Intervention de Bernard Stirn lors de l'Audience solennelle de rentrée du Tribunal administratif de Rennes le jeudi 18 janvier 2018
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Audience solennelle de rentrée du Tribunal administratif de Rennes
Jeudi 18 janvier 2018
Allocution de Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État
Monsieur le préfet d’Ille-et Vilaine, préfet de la région Bretagne,
Monsieur le général, comandant la région de gendarmerie,
Madame la présidente de la cour administrative d’appel de Nantes,
Madame la présidente de la chambre régionale des comptes,
Monsieur le président du tribunal de grande instance de Rennes,
Monsieur le Président du tribunal administratif de Rennes, Mesdames et Messieurs les présidents, conseillers et agents de ce tribunal,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord, Monsieur le Président du tribunal administratif de Rennes, de vous remercier des mots d’accueil que vous venez de prononcer et qui m’ont beaucoup touché. Je vous suis reconnaissant de me faire l’honneur de prendre la parole au cours de cette audience de rentrée. Cela m’est d’autant plus précieux que je me retrouve ainsi, grâce à vous, à Rennes, ville où j’ai passé de très heureuses années.
Je mesure le temps qui s’est écoulé depuis que mon père a été nommé, en 1960, préfet d’Ille-et-Vilaine et, comme on le disait à l’époque, inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire, IGAME, pour la IIIème région militaire. Les régions administratives n’existaient pas encore et c’est à leur création, en 1964, qu’il devint préfet de la région Bretagne. Avec mes parents, je vivais à la préfecture, tout près des lieux qui sont aujourd’hui celui de votre tribunal. Nous restâmes à Rennes jusqu’à l’été 1967. Mais s’il y a donc plus de cinquante ans que je n’habite plus à Rennes, la ville et la région, sont à jamais pour moi les lieux de mon enfance et de ma formation, au lycée Chateaubriand, qui est devenu le lycée Emile Zola.
Dans les années soixante, de grandes personnalités, dont la vie publique avait souvent commencé par la Résistance, oeuvraient ensemble au bien commun de la ville et de la région, le président René Pleven, symbole de toutes les qualités de la Bretagne, Henri Fréville, député-maire de Rennes, Yvon Bourges, alors jeune ministre et maire de Dinard, le recteur d’académie, Henri Le Moal, qui devient, avec son épouse, un proche ami de mes parents. A la faculté de droit, de jeunes professeurs commençaient une carrière universitaire qui s’annonçait déjà brillante, Jean-Denis Bredin, Raymond-François Le Bris, Georges Dupuis, Pierre Georgel, Jacques Moreau.
C’est à Rennes que j’eus mes premiers contacts avec la juridiction administrative. Le tribunal administratif, institution alors fort modeste, occupait en effet quelques pièces du rez-de-chaussée de la préfecture. Et lorsque je jouais dans le jardin, il arrivait que mon ballon entrât par la fenêtre dans le bureau d’un jeune conseiller, qui me le rendait toujours gentiment. Il s’agissait de Philippe Renauld, qui deviendra plus tard président des tribunaux administratifs de Caen puis de Rennes, avant d’être nommé conseiller d’État, et que je retrouvais ainsi, à partir de 1986, au Palais Royal.
Quant à l’immeuble qui est aujourd’hui celui du Tribunal, il était la résidence du cardinal archevêque de Rennes, le cardinal Roques, homme de lettres, ami des livres et des écrivains, puis le cardinal Gouyon, qui incarnait avec ferveur le renouveau de l’Eglise d’après le concile. Mon père avait une profonde estime pour ces deux grands prélats, avec qui il s’entretenait régulièrement. En septembre 1964, j’avais été très impressionné par la cérémonie d’obsèques du cardinal Roques. Le général de Gaulle avait demandé au préfet d’être son représentant personnel aux funérailles du cardinal. Mon père marchait, en uniforme, au premier rang du cortège, que je vois encore, partir de cette maison pour se diriger vers la cathédrale. Dans Géographies de la mémoire, mon ami le romancier Philippe Le Guillou, fidèle à sa Bretagne natale, évoque le souvenir de cette cérémonie : « Les archevêques, en ces lieux, avaient eu droit à des funérailles grandioses : les chevaux carapaçonnés de deuil tiraient le catafalque, les colonnes de stuc étaient habillées de tentures noires, la pompe funèbre de l’Eglise d’avant le concile atteignait son paroxysme. C’était le rituel qui avait encore été suivi en 1964 au moment des obsèques du cardinal Roques, le modèle du personnage de Sulivan dans Mais il y a la mer ».
Mais ce n’est pas pour évoquer des souvenirs, si chers soient-ils à mon cœur, que je m’exprime aujourd’hui devant vous. Si je continuais de me tourner vers le passé, ce serait plutôt pour mesurer le chemin accompli par la juridiction administrative depuis la période où mon ballon faisait irruption dans le bureau de M. Renauld. La juridiction administrative a pris un nouveau visage. Le droit administratif a connu d’importantes évolutions. Les changements ont été tels que l’office du juge administratif s’est transformé. Dans ce mouvement, certains repères se sont peut-être estompés. Mais le dynamisme qui anime la juridiction administrative est la meilleure source de confiance pour l’avenir.
La juridiction administrative a d’abord été confrontée au défi quantitatif, venant de l’augmentation forte et continue du nombre des requêtes. Dans les années soixante-dix, les tribunaux administratifs étaient saisis de 30 000 requêtes par an, le Conseil d’État d’à peine 5 000. En 2017, 196 723 requêtes ont été enregistrées devant les tribunaux administratifs, 31 227 devant les cours administratives d’appel, 10 125 au Conseil d’État. Des contentieux dits de masse ont fait leur apparition, dans les domaines en particulier de l’entrée et du séjour des étrangers et des droits sociaux, comme le droit au logement opposable et le revenu de solidarité active.
A la pression qui découle de ce fort accroissement s’ajoutent des préoccupations de plus en plus vives de rapidité de jugement et d’effectivité des décisions. Dans un monde pressé, le rapport au temps est devenu plus contraint. Il est demandé au juge non seulement d’éclairer le droit mais d’apporter une solution suivie d’effet au litige qui lui est soumis.
Au-delà des chiffres, un véritable changement de nature s’est de la sorte opéré. Peu connue, intervenant souvent longtemps après les faits pour fixer le droit, éloignée des préoccupations des citoyens, la juridiction administrative est devenue une justice du quotidien, proche de l’action administrative, dont les verdicts sont attendus par les collectivités publiques, les opérateurs économiques, les administrés. Son arbitrage est recherché comme mode de règlement de nombre des grandes questions de société, qu’elles concernent le droit d’asile, l’intégration des étrangers, la laïcité des services publics et la place des signes religieux dans l’espace public, la procréation assistée, la fin de vie ou encore le droit à l’effacement sur les moteurs de recherche.
Devant ces défis, la juridiction administrative a su prendre son destin en main, en proposant au gouvernement et au parlement un ensemble de réformes de structure, de statut, de procédure, qui lui ont permis de s’adapter aux nouvelles exigences. Son rôle dans sa propre évolution a été d’autant plus grand que le Conseil d’État a été chargé d’assurer l’administration de l’ordre de juridiction. Autorité gestionnaire des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel depuis 1990, sa mission a été étendue en 2009 à la Cour nationale du droit d’asile. Un modèle original d’un ordre de juridiction administré par sa juridiction suprême s’est de la sorte construit.
Cet ordre de juridiction s’est consolidé. En premier instance, le nombre des tribunaux administratifs s’est légèrement accru, pour atteindre 32 en métropole, tandis qu’un tribunal est présent dans chaque département ou collectivité d’outre-mer. Les derniers nés sont les tribunaux de Melun, de Cergy-Pontoise et de Montreuil en Ile-de-France, de Nîmes et de Toulon dans le sud-est. Surtout les cours administratives d’appel, créées par la loi du 31 décembre 1987, au nombre de 5 puis de 8, ont complété l’édifice. Juges d’appel dans presque toutes les matières, elles exercent en outre quelques compétences de premier ressort. Avec elles, l’ordre juridictionnel administratif a trouvé sa complète structuration. Dans leurs domaines, les juridictions spécialisées se sont en même temps renforcées et professionnalisées. Les charges de la Cour nationale du droit d’asile se sont considérablement accrues, en même temps que la place des magistrats administratifs en son sein a été renforcée. Les juridictions disciplinaires des professions de santé sont désormais, dès la première instance, présidées par un magistrat administratif.
Parallèlement le nombre de magistrats administratifs a augmenté et leur statut a évolué. D’ à peine 300 à la fin des années soixante-dix, l’effectif du corps est passé à près de 1 200. Au recrutement par l’Ecole nationale d’administration, s’ajoutent deux concours directs, externe et interne, et un tour extérieur. Les garanties d’indépendance ont été progressivement renforcées, sous l’égide du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, dont les compétences ont encore été élargies par une ordonnance du 13 octobre 2016. La garantie de l’inamovibilité et la qualité de magistrat ont été expressément reconnues aux membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel par la loi. Les impératifs de déontologie ont été explicités au travers d’une Charte de déontologie, dont le Collège de déontologie assure la mise en œuvre.
La procédure s’est adaptée aux besoins d’une justice efficace. Des pouvoirs d’astreinte puis d’injonction ont été attribués au juge administratif. Refondant les référés, la loi du 30 juin 2000 lui a donné la capacité d’intervenir en urgence. Le référé suspension permet d’obtenir en cas d’urgence la suspension de l’exécution d’une décision lorsqu’un doute sérieux existe sur sa légalité tandis que le juge du référé liberté prend dans les quarante-huit heures toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Originalité du procès administratif, dont il constitue une garantie de qualité, le commissaire du gouvernement a vu son rôle redéfini. Recevant le titre, plus adapté à la réalité de sa mission, de rapporteur public, il informe les parties avant l’audience du sens de ses conclusions, après lesquelles des observations peuvent désormais être présentées. Pour qu’il puisse se consacrer aux dossiers les plus délicats, ses conclusions ne sont plus obligatoires dans toutes les affaires. Outre la reprise de parole après les conclusions, l’oralité prend une place accrue au travers des référés, dans les procédures particulières prévues pour les contentieux sociaux et, au cours de l’instruction, lors des enquêtes à la barre. Les modalités de jugement ont été diversifiées. A la collégialité classique se sont ajoutées les ordonnances des présidents pour les affaires les plus simples et les audiences confiées à un juge unique. De nouvelles perspectives en matière de médiation et d’action collective ont été ouvertes par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle.
Ces différentes réformes ont porté leurs fruits. Malgré l’augmentation du contentieux, les délais ont ainsi pu être réduits. En 2017, l’équilibre entre les sorties et les entrées a été atteint à tous les échelons de la juridiction administrative et le délai prévisible moyen est partout inférieur à un an. Les stocks d’affaires anciennes ont été progressivement réduits. Avec 5635 affaires enregistrées et 5934 réglées en 2017, le tribunal administratif de Rennes, sous l’autorité du président Jean-Jacques Louis, tient toute sa place dans cet équilibre d’ensemble. La justice administrative a dans le même temps conservé ses qualités d’unité de jurisprudence et de prévisibilité des décisions. Notons, en particulier, que 96% des affaires qui relèvent en premier ressort des tribunaux administratifs trouvent leur solution définitive dans la décision du tribunal, qu’il n’y ait pas de pourvoi en appel ou en cassation ou qu’un tel pourvoi soit rejeté.
Au quotidien, le travail s’est profondément renouvelé. Les outils informatiques ont transformé les méthodes en même temps qu’ils modifiaient les relations du juge avec les parties. L‘application Télérecours permet que la saisine de la juridiction, les échanges de mémoires et le déroulement de la procédure, jusqu’à la notification de la décision, soient assurés de manière dématérialisée. Une réflexion a été engagée et des progrès accomplis en matière de rédaction des décisions. Tout en demeurant sobre dans son expression et rigoureux dans ses raisonnements, le juge administratif enrichit sa motivation et s’exprime avec davantage de lisibilité.
Le magistrat administratif exerce en conséquence un métier en partie nouveau. Il ne s’agit plus seulement d’étudier avec soin et sans contrainte de temps les questions de droit soulevées par des dossiers traités dans l’ordre de leur arrivée au greffe. Il faut répondre à l’urgence, gérer des délais, orienter les affaires vers le circuit adapté de décision. Le travail s’accomplit sur ordinateur et non plus en écrivant à la main. Souvent il faut expliquer les décisions à la presse, au travers de communiqués ou de conférences, en évitant les écueils tant d’un silence incompris que d’une gesticulation trop bavarde.
Les évolutions du droit public n’ont pas été moindres que celles qu’a connues le métier du juge. Pour partie, ces évolutions viennent du droit écrit, qui se développe inévitablement et de manière parfois trop proliférante. Mais la jurisprudence sait apporter, lorsque cela est nécessaire, les compléments, les évolutions, les innovations dont le droit a besoin pour suivre le rythme de son temps. Aux interrogations du doyen Vedel, qui se demandait si le droit administratif pourrait rester indéfiniment jurisprudentiel, les arrêts sont venus apporter une réponse largement positive.
Notre monde en mouvement conduit le juge à redéfinir les grands équilibres, qui sont comme le socle du droit public, et qui appellent des ajustements, parfois de grande ampleur, qu’il s’agisse des rapports entre le droit national et le droit européen et international, de l’arbitrage entre respect de la légalité et sécurité juridique, de la conciliation entre les exigences de l’ordre public et la garantie des droits et libertés.
Comme l’ensemble des activités, le droit est passé d’une dimension nationale à l’espace européen et international. La place et l’autorité des normes internationales se sont accrues. L’évolution est particulièrement marquée dans le cadre européen. L’Union européenne repose sur un ordre juridique intégré, dont les juges nationaux sont les interprètes de droit commun. De la convention européenne des droits de l’homme découlent des exigences partagées en matière de droits et libertés ainsi que des standards de procédure destinés à garantir l’équité et l’impartialité du procès. Un dialogue intense réunit les deux cours européennes, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, les cours constitutionnelles et les cours suprêmes nationales. Un processus interactif se déroule qui construit, par des influences réciproques, un droit public européen.
Dans cet horizon nouveau, la justice administrative a su prendre sa place. Elle a reconnu l’autorité particulière du droit de l’Union européenne, intégré les apports de la convention européenne des droits de l’homme, contribué au dessin d’une hiérarchie des normes qui s’éloigne de la forme d’une pyramide pour prendre les allures d’un réseau. Echangeant régulièrement avec les cours de Luxembourg et de Strasbourg comme avec les juridictions des autres États, elle trouve dans le projet européen un surcroît de vitalité et d’autorité. Contrairement à une idée encore trop souvent reçue, la justice administrative n’est au demeurant en rien une exception française. La grande majorité des pays européens la connaissent, sous des formes variées, et elle est largement répandue dans le monde. A l’aise avec le droit européen, pratiquant davantage le droit comparé, le juge administratif trace sa voie dans un monde ouvert, qui aspire à davantage de cohérence.
Entre le respect de la légalité et la stabilité du droit, un arbitrage est en permanence nécessaire. Dans un monde juridique plus complexe, devant également un recours accru au procès, le besoin de sécurité juridique s’est renforcé. La jurisprudence y a répondu, par des constructions innovantes, qu’il s’agisse de la redéfinition des droits acquis, de la modulation dans le temps des effets des annulations, de la neutralisation de certains vices de forme ou de procédure qui ne constituent pas des garanties et sont sans influence sur le sens de la décision prise, de l’affirmation d’un délai raisonnable d’un an pour contester les décisions individuelles dont il est sûr que l’intéressé a eu connaissance. En quelques années, le Conseil d’État a également rebâti le droit des contrats publics, dans le souci de mieux garantir la publicité et la transparence des procédures tout en assurant une plus grande stabilité des relations contractuelles. La jurisprudence donne aujourd’hui toute leur portée aux évolutions législatives et réglementaires qui ouvrent la voie à des possibilités de régularisation dans certains contentieux, et d’abord dans le droit de l’urbanisme. Elle encadre le droit souple en même temps qu’elle souligne son intérêt.
Trouver le juste équilibre entre les exigences de l’ordre public et les droits et libertés des citoyens est de longue date la mission de la juridiction administrative. Il y a à peine plus d’un siècle, le commissaire du gouvernement Corneille rappelait, dans ses conclusions sur l’arrêt Baldy du 10 août 1917, « que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Cette belle formule continue d’éclairer la mission qui, dans le domaine qui est le sien, celui du contrôle des actes et la responsabilité de l’autorité publique, revient au juge administratif.
Des instruments nouveaux lui ont conféré des moyens d’intervention plus étendus et plus efficaces. Avec la loi de décentralisation du 2 mars 1982, apparaît le déféré liberté, qui permet au préfet de soumettre au président tribunal administratif ou à un magistrat désigné par lui, qui se prononce seul et en quarante-huit heures, tout acte d’une collectivité territoriale « de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle ». A partir de 1989, des procédures particulières et rapides voient le jour en matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Ces expériences ouvrent la voie à la définition, par la loi du 30 juin 2000, du cadre général que constitue, pour la protection des libertés fondamentales, le référé liberté. Avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le juge administratif se trouve, comme le juge judiciaire, investi d’un rôle de filtrage des questions prioritaires de constitutionnalité qui sont transmises au Conseil constitutionnel lorsque la contestation de la conformité de dispositions législatives aux droits et libertés que la constitution garantit présente un caractère sérieux.
Dans un monde marqué à la fois par de graves menaces pour la sécurité de chacun et par une profonde aspiration à la garantie effective des droits et libertés, le juge administratif continue d’exercer son office en appliquant les règles qui encadrent de longue date les pouvoirs de police administrative. Il lui appartient aussi de répondre à des interrogations nouvelles. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a confié au Conseil d’État les contentieux relatifs aux activités de renseignement et aux fichiers intéressant la sûreté de l’État, selon une procédure spécifique destinée à assurer, grâce à la pleine information du juge, un contrôle effectif, tout en préservant les secrets nécessaires à la défense nationale et à la sécurité publique. Avec l’application, durant près de deux ans, du lendemain des attentats du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, de l’état d’urgence, la juridiction administrative a été saisie de nombreuses requêtes qui contestaient les assignations à résidence, les perquisitions administratives, l’exploitation de données informatiques. Exerçant sur ces mesures un plein contrôle de proportionnalité, elle a tracé le cadre juridique des pouvoirs conférés à titre exceptionnel aux autorités de police et assuré des recours effectifs, tout en tenant compte des nécessités d’une lutte efficace contre le terrorisme. Il lui revient aujourd’hui de veiller à la mise en œuvre des pouvoirs de police définis, pour permettre la sortie de l’état d’urgence tout en continuant de combattre le terrorisme, par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Sur tous ces sujets, et sur bien d’autres, le juge administratif s’est appliqué à combiner les principes établis avec les exigences d’aujourd’hui. Il a ainsi continué à tisser son histoire, faite de continuité et de renouvellements, de fidélité aux valeurs essentielles et de capacité d’adaptation, de tradition et d’ouverture. La tâche n’est pas toujours aisée mais les enjeux méritent le grand engagement dont magistrats et agents de greffe savent faire preuve. Aujourd’hui comme hier, il revient au juge administratif de définir et d’adapter le cadre juridique de l’action administrative pour assurer l’efficacité des services publics et garantir les droits des citoyens. Le dynamisme des juridictions et la vivacité de la jurisprudence sont les meilleurs gages de l’inscription dans la durée des valeurs que le droit public incarne. Comme les autres juridictions, le tribunal administratif de Rennes a joué tout son rôle dans ce mouvement. Il m’a été précieux de répondre à l’invitation de son président pour le rappeler à l’occasion de cette audience solennelle de rentrée qui permet à tous de regarder le passé avec sérénité et de se tourner vers l’avenir avec confiance.