue, non pas certes à Louis XIV ou Vauban, mais à un bâtisseur d’honnête envergure Napoléon Ier, lorsque celui-ci a approuvé la nomination d’Antoine-François Peyre en qualité d’architecte de la rénovation de l’hôtel de la Légion d’Honneur.

Le bâtiment que nous inaugurons aujourd’hui dément en tous points cette affirmation. La justice administrative, par sa politique immobilière, contribue à la sauvegarde du passé et façonne l’avenir. A Orléans, elle s’est appuyée sur des techniques de restauration traditionnelles, tout en recourant à des technologies nouvelles et vertes. Ce bâtiment est une grande réussite qui porte témoignage d’une véritable ambition patrimoniale et architecturale et d’une réelle vision du service public. Je m’associe donc aux remerciements que vous avez exprimés, Madame la présidente, et je félicite à mon tour les acteurs de ce projet – le maître d’ouvrage, la direction des affaires immobilières du Conseil d’Etat représentée par Madame Dufils ; les maîtres d’œuvre, en particulier, l’architecte en chef des monuments historiques, Monsieur Régis Martin, et, bien sûr, les entreprises – d’avoir mené à bien cette difficile opération.

Je veux enfin remercier chaleureusement l’ensemble des personnalités qui nous font aujourd’hui l’honneur de leur présence. Celle-ci témoigne de l’intérêt, de l’estime et de la sympathie qu’elles portent à la juridiction administrative. Nous leur en sommes vivement reconnaissants.

[1] Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat

[2] R. Badinter, préface in Association française pour l’histoire de la justice, La justice en ses temples. Regards sur l’architecture judiciaire, 1992, édition Errance, édition Brissaud

[3]Ibid.

[4] F. Le Maire, Histoire et antiquités de la ville et du duché d’Orléans, Paris, Maria Paris (imp.), 1648.

[5] R. Boucher de Molandon, Antoine Brachet. Sa famille, sa mort en 1504, son monument funéraire retrouvé en 1879 à Pavie, Orléans, H. Herluison, 1880. L’institution du « Mairat d’Orléans » remonte à 1568 (lettres patentes du 23 novembre), sous Charles IX, et son premier titulaire fut Jean Brachet (voir J. E. Bimbenet, Monographie de l’Hôtel de la mairie d’Orléans, Orléans, A. Gatineau, 1855, p. 123).

[6]Ibid., p. 4.

[7] CE, Ass. 22 octobre 2010, Mme Bleitrach, 301572.

 

 

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Intervention de Claire Jeangirard-Dufal,

président du tribunal administratif d'Orléans

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Mercredi 12 octobre 2011

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Monsieur le vice-président du Conseil d’Etat, monsieur le président de la mission d’inspection des juridictions administratives, monsieur le Secrétaire général

Monsieur le préfet de la région Centre, préfet du Loiret,

Monsieur le président de la cour administrative d’appel de Nantes,

Monsieur le président du tribunal de grande instance  d’Orléans, monsieur le procureur de la République,

Monsieur le président de la Chambre régionale des Comptes,

Mesdames et messieurs les élus ,

Mesdames et messieurs les  chefs de service et hauts responsables, civils et militaires,

Mesdames et messieurs les professeurs,

Mesdames et messieurs les bâtonniers, avocats et avoués,

Mesdames et messieurs les représentants des ordres professionnels,

Mesdames et messieurs,

Je voudrais tout d’abord, au nom de l’ensemble des magistrats et agents du Tribunal, vous souhaiter la bienvenue dans l’hôtel de la Vieille Intendance, qui a aujourd’hui retrouvé son unité d’origine, et vous remercier de votre présence qui honore la juridiction administrative.

Si les tribunaux administratifs sont une institution relativement jeune, quoique largement quinquagénaire, le Tribunal administratif d’Orléans est, de toutes les juridictions administratives, celle qui occupe le bâtiment le plus ancien ; il a toujours eu le privilège d’être hébergé dans des lieux chargés d’histoire ; il a été précédemment installé, pendant une vingtaine d’années, dans l’un des charmants petits hôtels bâtis par Pierre Fougeu d’Escures au début du XVII ème siècle,  mais celui-ci devint vite trop exigu pour la juridiction dont les besoins se développaient… Lorsque le tribunal prit possession en 1989 – dans une période marquée par des changements majeurs pour la juridiction administrative -  de l’hôtel du 28 rue de la Bretonnerie, qui, malgré un passé prestigieux, n’était alors qu’un ensemble d’appartements privés, les locaux paraissaient spacieux et les agents s’y sentaient presque au large….

Vingt ans après, le paysage juridictionnel ayant beaucoup évolué,  l’immeuble ne suffisait plus  au fonctionnement normal d’une juridiction dont le rythme de travail devait justifier le passage de trois à quatre chambres en 2006, puis cinq chambres en 2008 et qui, pour parler très concrètement, se trouvait même, à partir de cette date, après avoir investi tous les recoins de l’immeuble pour y loger des bureaux, dans l’incapacité d’assurer  matériellement le stockage d’environ 5000 dossiers jugés par an, ce qui entraîna l’installation dans la cour d’entrée de notre hôtel d’une énorme structure provisoire pour y entreposer les dossiers jugés – dont je dois, rétroactivement en quelque sorte, demander à nos visiteurs d’excuser la présence disgracieuse ici  pendant deux ans et demi...

Il est tentant de penser que l’hôtel de la Vieille Intendance, dit aussi maison du Roy, était prédestiné à revenir dans le patrimoine de l’Etat et à être affecté à des fonctions éminemment régaliennes – mais nous savons en réalité peu de choses de son histoire : s’il a sans doute hébergé les Intendants avant que ceux-ci ne s’installent à l’hôtel Groslot, il a, en tout cas,  été bâti lors de la Première Renaissance, à  partir de 1498 très précisément, à l’initiative de François Brachet, dont le blason, un petit braque, orne encore ces murs ; on ignore la fonction exacte de ce personnage mais on sait qu’il se trouvait dans l’entourage de Louis XII au moment où celui-ci accède au trône, ce qui explique l’évidente parenté stylistique de ce logis avec l’aile Louis XII du château de Blois.

La magnificence de cet hôtel, dont le parc allait alors jusqu’à l’actuel boulevard Alexandre Martin, impressionna les gens de l’époque qui l’appelaient la Grande Maison ; cette splendeur passée peut s’imaginer plus facilement aujourd’hui que l’ensemble du bâtiment est réuni et que les deux façades apparaissent dans leur dimensions d’origine, malgré les nombreuses modifications subies au fil des ans, notamment concernant le rythme des percements  ; le panorama qui s’offre de la ville depuis l’une des deux « chambres hautes » que se réservait le maître des lieux dit assez le statut élevé de celui qui bâtit cette demeure ; je vous rassure : les modestes occupants actuels de ces lieux prestigieux n’entendent nullement se retirer dans leurs murs, mais cette hauteur de vue ne peut que nous inspirer et nous aider, symboliquement, à conserver le recul et la sérénité  nécessaires à l’exercice du métier  de magistrat.

Ce métier a profondément évolué, depuis vingt ans que le Tribunal a investi ces lieux ; de multiples procédures nouvelles ont été instaurées– je me bornerai à mentionner les reconduites à la frontière en 1990, les pouvoirs qui nous ont été dévolus en matière d’exécution des jugements, l’instauration des procédures à juge statuant seul, la très importante réforme des référés en 2000… ; l’on pourrait aussi évoquer les acronymes récents d’OQTF, DALO,  RSA… Toutes ces évolutions ont en commun notamment d’impliquer un grand nombre de recours et une multiplication des audiences ; le besoin  d‘une deuxième salle d’audience se faisait ici criant, ainsi que celui d’un accueil mieux adapté au public, à un public désormais plus en difficulté face à nos procédures et qui a besoin de davantage d’explications ;  tel était donc le but premier de ces travaux et je pense que les personnes qui viennent à nos audiences apprécieront l’amélioration qui est ainsi apportée à nos conditions d’accueil du public.

La redistribution des pièces des deux étages a permis l’aménagement de deux greffes de chambre ainsi que de bureaux de magistrats ;  plus globalement, l’investissement de la partie Est du bâtiment s’est accompagné d’une réflexion sur l’organisation fonctionnelle et matérielle de l’ensemble de l’immeuble, qui a été repensée dans sa totalité, de manière à rendre l’organisation matérielle aussi rationnelle que possible dans des locaux où les contraintes architecturales sont fortes.

Nous avons eu notamment comme objectif - ce qui était en fait assez délicat à réaliser - de rapprocher le lieu de stockage des dossiers à l’instruction des bureaux des agents chargés de leur gestion, de manière à éviter à ceux-ci des déplacements longs et fatigants.

L’agrandissement s’est traduit par une vaste opération de desserrement, qui améliore la qualité des espaces dévolus à tous les personnels et fluidifie la circulation des dossiers ; nous n’avons plus de bureaux de plus de deux personnes, ce qui assure des conditions propices à un travail de qualité, qui est évidemment notre objectif final ; les agents disposent maintenant de locaux adaptés, après des années passées, il faut bien le dire, dans des bureaux assez inconfortables pour nombre d’entre eux compte tenu de l’état de saturation des lieux. Je les remercie au passage de leur longue patience, parfois mise à rude épreuve !

Ces années de montage de l’opération, de réflexion sur nos besoins, de mise en place des procédures puis de suivi du chantier ont constitué pour le juge administratif que je suis, d’excellents travaux pratiques en matière de procédures de construction et de marchés publics ; il est des termes  que je n’avais jusque là employés que dans des jugements, en leur attachant un sens non pas abstrait certes - mais disons essentiellement juridique - comme ceux de cahier des charges, d’avenant, de délai de préemption, de réception, de sous-traitance, d’affichage du permis de construire, de constat d’huissier, de pénalités… et qui auront désormais pour moi une tout autre résonance, chargée de souvenirs très précis  ; comme quoi la connaissance pratique de la gestion publique est éminemment nécessaire à un magistrat administratif  !

Les travaux qui s’achèvent nous ont aussi permis de mieux connaître le bâtiment où nous travaillons et en quelque sorte de vivre en symbiose avec lui ; les travaux préparatoires de sondages et de démolition  notamment ont été autant d’éléments de lecture d’un passé qui nous échappe en grande partie, mais dont nous sommes, pour quelques décennies, les humbles gardiens, et que nous comprenons mieux maintenant… ; au fur et à mesure des découvertes qui se révélaient, ce bâtiment a semblé parfois parler … grâce, il faut bien le dire, aux explications parfaitement éclairées et toujours brillantes de Régis Martin, architecte en chef des monuments historiques ; je tiens à le remercier ici tout particulièrement pour la qualité de l’écoute dont il a toujours fait preuve à l’égard des besoins des utilisateurs de ces lieux, que j’avais la tâche ingrate de représenter, et dont il a bien voulu comprendre les attentes ; il a  su orchestrer avec brio la partition dont nous lui avions donné le thème, un peu austère je l’avoue, sous une forme qui pourrait se résumer à : nous donner des locaux pratiques et agréables en utilisant au mieux toute la capacité du bâtiment, avec un ascenseur des caves aux combles…  Je crois que l’on peut dire aujourd’hui : mission accomplie ! Nous avons ici un cadre de travail  rationnellement conçu, propice à la  sérénité, et qui plus est, s’agissant de la salle où nous nous trouvons, haut en couleurs !

Au-delà de ce résultat fonctionnel, la restauration de l’immeuble du 26 rue de la Bretonnerie a été l’occasion de rendre ce bâtiment chargé d’histoire, à l’architecture complexe, conforme aux normes d’accessibilité, puisque toute la salle d’audience, y compris la tribune où nous nous trouvons, est accessible aux personnes en fauteuil, ainsi que les  étages et les sous-sol, qui sont desservis par des ascenseurs spacieux, ce qui  permet par ailleurs  une circulation aisée avec les dossiers – car même si la dématérialisation progresse, nous travaillons encore sur du papier ! Nous pouvons ainsi utiliser pleinement l’espace de stockage constitué par nos extraordinaires caves voûtées, qui ont dû entreposer, au fil de leurs cinq siècles d’histoire, bien des  victuailles et des réserves plus alléchantes, voire des crus prestigieux ! Nos archives sont certes moins appétissantes mais au moins pouvons- nous désormais stocker, dans un espace parfaitement assaini, éclairé et ventilé, les quelque vingt mille dossiers d’archives que nous devons conserver.

Ce chantier  a été aussi pionnier dans le domaine de l’éco responsabilité puisque d’une part des vitrages isolants tout en ayant l’apparence des verres anciens équipent les fenêtres et que d’autre part  la partie nouvellement restaurée est entièrement chauffée par un système de géothermie installé dans le parc qui appartient au Tribunal - et dont les grands arbres, soigneusement préservés tout au long de la conduite du chantier grâce à des installations spécifiques, vont maintenant être rendus aux rêveries des orléanais ….avec la primeur d’une vue exceptionnelle sur l’ensemble de la façade de ce bel Hôtel… 

Si tout cela paraît simple quand on le résume en quelques mots, je sais personnellement, pour l’avoir vécue au quotidien, de bout en bout, combien cette opération de restauration et d’aménagement a été délicate. Je souhaite exprimer au nom de l’ensemble de l’équipe du Tribunal, ma reconnaissance pour sa réussite à tous les membres et agents du Conseil d’Etat qui ont assuré le lancement et contribué à la réussite de ce projet ; je suis heureuse de saluer la présence ici  de ceux d’entre eux qui ont pu se libérer aujourd’hui et de pouvoir les remercier de vive voix ;  je demande à M .le secrétaire général ici présent de dire toute ma gratitude à l’ensemble des services pour leur appui constant dans cette opération complexe.

 Marianne Dufils, responsable du projet à la direction des affaires immobilières du Conseil d’Etat, a porté cette opération de bout en bout avec l’énergie et la ténacité qu’on lui connaît, et n’a jamais baissé les bras quels que soient les aléas de ce chantier ; si mes appels étaient souvent préoccupés, voire inquiets, car les problèmes que nous avons rencontrés ont été nombreux et assez éloignés de ceux qu’un chef de juridiction s’attend à devoir affronter, j’ai toujours trouvé auprès d’elle une écoute attentive et une réaction aussi immédiate qu’efficace – mais le chemin a été plus long que prévu et parfois, notamment ces derniers mois, un peu rocailleux ! Tous les collègues ici présents lui disent par ma voix un immense merci pour l’amélioration considérable apportée à nos conditions de travail.

Mes remerciements iront également à l’ensemble des services publics dont l’intervention a été requise pour cette opération et qui en ont permis le bon déroulement, qu’il s’agisse de l’ensemble des services de l’Etat, notamment de la préfecture, de ce qui était encore la DDE à l’époque,  des services des Domaines, et bien sûr des services de la ville d’Orléans, l’action efficace et diligente des uns et des autres ayant permis la réalisation de ce projet dans les meilleures conditions.

Enfin, je me dois de décerner une mention particulière à Alain Jannau, greffier en chef du tribunal, dont la fiche de poste faisait sans doute état de nécessaires qualités de disponibilité et de réactivité - qui auront été mises à rude épreuve - mais ne mentionnait pas que l’essentiel de son temps serait occupé, pendant deux ans, par des fonctions très éloignées du  droit, ce qui a permis d’apprécier la variété de ses talents, et lui ouvre sans doute bien des perspectives pour l’avenir … C’est tout de même un peu confuse que je lui dis un très grand bravo pour la réussite d’une opération pour laquelle il a manifesté une vigilance à toute épreuve, non seulement quotidienne, mais de tous les instants – dans des conditions souvent fort éprouvantes .

La juridiction qui prend aujourd’hui possession de ces locaux restaurés peut regarder l’avenir avec confiance même si de nombreuses interrogations subsistent. L’activité du tribunal est  rythmée par un nombre de requêtes qui s’établit depuis cinq ans entre 4500  et 5000 par an ; le nombre de jugements rendus chaque année est en général légèrement supérieur, malgré des effectifs disponibles qui depuis deux ans, ont été non seulement moins nombreux que prévu, mais très instables, compte tenu d’un nombre important de mouvements à la fois de magistrats et de personnels de greffe.

De taille moyenne en importance, la juridiction orléanaise conserve au fil du temps l’originalité qui fait tout son intérêt : le contentieux qu’elle traite est à l’image d’un ressort géographique parmi les plus étendus, le tribunal étant l’un des seuls en France à couvrir 5 départements, et les plus variés de France : il comporte les contentieux classiques dans les grosses agglomérations urbaines, qu’il s’agisse notamment de marchés publics ou de fiscalité, mais nous amène aussi à connaître les problématiques induites par la diversité de l’activité économique de la région et les enjeux environnementaux multiples que recèlent la Beauce, la Loire et la Sologne. Le ressort géographique du TA est évidemment aussi influencé par la proximité de l’agglomération parisienne, et  l’évolution des contentieux est par ailleurs le reflet des mutations générales de la société ; nous enregistrons  ces dernières années un nombre important de recours en matière de séjour des étrangers ( environ 20 %  de nos requêtes ), et une proportion également conséquente de recours en matière sociale, qu’il s’agisse du contentieux des autorisations de licenciements, des inscriptions à Pôle emploi, du RSA ou de l’APL.

Au regard de cette augmentation tendancielle de l’activité du tribunal, je suis heureuse de constater que, malgré des conditions de travail parfois difficiles pendant ces deux années de chantier, les soucis qui étaient les nôtres lors du démarrage de cet agrandissement sont en partie résolus, du moins en ce qui concerne les délais de jugement. A la suite d’une très brutale augmentation des recours enregistrés au Tribunal dans les années 2005 - 2006, le nombre de recours en attente de jugement s’était accru  jusqu’à atteindre 6000 affaires au cours de l’année  2007 ; la priorité de ces quatre dernières années a donc été de réduire ce  « stock » ; nous avons aujourd’hui la satisfaction d’avoir ramené le nombre d’affaires en instance à environ 3500, ce qui signifie que le délai moyen prévisible de jugement est aux alentours de 8 à 9 mois, toutes procédures confondues. Si l’on fait abstraction des procédures d’urgence et des affaires réglées par ordonnance, c’est-à-dire si on considère le délai de traitement réel moyen des affaires de fond, celles qui sont réglées après audience, il est actuellement de moins d’un an et demi.

Notre effort a porté essentiellement sur les dossiers les plus anciens  de manière  à en réduire considérablement la proportion ; alors que, voici cinq ans, nous avions près de 20 % d’affaires qui étaient à l’instruction depuis plus de deux ans, nous avons réussi à ramener cette proportion à moins de 10 % aujourd’hui, et notre objectif est évidemment de la voir tendre vers zéro.

Lorsque nous nous fixons comme objectif de diminuer encore nos délais de jugement, nous n’ignorons pas que la mise en état rapide des affaires constitue une contrainte lourde pour les parties, qu’il s’agisse des administrations, ou des diverses collectivités, entreprises ou particuliers qui viennent devant nous, ainsi que de leurs conseils - au même titre qu’il s’agit d’une très forte contrainte de gestion pour la juridiction ; mais nos divers interlocuteurs savent, comme nous, que la première attente exprimée par nos concitoyens à l’égard de la justice, est sa célérité ; nous continuerons donc à œuvrer dans cette voie, sans aucunement bien sûr sacrifier les autres composantes de la qualité de notre travail, qu’il s’agisse du caractère contradictoire de la procédure, de la rigueur dans l’application des règles de droit, de l’accessibilité des décisions ou de la qualité de l’accueil et des réponses données aux justiciables.

Au cours de ces deux ans de chantier Il m’est souvent arrivé de penser,  en parlant avec nos architectes, que - par-delà la différence de nos cultures, de nos approches, le juriste, lui, n’étant pas forcément un artiste … -  il y avait bien des parentés entre nos métiers ; la rigueur est, aussi, fondamentale dans la démarche du restaurateur, qui, en tant que maître d’œuvre, doit composer avec une réalité immédiate, faite de pierres et de bois ;  les choix  délicats qu’il doit opérer face aux incertitudes historiques, aux contraintes techniques, aux objectifs d’aménagement, ne sont pas sans rappeler ceux qu’appelle l’exercice du métier de juge : la combinaison des textes, dont la complexité va croissant, peut sembler parfois aussi ardue que le déchiffrage de cinq cents ans d’histoire d’un bâtiment prestigieux, et la nécessité de conserver l’aspect architectural de l’immeuble tout en l’aménageant de façon rationnelle, accessible à tous les publics, en préservant l’environnement sous tous ses aspects, est une délicate alchimie qui n’est pas sans évoquer la démarche qui nous guide dans la recherche de décisions absolument rigoureuses en droit, mais aussi équitables humainement, adaptées aux circonstances, et bien sûr parfaitement intelligibles par l’ensemble des publics…

Nous continuerons de nous y employer, de notre mieux – et le ferons maintenant dans un cadre matériel dont la beauté nous accompagnera. Ces locaux plus spacieux et plus fonctionnels, où je suis heureuse de vous accueillir aujourd’hui, ne sont pas seulement pour nous un lieu de travail agréable ; à mon sens ils sont aussi l’expression tangible de l’importance que la juridiction attache à utiliser au mieux les moyens dont elle dispose pour répondre aux attentes des justiciables, et contribuer ainsi, modestement, mais avec exigence et détermination, à la qualité de la justice rendue en ces murs.