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Ariane Web: Conseil d'État 493576, lecture du 23 décembre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:493576.20241223

Décision n° 493576
23 décembre 2024
Conseil d'État

N° 493576
ECLI:FR:CECHS:2024:493576.20241223
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
M. Nicolas Boulouis, président
M. Christophe Pourreau, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
MERIAU, avocats


Lecture du lundi 23 décembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 7 novembre 2023 rapportant le décret du 6 octobre 2008 lui accordant la nationalité française ;

2°) d'ordonner au service central de l'état civil qu'il soit fait mention de l'arrêt d'annulation à intervenir sur tous les actes détenus par lui concernés par cette annulation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant algérien, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture du Nord, le 13 septembre 2007, par laquelle il a indiqué être célibataire. Au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par décret du 6 octobre 2008, publié au Journal officiel de la République française du 8 octobre suivant. Toutefois, par bordereau du 4 novembre 2021, reçu le 10 novembre suivant, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que M. B... avait épousé à Constantine (Algérie), le 23 mars 2008, Mme A... C..., ressortissante algérienne résidant habituellement à l'étranger. Par décret du 7 novembre 2023, publié au Journal officiel de la République française du 9 novembre suivant, la Première ministre a rapporté le décret prononçant la naturalisation de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés de la réalité de la situation familiale du requérant que le 10 novembre 2021, date à laquelle ils ont reçu les documents relatifs au mariage de l'intéressée transmis par bordereau du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que l'atteste le tampon apposé sur ce bordereau. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 7 novembre 2023, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

5. Le mariage de M. B... avec Mme C... a constitué un changement de sa situation familiale que l'intéressé aurait dû porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. Si M. B... soutient qu'il a omis de signaler son mariage en Algérie en raison des circonstances particulières liées à la rencontre avec son épouse et à la grossesse de celle-ci, ces circonstances ne sont pas de nature à établir qu'il aurait été empêché de faire part de la réalité de sa situation familiale au service chargé de l'instruction de son dossier avant l'intervention du décret lui accordant la nationalité française. Par ailleurs, l'intéressé, qui maîtrise la langue française, ainsi qu'il ressort du compte-rendu d'entretien d'assimilation du 13 septembre 2007 et de son parcours professionnel, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée. La circonstance qu'il participe activement au développement de l'économie française en employant deux personnes en contrat à durée indéterminée dans sa société est sans incidence sur la caractérisation de la fraude. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, la Première ministre n'a pas inexactement appliqué les dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En troisième lieu, la définition des conditions d'acquisition et de perte
de la nationalité relève de la compétence de chaque État membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de la nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences relevant du droit de l'Union, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, de rapporter légalement le décret accordant à M. B... la nationalité française, dont il n'est ni soutenu, ni a fortiori établi qu'il aurait perdu la nationalité algérienne.

7. En quatrième lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. B... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 7 novembre 2023 par lequel la Première ministre a rapporté le décret du 6 octobre 2008. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.