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Ariane Web: Conseil d'État 491395, lecture du 23 décembre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:491395.20241223

Décision n° 491395
23 décembre 2024
Conseil d'État

N° 491395
ECLI:FR:CECHS:2024:491395.20241223
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Olivier Japiot, président
M. Alexandre Denieul, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du lundi 23 décembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





Vu la procédure suivante :

La société Vert Marine a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la communauté de communes Val-ès-Dunes à lui verser, à titre principal, la somme de 360 000 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 10 000 euros, assorties des intérêts moratoires et de leur capitalisation, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché de prestations de services conclu pour la gestion et l'animation du centre aquatique " Dunéo ". Par un jugement n° 2100093 du 9 juin 2022, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 22NT02443 du 1er décembre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et condamné la communauté de communes Val-ès-Dunes à verser à la société Vert Marine une somme de 112 000 euros, assortie des intérêts aux taux légal capitalisés.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février, 2 mai et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Vert Marine demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) de rejeter le pourvoi incident de la communauté de communes Val-ès-Dunes ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Val-ès-Dunes la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Vert Marine et à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la communauté de communes du Val-ès-Dunes ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Action développement loisir - Récréa et la société Vert Marine ont chacune présenté une offre dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public de prestations de service portant sur l'exploitation d'un complexe aquatique situé sur le territoire de la commune d'Argences. Ce marché public a été attribué à la société Action développement Loisir - Récréa et signé le 24 janvier 2018. Par un jugement du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société Vert Marine tendant à la condamnation de la communauté de communes Val-ès-Dunes à lui verser, à titre principal, une somme de 360 000 euros, ou, à titre subsidiaire, une somme de 10 000 euros, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière de ce marché. Saisie par la société Vert Marine, la cour administrative d'appel de Nantes a, par un arrêt du 1er décembre 2023, jugé que la procédure de passation du marché était entachée d'irrégularité en tant que l'offre de la société attributaire méconnaissait la législation et la réglementation sociale en vigueur, annulé ce jugement et condamné la communauté de communes à verser à la société Vert Marine la somme de 112 000 euros, assortie des intérêts au taux légal capitalisés. Par son pourvoi, la société Vert Marine doit être regardée, eu égard aux moyens qu'elle soulève, comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a limité à la somme de 112 000 euros la condamnation de la communauté de communes. Cette dernière conclut, par la voie du pourvoi incident, à l'annulation du même arrêt.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

2. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

3. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité et si les chances sérieuses de l'entreprise d'emporter le contrat sont établies, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui incombe aussi d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.

Sur le pourvoi incident :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2261-2 du code du travail : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. / En cas de pluralité d'activités rendant incertaine l'application de ce critère pour le rattachement d'une entreprise à un champ conventionnel, les conventions collectives et les accords professionnels peuvent, par des clauses réciproques et de nature identique, prévoir les conditions dans lesquelles l'entreprise détermine les conventions et accords qui lui sont applicables ".

5. Par arrêté du ministre chargé du travail du 21 novembre 2006, la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini par son article 1.1 dans sa version alors en vigueur : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants : / - organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; / - gestion d'installations et d'équipements sportifs. / (...) ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini par son article 1er, dans sa rédaction applicable au litige : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : / (...) - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature (...). / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes (...) parc aquatique (...) / Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives ", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives " (...) / gestion d'installations sportives à caractère récréatif et de loisir. / Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : / les piscines (...) ".

6. Pour juger que l'offre de la société Action développement loisirs - Récréa était irrégulière et n'aurait pas dû être retenue, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que l'activité confiée à l'attributaire du marché public en litige avait pour objet la gestion, l'exploitation, l'entretien, l'animation et la surveillance du complexe aquatique, qui comprend en particulier un bassin sportif de 25 mètres avec quatre lignes d'eau, de profondeur 1,20 mètres à 2,20 mètres ainsi qu'un bassin extérieur de 25 mètres avec quatre couloirs de nage et un espace de remise en forme avec des installations de musculation et qu'y sont proposés des séances d'aqua-sports et des cours collectifs de natation pour adultes et enfants, a retenu que cet équipement a principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente, que cette activité ne se confond ainsi pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels et qu'elle relève dès lors de la convention collective du sport. En statuant ainsi, la cour n'a pas dénaturé les faits de l'espèce ni les pièces du dossier.

7. En second lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé qu'il ne résultait pas des pièces du dossier que la communauté de communes aurait été conduite à déclarer la procédure infructueuse ou sans suite si, comme elle aurait dû le faire, elle avait écarté l'offre de la société Action développement loisirs - Récréa comme irrégulière et que l'offre de la société Vert Marine, qui n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, avait été classée en seconde position alors qu'il n'y avait que deux candidats, avec une note globale de 89/100 contre 95,4/100 pour celle de la société attributaire et l'obtention de la meilleure note s'agissant du critère du prix, pour en déduire, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société Vert Marine avait une chance sérieuse de remporter le contrat, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il existait un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité de la procédure de passation et le préjudice dont la société Vert Marine demandait l'indemnisation.

8. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident de la communauté de communes Val-ès-Dunes doit être rejeté.

Sur le pourvoi principal :

9. En premier lieu, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit en tenant compte, en plus des éléments que la société Vert Marine avait produits pour démontrer la réalité de son manque à gagner et justifier le montant de l'indemnisation qu'elle réclamait à ce titre, de ceux produits par la communauté de communes en défense, tirés des résultats de l'exploitation du centre aquatique par la société attributaire.

10. En deuxième lieu, la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit en tenant compte, pour apprécier le caractère certain du préjudice subi par la société Vert Marine et évaluer son indemnisation, des éléments postérieurs à l'attribution du contrat tirés de l'incertitude sur la fréquentation de la piscine du fait de la situation sanitaire de l'année 2020 et des variations du coût de l'énergie.

11. En troisième lieu, dès lors qu'elle ne doutait pas de la réalité du préjudice subi par la société Vert Marine et qu'elle s'estimait suffisamment éclairée par les pièces versées au dossier par les parties pour évaluer son indemnisation, la cour administrative d'appel a pu, sans commettre d'erreur de droit, s'abstenir de faire usage de ses pouvoirs d'instruction.

12. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Nantes aurait dénaturé les pièces du dossier en limitant l'indemnisation du préjudice de la société Vert Marine à la somme de 112 000 euros.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Vert Marine n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vert Marine la somme de 3 000 euros à verser à la communauté de communes Val-ès-Dunes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Vert Marine au même titre.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Vert Marine et le pourvoi incident de la communauté de communes Val-ès-Dunes sont rejetés.
Article 2 : La société Vert Marine versera à la communauté de communes Val-ès-Dunes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Vert Marine et à la communauté de communes Val-ès-Dunes.