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Ariane Web: Conseil d'État 470383, lecture du 13 décembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:470383.20241213

Décision n° 470383
13 décembre 2024
Conseil d'État

N° 470383
ECLI:FR:CECHR:2024:470383.20241213
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Pauline Hot, rapporteure
Mme Maïlys Lange, rapporteure publique
SCP L. POULET-ODENT, avocats


Lecture du vendredi 13 décembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... C... et la SCI Le Château de Balanzac ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler pour excès de pouvoir le permis de construire accordé par le maire de Balanzac (Charente maritime) à la SCI Bernard Immo le 28 avril 2018. Par un premier jugement n° 1801493 du 19 septembre 2019, ce tribunal a décidé, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, de surseoir à statuer sur cette requête et d'accorder à la SCI Bernard Immo un délai de trois mois pour obtenir un permis modificatif régularisant les vices qu'il a retenus. Par un second jugement n° 1801493 du 19 mars 2020, le tribunal administratif a rejeté la demande.

Par un arrêt n° 20BX01740, 21BW03379 du 9 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. C... et la SCI le Château de Balanzac contre ces jugements, ainsi que leurs conclusions tendant à l'annulation des permis de construire modificatifs délivrés les 3 et 6 mai 2021 à la SCI Bernard Immo.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique enregistrés les 10 janvier 2023, 11 avril 2023 et 1er août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Château de Balanzac et M. A... C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Balanzac la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la société le Château de Balanzac et autre, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la commune de Balanzac et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la SCI Bernard Immo ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Bernard Immo a demandé la délivrance d'un permis de construire valant autorisation de démolir en vue de la création de deux logements, la réhabilitation d'un logement et la démolition d'un hangar métallique, sur la parcelle cadastrée D 555, située sur le territoire de la commune de Balanzac (Charente-Maritime), dont elle est propriétaire. Par un arrêté du 28 avril 2018, le maire de Balanzac a délivré le permis de construire valant autorisation de démolir, en l'assortissant de prescriptions. Par un premier jugement du 19 septembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers, a décidé, après avoir écarté tous les autres moyens, de surseoir à statuer, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sur la demande de M. C... et de la SCI le Château de Balanzac tendant à l'annulation de cet arrêté, et d'accorder à la SCI Bernard Immo un délai de trois mois pour obtenir un permis modificatif régularisant les vices qu'il avait retenus. Le 22 janvier 2020, la SCI Bernard Immo a produit devant le tribunal administratif le permis modificatif de régularisation qui lui a été délivré le 20 janvier 2020. Par un second jugement du 19 mars 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. C... et de la SCI le Château de Balanzac. Ultérieurement, alors que la cour administrative d'appel avait été saisie d'un appel contre ces jugements, le maire de Balanzac a délivré à la SCI Bernard Immo deux autres permis modificatifs, par deux arrêtés des 3 et 6 mai 2021. M. C... et la SCI le Château de Balanzac se pourvoient en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qui, d'une part, a rejeté leur appel formé contre les jugements du tribunal administratif de Poitiers des 19 septembre 2019 et 19 mars 2020 et, d'autre part, a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation des deux permis modificatifs des 3 et 6 mai 2021.

Sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il statue sur les conclusions dirigées contre le permis de construire initial du 28 avril 2018 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 161-4 du code de l'urbanisme dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : " La carte communale délimite les secteurs où les constructions sont autorisées et les secteurs où les constructions ne sont pas admises, à l'exception de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension des constructions existantes ou des constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à l'exploitation agricole ou forestière et à la mise en valeur des ressources naturelles ". Aux termes de l'article R. 161-4 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le ou les documents graphiques délimitent les secteurs où les constructions sont autorisées et ceux où les constructions ne peuvent pas être autorisées, à l'exception : 1° De l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension des constructions existantes ; 2° Des constructions et installations nécessaires : a) A des équipements collectifs ou à des services publics si elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole ou pastorale ou forestière dans l'unité foncière où elles sont implantées et ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysage ; b) A l'exploitation agricole ou forestière ; c) A la mise en valeur des ressources naturelles. "

3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen tiré de ce que le projet méconnaîtrait l'article L. 161-4 du code de l'urbanisme et le règlement de la zone N de la carte communale en ce qu'il ne s'inscrirait pas dans les exceptions admises pour construire dans une telle zone, la cour administrative d'appel, après avoir relevé que le projet litigieux a pour objet de réhabiliter un logement et de créer deux logements dans un bâtiment d'un seul tenant ayant appartenu aux dépendances du château de Balanzac, a retenu que, à supposer même que le projet litigieux emporte un changement de destination, les dispositions de l'article L. 161-4 du code de l'urbanisme et de l'article R. 161-4 du même code n'interdisent pas un tel changement.

4. D'une part, il résulte des termes mêmes des articles L. 161-4 et R. 161-4 du code de l'urbanisme que, dans les secteurs délimités par la carte communale où les constructions sont en principe interdites, peuvent être notamment autorisés l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension des constructions existantes. Dès lors, en relevant que ces dispositions n'interdisent pas le changement de destination d'une construction existante, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit.

5. D'autre part, en relevant que le projet porte sur l'aménagement de trois logements locatifs à l'intérieur d'un bâtiment existant, sans modification de son volume, par la réhabilitation d'un logement et la création de deux logements dans un bâtiment d'un seul tenant ayant appartenu aux dépendances du château de Balanzac, la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, sans les dénaturer.

6. En second lieu, pour écarter le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux méconnaîtrait le règlement de la zone N de la carte communale, la cour administrative d'appel a tenu compte du rapport de présentation de cette carte, en relevant qu'il n'interdit ni l'extension mesurée des constructions existantes, même incompatibles avec la vocation de la zone, si elles ne dénaturent pas la destination initiale, ni l'aménagement d'un bâtiment à usage d'habitation, et en jugeant que la circonstance que ce document indique qu'un " bâtiment désaffecté, agricole ou non, pourra être aménagé en logement " ne limite pas la transformation d'un bâtiment à la réalisation d'un seul logement. La cour a ensuite rappelé que le rapport de présentation est dépourvu de portée réglementaire. En tenant compte du rapport de présentation de la carte communale sans pour autant lui conférer une portée réglementaire, la cour administrative d'appel de Bordeaux, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il statue sur le permis de construire modificatif du 20 janvier 2020 :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est : / a) Le maire, au nom de la commune, dans les communes qui se sont dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu (...) ". Aux termes de l'article L. 422-7 du code de l'urbanisme : " Si le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale est intéressé au projet faisant l'objet de la demande de permis ou de la déclaration préalable, soit en son nom personnel, soit comme mandataire, le conseil municipal de la commune ou l'organe délibérant de l'établissement public désigne un autre de ses membres pour prendre la décision ".

8. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 422-1 du code de l'urbanisme que le maire est l'autorité compétente pour délivrer les autorisation d'urbanisme, au nom de la commune, dans les communes dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu. Il appartient ainsi en principe au maire, sans préjudice de la mise en oeuvre des délégations qu'il peut accorder dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales ou de l'application des règles de suppléance, de prendre les décisions correspondantes, sauf à ce qu'il soit intéressé, à titre personnel ou comme mandataire, au projet faisant l'objet de la demande d'autorisation ou qu'il estime pouvoir être légitimement regardé comme étant intéressé à ce projet, ces circonstances conduisant alors le conseil municipal, conformément à l'article L. 422-7 du code de l'urbanisme, à désigner un autre de ses membres pour prendre la décision.

9. En l'espèce, la cour administrative d'appel a jugé que le maire de Balanzac, qui a signé le permis modificatif du 20 janvier 2020, n'était pas personnellement intéressé au projet faisant l'objet de la demande, alors même que les requérants faisaient valoir qu'il aurait un lien de parenté avec un cogérant de la SCI Bernard Immo, que l'autre cogérante de cette société avait été élue sur sa liste aux élections municipales de 2014 et qu'il était le gérant d'une société propriétaire d'un bâtiment voisin et d'une partie du chemin d'accès aux deux propriétés. En statuant ainsi, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce qu'elle a souverainement appréciées, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

10. Par ailleurs, en se référant aux motifs par lesquels elle a jugé que le maire n'était pas personnellement intéressé au projet, au sens de l'article L. 422-7 du code de l'urbanisme, pour écarter le moyen tiré du détournement de pouvoir, la cour, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit, ni entaché son arrêt de contradiction de motifs.

Sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il statue sur le permis de construire modificatif du 3 mai 2021 :

11. Lorsqu'une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment. De même, lorsqu'une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l'objet de transformations sans les autorisations d'urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation. Dans l'hypothèse où l'autorité administrative est saisie d'une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d'informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s'il entend poursuivre son projet, n'a pas à précéder le refus que l'administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés.

12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par arrêté du 3 mai 2021, le maire de Balanzac a accordé à la SCI Bernard Immo un nouveau permis modificatif. Pour juger que le maire de Balanzac avait pu légalement délivrer le 3 mai 2021 le permis modificatif sollicité, alors que les requérants soutenaient qu'un tel permis ne pouvait être délivré dès lors que les travaux étaient complètement exécutés et n'étaient conformes ni au permis initial du 28 avril 2018, ni au premier permis modificatif délivré le 20 janvier 2020, de sorte qu'était nécessaire, conformément à ce qui a été dit au point 5, une autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment, la cour s'est bornée à relever que les travaux résultant du permis initial étaient complètement exécutés pour en déduire que le permis délivré le 3 mai 2021 n'était pas un permis de construire modificatif, mais un nouveau permis. En se bornant ainsi à qualifier le permis délivré de nouveau permis, sans rechercher s'il devait porter sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il a été initialement approuvé, la cour administrative d'appel a omis de répondre au moyen opérant soulevé par les requérants à l'encontre du permis du 3 mai 2021.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Le Château de Balanzac et M. A... C... ne sont fondés à demander l'arrêt qu'ils attaquent qu'en tant qu'il statue sur le permis de construire modificatif du 3 mai 2021.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Le Château de Balanzac et de M. A... C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Balanzac une somme de 1 000 euros à verser aux requérants au titre des mêmes dispositions.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il statue sur le permis de construire modificatif du 3 mai 2021.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La commune de Balanzac versera à la société Le Château de Balanzac et à M. A... C... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Balanzac et par la SCI Bernard Immo sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SCI Le Château de Balanzac, à M. A... C..., à la commune de Balanzac et à la SCI Bernard Immo.


Voir aussi